Il y a 36 ans que Paul bosse dans l’industrie du jouet en qualité d’administrateur. Il raconte dans cet interview à Business Week, mais aussi sur CNN et dans plus en plus de médias, comment, depuis des années et avec une lugubre fréquence, il est entré dans des entreprises puis a dû en sortir le jour où celles-ci ont fait faillite. Il a même pris l’habitude de balayer et de fermer la porte derrière lui, dit-il sans rire.
Seulement voilà, en février de cette année, lorsque la énième boîte où Paul bossait a fait faillite, il n’a pour la première fois pas retrouvé d’emploi. Sa femme est malade et son traitement coûte cher, et sa fille, bien que très douée dans ses études, ne trouve pas d’emploi non plus. Après des mois et des mois de recherche infructueuse, conscient des poids conjugués de la crise et de son âge, il a décidé de prendre le taureau par les cornes. C’est ainsi que, depuis début novembre, Paul se poste devant la Grand Central Station de Manhattan avec un panneau d’homme-sandwich sur lequel il est écrit : almost homeless, ou presque SDF. Et il distribue son CV aux passants. Désormais les gros médias s’en mêlent, lui offrant un début de célébrité qui, à n’en point douter, finira bien par lui résoudre ses problèmes.
Le courrier de lecteurs de l’article que Business Week consacre à Paul donne un instantané de la crise d’une rare acuité. Car ce que Paul révèle au grand jour, c’est que la crise est bien là, et qu’elle va faire très, très mal. Lorsque la crise des subprime a commencé en automne 2006, on a cru que cela se circonscrirait aux seuls USA. Et puis, lorsque la crise financière a atteint le reste du monde, on a dit – et j’en fais partie, de ce pudique « on » - que la crise économique n’était pas certaine, que cela pourrait bien demeurer une crise purement financière. Le doute n’est plus permis lorsqu’on voit et qu’on écoute Paul : la crise est là, et elle ne fait que commencer. Paul Nawrocki, avec son panneau et ses CV, donne un visage et une voix à la crise, comme les clichés noir blanc de Dorothea Lange donnèrent corps à la Grande Dépression des années 30.
Ce soir, j’ai autant de raisons d’être pessimiste que d’être optimiste. Je me sens pessimiste parce que, en dépit de la sympathie sincère qu’il m’inspire, Paul, comme la plupart d’entre nous, a lié son destin à celui de grandes entreprises sans nom, sans visage et sans loyauté. Rien, absolument rien de bon ne peut, sur le long terme, provenir d’un tel esclavage volontaire. Avec son panneau, Paul m’émeut plus qu’il m’inspire : c’est tout un monde qui s’écroule avec lui, l’employé modèle, le travailleur discipliné, prêt à s’humilier pour retourner à la chaîne de production. Et il y a peu de chances pour que ce monde-là, le monde de Paul, notre monde, même s’il sursaute encore quelques années avec l’illusion de sa propre santé, puisse jamais revenir aux jours de sa gloire passée.
Mais je suis aussi optimiste, parce que, justement, malgré son âge, malgré sa situation, malgré son honneur, Paul tente le tout pour le tout. Il le fait parce qu’il n’a plus d’argent, mais – et c’est peut-être sentimental de ma part – il me donne surtout l’impression de le faire par amour pour sa femme et pour sa fille. Alors l’Amérique est probablement dans une merde indescriptible, et nous aussi. Mais tant qu’il y aura des Paul Nawrocki, tout n’est pas complètement perdu.
David Laufer
Seulement voilà, en février de cette année, lorsque la énième boîte où Paul bossait a fait faillite, il n’a pour la première fois pas retrouvé d’emploi. Sa femme est malade et son traitement coûte cher, et sa fille, bien que très douée dans ses études, ne trouve pas d’emploi non plus. Après des mois et des mois de recherche infructueuse, conscient des poids conjugués de la crise et de son âge, il a décidé de prendre le taureau par les cornes. C’est ainsi que, depuis début novembre, Paul se poste devant la Grand Central Station de Manhattan avec un panneau d’homme-sandwich sur lequel il est écrit : almost homeless, ou presque SDF. Et il distribue son CV aux passants. Désormais les gros médias s’en mêlent, lui offrant un début de célébrité qui, à n’en point douter, finira bien par lui résoudre ses problèmes.
Le courrier de lecteurs de l’article que Business Week consacre à Paul donne un instantané de la crise d’une rare acuité. Car ce que Paul révèle au grand jour, c’est que la crise est bien là, et qu’elle va faire très, très mal. Lorsque la crise des subprime a commencé en automne 2006, on a cru que cela se circonscrirait aux seuls USA. Et puis, lorsque la crise financière a atteint le reste du monde, on a dit – et j’en fais partie, de ce pudique « on » - que la crise économique n’était pas certaine, que cela pourrait bien demeurer une crise purement financière. Le doute n’est plus permis lorsqu’on voit et qu’on écoute Paul : la crise est là, et elle ne fait que commencer. Paul Nawrocki, avec son panneau et ses CV, donne un visage et une voix à la crise, comme les clichés noir blanc de Dorothea Lange donnèrent corps à la Grande Dépression des années 30.
Ce soir, j’ai autant de raisons d’être pessimiste que d’être optimiste. Je me sens pessimiste parce que, en dépit de la sympathie sincère qu’il m’inspire, Paul, comme la plupart d’entre nous, a lié son destin à celui de grandes entreprises sans nom, sans visage et sans loyauté. Rien, absolument rien de bon ne peut, sur le long terme, provenir d’un tel esclavage volontaire. Avec son panneau, Paul m’émeut plus qu’il m’inspire : c’est tout un monde qui s’écroule avec lui, l’employé modèle, le travailleur discipliné, prêt à s’humilier pour retourner à la chaîne de production. Et il y a peu de chances pour que ce monde-là, le monde de Paul, notre monde, même s’il sursaute encore quelques années avec l’illusion de sa propre santé, puisse jamais revenir aux jours de sa gloire passée.
Mais je suis aussi optimiste, parce que, justement, malgré son âge, malgré sa situation, malgré son honneur, Paul tente le tout pour le tout. Il le fait parce qu’il n’a plus d’argent, mais – et c’est peut-être sentimental de ma part – il me donne surtout l’impression de le faire par amour pour sa femme et pour sa fille. Alors l’Amérique est probablement dans une merde indescriptible, et nous aussi. Mais tant qu’il y aura des Paul Nawrocki, tout n’est pas complètement perdu.
David Laufer
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