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Loi Sapin II : une nouvelle entorse à la loi sur les délais de paiement

« La première dérogation crée une logique pour la seconde, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de la première parole donnée. »
Anonyme


Thierry Charles
Thierry Charles
La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II », a été définitivement adoptée le 8 novembre 2016. Le texte propose une série de mesures, notamment destinées à améliorer la transparence de la vie économique et à la moderniser.

Et comme souvent, en réponse à une action de lobbying, le Gouvernement accorde de nouvelles dérogations à la réforme des délais de paiement [à noter que les nouvelles dispositions seront applicables dès le lendemain de la promulgation de la loi, [sauf censure du Conseil constitutionnel], à l’exception du nouveau cadre légal des négociations commerciales applicable au 1er janvier 2017].

En effet, outre le renforcement du dispositif de lutte contre les pratiques restrictives de concurrence [C. Com. Art. L. 442-6 modifié], le dispositif sur les délais de paiement est renforcé [C. Com. Art. L. 441-6, L. 443-1, L.465-2 modifiés et Loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013, Art. 40-1 modifié)] par la loi « Sapin II ».

Ainsi, le plafond de l’amende administrative applicable aux personnes morales en cas de retard de paiement passe de 375 000 euros à 2 millions d’euros, y compris pour les entreprises publiques. Quant à la publication de la décision de l’autorité administrative, elle sera désormais systématique, afin que les coupables puissent être pointés du doigt. Ces sanctions sont le résultat de la politique de « name and shame » mise en place dès 2015 par Emmanuel Macron, quand il était encore ministre de l'Économie [une approche d'inspiration anglo-saxonne qui s'inscrit dans la défense de « l'ordre public économique »].(1)

Toutefois, une dérogation au plafond légal des délais de paiement de droit commun est introduite en faveur des entreprises tournées vers la grande exportation [hors grandes entreprises].(2) L’idée n’est pas nouvelle, depuis les tentatives d’introduction avortées dans le cadre de l’adoption de la loi Hamon de 2014 et de la proposition de loi n° 2216. Rappelons en effet pour mémoire qu’en avril 2015, un précédent rapport de la députée Chantal Guittet visait déjà à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de grand export : « […] En édictant des maxima aux délais de paiement interentreprises, la loi de modernisation de l’économie a eu des effets positifs sur les pratiques des entreprises françaises. Elle a procuré une meilleure visibilité en matière de trésorerie ; elle a apporté un supplément de sécurité aux opérateurs économiques. Il n’en demeure pas moins que, dans le cas particulier des entreprises exportatrices, son application crée un désavantage compétitif face aux concurrents allemands, belges ou encore italiens. Ceux-ci profitent de la possibilité accordée par le droit européen de dépasser par accord des parties le délai maximal de paiement, quand la France a privilégié une transposition plus restrictive. Les exportateurs français sont placés dans l’obligation de respecter cette contrainte légale vis-à-vis de leurs fournisseurs résidents alors que leurs clients non-résidents n’y sont pas astreints. En conséquence, ils ont généralement vu le solde de leurs crédits clients-fournisseurs se déséquilibrer, créant de graves problèmes de trésorerie […] ».(3)

Partant de ce constat, la proposition de loi Guittet visait déjà à introduire en France la même souplesse que dans les pays européens concurrents et à éliminer cette fameuse « distorsion de concurrence » en autorisant les entreprises de grand export – exportant hors de l’Union européenne – à déroger aux délais de paiement édictés par la loi de modernisation de l’économie de 2008.(4)

Selon Maître Nathalie Pétrignet, le paradoxe veut que dans le même temps où elle renforce la répression, l’Assemblée nationale [non suivie sur ce point par le Sénat], est en passe d’assouplir la réglementation en faveur des activités du « grand export » [art. L. 441-6, I et art. L. 443-1, 4° C. com.] en autorisant « les parties à convenir, pour les achats de biens destinés à faire l’objet d’une livraison en l’état hors de l’Union européenne, effectués en franchise de TVA en application de l’article 275 du CGI, d’un délai de paiement de 90 jours à compter de la date d’émission de la facture. Cette dérogation, qui devra être expressément prévue par le contrat et ne pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, ne concernera pas les achats effectués par les grandes entreprises. Et en cas de non-respect de la condition d’exportation des biens, des pénalités de retard seraient dues dans les conditions de droit commun. L’introduction de cette dérogation part du constat que les entreprises concernées sont sujettes, pour leur trésorerie, à un effet de ciseau résultant d’un décalage significatif entre les délais dans lesquels elles doivent payer leurs fournisseurs et les délais dans lesquels elles sont elles-mêmes rémunérées par leurs clients installés hors de l’Union européenne. Les parlementaires semblent avoir à cette occasion constaté que les clients situés hors de l’UE pratiquent des délais de paiement supérieurs à ceux prévus par le droit français ».(5)

i[(1) Par ailleurs, il est prévu dans la loi que lorsqu’à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives auront été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécuteront cumulativement sans application de la règle, les limitant au maximum légal le plus élevé.

(2) A défaut de précision dans la loi, il s’agirait des grandes entreprises telles que définies par le décret d'application n°2008-1354 de l'article 51 de la LME de 2008 à savoir : les entreprises d’au moins 5.000 salariés ou de moins de 5.000 salariés mais avec un chiffre d’affaires de plus d’1,5 milliards d’euros et un total de bilan de plus de 2 milliards d’euros.

(3) Cf. www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2721.asp Lire également Th. Charles, Délais de paiement : des embouts à purge lente, Finyear, 21 avril 2015 / http://www.finyear.com/Delais-de-paiement-des-embouts-a-purge-lente_a32739.html

(4) Dans la pratique, la Commission avait substitué à l’exemption de délais de paiement légaux prévue par le texte initial [article L.441-6 du Code de commerce] au bénéfice des entreprises exportatrices une extension des délais de droit commun modulée en fonction de la taille de l’entreprise cocontractante : soit quatre-vingt-dix jours pour une entreprise comptant moins de 250 salariés et un chiffre d’affaires de moins de 50 millions d’euros, et cent vingt jours pour une entreprise dépassant ces seuils [toutefois la PPL excluait du champ de la dérogation les « grandes entreprises » au sens de l’article 51 de la loi n°2008-776 du 4 août de modernisation de l’économie / Voir l’article 3 du décret n°2008-1354 du 18 décembre 2008].

(5) Nathalie Pétrignet, Les délais de paiement interentreprises dans le projet de loi Sapin II, Option Finance, 10 octobre 2016.]i



Thierry CHARLES
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Docteur en Droit
Membre du « Cercle Montesquieu »

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Vendredi 18 Novembre 2016




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