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Mardi 29 Avril 2008
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La « résistible ascension » de la négociabilité des conditions générales de vente

A la lecture de l’exposé des motifs des articles 19 et 20 (Titre II – Mobiliser la concurrence comme nouveau levier de croissance) du projet LAGARDE, il paraît évident que le cœur de la réforme réside dans la « suppression de l’abus de discrimination » prévu à l’article L442-6 du code de commerce.


Thierry Charles
Thierry Charles
Or, dans le cadre du principe de liberté contractuelle, le dispositif actuel assurait un certain contrôle des discriminations comme de la transparence de l’offre, tout en conférant aux conditions générales de vente (CGV) des industriels une réelle portée, qui s’appuie sur la notion de « socle » de la négociation commerciale. Certes cet équilibre ne modifiait pas la réalité des rapports de force, mais il constituait un cadre raisonnable de négociation et de contrôle qui devrait être aujourd’hui conservé en tant qu’acquis de la réglementation actuelle.

L’article L.441-7 nouveau du Code de commerce précise encore aujourd’hui que le résultat de cette négociation de l’opération de vente s’inscrit « dans le respect de l’article L.441-6 du Code de commerce », i.e. dans le respect des conditions générales de vente et rappelons que « celles-ci constituent le socle de la négociation commerciale » (loi CHATEL n°2008-3 du 3 janvier 2008).

Aussi, le projet de loi LAGARDE devait réaffirmer, bis repetita placent, la place des conditions générales de vente (CGV) comme « socle ». Car elles dénotent la volonté des entreprises de mieux résister aux pratiques abusives et les conditions d’achat qui les écarteraient d’emblée conduisent à une discrimination au profit de l’acheteur.

C’est d’ailleurs ce que ne manquait pas de relever la circulaire du 8 décembre 2005 relative aux relations commerciales dans son paragraphe 1 : l’article L.441-6 du code de commerce prévoit que les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale ; elles sont le point de départ de la négociation entre le vendeur et l’acheteur, et comprennent les conditions de vente, le barème de prix, les conditions de règlement applicables à tous les acheteurs ou à une catégorie d’acheteurs et les réductions de prix.

Une « prééminence » encore réaffirmée dans le rapport établi, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat sur le projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, par le Sénateur Gérard CORNU qui précise: « Aussi le gouvernement a-t-il souhaité favoriser la globalisation de la négociation en prévoyant, au paragraphe I de l’article L. 441-7 : qu’elle s’exprime au travers d’une convention unique formalisant l’ensemble des éléments de la discussion : négociation commerciale proprement dite (ce qui sanctuarise le caractère non négociable des CGV elles-mêmes), services propres à favoriser la commercialisation des produits ne relevant pas des obligations d’achat et de vente (le terme de « coopération commerciale » disparaissant à cette occasion sans que la nature de ces services soit modifiée) et services ayant un objet distinct (…) ».

Pour autant, le groupe de travail du Conseil d’Etat, présidé par Marie-Dominique HAGELSTEEN posait déjà la question de « la négociabilité » des CGV, dans un rapport rendu le 12 février 2008. Le travail consistait à proposer un nouveau dispositif juridique de nature à renforcer l’environnement concurrentiel des relations commerciales et à restaurer une pleine liberté de négociation des tarifs comme des conditions générales de vente en vue de favoriser une plus grande concurrence par les prix. Car si le droit actuel n’exclut pas, en théorie, une certaine négociabilité, celle des conditions générales de vente (CGV) supposait, d’après les membres du groupe de travail, une modification du droit actuel.

Le rapport ne manquait pas de rappeler que l’article L. 441-6 du Code de commerce n’affirme pas le principe d’une « primauté » des CGV, il se borne en effet à indiquer que les CGV constituent le « socle » de la négociation commerciale, « notion d’une densité juridique pour le moins incertaine, ce qui n’empêche d’ailleurs pas que les fournisseurs y soient très attachés ».

Et pour cause.

En effet, toutes les professions dans tous les pays où s'exerce la libre concurrence pratiquent ce qui est communément appelé des conditions générales de vente, le contrat pour la rédaction duquel ces conditions vont servir pouvant être dans les relations interindustrielles soit un contrat de vente, soit un contrat d'entreprise. Dans leur principe même, les conditions de vente répondent à une impérieuse nécessité en offrant aux parties contractantes le cadre juridique précis à l'intérieur duquel est appelé à se former en toute clarté l'accord des volontés.

Leur légitimité est au demeurant admise dès lors qu'elles ne visent pas à restreindre sans justification les obligations des membres d'une profession ou la libre concurrence en général. Elles sont le gage de la transparence exigée par l'article L. 441-6 du Code de Commerce. Les mots "conditions générales" recouvrent deux situations très différentes : ou bien des conditions sont générales pour tous les contrats d'une entreprise ou bien elles sont générales pour toutes les entreprises d'une profession.

Cette universalité en augmente la force car elles peuvent alors constituer le recueil des "usages", au sens juridique du terme, d'une profession dans un ou plusieurs pays. Elles sont alors déposées en tant que telles, pour la France au Tribunal de Commerce de Paris et auprès d'organismes où cela est jugé nécessaire.

Enfin, un certain nombre de textes militent également en faveur de l'existence de conditions générales préétablies : l'article L. 441-6 du Code de Commerce, la loi du 2 août 2005 dite « Dutreil », la circulaire ministérielle du 16 mai 2003, dite circulaire DUTREIL, les normes internationales ISO 9000.

Dès lors il était faux de laisser croire aux termes du rapport HAGELSTEEN que « rendre négociables les CGV et les tarifs ne conduit pas à modifier l’équilibre final des contrats auquel les partenaires commerciaux parviennent aujourd’hui ». Certes, la négociabilité constituerait un « progrès supplémentaire » dans la réforme du cadre juridique de la négociation commerciale, mais au seul avantage des donneurs d’ordre.

Le paradoxe est que le rapport rappelait à plusieurs reprises l’attachement des entreprises aux CGV, « pour des raisons autant symboliques que juridiques », tant elles souhaitent conserver la maîtrise de leur stratégie commerciale. C’est que la crainte fréquemment exprimée est que la « négociabilité » ne conduise les grands donneurs d’ordre, compte tenu des rapports de force existants, à déposséder les fournisseurs de leur capacité à déterminer leur propre politique commerciale. Et de faire un parallèle avec les petites et moyennes entreprises qui courraient ainsi le « risque de se transformer en sous-traitant ».

Le constat était ainsi fait et par le rapport HAGELSTEEN lui-même, à défaut d’une négociation commerciale qui s’engagerait à partir des CGV, et même si cet avantage peut sembler bien artificiel, l’entreprise en serait réduite au statut de sous-traitant, un statut dont il convient justement de défendre encore aujourd’hui les intérêts. Et notamment en renforçant la primauté des CGV.

Et pourtant le projet LAGARDE ouvre désormais la voie à la « négociabilité des CGV (article 19), et en supprimant ainsi le principal obstacle juridique à la différenciation tarifaire, celle-ci deviendra libre et les avantages obtenus n’auront plus à être justifiés (1) .

Et par cohérence avec l’introduction de la « négociabilité », la menace de rupture brutale, sanctionnée par l’article L442-6 4° ne devrait plus trouver son fondement, comme c’est le cas aujourd’hui dans la constatation de conditions manifestement dérogatoires aux CGV.

Il est en effet prévu de supprimer le 1° du I de l’article L442-6 du code de commerce qui stipulait : « « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 1/ de pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence (…) ».
Par ailleurs, le 4° du I de l’article L442-6 du code de commerce est remplacé par les dispositions suivantes : «« d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ».
En lieu et place de : « d’obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ». (2)

Il est ainsi proposé purement et simplement de supprimer l’interdiction de « discrimination abusive ». Les donneurs d’ordre vont ainsi pouvoir « obtenir » des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles ! Ils n’en espéraient pas tant dans la mesure où le rapport de force dans les négociations est déjà en leur faveur.

Alors qu’importe si le projet LAGARDE maintient le statut des CGV (existence des CGV, définition de leur contenu, statut de socle de la négociation commerciale), dans la mesure où le donneur n’engagera plus sa responsabilité du fait de la suppression de l’interdiction de discrimination abusive !

Rappelons ici qu’un contrat n’est efficace que s’il est plus grand que les contractants (ou perçu comme tel), ce qui suppose qu’il fasse autorité au-delà de l’arbitraire individuel de l’une des parties, en l’occurrence les donneurs d’ordre et notamment ceux de la grande distribution. Car un contrat sans garant du contrat (qu’il s’agisse de la loi ou de la parole du juge à condition encore qu’il soit saisi) abandonne les parties au risque d’arbitraire.

Quant à la modification de l’article L 442-6 I 4° concernant le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente », dans l’abus de menace de rupture brutale de relation commerciale, en supprimant la phrase « manifestement dérogatoire aux conditions générales de vente », on laisse là encore la place, et en toute légalité, à la discrimination.

Les conditions générales de vente sont ainsi bien dangereusement « solubles » dans le projet de loi LAGARDE. En effet, il semble que le « sanctuaire » des Conditions générales de vente ne résistera pas au second volet de la réforme de la loi Galland qui s’annonce. Et ce que le gouvernement n'a pas osé faire dans la loi CHATEL est à l'ordre du jour de la « loi de modernisation de l'économie » (LME). Prévoir pour la première fois la « négociabilité » des CGV dans la loi revient à laisser libre cours aux exigences des grands donneurs d’ordre qui vont particulièrement pénaliser les PME et notamment les sous-traitants, renouant avec « le système de la teneure féodale » stigmatisé en son temps par Claude ALTERSOHN.

Thierry CHARLES
Docteur en droit
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie

t.charles@allize-plasturgie.com


(1) Sauf en droit des pratiques anticoncurrentielles.
(2) Au 2° du I de l’article L442-6 du code de commerce les mots « conditions commerciales ou » sont également supprimés.

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