Anthony Benhamou
Une énième négociation pour une entente chimérique
Après le fiscal cliff de janvier 2013 et le budgetary sequester d’avril 2013, une nouvelle terminologie a fait son apparition dans tous les médias depuis le 1er octobre ; le shutdown. Ce terme désigne la fermeture partielle d’un ensemble d’agences fédérales américaines suite à l’échec des négociations sur le budget 2014. Les républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) ont en effet conditionné le vote du budget au report (à défaut d’une suppression) d’Obamacare, la réforme de santé menée par Barack Obama lors de son premier mandat, qui est entrée en vigueur ce mois-ci. Un chantage tout bonnement inacceptable pour les démocrates (majoritaires au Sénat). Une impasse politique, et surtout idéologique, qui a poussé environ 800 000 fonctionnaires fédéraux au chômage technique.
Le shutdown constitue en fait un épisode récurrent de la vie politique américaine. Depuis les années 1970 en effet, la première puissance économique mondiale a connu dix-sept paralysies fédérales et, comme dans tout bon film américain, autant de dénouements favorables. Néanmoins, un autre évènement de la vie politique américaine est venu se télescoper au shutdown, à savoir le débat sur le relèvement du plafond légal de la dette (16 700 milliards de dollars). Une énième querelle bipartisane dont les effets auraient pu être désastreux. En effet, si l’arrêt de l’Etat fédéral a coûté jusque-là 0,6% de PIB (environ 24 milliards de dollars), cette nouvelle impasse constituait sans aucun doute une menace bien plus forte. Probablement un effet de type Lehman Brothers multiplié par dix….
Démocrates et républicains sont bien heureusement (et sans surprise) parvenus à un accord in extremis, sur le plafond de la dette et sur la fin du shutdown. Un épilogue désormais familier. Néanmoins, le monde a véritablement tremblé et le voyage en terre inconnue qu’aurait provoqué une non-entente a été, au moins pendant quelques heures, une hypothèse crédible. En témoignent notamment les inquiétudes du Japon et de la Chine qui détiennent 47% de la dette américaine et qui, de façon inédite, ont appelé à un compromis rapide. En témoigne également la menace sur le AAA américain de l’agence de notation Fitch et le réajustement plus ou moins brutal de taux qui en aurait résulté.
L’accord finalement conclu entre les deux camps prévoit une réouverture des agences fédérales jusqu’au 15 janvier (et le paiement rétroactif du demi-mois de salaire perdu pour les fonctionnaires) ainsi qu’un relèvement du plafond de la dette jusqu’au 7 février. Par ailleurs, une commission devrait être mise en place pour négocier le budget pour le reste de 2014. Les échéances négociées sont toutefois de très courtes durées et une nouvelle pièce de théâtre devrait se jouer très bientôt. Une énième crise budgétaire et un énième accord de dernière minute qui devraient favoriser l’émergence d’un risque de déflagration mondiale. Sans oublier le désordre monétaire lié au tapering de la Fed qui devrait débuter au mois de décembre 2013.
Il faut un James Dean, il faut un chevalier blanc
Comme dans beaucoup de cas, la théorie des jeux apporte un éclairage intéressant. Elle permet effectivement de simplifier une situation initialement complexe. La non-entente entre démocrates et républicains, qui aurait pu plonger les Etats-Unis en cessation de paiement, ressemble ainsi à un chicken game. La scène se passe devant une falaise (fiscale) où deux chefs de groupe (Barack Obama et John Boehner) se livrent à une course automobile. Le but du jeu consiste à rester le plus longtemps possible au volant de son bolide avant de sauter. Une course de deux semaines qui se termine donc finalement par le saut du camp républicain, qui non seulement a voté le relèvement du plafond de la dette et l’arrêt immédiat du shutdown, mais n’a obtenu aucune concession sur Obamacare.
Si Barack Obama se rêve en James Dean dans Rebel without a cause et John Boehner passe pour une poule mouillée, les deux camps sortent en réalité affaiblis de ce rallye. Tout d’abord parce que l’accord obtenu ne fait que repousser l’échéance de trois mois et qu’une grande entente, véritable problème de fond, n’apparait être qu’une chimère. En outre, de par son intransigeance et sa non-recherche du compromis, Barack Obama a clairement joué avec le feu et aurait pu plonger le monde dans un marasme économique et social sans précédent depuis 1929. Enfin, il convient de souligner que le comportement de John Boehner est difficile à comprendre ; à la fois poule mouillée et chevalier blanc de l’histoire, le chef de file des républicains a en effet participé à la création du désordre économique dans le pays ainsi qu’à la sortie de crise.
Combien de temps encore de tels conflits de politique intérieure américaine vont-ils durer et mettre en péril l’ensemble des économies mondiales ? A commencer par l’Europe. Toute juste sortie de récession, cette zone demeure effectivement fragile et particulièrement sensible aux chocs externes. Un non accord au Congrès américain aurait ainsi eu des conséquences désastreuses sur les bourses européennes et aurait anéanti le début de reprise (déjà bien timide) que connait la zone. Mais la situation des émergents n’est pas mieux. La chute de la roupie indienne qui devrait coûter à l’Inde environ 1,4% de croissance en 2013 en est la meilleure illustration. De quoi affaiblir la suprématie américaine dans le monde ? Possible. Selon un média d’Etat chinois, il s’agirait « peut être du bon moment pour une planète abasourdie de commencer à envisager la construction d’un monde désaméricanisé ».
Beaucoup de choses peuvent être dites ou écrites sur ce nouvel épisode de la vie américaine. Qui sont par exemple les responsables, et ont-ils conscience du chaos qu’ils peuvent engendrer ? Force est néanmoins de constater que le débat a le mérite d’exister et que la législation américaine se préoccupe des questions qui ont trait au niveau d’endettement public et de son financement. Et si cela constituait une leçon pour les pays d’Europe ? De l’autre côté de l’Atlantique en effet, les niveaux de dette publique atteignent des sommets sans qu’aucune limite d’ordre légal ne soit mise en place… de là à se poser la question d’un plafond légal de la dette en Europe... ?.
Achevé de rédiger le 17 octobre 2013,
Anthony Benhamou
Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.
Après le fiscal cliff de janvier 2013 et le budgetary sequester d’avril 2013, une nouvelle terminologie a fait son apparition dans tous les médias depuis le 1er octobre ; le shutdown. Ce terme désigne la fermeture partielle d’un ensemble d’agences fédérales américaines suite à l’échec des négociations sur le budget 2014. Les républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) ont en effet conditionné le vote du budget au report (à défaut d’une suppression) d’Obamacare, la réforme de santé menée par Barack Obama lors de son premier mandat, qui est entrée en vigueur ce mois-ci. Un chantage tout bonnement inacceptable pour les démocrates (majoritaires au Sénat). Une impasse politique, et surtout idéologique, qui a poussé environ 800 000 fonctionnaires fédéraux au chômage technique.
Le shutdown constitue en fait un épisode récurrent de la vie politique américaine. Depuis les années 1970 en effet, la première puissance économique mondiale a connu dix-sept paralysies fédérales et, comme dans tout bon film américain, autant de dénouements favorables. Néanmoins, un autre évènement de la vie politique américaine est venu se télescoper au shutdown, à savoir le débat sur le relèvement du plafond légal de la dette (16 700 milliards de dollars). Une énième querelle bipartisane dont les effets auraient pu être désastreux. En effet, si l’arrêt de l’Etat fédéral a coûté jusque-là 0,6% de PIB (environ 24 milliards de dollars), cette nouvelle impasse constituait sans aucun doute une menace bien plus forte. Probablement un effet de type Lehman Brothers multiplié par dix….
Démocrates et républicains sont bien heureusement (et sans surprise) parvenus à un accord in extremis, sur le plafond de la dette et sur la fin du shutdown. Un épilogue désormais familier. Néanmoins, le monde a véritablement tremblé et le voyage en terre inconnue qu’aurait provoqué une non-entente a été, au moins pendant quelques heures, une hypothèse crédible. En témoignent notamment les inquiétudes du Japon et de la Chine qui détiennent 47% de la dette américaine et qui, de façon inédite, ont appelé à un compromis rapide. En témoigne également la menace sur le AAA américain de l’agence de notation Fitch et le réajustement plus ou moins brutal de taux qui en aurait résulté.
L’accord finalement conclu entre les deux camps prévoit une réouverture des agences fédérales jusqu’au 15 janvier (et le paiement rétroactif du demi-mois de salaire perdu pour les fonctionnaires) ainsi qu’un relèvement du plafond de la dette jusqu’au 7 février. Par ailleurs, une commission devrait être mise en place pour négocier le budget pour le reste de 2014. Les échéances négociées sont toutefois de très courtes durées et une nouvelle pièce de théâtre devrait se jouer très bientôt. Une énième crise budgétaire et un énième accord de dernière minute qui devraient favoriser l’émergence d’un risque de déflagration mondiale. Sans oublier le désordre monétaire lié au tapering de la Fed qui devrait débuter au mois de décembre 2013.
Il faut un James Dean, il faut un chevalier blanc
Comme dans beaucoup de cas, la théorie des jeux apporte un éclairage intéressant. Elle permet effectivement de simplifier une situation initialement complexe. La non-entente entre démocrates et républicains, qui aurait pu plonger les Etats-Unis en cessation de paiement, ressemble ainsi à un chicken game. La scène se passe devant une falaise (fiscale) où deux chefs de groupe (Barack Obama et John Boehner) se livrent à une course automobile. Le but du jeu consiste à rester le plus longtemps possible au volant de son bolide avant de sauter. Une course de deux semaines qui se termine donc finalement par le saut du camp républicain, qui non seulement a voté le relèvement du plafond de la dette et l’arrêt immédiat du shutdown, mais n’a obtenu aucune concession sur Obamacare.
Si Barack Obama se rêve en James Dean dans Rebel without a cause et John Boehner passe pour une poule mouillée, les deux camps sortent en réalité affaiblis de ce rallye. Tout d’abord parce que l’accord obtenu ne fait que repousser l’échéance de trois mois et qu’une grande entente, véritable problème de fond, n’apparait être qu’une chimère. En outre, de par son intransigeance et sa non-recherche du compromis, Barack Obama a clairement joué avec le feu et aurait pu plonger le monde dans un marasme économique et social sans précédent depuis 1929. Enfin, il convient de souligner que le comportement de John Boehner est difficile à comprendre ; à la fois poule mouillée et chevalier blanc de l’histoire, le chef de file des républicains a en effet participé à la création du désordre économique dans le pays ainsi qu’à la sortie de crise.
Combien de temps encore de tels conflits de politique intérieure américaine vont-ils durer et mettre en péril l’ensemble des économies mondiales ? A commencer par l’Europe. Toute juste sortie de récession, cette zone demeure effectivement fragile et particulièrement sensible aux chocs externes. Un non accord au Congrès américain aurait ainsi eu des conséquences désastreuses sur les bourses européennes et aurait anéanti le début de reprise (déjà bien timide) que connait la zone. Mais la situation des émergents n’est pas mieux. La chute de la roupie indienne qui devrait coûter à l’Inde environ 1,4% de croissance en 2013 en est la meilleure illustration. De quoi affaiblir la suprématie américaine dans le monde ? Possible. Selon un média d’Etat chinois, il s’agirait « peut être du bon moment pour une planète abasourdie de commencer à envisager la construction d’un monde désaméricanisé ».
Beaucoup de choses peuvent être dites ou écrites sur ce nouvel épisode de la vie américaine. Qui sont par exemple les responsables, et ont-ils conscience du chaos qu’ils peuvent engendrer ? Force est néanmoins de constater que le débat a le mérite d’exister et que la législation américaine se préoccupe des questions qui ont trait au niveau d’endettement public et de son financement. Et si cela constituait une leçon pour les pays d’Europe ? De l’autre côté de l’Atlantique en effet, les niveaux de dette publique atteignent des sommets sans qu’aucune limite d’ordre légal ne soit mise en place… de là à se poser la question d’un plafond légal de la dette en Europe... ?.
Achevé de rédiger le 17 octobre 2013,
Anthony Benhamou
Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.
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