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Mardi 15 Novembre 2011

Zone euro et marchés financiers : à quand l'armistice ?

A l'heure où l'Europe occidentale commémore le 93ème anniversaire de l'armistice de la Première Guerre Mondiale, les hostilités continuent de plus belle entre la zone euro et les marchés financiers. Le départ de Papandréou, la démission annoncée de Berlusconi et le nouveau plan de rigueur en France n'y ont d'ailleurs rien changé. Les Mélenchon, Le Pen et autres « altermondialistes » vont évidemment monter au créneau pour crier qu'une fois encore, le monde est sous la domination dévastatrice des marchés financiers. Bien loin de la célèbre phrase du Général de Gaulle, « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille », ce serait donc désormais les marchés qui dicteraient leurs ordres aux gouvernements.


Marc Touati
Marc Touati
Si cette opinion est évidemment bien pratique, elle demeure néanmoins particulièrement simpliste. En effet, si les Etats sont devenus aussi dépendants des marchés financiers, c'est avant tout parce qu'ils n'ont cessé de les utiliser depuis plus de vingt ans pour payer leurs déficits publics récurrents et abyssaux. Le pire est qu'en dépit de ce laxisme budgétaire incontrôlé, la croissance des pays de la zone euro n'a jamais été aussi faible. Depuis quatre ans, celle-ci est même devenue insuffisante ne serait-ce que pour honorer les intérêts de la dette publique. Autrement dit, pour simplement payer ces derniers, les Etats eurolandais doivent encore s'endetter. C'est ce qu'on appelle la bulle de la dette, dans laquelle sont englués tous les pays de la zone euro, à l'exception du Luxembourg, de l'Allemagne et des Pays-Bas. Et encore, compte tenu du fort ralentissement qui se dessine pour la fin 2011 et pour 2012, ces deux derniers pays pourraient également replonger dans cette spirale infernale.

En résumé, il ne faudrait pas inverser le sens des réalités : ce ne sont pas les marchés qui ont demandé aux Etats européens de se lancer dans un gaspillage effréné de dépenses publiques sans croissance économique forte en échange et d'accroître ainsi démesurément la dette publique. Si nous sommes aujourd'hui confrontés à une crise historique dans la plupart des pays eurolandais, la principale responsabilité revient aux dirigeants politiques. Qui plus est, au lieu d'essayer de se rattraper, ces derniers ont continué de ne pas respecter leurs engagements, perdant ainsi le peu de crédibilité qu'il leur restait. Ils se retrouvent dans la situation de « Pierre et le Loup ». A force d'avoir crié au loup, en vain, plus personne ne le croit lorsque le loup arrive vraiment. Ainsi, à force d'avoir annoncé qu'ils allaient réduire les dépenses et les déficits publics sans le faire, les dirigeants politiques eurolandais ne peuvent désormais plus être pris au sérieux.

Voilà pourquoi, en dépit des changements de Premier ministre en Grèce et en Italie, les taux d'intérêt des obligations d'Etat de ces deux pays ont continué d'augmenter. Le taux dix ans hellène a ainsi frôlé les 28 % le 8 novembre et le taux italien les 7,5 % le 9. De même, malgré la présentation d'un plan de rigueur « sans précédent depuis 1945 », les taux d'intérêt à dix ans français se sont dangereusement écartés de leurs homologues allemands, respectivement 3,3 % contre 1,75 % le 10 novembre au matin. De nombreux observateurs économiques et financiers en restent pantois : « mais que veulent les marchés à la fin ? Ils ne sont jamais contents… » se plaignent-ils.

Une fois encore, ce raisonnement reste superficiel. En effet, les investisseurs ne sont pas dupes. Ils savent que ce n'est pas le remplacement d'un dirigeant par un autre qui va suffire à transformer la donne dans le bon sens. Et ce, d'autant que les nouveaux élus ne sont pas forcément des modèles de transparence. Il faut par exemple se rappeler que M. Papadémos, successeur de M. « Nappadeuro » (cf. l'humeur de la semaine dernière), était Président de la Banque centrale grecque de 1994 à 2002 au moment même où, pour entrer dans la zone euro, la Grèce truquait ses comptes publics. De plus, c'est également lui qui, en juillet 2008, alors que la récession commençait dans la zone euro, a validé, avec un certain Jean-Claude Trichet, l'augmentation du taux refi de la BCE. Il en était alors le vice-Président.

De même, le départ de Berlusconi pourrait déboucher sur une énième crise politique dont l'Italie a le secret. Dès lors, il n'existe aucune garantie quant à la mise en place des mesures annoncées pour réduire les déficits. Et ce d'autant que, dans l'incertitude, l'activité économique risque encore de reculer. D'où une augmentation du chômage, des déficits publics et de la dette italienne. Quant aux mesures annoncées par le gouvernement français, elles visent surtout à essayer de « sauver » le triple A jusqu'aux élections présidentielles et continuent de laisser la porte ouverte à une inévitable dégradation ensuite. Pis, l'augmentation des impôts ne sera qu'un fusil à un coup. Après avoir apporté du « cash » dans les caisses de l'Etat à court terme, elle finira par casser le peu de croissance qui reste à la France et réduira l'assiette fiscale, ce qui se traduira par une nouvelle augmentation des déficits publics.

Face à ces dangers, il est donc clair que les marchés financiers resteront extrêmement volatils, enchaînant les phases de forte baisse et celles de remontée technique, tout en restant déprimés. Pour sortir définitivement de ce cercle infernal, il faudra rapidement signer l'armistice. Mais ce dernier ne devra pas être vexatoire et attiser les haines comme celui de 1918, qui porta en lui les germes de la Deuxième Guerre Mondiale. Bien au contraire, il doit rassurer, tout en réconciliant les marchés et les populations.

Pour ce faire, il faut que les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro mettent tout en œuvre pour restaurer la croissance. Et ce, notamment via une baisse du taux refi à 0,5%, un euro sous les 1,20 dollar et une politique budgétaire fédérale basée sur des investissements efficaces à l'échelle de l'UEM. De la sorte, la sanction des marchés, qui n'est finalement qu'une réponse aux erreurs de politiques budgétaires et monétaires de la zone euro depuis dix ans, sera perçue comme un mal pour un bien. Car, arrêtons de céder à la démagogie : personne, à part peut-être certains hommes politiques et quelques financiers véreux, n'a intérêt à voir la croissance s'effondrer et la zone euro exploser. Alors de grâce, Messieurs les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro, donnons tort aux numérologues qui voient dans le 11/11/11 la manifestation d'une catastrophe mondiale et faisons en sorte que cette date soit plutôt le signe d'un nouveau départ vers une zone euro plus forte et plus efficace…

Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

www.acdefi.com


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