Marc Touati
Dans la mesure où l'âge moyen d'entrée dans la vie active s'élèvera à 22 ans, le fameux verrou, pour ne pas dire tabou, de la retraite à 60 ans est donc bien en train de sauter. Néanmoins, pour ne pas fâcher outre-mesure, l'âge légal de départ à la retraite sera porté à 62 ans d'ici 2018 (et non 63 comme cela aurait été plus logique). Les mauvaises langues diront que cette évolution, pourtant indispensable, n'est qu'une nouvelle manifestation du non-respect des promesses formulées par Nicolas Sarkozy. Ce dernier avait effectivement déclaré à plusieurs reprises qu'il ne toucherait pas à la retraite à 60 ans.
Mais comme disait Charles Pasqua il y a déjà bien longtemps « les promesses n'engagent que ceux qui y croient ». La question est simplement de savoir qui pouvait croire qu'en dépit de l'allongement de la durée de vie et de l'arrivée du papy boom, il serait possible de maintenir la retraite à 60 ans dans l'Hexagone. Et ce d'autant que la France restait l'un des derniers pays au monde à refuser cette réalité. A tel point qu'elle était devenue le dernier pays de l'OCDE, avec la Corée du Sud, à maintenir l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans. A titre de comparaison, cette limite est de 65 ans dans la quasi-totalité des pays européens (certains maintenant néanmoins la barre des 60 ans pour les femmes). La situation hexagonale devenait d'autant plus surréaliste, qu'après avoir atteint 59 ans en 2005, l'âge moyen de départ à la retraite n'a cessé d'augmenter depuis, pour atteindre les 61,52 ans en 2009 selon les chiffres officiels de la CNAV-Assurance Retraite. Autrement dit, à quoi bon s'arque-bouter sur un principe qui n'existe déjà plus dans les faits ? On retrouve bien là le « dogmatisme à la française » qui, bien loin de la réalité économique, s'obstine sur des idéaux passés et dépassés.
A contrario et même si elle n'a pas encore été votée, la réforme des retraites montre également que lorsqu'ils sont mis au pied du mur, nos dirigeants politiques savent mettre en place de véritables modifications structurelles. Car, ne nous leurrons pas, si la France a engagé cette réforme c'est surtout parce qu'elle n'avait pas le choix : un refus de changer la donne aurait immanquablement entraîné une dégradation de la note de la dette publique française. Pour autant, ne crions pas victoire trop vite. Tout d'abord, parce que la réforme n'a pas encore été entérinée. On se souvient de l'épisode fâcheux du CPE qui, bien que voté, avait ensuite été retiré par manque de soutien populaire et politique. De plus, la réforme de la retraite peut encore être amendée et vidée de sa substance, voire refusée par le Conseil Constitutionnel.
Mais, au-delà de ces « tracasseries administratives » traditionnelles dans l'Hexagone, le vrai problème de la nouvelle retraite à la française réside dans le fait qu'elle repose encore sur des hypothèses très optimistes. En l'occurrence, un taux de chômage durablement compris entre 4,5 % et 7 % à partir de 2015. Si « impossible » n'est pas français, il faut néanmoins reconnaître qu'une telle perspective paraît difficilement envisageable. Non seulement, parce qu'avec un niveau actuel de 10 %, il sera très ardu de descendre sous les 7 % même en 2015. Mais surtout, parce qu'en admettant qu'un tel miracle se produise, il est particulièrement hasardeux d'imaginer que la France puisse connaître un taux de chômage de 4,5 % indéfiniment. Cette croyance aux miracles n'est d'ailleurs pas nouvelle puisqu'elle constituait déjà la base de la loi de financement des retraites établi en 2002 par un certain François Fillon, à l'époque Ministre du Travail. La conséquence de cet excès d'optimisme est désormais connue, puisque moins de huit ans après, il a fallu « pondre » une nouvelle loi pour régler le problème de la retraite par répartition. Il ne faudra donc pas s'étonner si, dans quelques années, une nouvelle réforme des retraites vient empoisonner la vie de nos futurs dirigeants.
C'est d'ailleurs là l'autre grand problème de la réforme des retraites. Car, en plus de contredire la promesse de Nicolas Sarkozy de ne pas toucher à la retraite à 60 ans, elle met également à mal son principal slogan de campagne : « travailler plus, pour gagner plus ». Si le premier volet de ce slogan est certes respecté, le second risque d'être légèrement modifié, en remplaçant « plus » par « moins ». Et pour cause : les Français devront cotiser plus longtemps pour récupérer proportionnellement une retraite moindre. Cette remarque ne signifie évidemment pas qu'il ne fallait pas engager la réforme de la retraite, mais que cette dernière doit faire partie d'une transformation beaucoup plus profonde, que certains appelaient il y a encore quelques temps : la « rupture ». Cette dernière devait à la fois passer par une baisse massive de la pression fiscale et réglementaire, notamment sur le marché du travail, mais auss par une baisse des dépenses publiques de fonctionnement. Ces évolutions sont indispensables pour augmenter la croissance structurelle de la France, donc pour accroître l'emploi et le niveau de vie.
A l'inverse, si ces mesures ne sont pas prises, la croissance restera molle et le taux de chômage élevé, ce qui empêchera les prévisions optimistes du cadrage financier de la réforme des retraites de se réaliser. Et ce d'autant que si l'activité reste moribonde, il sera de plus en plus difficile pour les entreprises de continuer à embaucher des personnes au-delà de 60 ans, donc de plus en plus ardu pour ces dernières de remplir leurs annuités de cotisations, donc de percevoir des retraites complètes… Nous touchons malheureusement là un vieux travers de la politique française : par peur de bousculer les habitudes, les dirigeants du pays ont pris l'habitude de limiter leurs réformes et de résoudre les difficultés de l'économie française par petites touches ou plutôt par le petit bout de la lorgnette. Moyennant quoi, ils deviennent souvent impopulaires tant pour ceux qui les ont élu que pour ceux qui ont voté contre eux. En d'autres termes, ils perdent sur les deux tableaux : ils n'ont pas suffisamment modernisé le pays et ils deviennent impopulaires.
Voilà pourquoi, la seule voie possible est d'engager une rupture massive. L'impopularité sera peut-être temporairement au rendez-vous, mais en échange, le pays pourra repartir sur des bases saines avec une croissance forte et un emploi dynamique. La France a donc raté le coche en 2002 et en 2007, elle n'aura plus le droit d'échouer en 2012.
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Mais comme disait Charles Pasqua il y a déjà bien longtemps « les promesses n'engagent que ceux qui y croient ». La question est simplement de savoir qui pouvait croire qu'en dépit de l'allongement de la durée de vie et de l'arrivée du papy boom, il serait possible de maintenir la retraite à 60 ans dans l'Hexagone. Et ce d'autant que la France restait l'un des derniers pays au monde à refuser cette réalité. A tel point qu'elle était devenue le dernier pays de l'OCDE, avec la Corée du Sud, à maintenir l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans. A titre de comparaison, cette limite est de 65 ans dans la quasi-totalité des pays européens (certains maintenant néanmoins la barre des 60 ans pour les femmes). La situation hexagonale devenait d'autant plus surréaliste, qu'après avoir atteint 59 ans en 2005, l'âge moyen de départ à la retraite n'a cessé d'augmenter depuis, pour atteindre les 61,52 ans en 2009 selon les chiffres officiels de la CNAV-Assurance Retraite. Autrement dit, à quoi bon s'arque-bouter sur un principe qui n'existe déjà plus dans les faits ? On retrouve bien là le « dogmatisme à la française » qui, bien loin de la réalité économique, s'obstine sur des idéaux passés et dépassés.
A contrario et même si elle n'a pas encore été votée, la réforme des retraites montre également que lorsqu'ils sont mis au pied du mur, nos dirigeants politiques savent mettre en place de véritables modifications structurelles. Car, ne nous leurrons pas, si la France a engagé cette réforme c'est surtout parce qu'elle n'avait pas le choix : un refus de changer la donne aurait immanquablement entraîné une dégradation de la note de la dette publique française. Pour autant, ne crions pas victoire trop vite. Tout d'abord, parce que la réforme n'a pas encore été entérinée. On se souvient de l'épisode fâcheux du CPE qui, bien que voté, avait ensuite été retiré par manque de soutien populaire et politique. De plus, la réforme de la retraite peut encore être amendée et vidée de sa substance, voire refusée par le Conseil Constitutionnel.
Mais, au-delà de ces « tracasseries administratives » traditionnelles dans l'Hexagone, le vrai problème de la nouvelle retraite à la française réside dans le fait qu'elle repose encore sur des hypothèses très optimistes. En l'occurrence, un taux de chômage durablement compris entre 4,5 % et 7 % à partir de 2015. Si « impossible » n'est pas français, il faut néanmoins reconnaître qu'une telle perspective paraît difficilement envisageable. Non seulement, parce qu'avec un niveau actuel de 10 %, il sera très ardu de descendre sous les 7 % même en 2015. Mais surtout, parce qu'en admettant qu'un tel miracle se produise, il est particulièrement hasardeux d'imaginer que la France puisse connaître un taux de chômage de 4,5 % indéfiniment. Cette croyance aux miracles n'est d'ailleurs pas nouvelle puisqu'elle constituait déjà la base de la loi de financement des retraites établi en 2002 par un certain François Fillon, à l'époque Ministre du Travail. La conséquence de cet excès d'optimisme est désormais connue, puisque moins de huit ans après, il a fallu « pondre » une nouvelle loi pour régler le problème de la retraite par répartition. Il ne faudra donc pas s'étonner si, dans quelques années, une nouvelle réforme des retraites vient empoisonner la vie de nos futurs dirigeants.
C'est d'ailleurs là l'autre grand problème de la réforme des retraites. Car, en plus de contredire la promesse de Nicolas Sarkozy de ne pas toucher à la retraite à 60 ans, elle met également à mal son principal slogan de campagne : « travailler plus, pour gagner plus ». Si le premier volet de ce slogan est certes respecté, le second risque d'être légèrement modifié, en remplaçant « plus » par « moins ». Et pour cause : les Français devront cotiser plus longtemps pour récupérer proportionnellement une retraite moindre. Cette remarque ne signifie évidemment pas qu'il ne fallait pas engager la réforme de la retraite, mais que cette dernière doit faire partie d'une transformation beaucoup plus profonde, que certains appelaient il y a encore quelques temps : la « rupture ». Cette dernière devait à la fois passer par une baisse massive de la pression fiscale et réglementaire, notamment sur le marché du travail, mais auss par une baisse des dépenses publiques de fonctionnement. Ces évolutions sont indispensables pour augmenter la croissance structurelle de la France, donc pour accroître l'emploi et le niveau de vie.
A l'inverse, si ces mesures ne sont pas prises, la croissance restera molle et le taux de chômage élevé, ce qui empêchera les prévisions optimistes du cadrage financier de la réforme des retraites de se réaliser. Et ce d'autant que si l'activité reste moribonde, il sera de plus en plus difficile pour les entreprises de continuer à embaucher des personnes au-delà de 60 ans, donc de plus en plus ardu pour ces dernières de remplir leurs annuités de cotisations, donc de percevoir des retraites complètes… Nous touchons malheureusement là un vieux travers de la politique française : par peur de bousculer les habitudes, les dirigeants du pays ont pris l'habitude de limiter leurs réformes et de résoudre les difficultés de l'économie française par petites touches ou plutôt par le petit bout de la lorgnette. Moyennant quoi, ils deviennent souvent impopulaires tant pour ceux qui les ont élu que pour ceux qui ont voté contre eux. En d'autres termes, ils perdent sur les deux tableaux : ils n'ont pas suffisamment modernisé le pays et ils deviennent impopulaires.
Voilà pourquoi, la seule voie possible est d'engager une rupture massive. L'impopularité sera peut-être temporairement au rendez-vous, mais en échange, le pays pourra repartir sur des bases saines avec une croissance forte et un emploi dynamique. La France a donc raté le coche en 2002 et en 2007, elle n'aura plus le droit d'échouer en 2012.
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
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