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Entretien | Joël-Alexis Bialkiewicz, Banque Delubac & Cie/DeluPay. "Avec DeluPay, nous voulons arrêter le racket des commerçants "

Partie II
Son histoire aurait pu être celle, un peu banale, d'un héritier reprenant le flambeau des affaires familiales. Sauf que Joël-Alexis Bialkiewicz n'avait pas vraiment prévu d'être banquier...
Alors qu’il se consacrait à sa passion pour les sciences, en enchaînant les diplômes, jusqu’à une brillante thèse, un accident dramatique – le décès de son petit frère Cyrille – le conduira à envisager de prendre la suite de son père à la tête de la banque Delubac & Cie.
Pendant 2 ans, il va travailler sans relâche pour appréhender et maîtriser les méandres du métier de banquier.
Puis, progressivement, il va marquer la banque centenaire - fondée en 1924 -, de son empreinte, la façonner et, aller bien au-delà de ce que l’on attendait de lui.

Première banque enregistrée PSAN en 2022, Delubac & Cie est aussi un des rares établissements bancaires à accepter d’ouvrir des comptes aux acteurs du Web3.
Poursuivant dans cette voie, la banque a annoncé qu’elle allait bientôt proposer une plateforme d'achat/vente et conservation de cryptoactifs, pour ses clients, particuliers et entreprises.
Quoi de plus normal pour celui qui a été l’un des premiers à miner des Bitcoins par carte graphique en 2011?
En parallèle, il a lancé son propre moyen de paiement DeluPay, entièrement hébergé en France. Ambition affichée : renverser les géants des cartes bancaires Visa et Mastercard.
Alors que nous sommes reçus dans une rue feutrée du 8e arrondissement parisien, en plein triangle d'or où parfois les attaques se jouent masquées, lui marquera l'entretien de ses confidences sensibles et de son franc parler.
Derrière celui qui avoue avoir passé les comptes de la banque à la paille de fer tout comme son organisation, nous découvrons le brillant technicien anticonformiste qu’il est.
Un échange long mais savoureux faisant bouger pas mal de lignes sur Mica, les crypto, ou tout simplement sur la manière de ne surtout pas incarner la caricature de l’héritier ou du banquier.

Pour des raisons « pratiques » cet entretien a été scindé en deux volets.
Cette seconde partie est consacrée au lancement de DeluPay et à sa vision sur l'avenir du paysage WEB3 notamment sur Mica.

Par Anne-Laure Allain
Lire la Partie I


Vous étiez au début de cette année à Las Vegas où vous venez de promouvoir votre fintech, DeluPay, lors du CES, pouvez-vous nous en dire plus ?

Joël-Alexis Bialkiewicz, Banque Delubac & Cie/DeluPay
Joël-Alexis Bialkiewicz, Banque Delubac & Cie/DeluPay
DeluPay est née de notre volonté d’arrêter le racket des commerçants lors des paiements par carte et de redonner de la souveraineté à la France et à l’Europe.
Dans le système actuel des cartes bancaires, le niveau de commission est épouvantable. Pour un petit commerçant comme un boulanger, le montant peut frôler les 1 % (0,8), ce qui représente une part significative de la marge surtout lorsque l’on ajoute les frais fixes aux frais de transaction. Cela explique que certains commerçants refusent encore le paiement par carte.
Nous avons investi une dizaine de millions d’euros pour construire une solution qui est un pure player ne nécessitant aucune intégration. Cela fonctionne dans toutes les banques européennes qui gèrent la norme SEPA.
Pour les conditions tarifaires, nos prix « catalogue » sont plus élevés que les conditions réelles
(0,5% en commerce physique et 1% en commerce en ligne). Cependant, nous demandons sytématiquement aux professionnels de nous envoyer leur relevé de frais afin de leur proposer un taux de commission deux fois moins cher.
Aujourd’hui, nous avons plus d’un millier de clients. Nous devrions atteindre notre point d’équilibre en franchissant la barre des 50 000 clients.

Delubac & Cie se porte bien, vous avez des appuis, cependant, vous avez, comme beaucoup d'autres fintechs, subi une suspension de votre levée de fonds pour DeluPay, pouvez-vous nous en dire plus afin d' éclairer ce contexte si particulier pour le financement des startups ?

Nous avions prévu de lever 50 millions d’euros pour le déploiement de DeluPay. Comme pour beaucoup de Fintechs, tout cela a été suspendu. Nous avancions de comité en comité et avions quasiment rassemblé le montant. L’un des fonds avait d’ailleurs un engagement ferme à hauteur de 15 millions d’euros.
Fin 2022, beaucoup se sont désengagés, dont l’un qui n’arrivait pas à boucler sa propre levée.
Cela a vraiment généré des frustrations.
Nous sommes conscients que nous n’avons pas à nous plaindre. La Banque Delubac & Cie finance le projet à hauteur de 6 M€ par an et le projet se développe. Mais DeluPay se déploie aujourd’hui à basse intensité en restant un projet franco-français.
Or, nous pourrions voir plus haut parce que nous ne proposons pas un produit de paiement comme les autres. Côté financement, nous avons la volonté d’ouvrir le capital à d’autres acteurs que la banque Delubac & Cie

Pourquoi, selon vous, DeluPay n’est pas une solution de paiement comme les autres ?

Ce n’est pas un simple wallet. Beaucoup de solutions vous obligent à transférer des fonds depuis un compte bancaire avant de vous permettre de payer. La quasi-totalité des ”solutions de paiement” ne sont en réalité que des passe-plats pour le paiement via une carte bancaire.
DeluPay est un moyen de paiement à part entière. Le commerçant est crédité dès le lendemain. Il n’y a pas de notion de carte de paiement que je considère comme un système obsolète en plus d’être polluant.
A l’instar d’un Alipay, nous permettons le paiement par QRCode, mais nous ne nous arrêtons pas là. Vous pouvez payer par NFC ou Bluetooth. Nous sommes indépendants de la technologie de transmission de données. Chez le commerçant, cela peut se matérialiser par un QR code sur la caisse ou de manière intégrée dans le système de caisse (DeluPay est intégré dans les solutions Bimedia – 6 000 points de vente en France). Dans ce cas, le commerçant saisit la transaction sur son terminal, un QR code apparaît sur l’écran. Le client n’a plus qu’à scanner. Nous proposons une solution 100 % intégrée alors que dans un système comme celui d’Apple Pay, vous êtes dépendant d’une chaîne de traitement des cartes bancaires qui comprend au moins 5 intermédiaires. Si un des 5 intermédiaires a un problème, cela rallonge la transaction qui est généralement de 10 secondes. Avec DeluPay, tout est traité chez nous dans des serveurs en France. La transaction prend 2 secondes.
Nous avons interdit les outils américains sauf Microsoft Office : nous sommes sur du code 100 % français, des données 100% hébergées en France !
Pour le paiement en ligne, c’est encore plus simple. Pas de suite de 23 chiffres à saisir (16 de carte, 4 de date d’exp, 3 du cryptogramme) générant un risque d’erreur. Sans parler de la validation par téléphone. Dans notre système, le client scanne le QR Code, s’identifie avec la biométrie et valide le paiement.

Si je recoupe avec ce que nous avons évoqué sur la raison d’être de DeluPay, est-ce que finalement, après avoir mené toutes ces révolutions, le tout depuis ce bâtiment très haussmannien du 8ème arrondissement est ce que… ?

… Est-ce que nous sommes des banquiers anarchistes ? (rires)
Nous avons toujours eu vocation à servir ceux que le système ne servait pas ou plus : les entrepreneurs en difficultés, les entreprises qui exportaient vers l’Iran.
Nous avons toujours répondu présents face aux défaillances du système. Les personnes qui dirigent les banques ont tous fait les mêmes écoles, ont la même mentalité, et donc les mêmes barrières. C’est quand même fou de penser que des entreprises PSAN, enregistrées auprès de l’AMF se soient vu refuser l’accès à un compte bancaire. Là aussi, nous avons été là.
Je ne suis pas servile non plus avec les personnes avec qui je travaille, par exemple il était hors de question que nous soyons en lien avec les gardiens de la révolution en Iran mais pour moi acheminer les médicaments était nécessaire !

Anarchiste…C’est votre mot (sourires) peut-être plutôt, révolutionnaire ?

Si vous voulez (sourires) On verra quand on aura vraiment réussi à faire la révolution !

Et quel sera le fait marquant qui vous indiquera la réussite de cette révolution ?

Si un jour, dans un média national, un grand banquier se plaint de la Banque Delubac & Cie !
Si un jour, nous faisons de l’ombre en termes de concurrence à une banque européenne, nous ferons réellement partie du paysage. Pour l’instant, nous sommes un épiphénomène.
Nous sommes les moustiques qui agacent les conservateurs alors que nous aimerions bien être la souris qui survit au dinosaure.
La finance est encore un milieu très institutionnel, un entre-soi où l’on écrit parfois des règles à la tête du client. Évidemment, lorsque l’on cherche à bousculer les règles, il y a des réactions. Je m’attends à ce que l’on nous cherche des poux dans la tête.

Vous qui êtes à la fois dans le monde du corporate finance, des fintechs et du web3, vous ne trouvez pas que le monde du WEB3 est en train de s’institutionnaliser ?

Il y a effectivement, les « historiques » mais l’univers du web3 demeure libre, sans barrière à l’entrée. Un jeune sans expérience qui vient avec son idée révolutionnaire pourrait renverser la table et émerger pour se positionner comme un acteur majeur.
Et moi, j’ai encore tout un tas d’idées, y compris en dehors de nos frontières.

Comme ?

Non, je ne vais pas vous le dire ! (sourires)

Un acteur français pourrait encore prendre l’hégémonie dans le WEB3 ?

Si le service rendu est suffisamment bon, on pourrait imaginer qu’il puisse dominer, jusqu’à un certain point. Il faut savoir qu’il n’y a jamais de monopole stable, sans loi qui l’impose. Et au bout d’un moment, les vieux monopoles finissent toujours par mourir.
Imaginez qu’un acteur comme France Telecom n’ait jamais été dérégulé. Au moment où la fibre s’est imposée, il aurait de toute façon perdu le contrôle sur la téléphonie.

Puisque nous évoquons la régulation, que pensez-vous du futur règlement européen MiCA ?

Une bataille de Lobby ?
On essaye de faire un peu plaisir à tout le monde : les associations qui défendent les crypto et les institutionnels de la finance qui ont peur de tout. Et c’est seulement quand le texte sera en application que nous verrons comment les acteurs les plus habiles vont l’utiliser pour gêner leurs concurrents. Et comment nos concurrents à l’échelle intercontinentale vont en tirer profit.
Nous sommes toujours très forts pour réguler des innovations que nous n’avons pas sur notre sol. Nous avons quand même imposé la RGPD alors que nous n’abritons ni Google, ni Facebook (Meta). Nous avons mis en place les éléments pour qu’aucun acteur de ce type n’émerge.
Idem sur l’IA Act, vouloir réguler alors même que nous n’avons pas réussi à faire émerger un géant européen, je trouve cela inquiétant !


Mardi 5 Mars 2024




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