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Pourra-t-on éviter un FTX français ?

Ce jeudi 9 février se tiendra la commission mixte paritaire durant laquelle les députés et sénateurs chercheront à adopter un texte commun encadrant les acteurs proposant des services sur actifs numériques.


Pourra-t-on éviter un FTX français ?
Cette mesure peut-elle prémunir le secteur contre un nouvel FTX ?

Décryptage par Mounir Laggoune, CEO et co-fondateur de Finary

Le marché de la crypto-monnaie a pris son essor en 2008, avec la création du Bitcoin, la première monnaie numérique. Porté par la conjoncture économique et les nouveaux usages, le secteur de la crypto-monnaie représente une véritable économie parallèle, source de création d’entreprises et d’emplois, et devient un élément stratégique pour les États. Un enjeu stratégique tel que Bruno Lemaire, ministre de l’Économie et des Finances s’est donné pour mission de faire de la France le "hub européen de l’écosystème des crypto-actifs".

2022 : le scandale FTX éclate

Il est vrai qu’en octobre 2022, l’écosystème se porte à merveille : un rapport de KPMG datant de février 2022 estimait qu’en novembre 2021 la valeur de marché totale des cryptos en circulation a dépassé les 2 500 milliards d’euros… Puis, le 11 novembre 2022, le scandale FTX éclate : 10 milliards de dollars se sont envolés en fumée. FTX entraîne dans sa chute 9,6 millions de créanciers et des pertes s’élevant entre 10 et 13 milliards d’euros, un montant équivalent au PIB de nombreux pays, comme la Namibie, La Nouvelle-Calédonie, la Moldavie et bien d’autres. Les dysfonctionnements du secteur de la crypto ainsi que ses dérives potentielles éclatent au grand jour.

Face à la place de plus en plus importante que constitue le secteur des Cryptos dans notre économie, l’AMF a créé deux niveaux de sécurité pour réguler le marché et mieux contrôler les acteurs : le l’enregistrement PSAN et l’agrément PSAN. Le statut PSAN est obligatoire pour toute entreprise proposant des services sur actifs numériques mentionnés dans l’article L.54-10-2 du code monétaire et financier. Aujourd’hui, une soixantaine d’acteurs sont enregistrés PSAN. Plus difficile à obtenir, l’agrément PSAN est beaucoup plus contraignant, et demande un niveau de garanties tel qu’à ce jour aucun acteur ne l’a obtenu.

Un renforcement du cadre

La chute de FTX est due à une fraude réalisée en interne. Il n’existe pas aujourd’hui de loi qui empêche la fraude. Bien sûr les lois l’interdisent. Mais tout dépend de l’application des lois en interne et du degré de moralité des acteurs, là où finalement réside le cœur du problème et où la marge de manœuvre du législateur est plus que restreinte.

La défiance envers les cryptos est donc bel et bien dans tous les esprits et parmi eux certains politiques qui s’emparent du sujet. Car l’enjeu est de taille : durcir l’encadrement juridique tout en favorisant les intérêts des acteurs et en maintenant la compétitivité entre les États. L’initiative est louable.

Concurrence et des règles d’équité

Le projet de loi a été envoyé à l’Assemblée nationale le 24 janvier et les députés ont choisi de voter en faveur d’une nouvelle procédure d’enregistrement "renforcé". Les nouveaux acteurs en cours d’enregistrement auront donc besoin de passer cet enregistrement renforcé avec, entre autres, l’instauration de nouvelles procédures de contrôle interne et de prévention des conflits d’intérêts pour les sociétés souhaitant devenir des PSAN, ainsi que la mise en place d’une forme de convention de dépôt (ségrégation entre les comptes client en actifs numériques et les comptes du PSAN) pour les acteurs souhaitant offrir le service de conservation d’actifs numérique. Nous sommes en plein cœur du problème soulevé par FTX qui conservait les actifs numériques, certes, mais ce renforcement ne prévient pas le risque de fraude, ou encore le risque d’un mauvais management en interne.

Le 25 janvier, l’amendement qui "doit permettre de fermer la procédure d’enregistrement et d’imposer celle de l’agrément, pour éviter tout détournement du cadre réglementaire" a été rejeté, les parlementaires ayant voté en faveur de l’amendement du député Renaissance Daniel Labaronne. Mais il y a un point qu’il est très important de soulever et dont on parle très peu : en dernière minute, un sous-amendement a été ajouté, qui permettrait au gouvernement de légiférer par ordonnance. Une véritable épée de Damoclès au-dessus de l’écosystème PSAN, comme l’a bien précisé Faustine Fleuret, présidente de l’ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques), car durant 12 mois il y a un risque que l’amendement ou la demande d’agrément PSAN ressurgisse.

Des inégalités apparaissent

La mise en place de cet amendement va créer deux niveaux entre les sociétés déjà enregistrées qui n’auront pas les mêmes contraintes que celles en cours d’enregistrement ou qui ont le projet de faire la démarche. Un premier décalage entre les acteurs va se créer ainsi qu’une forme d’injustice. De par cette action, la France s’aligne avec les autres pays de l’Union européenne pour œuvrer vers l’implémentation du règlement MICA qui harmonisera la réglementation, à échéance 2024/2025.

Mais en aucun cas, la France ne peut légiférer sur son territoire en forçant les acteurs à avoir un agrément PSAN, qui aurait tué dans l’œuf toute forme de concurrence et bloqué tout nouvel entrant sur le marché français.

Il est important ici de souligner la spécificité française : cet amendement n’impacte que les acteurs souhaitant s’enregistrer en France. De là à instaurer une forme de concurrence déloyale il n’y a qu’un pas : alors que la contrainte est bien là pour les acteurs français souhaitant lancer leur service crypto en France, un acteur étranger qui envisage de pénétrer le marché français n’aura qu’à s’enregistrer dans un autre pays, par exemple au Luxembourg, obtenir l’autorisation en 4 mois et lancer son service en France pour peu qu’il ne fasse pas de publicité ciblée. Les acteurs étrangers auront donc accès au marché sans avoir à en subir les contraintes.

Les disparités au sein de l’Union européenne sont frappantes, là où la France ou l’Italie ont enregistrées dans les 60, 70 acteurs depuis l’adoption de licences spécifiques aux sociétés proposant des services liés aux actifs numériques, des pays comme la Lituanie en recense aujourd’hui 222 (contre plus de 800 avant un "grand nettoyage" et de nouvelles contraintes appliquées à ces acteurs) le besoin d’harmonisation au niveau de l’Union européenne est donc nécessaire, peut être même plus que celui de créer des lois restrictives et contraignantes dans le cadre uniquement national.

A suivre le jeudi 9 février.

Mercredi 8 Février 2023




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