Les banques semblent assez peu présentes sur le sujet des stablecoins ou sur leurs cas d’usage, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la situation ?
Les sujets autour des stablecoins, des crypto-monnaies et de la DEFI suscitent un réel intérêt pour les banques. Néanmoins, les banques sont des tiers de confiance régulés qui évoluent dans un environnement extrêmement strict. Si nous avons la chance en France de présenter un panel d’acteurs soumis aux règles de la loi PACTE, ce n’est pas le cas pour l’ensemble de l’écosystème en Europe et au-delà, où l’encadrement du marché des crypto-actifs n’est pas forcément en place.
Les régulateurs des banques sont encore très réticents à ce que les établissements bancaires détiennent des positions directes en crypto-actifs. A titre d’exemple, la Commission Européenne demande jusqu’à fin 2024 une application plus stricte des règles définies par le Comité de Bâle avec une valeur équivalente à 100% des crypto-actifs détenus par la banque à mettre en fonds propres, ce qui est un frein important au développement de projets. Cette règle ne devrait pas s’appliquer pour les actifs détenus pour le compte de nos clients, mais globalement cela devrait limiter les activités possibles pour les banques.
Un autre exemple de difficulté, mais qui ne concerne pas que les banques, est celui des questions relatives aux données personnelles et au règlement GDPR. Au sens GDPR, l’adresse publique d’un portefeuille de crypto-actifs est considérée comme une donnée personnelle, ce qui rend les blockchains publiques non compatibles strictement avec ce règlement (droit à l’oubli, absence de frontière géographique de la blockchain). Lorsque vous avez le statut d’acteur réglementé vous ne pouvez pas vous permettre de dire « on teste et on verra après ». Notre rôle est de « voir d’abord », comprendre : d’établir une sorte de cartographie de l’ensemble des risques puis, de tester.
Ce statut d’acteur réglementé est positif car il nous permet de nous positionner comme acteur de confiance. Mais la contrepartie est qu’en termes d’innovations de rupture nous sommes plus limités.
Les régulateurs des banques sont encore très réticents à ce que les établissements bancaires détiennent des positions directes en crypto-actifs. A titre d’exemple, la Commission Européenne demande jusqu’à fin 2024 une application plus stricte des règles définies par le Comité de Bâle avec une valeur équivalente à 100% des crypto-actifs détenus par la banque à mettre en fonds propres, ce qui est un frein important au développement de projets. Cette règle ne devrait pas s’appliquer pour les actifs détenus pour le compte de nos clients, mais globalement cela devrait limiter les activités possibles pour les banques.
Un autre exemple de difficulté, mais qui ne concerne pas que les banques, est celui des questions relatives aux données personnelles et au règlement GDPR. Au sens GDPR, l’adresse publique d’un portefeuille de crypto-actifs est considérée comme une donnée personnelle, ce qui rend les blockchains publiques non compatibles strictement avec ce règlement (droit à l’oubli, absence de frontière géographique de la blockchain). Lorsque vous avez le statut d’acteur réglementé vous ne pouvez pas vous permettre de dire « on teste et on verra après ». Notre rôle est de « voir d’abord », comprendre : d’établir une sorte de cartographie de l’ensemble des risques puis, de tester.
Ce statut d’acteur réglementé est positif car il nous permet de nous positionner comme acteur de confiance. Mais la contrepartie est qu’en termes d’innovations de rupture nous sommes plus limités.
Les stablecoins pourraient présenter des cas d’usage assez intéressants pour l’ensemble des clients, pourquoi la diffusion de ces usages semble-t-elle si compliquée ?
Nous avons, bien-entendu, étudié le cas des paiements en stablecoins. Concrètement, aller faire ses courses du quotidien (commerçants physiques ou en ligne) ne serait pas techniquement très compliqué à mettre en place, ni très onéreux d’ailleurs. Mais aujourd’hui les moyens de paiement existants fonctionnent et ils apportent une vraie valeur ajoutée en protégeant les utilisateurs contre la fraude. Les paiements mis à disposition par les banques et les prestataires de services de paiements, régulés, relèvent de la DSP2 . A ce titre, si par exemple un client effectue un paiement et conteste pour des raisons de fraude, sa banque est tenue de rembourser et lance en parallèle des investigations sur l’origine du litige et la façon de le traiter. Ce service de gestion des fraudes et litiges est une vraie valeur ajoutée pour les clients, et a un coût. Les tokens de monnaie électronique prévus dans le règlement européen MICA seront soumis à ces mêmes règles DSP2, mais à compter de son entrée en vigueur en 2024.
Ce point est encore peu traité dans tous les débats en cours. Comment la gestion de la fraude va-t-elle s’organiser et qui en supportera le coût, sachant qu’une des caractéristiques de la blockchain est l’irréversibilité des transactions ?
Ce point est encore peu traité dans tous les débats en cours. Comment la gestion de la fraude va-t-elle s’organiser et qui en supportera le coût, sachant qu’une des caractéristiques de la blockchain est l’irréversibilité des transactions ?
Pourtant si la gestion de la fraude n’est pas encore réglementée pour les transactions en crypto-monnaies, les transactions elles, existent bien, vous sous-entendez que cela ne fonctionne pas ?
Pas du tout ! Quand cela fonctionne, cela fonctionne très bien. Les risques se posent quand la transaction ne se déroule pas comme prévu (fraude, contestation, incident technique). Aujourd’hui si vous « payez » en stablecoins vous réalisez l’échange d’un token non régulé. Ce n’est pas du paiement au sens de la DSP2 et donc le client n’est pas protégé de la même façon entre un paiement en monnaie électronique/ monnaie légale et un paiement en stablecoins. Cela ne veut pas dire que vous allez perdre votre argent si vous effectuez des transactions en stablecoins. Cependant, vous prenez vos responsabilités et ne bénéficiez pas du même niveau de protection qu’avec de la monnaie régulée, et c’est d’ailleurs une des raisons d’être du règlement MICA. Par ailleurs, dans la plupart des cas, les émetteurs de ces actifs relèvent d’autres juridictions que celles de l’Europe, ce qui rend l’encadrement juridique des transactions transfrontières plus compliqué. Et si un jour il y a un « run », comprendre que les détenteurs souhaitent rapatrier leurs fonds en même temps et tout convertir en monnaie légale, vous pourriez vous retrouver face à une réelle difficulté.
La future réglementation MICA – Markets in Crypto-Assets – actuellement à l’étude par le Parlement européen ne va-t-elle pas aider à clarifier tout cela ?
Pour moi MICA est une excellente première étape qui a le mérite de poser des règles, et en particulier celles valables pour les paiements en stablecoins, qui se réfèrent à la DSP2 et donc à un cadre large et déjà existant comprenant les banques ainsi que tous les acteurs du paiement. Les tokens de monnaie électronique vont permettre de faciliter le développement des cas d’usages. C’est positif, même si un gros travail reste à réaliser dans le cadre du dispositif MICA pour en décliner les standards techniques et les mettre en application, dans un calendrier serré. En dépit des incertitudes réglementaires et d’une technologie dont les applications n’en sont encore qu’à leurs balbutiements, les banques ont des places à prendre pour construire les fondamentaux de cette nouvelle économie « tokenisée » basée sur les blockchains : elles sont légitimes et peuvent y assurer la sécurité, la confiance et l’interopérabilité entre solutions nouvelles et traditionnelles.
Ingénieur de formation, Isabelle Martz a plus de 25 années d’expériences variées dans les métiers bancaires, en France et à l’étranger. Après avoir été Directeur de cabinet du Directeur Général du groupe Société Générale, puis Directeur Adjoint des paiements de banque de détail, elle a rejoint l’équipe Innovation du Groupe pour développer de nouveaux métiers s’appuyant sur les crypto-actifs.
Anne-Laure Allain
Ingénieur de formation, Isabelle Martz a plus de 25 années d’expériences variées dans les métiers bancaires, en France et à l’étranger. Après avoir été Directeur de cabinet du Directeur Général du groupe Société Générale, puis Directeur Adjoint des paiements de banque de détail, elle a rejoint l’équipe Innovation du Groupe pour développer de nouveaux métiers s’appuyant sur les crypto-actifs.
Anne-Laure Allain