1. La croissance mondiale
Ces dernières années, elle a tourné aux alentours de 3 % par an, avec une performance supérieure dans les pays dits « émergents ». Il faut dire que certaines zones plus industrialisées ont particulièrement souffert des conséquences de la grande crise financière des années 2007-2008 : l’Europe, par exemple, qui a dû batailler, en plus, pour sauver l’euro ; le Japon, qui n’arrive pas à sortir de la déflation. Même les Etats-Unis ont connu une sortie de crise plus longue et plus douloureuse que dans les phases précédentes de récession. Ce démarrage poussif des économies développées n’a pu être possible que grâce à l’action des banques centrales qui ont véritablement inondé les marchés de liquidités, comme jamais auparavant (cf. les politiques de « quantitative easing » pratiquées par la Fed, la BCE, la Banque du Japon ou même la Banque d’Angleterre).
C’est pourquoi, nous pouvons anticiper une économie mondiale qui croîtra plus lentement, à savoir : 2 % - 2,5 % en moyenne dans les 10 prochaines années. Plusieurs raisons expliquent ce pronostic. D’abord l’état d'endettement global de la planète. En effet, les Etats, pour la plupart, ont continué à s’endetter(1), dans la mesure où les déficits budgétaires ont rarement inversé leur tendance, à part l’Allemagne et certains pays de moindre importance. Quant aux agents privés, leur situation ne s’est pas fondamentalement améliorée, certains progrès, aux Etats-Unis, par exemple, étant compensés par des dérives de pays tels que la Chine, où des bulles potentielles se forment progressivement. En parallèle, les créances « douteuses » gangrènent les bilans des intermédiaires financiers, fragilisant de nouveau les systèmes bancaires(2).
Deux autres facteurs sont susceptibles de favoriser un ralentissement mondial : d’une part, la révolution digitale qui tend à favoriser dans un premier temps le chômage et donc une chute du prix des matières premières qui affecte la capacité d’importer de nombreux pays en développement (Brésil, pays pétroliers, Russie, etc.) et, par voie de conséquence, la production mondiale(3).
2. L’émergence d’un monde multipolaire
Au cours de la fin du XXème siècle, les Etats-Unis ont joué le rôle de « locomotive » de l’économie mondiale. Quant aux flux financiers, ils s’échangeaient essentiellement entre « pays du Nord ». De ce fait, les pays émergents comptaient peu. Même la crise asiatique de 1998 a eu un impact très réduit sur les pays européens, par exemple.
Aujourd’hui, les sources de croissance sont beaucoup plus diffuses : près de la moitié provient des « pays du Sud ». En outre, le rôle de la Chine s’est fortement accentué ; on l’a constaté encore récemment : la chute boursière d’août 2015 a été initiée à Shanghai et les fluctuations du Yuan deviennent désormais un baromètre incontournable de la santé des marchés financiers. Bref, la Chine est redevenue « l’empire du Milieu », ce qu’elle était jusqu’au 16ème siècle(4). Néanmoins, d’autres zones : l’Amérique Latine ou l’Afrique, exercent un attrait croissant, alors que les centres traditionnelles de l’économie mondiale (Etats-Unis, Europe, Japon) gardent un poids important, bien qu’en diminution constante.
3. L’Europe à la croisée des chemins
Depuis plusieurs années, on a l’impression que ce continent fait du « sur place », après l’exaltation créée par le lancement de la monnaie unique et l’élargissement à l’Est. Deux défis devront être relevés rapidement.
Le premier concerne la gouvernance économique de l’Union : soit celle-ci progresse dans l’harmonisation budgétaire et fiscale, en particulier dans le cadre de la zone euro, soit elle cède une souveraineté accrue aux Etats (c’est un retour en arrière), à la suite du « possible » Brexit qui pourrait entraîner d’autres sorties(5) (pays Scandinaves, Grèce), soit elle évolue vers « une Europe à plusieurs vitesses » (ce qu’elle est déjà en partie, compte tenu de l’existence de la zone euro).
L’autre défi est relatif à l’immigration, dans un contexte « d’hiver démographique » : d’un côté, la nécessité de trouver une main-d’oeuvre supplémentaire (illustration avec le cas de l’Allemagne) ; de l’autre, les affres de l’intégration difficile de ces populations extra européennes, alors que les populismes montent dans pratiquement tous les Etats de l’Union, y compris l’Allemagne.
4. Le prix des matières premières
Si la croissance mondiale faiblit, le prix des « commodities » évoluera aussi à la baisse, ce qui pénalisera nombre de pays en voie de développement, en particulier ceux qui sont très dépendants du pétrole et du gaz (on pense au Venezuela, à l’Algérie, au Nigéria, voire même à la Russie). Bien sûr, ces évolutions peuvent provoquer des crises économiques, sources de conflits potentiels.
A cela s’ajoutent les incertitudes liées à l’innovation technologique. Il est clair, par exemple, que le recours au pétrole et au gaz de schiste a complètement modifié les équilibres des marchés pétroliers. De même, l’enjeu représenté par les métaux rares (cérium , erbium, europium, néodyme, praséodyme, etc.)(6), qui sont concentrés dans peu de pays, dont la Chine, l’Australie ou la Mongolie. Sans oublier, les ressources en eau, qui tendent à se raréfier, et dont le « prix de revient » est appelé à croître.
5. Le retour de la géopolitique
Nous avons été habitués à vivre dans un monde relativement pacifique, grâce, d’abord, à l’équilibre de la terreur entre les Etats-Unis et l’URSS, qui limitait les risques de dérapage des conflits et, ensuite, au rôle de gendarme mondial joué par les Américains après la chute de l’empire soviétique, en 1989. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans un « monde multipolaire » (voir section 2), qui va provoquer une multiplication des conflits. Même si les Etats-Unis gardent une certaine prééminence militaire, on assiste néanmoins à une émergence rapide de la puissance chinoise (construction d’une flotte de dimension mondiale, revendications sur des îles de la mer de Chine, etc.), conjuguée avec le retour au premier plan de la Russie de Poutine et de l’arrivée prochaine d’un nouveau grand, l’Inde (en conflit larvé(7) avec son voisin, le Pakistan).
Et, bien sûr, il faut rappeler l’existence d’une zone d’instabilité au Proche-Orient, où l’interdépendance de l’islamisme forcené et des réserves de pétrole les plus importantes de la planète peut facilement dégénérer en guerre ouverte, bien au-delà du territoire de Daesh, en raison de la présence de 3 pays en état de rivalité exacerbée : l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie(8).
Voici donc les 5 facteurs principaux qu’il faudra considérer de très près, si l’on souhaite anticiper les évolutions économiques de la décennie 2016-2026. En ce qui concerne la France, cet environnement n’est pas particulièrement « porteur ». Aussi, la France se retrouverait, en 2025, au septième rang, au lieu du quatrième à la fin du siècle précédent, en termes de P.I.B.(9) D’où la nécessité impérieuse d’entamer enfin les réformes incontournables (marché du travail, fiscalité, modèle social) que les gouvernements successifs n’en finissent pas de remettre au lendemain.
(1)Que ce soit la France, le Japon ou la Grande-Bretagne, on constate que les taux d’endettement public (y compris les collectivités locales et les agences à vocation sociale) continuent à augmenter.
(2) On pense à l’Italie ou, dans un autre contexte, à la Chine.
(3) Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le malheur des uns (les pays pétroliers) ne fait pas forcément le bonheur des autres (les consommateurs des pays importateurs), car une partie substantielle de ce bonus est confisqué par les Etats, sous forme de taxes « pétrolières », absorbées dans l’opacité des budgets.
(4) Les grandes découvertes et l’émergence de la Renaissance ont propulsé l’Europe au centre du monde, jusqu’à 1945, où ce sont les Etats-Unis qui ont bénéficié de leur prééminence militaire pour imposer leur loi.
(5) Et créer des problèmes nouveaux : comment réagira l’Ecosse ? On ouvrirait là une véritable boite de Pandore.
(6) .Cf. mon édito de mars 2015, intitulé « les terres rares, facteur de compétitivité internationale ». On dénombre aujourd’hui 17 métaux rares.
(7) Le Cachemire reste une pomme de discorde permanente, entre ces 2 puissances nucléaires.
(8) Ces rivalités étatiques se superposent au conflit millénaire entre sunnites et chiites.
(9) Etude réalisée par le cabinet britannique Consensus Economics et citée dans la Revue, n°61-62, mars-avril 2016.
Ces dernières années, elle a tourné aux alentours de 3 % par an, avec une performance supérieure dans les pays dits « émergents ». Il faut dire que certaines zones plus industrialisées ont particulièrement souffert des conséquences de la grande crise financière des années 2007-2008 : l’Europe, par exemple, qui a dû batailler, en plus, pour sauver l’euro ; le Japon, qui n’arrive pas à sortir de la déflation. Même les Etats-Unis ont connu une sortie de crise plus longue et plus douloureuse que dans les phases précédentes de récession. Ce démarrage poussif des économies développées n’a pu être possible que grâce à l’action des banques centrales qui ont véritablement inondé les marchés de liquidités, comme jamais auparavant (cf. les politiques de « quantitative easing » pratiquées par la Fed, la BCE, la Banque du Japon ou même la Banque d’Angleterre).
C’est pourquoi, nous pouvons anticiper une économie mondiale qui croîtra plus lentement, à savoir : 2 % - 2,5 % en moyenne dans les 10 prochaines années. Plusieurs raisons expliquent ce pronostic. D’abord l’état d'endettement global de la planète. En effet, les Etats, pour la plupart, ont continué à s’endetter(1), dans la mesure où les déficits budgétaires ont rarement inversé leur tendance, à part l’Allemagne et certains pays de moindre importance. Quant aux agents privés, leur situation ne s’est pas fondamentalement améliorée, certains progrès, aux Etats-Unis, par exemple, étant compensés par des dérives de pays tels que la Chine, où des bulles potentielles se forment progressivement. En parallèle, les créances « douteuses » gangrènent les bilans des intermédiaires financiers, fragilisant de nouveau les systèmes bancaires(2).
Deux autres facteurs sont susceptibles de favoriser un ralentissement mondial : d’une part, la révolution digitale qui tend à favoriser dans un premier temps le chômage et donc une chute du prix des matières premières qui affecte la capacité d’importer de nombreux pays en développement (Brésil, pays pétroliers, Russie, etc.) et, par voie de conséquence, la production mondiale(3).
2. L’émergence d’un monde multipolaire
Au cours de la fin du XXème siècle, les Etats-Unis ont joué le rôle de « locomotive » de l’économie mondiale. Quant aux flux financiers, ils s’échangeaient essentiellement entre « pays du Nord ». De ce fait, les pays émergents comptaient peu. Même la crise asiatique de 1998 a eu un impact très réduit sur les pays européens, par exemple.
Aujourd’hui, les sources de croissance sont beaucoup plus diffuses : près de la moitié provient des « pays du Sud ». En outre, le rôle de la Chine s’est fortement accentué ; on l’a constaté encore récemment : la chute boursière d’août 2015 a été initiée à Shanghai et les fluctuations du Yuan deviennent désormais un baromètre incontournable de la santé des marchés financiers. Bref, la Chine est redevenue « l’empire du Milieu », ce qu’elle était jusqu’au 16ème siècle(4). Néanmoins, d’autres zones : l’Amérique Latine ou l’Afrique, exercent un attrait croissant, alors que les centres traditionnelles de l’économie mondiale (Etats-Unis, Europe, Japon) gardent un poids important, bien qu’en diminution constante.
3. L’Europe à la croisée des chemins
Depuis plusieurs années, on a l’impression que ce continent fait du « sur place », après l’exaltation créée par le lancement de la monnaie unique et l’élargissement à l’Est. Deux défis devront être relevés rapidement.
Le premier concerne la gouvernance économique de l’Union : soit celle-ci progresse dans l’harmonisation budgétaire et fiscale, en particulier dans le cadre de la zone euro, soit elle cède une souveraineté accrue aux Etats (c’est un retour en arrière), à la suite du « possible » Brexit qui pourrait entraîner d’autres sorties(5) (pays Scandinaves, Grèce), soit elle évolue vers « une Europe à plusieurs vitesses » (ce qu’elle est déjà en partie, compte tenu de l’existence de la zone euro).
L’autre défi est relatif à l’immigration, dans un contexte « d’hiver démographique » : d’un côté, la nécessité de trouver une main-d’oeuvre supplémentaire (illustration avec le cas de l’Allemagne) ; de l’autre, les affres de l’intégration difficile de ces populations extra européennes, alors que les populismes montent dans pratiquement tous les Etats de l’Union, y compris l’Allemagne.
4. Le prix des matières premières
Si la croissance mondiale faiblit, le prix des « commodities » évoluera aussi à la baisse, ce qui pénalisera nombre de pays en voie de développement, en particulier ceux qui sont très dépendants du pétrole et du gaz (on pense au Venezuela, à l’Algérie, au Nigéria, voire même à la Russie). Bien sûr, ces évolutions peuvent provoquer des crises économiques, sources de conflits potentiels.
A cela s’ajoutent les incertitudes liées à l’innovation technologique. Il est clair, par exemple, que le recours au pétrole et au gaz de schiste a complètement modifié les équilibres des marchés pétroliers. De même, l’enjeu représenté par les métaux rares (cérium , erbium, europium, néodyme, praséodyme, etc.)(6), qui sont concentrés dans peu de pays, dont la Chine, l’Australie ou la Mongolie. Sans oublier, les ressources en eau, qui tendent à se raréfier, et dont le « prix de revient » est appelé à croître.
5. Le retour de la géopolitique
Nous avons été habitués à vivre dans un monde relativement pacifique, grâce, d’abord, à l’équilibre de la terreur entre les Etats-Unis et l’URSS, qui limitait les risques de dérapage des conflits et, ensuite, au rôle de gendarme mondial joué par les Américains après la chute de l’empire soviétique, en 1989. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans un « monde multipolaire » (voir section 2), qui va provoquer une multiplication des conflits. Même si les Etats-Unis gardent une certaine prééminence militaire, on assiste néanmoins à une émergence rapide de la puissance chinoise (construction d’une flotte de dimension mondiale, revendications sur des îles de la mer de Chine, etc.), conjuguée avec le retour au premier plan de la Russie de Poutine et de l’arrivée prochaine d’un nouveau grand, l’Inde (en conflit larvé(7) avec son voisin, le Pakistan).
Et, bien sûr, il faut rappeler l’existence d’une zone d’instabilité au Proche-Orient, où l’interdépendance de l’islamisme forcené et des réserves de pétrole les plus importantes de la planète peut facilement dégénérer en guerre ouverte, bien au-delà du territoire de Daesh, en raison de la présence de 3 pays en état de rivalité exacerbée : l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie(8).
Voici donc les 5 facteurs principaux qu’il faudra considérer de très près, si l’on souhaite anticiper les évolutions économiques de la décennie 2016-2026. En ce qui concerne la France, cet environnement n’est pas particulièrement « porteur ». Aussi, la France se retrouverait, en 2025, au septième rang, au lieu du quatrième à la fin du siècle précédent, en termes de P.I.B.(9) D’où la nécessité impérieuse d’entamer enfin les réformes incontournables (marché du travail, fiscalité, modèle social) que les gouvernements successifs n’en finissent pas de remettre au lendemain.
(1)Que ce soit la France, le Japon ou la Grande-Bretagne, on constate que les taux d’endettement public (y compris les collectivités locales et les agences à vocation sociale) continuent à augmenter.
(2) On pense à l’Italie ou, dans un autre contexte, à la Chine.
(3) Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le malheur des uns (les pays pétroliers) ne fait pas forcément le bonheur des autres (les consommateurs des pays importateurs), car une partie substantielle de ce bonus est confisqué par les Etats, sous forme de taxes « pétrolières », absorbées dans l’opacité des budgets.
(4) Les grandes découvertes et l’émergence de la Renaissance ont propulsé l’Europe au centre du monde, jusqu’à 1945, où ce sont les Etats-Unis qui ont bénéficié de leur prééminence militaire pour imposer leur loi.
(5) Et créer des problèmes nouveaux : comment réagira l’Ecosse ? On ouvrirait là une véritable boite de Pandore.
(6) .Cf. mon édito de mars 2015, intitulé « les terres rares, facteur de compétitivité internationale ». On dénombre aujourd’hui 17 métaux rares.
(7) Le Cachemire reste une pomme de discorde permanente, entre ces 2 puissances nucléaires.
(8) Ces rivalités étatiques se superposent au conflit millénaire entre sunnites et chiites.
(9) Etude réalisée par le cabinet britannique Consensus Economics et citée dans la Revue, n°61-62, mars-avril 2016.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite à HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC
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