Depuis déjà plusieurs mois, fleurissent aux États-Unis ou ailleurs des offres publiques d’une nature nouvelle (1).
Ce n’est pas tant le fait que ces levées de fonds portent sur des start-up, mais sur le fait que ces levées s’effectuent sous forme de cryptomonnaies, comme le bitcoin ou l’éther. D’où leur nom : Initial Coin Offering, en référence aux IPO (Initial Public Offering).
En fait, il y a plusieurs sortes de ICO. Des plus simples comme celles pour lesquelles les titres émis dans le cadre d’une augmentation de capital sont payés non pas en dollars mais en Bitcoin ou Ether, au plus complexes où la levée de fonds s’effectue dans le cadre d’un projet sous forme d’un document bien défini où sont détaillés le besoin de financement et son affectation future, le processus d’ICO et les conditions de paiement en cryptomonnaies. Les investisseurs intéressés reçoivent alors des jetons (« token ») en échange de leur investissement. Les sommes reçues au titre de l'ICO le sont généralement sous forme de Bitcoins (BTC) ou Ether (ETH). Le projet crée alors une adresse Bitcoin ou Ethereum pour recevoir les fonds. Cela revient un peu à ouvrir un compte bancaire d’augmentation de capital, et l'afficher sur une page Web pour que les investisseurs envoient la somme en cryptomonnaie à l’adresse internet indiquée. Les investisseurs envoient des BTC ou des ETH à l'adresse publiée, en contrepartie de l’attribution de nouveaux jetons. Le projet utilise alors le BTC ou l'ETH pour financer son projet, payer ses employés et ses fournisseurs, ou au contraire converti la cryptomonnaie reçue pour une devise (« monnaie fiat ») sur une place d’échange. Ces jetons représentent une sorte d’ « intérêt économique » dans l’entreprise : ils ouvrent la possibilité, en fonction du projet, d’être affectés à différentes utilisations.
Ces jetons sont généralement créés selon l’une des deux manières suivantes :
- En tant que « marqueur intrinsèque » (« intrinsic token ») d'une chaîne de blocs entièrement nouvelle (par exemple, Ethereum a été financé par l'échange de portefeuilles financés par des jetons ETH en échange de BTC auprès d'investisseurs) ;
- Ou comme un jeton sur une chaine de bloc existante (par exemple comme une « pièce colorée » - colored coin (2) - sur la chaîne de blocs de Bitcoin ;
- Ou un jeton détenu dans un contrat automatique (« smart contrat ») sur la chaîne de bloc d'Ethereum
Parmi les caractéristiques des ICO et les différences avec les levées de fonds traditionnelles, on peut noter les éléments suivants :
- Faible identification des parties : les investisseurs n'ont souvent pas besoin de s'identifier sur la plateforme. De même, l’émetteur n’effectuera pas ou peu de vérification d’identité des investisseurs ou de leurs sources de financement (KYC);
- Le montant levé est transparent mais peut être « manipulé » : Les paiements BTC et ETH sont enregistrés sur les chaînes de blocs publiques, ce qui permet à quiconque de voir la quantité et les montants aller vers une adresse de l'ICO. Cependant, bien que les montants investis soient transparents, il est difficile de savoir qui a envoyé les fonds. Cela signifie qu'il est presque impossible de savoir si le projet fait l’objet d’un vrai succès ou si la levée de fonds n’est pas artificielle du fait de la présence de l’émetteur lui-même dans la levée ;
- Prime aux premiers arrivants : souvent, le « crowdsale » est offert avec des niveaux où les premiers investisseurs se voient offrir un meilleur prix que les investisseurs ultérieurs ;
- Rétention et découverte de prix : habituellement, le projet ne propose pas à l’offre la totalité des jetons mais en retient un certain nombre, pour l’affecter au management par exemple ;
- Plafond et plancher : il y a parfois des montants de levée totaux minimum et maximum. Si le minimum n'est pas atteint, les investisseurs sont remboursés et le projet ne se poursuit pas. Lorsque le maximum est atteint, plus aucun jeton n’est distribué.
Qu’est-ce qu’un « token »
Que représentent ces jetons ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a un flou juridique. Il existe de nombreux types différents de jetons, chacun avec des caractéristiques et des utilisations variables. Certains jetons, comme Bitcoin, fonctionnent comme une cryptomonnaie, d'autres peuvent représenter un droit sur des biens corporels ou incorporels. Les jetons dans une Blockchain peuvent également être utilisés dans de nouveaux protocoles et réseaux pour créer des applications distribuées. Ces jetons sont parfois appelés « pièces d'application » ou jetons de protocole. Ces types de jetons représentent la prochaine phase d'innovation dans la technologie blockchain et le potentiel de nouveaux types de modèles décentralisés, par exemple, le cloud computing sans Amazon, les réseaux sociaux sans Facebook ou les marchés en ligne sans eBay. Devant ce flou, les principaux acteurs mondiaux de cryptomonnaies se sont associés pour créer le Blockchain Token Securities Law Framework en tant que forme d'autorégulation. Le partenariat comprend les entreprises comme Coinbase, ConsenSys, Union Square Ventures et Coin Center.
Token et loi sur les valeurs mobilières aux États-Unis d’Amérique
Ces nouveaux modes de financement conduisent à s’interroger sur la réglementation qui leur est applicable. Plusieurs régimes légaux sont potentiellement possibles : on peut y voir un contrat de franchise, une licence informatique, mais c’est surtout l’analogie avec le régime de l’offre de valeurs mobilières qui pose le plus de questions.
Ainsi, certains jetons, selon leurs caractéristiques, peuvent tomber sous le coup des lois fédérales ou d'État des États-Unis d’Amérique sur les valeurs mobilières. Cela signifierait, entre autres choses, qu'il est illégal de les offrir à la vente aux résidents des États-Unis, sauf par l'enregistrement ou l'exemption auprès de la SEC. Notons à cet égard que par deux fois en mars 2017, la SEC a refusé d’enregistrer des produits liés au Bitcoin (3).
Pour déterminer si ces jetons ressortent des lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières la plupart des juristes américains se réfèrent au « test Howey », du nom d’une vieille jurisprudence de la Cour Suprême (4) qui permet de définir ce qu’est une valeur mobilière (« security » ) (5) soumise à la règlementation de la SEC, du fait de sa qualification comme «contrat d'investissement». Quatre conditions sont nécessaires pour être qualifié comme tel : constituer un investissement en somme d’argent (« money »), duquel un retour en investissement est attendu, dans une société, via les efforts d'un promoteur ou d'un tiers. Ce test indique que chaque fois qu’une entreprise lève des fonds, si l'investisseur s'appuie sur les efforts de l’entreprise pour réaliser ses profits, cette entreprise est considérée comme vendant un titre. Cette définition est assez large pour embrasser de nombreuses situations. Le débat juridique porte sur la première condition : l’opération est-elle constitutive d’un investissement en somme d’argent ? Ce qui revient à s’interroger sur la qualification juridique des cryptomonnaies. On connait le pragmatisme des régulateurs américains pour intégrer dans le champ traditionnel de leurs définitions des instruments nouveaux. De nombreux avocats américains considèrent que la première exigence du test Howey, celle sur une somme d’argent, est remplie dans le cadre des jetons de chaines de blocs du fait de la définition très large donnée par la jurisprudence à cette notion.
Token et régime d’offre au public de titres en France
Qu’en est-il en France ? La règlementation en cause est la directive européenne sur l’offre au public de titres. L’objet de ce texte est d’harmoniser les exigences relatives à l’établissement d’un document d’information à destination du public en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou d’admission de valeurs mobilières sur un marché (6). Si les conditions énumérées par la directive sont remplies, l’émetteur doit alors rédiger et publier un prospectus. Parmi les éléments constitutifs du champ d’application, le plus important pour notre propos est celui relatif à la présence de valeurs mobilières, cette expression ayant été remplacée par celle de titres financiers lors de la transposition en droit français. Dans quelle mesure les « jetons » émis d’une chaine de blocs peuvent-ils être qualifiés comme tel ? C’est là l’essentiel de l’enjeu et du débat. Alors qu’aux États-Unis d’Amérique le test Howey se focalise notamment sur la notion de monnaie, en Europe, c’est celle de titre financier ou de valeurs mobilières qui est au centre des discussions. Dans les chaines de blocs comme celle du bitcoin ou de l’éther, les jetons représentent une valeur, ce qui ne veut pas dire grand-chose. Ces jetons peuvent revêtir aussi bien les fonctions d’une valeur d’échange, d’un actif non financier, voire même d’un actif financier, selon les cas d’usage. C’est donc à une analyse au cas par cas qu’il convient de se livrer. D’autant plus si les jetons permettent de voter dans le cadre de l’affectation des sommes aux projets. Si ces jetons ne rentrent pas dans la définition des titres financiers, les ICO ne sont alors pas soumis à la réglementation relative à l’offre au public de titres. Compte tenu de leurs caractéristiques, et bien que cela dépende de chaque opération, on peut considérer que des jetons qui ne donnent pas droit directement ou indirectement à l’accès à des titres de capital ou des titres de créances de l’émetteur ne peuvent pas être qualifiés de titres financiers.
Ce n’est pas pour autant qu’ils échappent à toute réglementation. Notamment nationale. Ainsi, en France, l’AMF est aussi compétente sur ce que l’on appelle les « biens atypiques » ou « biens divers », c’est-à-dire les investissements en rentes viagères, pierres précieuses, wagons, diamants, manuscrits, vins panneaux photovoltaïques… en fait, il s’agit de situation dès lors qu’il s’agit par voie de communication à caractère promotionnel ou de démarchage, de souscrire à droits sur des biens mobiliers ou immobiliers (biens divers 1), soit à acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d'un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire (biens divers 2) : l’AMF est compétente à tout le moins pour examiner la documentation proposée au public (article L. 550-1- du code monétaire et financier). Le scandale Aristophile (société qui proposait aux épargnants de devenir propriétaires – en pleine propriété ou en indivision – de lettres et manuscrits anciens, que la société pouvait racheter au bout de 5 ans, avec un prix majoré de 8,5 %, les intérêts devant être assurés par la prise de valeur des pièces sur un marché annoncé en pleine expansion et par la location de ces documents à des musées) et de récentes décisions de la commission des sanctions de l’AMF comme celle relative à la société Marble Art en 2014 (où cette société s’engageait à sélectionner, acheter, valoriser et revendre des œuvres d’art contemporain pour le compte des investisseurs, œuvres d’art acquises pour le compte des clients par cette société et qui devaient être revendues à l’issue d’un trimestre, permettant un rendement garanti de 4 %, soit 16 % par an) ont jeté une lumière nouvelle sur ces activités « atypiques » . La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi « Sapin II ») introduit par son article 79 une évolution du régime de l’intermédiation en biens divers, ce qui a conduit l’AMF à mettre à jour sa doctrine sur ces opérations, levant certaines ambiguïtés, notamment quant à son contrôle préalable des offres (7).
Ainsi, l’une des principales questions qu’il convient de se poser s’agissant d’ICO en France, dans la mesure où toutefois celles-ci ne répondraient pas à la règlementation sur les offres au public de titres, porte sur l’application du régime des biens atypiques ou divers. En fait, tout dépendra bien sûr des conditions de chaque ICO.
Pour toute information ou question concernant cette note, n’hésitez pas à contacter:
Hubert de Vauplane, Avocat Associé
T: +33 (0)1 44 09 46 80
hdevauplane@kramerlevin.com
(1) L'une des premières utilisations documentées des ICO pour un projet de cryptomonnaies était Mastercoin, qui a été complété par des forums Bitcointalk. Mastercoin est un méta-protocole sur la chaîne de bloc Bitcoin qui fournit des fonctionnalités supplémentaires que la couche Bitcoin de base ne propose pas. L'ICO a eu lieu en 2013 : Mastercoin (MSC) a levé plus de 5000 Bitcoin (BTC) au taux de 100 MSC par BTC.
(2) Le « Colored coin » est un méta-protocole qui permet d'associer des actifs réels aux adresses Bitcoin. Il permet d’encapsuler des informations sur petites quantités de bitcoin. Un coin «coloré» est une somme de bitcoins réassignée pour représenter un actif: action, bien immobilier, matières premières ...
(3) https://www.reuters.com/article/us-bitcoin-etp-idUSKBN16Z2HH
(4) SEC v. Howey, 328 U.S. 293 (1946), jurisprudence confirmée dans l’affaire SEC v. Edwards, 540 U.S. 398 (2004).
(5) Section 2(a)(1) of the Securities Act, 1933 : “any note, stock, treasury stock, security future, security-based swap, bond, debenture, evidence of indebtedness, certificate of interest or participation in any profit-sharing agreement … investment contract … or, in general, any interest or instrument commonly known as a ‘security’, or any certificate of interest or participation in, temporary or interim certificate for, receipt for, guarantee of, or warrant or right to subscribe to or purchase, any of the foregoing”.
(6) Directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE.
(7) Arrêté du 27 avril 2017 portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;Instruction AMF DOC‐2017‐06 relative à la procédure d’enregistrement et établissement d’un document d’information devant être déposé auprès de l’AMF par les intermédiaires en biens divers.
Ce n’est pas tant le fait que ces levées de fonds portent sur des start-up, mais sur le fait que ces levées s’effectuent sous forme de cryptomonnaies, comme le bitcoin ou l’éther. D’où leur nom : Initial Coin Offering, en référence aux IPO (Initial Public Offering).
En fait, il y a plusieurs sortes de ICO. Des plus simples comme celles pour lesquelles les titres émis dans le cadre d’une augmentation de capital sont payés non pas en dollars mais en Bitcoin ou Ether, au plus complexes où la levée de fonds s’effectue dans le cadre d’un projet sous forme d’un document bien défini où sont détaillés le besoin de financement et son affectation future, le processus d’ICO et les conditions de paiement en cryptomonnaies. Les investisseurs intéressés reçoivent alors des jetons (« token ») en échange de leur investissement. Les sommes reçues au titre de l'ICO le sont généralement sous forme de Bitcoins (BTC) ou Ether (ETH). Le projet crée alors une adresse Bitcoin ou Ethereum pour recevoir les fonds. Cela revient un peu à ouvrir un compte bancaire d’augmentation de capital, et l'afficher sur une page Web pour que les investisseurs envoient la somme en cryptomonnaie à l’adresse internet indiquée. Les investisseurs envoient des BTC ou des ETH à l'adresse publiée, en contrepartie de l’attribution de nouveaux jetons. Le projet utilise alors le BTC ou l'ETH pour financer son projet, payer ses employés et ses fournisseurs, ou au contraire converti la cryptomonnaie reçue pour une devise (« monnaie fiat ») sur une place d’échange. Ces jetons représentent une sorte d’ « intérêt économique » dans l’entreprise : ils ouvrent la possibilité, en fonction du projet, d’être affectés à différentes utilisations.
Ces jetons sont généralement créés selon l’une des deux manières suivantes :
- En tant que « marqueur intrinsèque » (« intrinsic token ») d'une chaîne de blocs entièrement nouvelle (par exemple, Ethereum a été financé par l'échange de portefeuilles financés par des jetons ETH en échange de BTC auprès d'investisseurs) ;
- Ou comme un jeton sur une chaine de bloc existante (par exemple comme une « pièce colorée » - colored coin (2) - sur la chaîne de blocs de Bitcoin ;
- Ou un jeton détenu dans un contrat automatique (« smart contrat ») sur la chaîne de bloc d'Ethereum
Parmi les caractéristiques des ICO et les différences avec les levées de fonds traditionnelles, on peut noter les éléments suivants :
- Faible identification des parties : les investisseurs n'ont souvent pas besoin de s'identifier sur la plateforme. De même, l’émetteur n’effectuera pas ou peu de vérification d’identité des investisseurs ou de leurs sources de financement (KYC);
- Le montant levé est transparent mais peut être « manipulé » : Les paiements BTC et ETH sont enregistrés sur les chaînes de blocs publiques, ce qui permet à quiconque de voir la quantité et les montants aller vers une adresse de l'ICO. Cependant, bien que les montants investis soient transparents, il est difficile de savoir qui a envoyé les fonds. Cela signifie qu'il est presque impossible de savoir si le projet fait l’objet d’un vrai succès ou si la levée de fonds n’est pas artificielle du fait de la présence de l’émetteur lui-même dans la levée ;
- Prime aux premiers arrivants : souvent, le « crowdsale » est offert avec des niveaux où les premiers investisseurs se voient offrir un meilleur prix que les investisseurs ultérieurs ;
- Rétention et découverte de prix : habituellement, le projet ne propose pas à l’offre la totalité des jetons mais en retient un certain nombre, pour l’affecter au management par exemple ;
- Plafond et plancher : il y a parfois des montants de levée totaux minimum et maximum. Si le minimum n'est pas atteint, les investisseurs sont remboursés et le projet ne se poursuit pas. Lorsque le maximum est atteint, plus aucun jeton n’est distribué.
Qu’est-ce qu’un « token »
Que représentent ces jetons ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a un flou juridique. Il existe de nombreux types différents de jetons, chacun avec des caractéristiques et des utilisations variables. Certains jetons, comme Bitcoin, fonctionnent comme une cryptomonnaie, d'autres peuvent représenter un droit sur des biens corporels ou incorporels. Les jetons dans une Blockchain peuvent également être utilisés dans de nouveaux protocoles et réseaux pour créer des applications distribuées. Ces jetons sont parfois appelés « pièces d'application » ou jetons de protocole. Ces types de jetons représentent la prochaine phase d'innovation dans la technologie blockchain et le potentiel de nouveaux types de modèles décentralisés, par exemple, le cloud computing sans Amazon, les réseaux sociaux sans Facebook ou les marchés en ligne sans eBay. Devant ce flou, les principaux acteurs mondiaux de cryptomonnaies se sont associés pour créer le Blockchain Token Securities Law Framework en tant que forme d'autorégulation. Le partenariat comprend les entreprises comme Coinbase, ConsenSys, Union Square Ventures et Coin Center.
Token et loi sur les valeurs mobilières aux États-Unis d’Amérique
Ces nouveaux modes de financement conduisent à s’interroger sur la réglementation qui leur est applicable. Plusieurs régimes légaux sont potentiellement possibles : on peut y voir un contrat de franchise, une licence informatique, mais c’est surtout l’analogie avec le régime de l’offre de valeurs mobilières qui pose le plus de questions.
Ainsi, certains jetons, selon leurs caractéristiques, peuvent tomber sous le coup des lois fédérales ou d'État des États-Unis d’Amérique sur les valeurs mobilières. Cela signifierait, entre autres choses, qu'il est illégal de les offrir à la vente aux résidents des États-Unis, sauf par l'enregistrement ou l'exemption auprès de la SEC. Notons à cet égard que par deux fois en mars 2017, la SEC a refusé d’enregistrer des produits liés au Bitcoin (3).
Pour déterminer si ces jetons ressortent des lois fédérales américaines sur les valeurs mobilières la plupart des juristes américains se réfèrent au « test Howey », du nom d’une vieille jurisprudence de la Cour Suprême (4) qui permet de définir ce qu’est une valeur mobilière (« security » ) (5) soumise à la règlementation de la SEC, du fait de sa qualification comme «contrat d'investissement». Quatre conditions sont nécessaires pour être qualifié comme tel : constituer un investissement en somme d’argent (« money »), duquel un retour en investissement est attendu, dans une société, via les efforts d'un promoteur ou d'un tiers. Ce test indique que chaque fois qu’une entreprise lève des fonds, si l'investisseur s'appuie sur les efforts de l’entreprise pour réaliser ses profits, cette entreprise est considérée comme vendant un titre. Cette définition est assez large pour embrasser de nombreuses situations. Le débat juridique porte sur la première condition : l’opération est-elle constitutive d’un investissement en somme d’argent ? Ce qui revient à s’interroger sur la qualification juridique des cryptomonnaies. On connait le pragmatisme des régulateurs américains pour intégrer dans le champ traditionnel de leurs définitions des instruments nouveaux. De nombreux avocats américains considèrent que la première exigence du test Howey, celle sur une somme d’argent, est remplie dans le cadre des jetons de chaines de blocs du fait de la définition très large donnée par la jurisprudence à cette notion.
Token et régime d’offre au public de titres en France
Qu’en est-il en France ? La règlementation en cause est la directive européenne sur l’offre au public de titres. L’objet de ce texte est d’harmoniser les exigences relatives à l’établissement d’un document d’information à destination du public en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou d’admission de valeurs mobilières sur un marché (6). Si les conditions énumérées par la directive sont remplies, l’émetteur doit alors rédiger et publier un prospectus. Parmi les éléments constitutifs du champ d’application, le plus important pour notre propos est celui relatif à la présence de valeurs mobilières, cette expression ayant été remplacée par celle de titres financiers lors de la transposition en droit français. Dans quelle mesure les « jetons » émis d’une chaine de blocs peuvent-ils être qualifiés comme tel ? C’est là l’essentiel de l’enjeu et du débat. Alors qu’aux États-Unis d’Amérique le test Howey se focalise notamment sur la notion de monnaie, en Europe, c’est celle de titre financier ou de valeurs mobilières qui est au centre des discussions. Dans les chaines de blocs comme celle du bitcoin ou de l’éther, les jetons représentent une valeur, ce qui ne veut pas dire grand-chose. Ces jetons peuvent revêtir aussi bien les fonctions d’une valeur d’échange, d’un actif non financier, voire même d’un actif financier, selon les cas d’usage. C’est donc à une analyse au cas par cas qu’il convient de se livrer. D’autant plus si les jetons permettent de voter dans le cadre de l’affectation des sommes aux projets. Si ces jetons ne rentrent pas dans la définition des titres financiers, les ICO ne sont alors pas soumis à la réglementation relative à l’offre au public de titres. Compte tenu de leurs caractéristiques, et bien que cela dépende de chaque opération, on peut considérer que des jetons qui ne donnent pas droit directement ou indirectement à l’accès à des titres de capital ou des titres de créances de l’émetteur ne peuvent pas être qualifiés de titres financiers.
Ce n’est pas pour autant qu’ils échappent à toute réglementation. Notamment nationale. Ainsi, en France, l’AMF est aussi compétente sur ce que l’on appelle les « biens atypiques » ou « biens divers », c’est-à-dire les investissements en rentes viagères, pierres précieuses, wagons, diamants, manuscrits, vins panneaux photovoltaïques… en fait, il s’agit de situation dès lors qu’il s’agit par voie de communication à caractère promotionnel ou de démarchage, de souscrire à droits sur des biens mobiliers ou immobiliers (biens divers 1), soit à acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d'un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire (biens divers 2) : l’AMF est compétente à tout le moins pour examiner la documentation proposée au public (article L. 550-1- du code monétaire et financier). Le scandale Aristophile (société qui proposait aux épargnants de devenir propriétaires – en pleine propriété ou en indivision – de lettres et manuscrits anciens, que la société pouvait racheter au bout de 5 ans, avec un prix majoré de 8,5 %, les intérêts devant être assurés par la prise de valeur des pièces sur un marché annoncé en pleine expansion et par la location de ces documents à des musées) et de récentes décisions de la commission des sanctions de l’AMF comme celle relative à la société Marble Art en 2014 (où cette société s’engageait à sélectionner, acheter, valoriser et revendre des œuvres d’art contemporain pour le compte des investisseurs, œuvres d’art acquises pour le compte des clients par cette société et qui devaient être revendues à l’issue d’un trimestre, permettant un rendement garanti de 4 %, soit 16 % par an) ont jeté une lumière nouvelle sur ces activités « atypiques » . La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi « Sapin II ») introduit par son article 79 une évolution du régime de l’intermédiation en biens divers, ce qui a conduit l’AMF à mettre à jour sa doctrine sur ces opérations, levant certaines ambiguïtés, notamment quant à son contrôle préalable des offres (7).
Ainsi, l’une des principales questions qu’il convient de se poser s’agissant d’ICO en France, dans la mesure où toutefois celles-ci ne répondraient pas à la règlementation sur les offres au public de titres, porte sur l’application du régime des biens atypiques ou divers. En fait, tout dépendra bien sûr des conditions de chaque ICO.
Pour toute information ou question concernant cette note, n’hésitez pas à contacter:
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(1) L'une des premières utilisations documentées des ICO pour un projet de cryptomonnaies était Mastercoin, qui a été complété par des forums Bitcointalk. Mastercoin est un méta-protocole sur la chaîne de bloc Bitcoin qui fournit des fonctionnalités supplémentaires que la couche Bitcoin de base ne propose pas. L'ICO a eu lieu en 2013 : Mastercoin (MSC) a levé plus de 5000 Bitcoin (BTC) au taux de 100 MSC par BTC.
(2) Le « Colored coin » est un méta-protocole qui permet d'associer des actifs réels aux adresses Bitcoin. Il permet d’encapsuler des informations sur petites quantités de bitcoin. Un coin «coloré» est une somme de bitcoins réassignée pour représenter un actif: action, bien immobilier, matières premières ...
(3) https://www.reuters.com/article/us-bitcoin-etp-idUSKBN16Z2HH
(4) SEC v. Howey, 328 U.S. 293 (1946), jurisprudence confirmée dans l’affaire SEC v. Edwards, 540 U.S. 398 (2004).
(5) Section 2(a)(1) of the Securities Act, 1933 : “any note, stock, treasury stock, security future, security-based swap, bond, debenture, evidence of indebtedness, certificate of interest or participation in any profit-sharing agreement … investment contract … or, in general, any interest or instrument commonly known as a ‘security’, or any certificate of interest or participation in, temporary or interim certificate for, receipt for, guarantee of, or warrant or right to subscribe to or purchase, any of the foregoing”.
(6) Directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE.
(7) Arrêté du 27 avril 2017 portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;Instruction AMF DOC‐2017‐06 relative à la procédure d’enregistrement et établissement d’un document d’information devant être déposé auprès de l’AMF par les intermédiaires en biens divers.
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