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La loi web 3 vue par ... Arnaud Touati, : "La France puis, l'Europe offrent-elles vraiment un cadre propice au développement du Web 3 ?"

L'évaluation du Web 3 en France et en Europe présente un tableau nuancé, où les avancées réglementaires coexistent avec des défis substantiels pour les petits acteurs du marché.

Avant l'adoption de la loi PACTE en 2019, le secteur des crypto-actifs était souvent perçu comme une zone grise, marquée par des suspicions d'activités illégales. Les opérations liées aux cryptomonnaies, y compris les échanges, les transactions et les financements par le biais des ICO, demeuraient largement non réglementées. Cette absence de réglementation avait forgé une image négative du secteur, souvent associée à des pratiques illicites et à la fraude. Tandis que de nombreux investisseurs ont pu être confrontés à des risques élevés en raison du manque de normes et de protections réglementaires, alimentant une perception négative du secteur.

La France, avec l’adoption précoce de la loi PACTE et ses similitudes avec le règlement européen MiCA qui va entrer en application dès le mois de juin pour certains services, offre un environnement réglementaire précurseur et sécurisant pour les acteurs du marché des crypto-actifs.

L’inscription dans ce cadre légal confère ainsi une légitimité indéniable et une sécurité juridique essentielle.

Pour autant, dans un contexte où la réglementation stricte en France et en Europe a certes contribué à renforcer la sécurité et la légitimité du secteur, il ne faut pas non plus occulter son impact potentiellement néfaste sur l'innovation.


Avantages du cadre réglementaire :

La loi PACTE a contribué à une meilleure prévisibilité juridique en diminuant l'incertitude opérationnelle, aidant les entreprises à mieux planifier leurs stratégies à long terme. De plus, le renforcement de la confiance des investisseurs s'observe puisque la conformité avec des réglementations strictes est souvent perçue comme un gage de fiabilité par les investisseurs et les partenaires commerciaux.

En outre, le règlement MiCA établit un cadre réglementaire unifié pour toute l'Union européenne, permettant ainsi aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) français par exemple de communiquer et d'opérer dans tous les États membres sans nécessiter d'autorisations locales spécifiques. Ce règlement renforce également la protection et la sécurité des épargnants en imposant des règles plus strictes, y compris l'obligation pour les PSAN de maintenir des fonds propres proportionnels à leur volume d'activité.

De surcroit, le règlement introduit des mesures ciblées pour combattre les abus de marché, notamment la manipulation des prix et les délits d'initiés, en exigeant des déclarations de soupçon pour tout comportement potentiellement abusif détecté sur le marché des crypto-actifs.

Contraintes et défis du cadre réglementaire :

Les coûts élevés de conformité, notamment liés à l'enregistrement en tant que PSAN, impliquent des frais substantiels qui peuvent représenter un frein significatif pour les startups et les PME. Par ailleurs, la complexité des processus administratifs, souvent longs et laborieux, peut limiter la réactivité des entreprises dans un secteur où la rapidité d’adaptation est essentielle.

Sans aucun doute, nous assistons à une financiarisation du secteur des crypto-actifs. Obtenir l'agrément MiCA représentera un investissement extrêmement élevé, tant en termes de coûts que de temps, rendant l'accès au marché bien plus exigeant sur le plan financier.

Dans un autre registre, le 12 avril dernier, le Parlement français a adopté définitivement la loi visant à sécuriser l’espace numérique (SREN), établissant un régime spécifique pour les jeux numériques à objet monétisable (JONUM), le but étant de contrôler le blanchiment d’argent et l’addiction chez les mineurs, tout en évitant de classer ces jeux dans la catégorie des jeux d’argent et de hasard. Cependant, les mesures prévues manquent singulièrement de proportionnalité et ce sont une nouvelle fois les petits acteurs qui risquent fortement d’en pâtir.

En outre, les exigences de conformité et la complexité réglementaire subséquente, peuvent également décourager des investisseurs et ainsi limiter les opportunités pour les startups françaises, entravant l'élan du marché français dans ce secteur en pleine expansion au niveau mondial.

Pour quel bilan ?

La réglementation européenne comme française s’inscrit dans le même sillon : un sillon particulièrement défavorable aux petits acteurs du marché.

La réglementation adoptée, bien que visant à structurer et sécuriser le secteur, penche fortement en faveur des grandes institutions, comme les banques, renforçant ainsi une dynamique où les intérêts de ces dernières sont souvent alignés avec ceux des régulateurs et législateurs. Cela est particulièrement visible dans le cadre réglementaire MiCA mais également dans des initiatives récentes telles que le régime Pilote pour les infrastructures de marché DLT.

A la complexité réglementaire, s’ajoutent des questions de souveraineté qui sont priorisées au détriment de l'innovation. Par exemple, l'Europe manifeste une certaine réticence à adopter les cryptomonnaies, tout en cherchant à protéger l'euro, notamment face à la prédominance des stablecoins en dollars tel que les USDT. Cette approche se traduit par des mesures restrictives, telles que l'obligation pour des émetteurs de stablecoins de détenir 60% de leurs réserves en espèces et de les collatéraliser dans au moins six banques différentes, des exigences difficiles à satisfaire compte tenu de l'aversion générale des banques pour les crypto-actifs.

En outre, les restrictions imposées par le règlement MiCA, telles que le plafond d’échange journalier sur les échanges de stablecoins fixé à 200 millions d'euros et à 1 million de transactions, apparaissent disproportionnées et pourraient sérieusement limiter les opérations des acteurs du marché. Ces limites, particulièrement restrictives, pourraient inciter tant les émetteurs de crypto-actifs que les investisseurs à déplacer leurs activités hors d'Europe pour réaliser ces transactions à l’étranger.

La nécessité d'une réglementation proportionnelle, qui tienne compte de la diversité des acteurs du marché et qui ne favorise pas uniquement les banques, est cruciale pour permettre un développement équilibré et inclusif de l'écosystème des crypto-actifs en Europe.

En conclusion, bien que l'Europe et la France offrent un cadre réglementaire solide, la rigidité de celui-ci risque fortement de restreindre considérablement le nombre d'acteurs capables d’opérer, limitant ainsi l'innovation et notre compétitivité internationale dans un marché qui se joue avec les Etats-Unis et l’Asie.

L'Europe est un terrain de jeu de grande qualité mais on semble vouloir limiter drastiquement le nombre de joueurs, au risque de détruire l’écosystème.

La France, en plus de ses défis fiscaux et sociaux, impose des contraintes réglementaires qui pourraient lui coûter cher et il reste incertain que la France, tout comme l'Europe, parvienne à se positionner avantageusement dans la compétition internationale.

La solution réside selon nous dans l'adoption d'une réglementation proportionnelle à la typologie des acteurs, plutôt que d'appliquer un cadre uniforme qui étouffe l'innovation. Affaire à suivre…

A PROPOS D’ARNAUD TOUATI

Diplômé de droit des affaires des Universités Paris I Sorbonne, Paris II Assas et Chicago, Arnaud Touati a pratiqué le droit des affaires dans des cabinets anglo-américains, des grandes banques d’affaires mais également des structures de taille intermédiaire. Féru de nouvelles technologies, il s’intéresse dès 2013 à l’entreprenariat en France et tout particulièrement aux startups avant de fonder en 2015 le cabinet Hashtag Avocats.
Arnaud Touati est membre de l’incubateur du Barreau de Paris, il enseigne à l’Ecole de Formation du Barreau et dans plusieurs écoles de commerces renommées. Il participe également à de nombreux workshops et événements dans l’écosystème startups.
#Hashtag Avocats

Il est spécialisé dans le droit des cryptoactifs et a crée par ailleurs une superstructure du droit et du chiffre dédiée exclusivement à l’écosystème web3 : LawForCode

NOTE DE LA RÉDACTION :

Arnaud Touati s'exprime ici en son nom. Il ne s'agit en aucun cas de conseil en investissement ou de prise de position de Finyear. Mais d'une volonté journalistique d'offrir un éclairage le plus complet possible et de donner la parole à tous les points de vue. Les propos tenus dans cette réaction ne concernent que son auteur. Si Finyear opère un filtre éditorial, les opinions émises ne peuvent pas être considérées comme le reflet de la direction.


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Jeudi 30 Mai 2024




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