Chaque opération d’acquisition, de fusion ou de création d’entreprise commune relevant du contrôle des concentrations, en France ou au niveau européen, doit être notifié. Cette notification s’effectue auprès de la Commission européenne ou des autorités nationales compétentes.
Dans le cadre d’un projet relevant de la compétence de l’Autorité de la concurrence française, la sanction pécuniaire infligée en cas de non-respect de cette obligation peut s’élever jusqu’à 5% du chiffre d’affaire réalisé en France pour les personnes morales, et 1,5 millions d’euros pour les personnes physiques (article L. 430-8 du Code de commerce). En outre, le Conseil d’État a considéré qu’un tel manquement à l’obligation de notification présente un caractère grave, et ce, quelle que soit l’importance des effets de l’opération sur le marché.[1]
Peu de décisions illustrent cette atteinte aux règles de procédure du droit de la concurrence et les montants des amendes infligées étaient jusqu’alors très proches et relativement faibles. À cet égard, la décision n°12-D-12 du 11 mai 2012 concernant le groupe de distribution belge Colruyt avait imposé une sanction de 392 000 euros à celui-ci. C’est-à-dire une amende représentant 0,05% du chiffre d’affaire en France du groupe. Plus récemment, la décision n°13-D-01 du 31 janvier 2013 concernant les sociétés Arpège et Réunica avait sanctionné cette dernière à hauteur de 400 000 euros (soit 0,07% environ de son chiffre d’affaire en France).
Le 20 décembre 2013, l’Autorité de la concurrence a pourtant choisi de passer à la vitesse supérieure : dans le cadre de sa décision n°13-D-22, l’amende pour la société mère du groupe Castel s’est élevée à 4 millions d’euros !
En accord avec les nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations du 10 juillet 2013, l’Autorité s’est appuyée sur cinq circonstances pour caractériser la gravité du manquement du groupe Castel et le montant de la sanction.
Premièrement, elle a examiné le « caractère plus ou moins évident de la contrôlabilité de l’opération » : en l’espèce, l’Autorité a considéré que l’analyse juridique ne « soulevait aucune difficulté ». En effet, les chiffres d’affaires des sociétés étant clairement supérieurs aux seuils, l’obligation de notifier l’opération était clairement établie.
Deuxièmement, elle a porté son attention sur la « taille de l’entreprise et [ses] moyens, notamment juridiques » : une telle analyse de la situation économique du groupe Castel lui a permis de conclure à l’existence de moyens financiers permettant le recours à un conseil juridique adéquat.
Troisièmement, l’Autorité de la concurrence s’est intéressée au « fait que l’entreprise a spontanément porté l’absence de notification à l’attention de l’Autorité ou de l’éventuelle volonté de ses responsables de contourner l’obligation légale de notification » : en l’espèce, elle a plutôt relevé le caractère volontaire de l’omission de notification par les dirigeants du groupe Castel dans l’unique but d’accélérer le processus de cession. La lecture du protocole de cession et du protocole de réalisation de la cession lui a permis de s’apercevoir que les dirigeants étaient conscients de leur obligation de notification mais qu’ils ont choisi de ne pas en tenir compte. En outre l’opération a été portée à la connaissance de l’Autorité par un tiers et non pas dénoncée spontanément par le groupe comme ce fut le cas dans l’affaire Colruyt. L’information est arrivée aux oreilles de l’Autorité par le biais d’une autre procédure de contrôle d’une opération de cession, sans qu’il soit possible de déterminer si cela entrait dans le cadre d’une dénonciation volontaire ou d’un simple échange d’informations. À noter cependant que, malgré l’ensemble de ces circonstances aggravantes, l’Autorité de la concurrence a reconnu l’absence de preuve d’une volonté de fraude face aux effets anticoncurrentiels anticipés. Cette circonstance a joué en faveur du groupe Castel.
Quatrièmement, en ce qui concerne la « coopération apportée par l’entreprise au cours de la procédure », celle-ci a été retenue comme circonstance atténuante pour le groupe Castel. En effet, ce dernier a pleinement coopéré lors de la procédure de contrôle.
Enfin, l’Autorité a choisi de retenir en tant que circonstance aggravante l’expérience très récente en matière de contrôle des concentrations dont disposait le Groupe Castel, ayant effectué une notification auprès de la Commission en février 2011.
Ainsi, dans le cadre de sa décision concernant l’acquisition du groupe Patriarche par le groupe Castel, l’Autorité de la concurrence semble vouloir dissuader fortement les entreprises « d’oublier » de notifier leurs projets d’opération de concentration.
En effet, le chiffre d’affaire mondial du groupe Castel pour l’année 2011 s’élevait à environ 2,6 milliards d’euros. Dès lors, une amende de 4 millions d’euros représente un pourcentage d’environ 0,15% du chiffre d’affaire mondial (les sanctions précédentes n’avoisinaient qu’au plus 0,07% du chiffre d’affaire français des groupes condamnés) !
L’Autorité de la concurrence semble donc désormais s’attacher à sanctionner avec nettement plus de sévérité ce type d’infraction. Au cas particulier, la concordance d’éléments démontrant la parfaite connaissance de l’illégalité de la situation par le groupe Castel semble avoir pesé lourdement dans la balance au moment du choix du montant de la sanction.
[1] CE, 24 juin 2013, n°360949, Société Colruyt France et Établissement Fr. Colruyt
Autorité de la concurrence, décision n°13-D-22 du 20 décembre 2013 :
www.autoritedelaconcurrence.fr/user/avisdec.php?numero=13D22
La Revue est une publication Squire Sanders | Avocats Paris
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Dans le cadre d’un projet relevant de la compétence de l’Autorité de la concurrence française, la sanction pécuniaire infligée en cas de non-respect de cette obligation peut s’élever jusqu’à 5% du chiffre d’affaire réalisé en France pour les personnes morales, et 1,5 millions d’euros pour les personnes physiques (article L. 430-8 du Code de commerce). En outre, le Conseil d’État a considéré qu’un tel manquement à l’obligation de notification présente un caractère grave, et ce, quelle que soit l’importance des effets de l’opération sur le marché.[1]
Peu de décisions illustrent cette atteinte aux règles de procédure du droit de la concurrence et les montants des amendes infligées étaient jusqu’alors très proches et relativement faibles. À cet égard, la décision n°12-D-12 du 11 mai 2012 concernant le groupe de distribution belge Colruyt avait imposé une sanction de 392 000 euros à celui-ci. C’est-à-dire une amende représentant 0,05% du chiffre d’affaire en France du groupe. Plus récemment, la décision n°13-D-01 du 31 janvier 2013 concernant les sociétés Arpège et Réunica avait sanctionné cette dernière à hauteur de 400 000 euros (soit 0,07% environ de son chiffre d’affaire en France).
Le 20 décembre 2013, l’Autorité de la concurrence a pourtant choisi de passer à la vitesse supérieure : dans le cadre de sa décision n°13-D-22, l’amende pour la société mère du groupe Castel s’est élevée à 4 millions d’euros !
En accord avec les nouvelles lignes directrices relatives au contrôle des concentrations du 10 juillet 2013, l’Autorité s’est appuyée sur cinq circonstances pour caractériser la gravité du manquement du groupe Castel et le montant de la sanction.
Premièrement, elle a examiné le « caractère plus ou moins évident de la contrôlabilité de l’opération » : en l’espèce, l’Autorité a considéré que l’analyse juridique ne « soulevait aucune difficulté ». En effet, les chiffres d’affaires des sociétés étant clairement supérieurs aux seuils, l’obligation de notifier l’opération était clairement établie.
Deuxièmement, elle a porté son attention sur la « taille de l’entreprise et [ses] moyens, notamment juridiques » : une telle analyse de la situation économique du groupe Castel lui a permis de conclure à l’existence de moyens financiers permettant le recours à un conseil juridique adéquat.
Troisièmement, l’Autorité de la concurrence s’est intéressée au « fait que l’entreprise a spontanément porté l’absence de notification à l’attention de l’Autorité ou de l’éventuelle volonté de ses responsables de contourner l’obligation légale de notification » : en l’espèce, elle a plutôt relevé le caractère volontaire de l’omission de notification par les dirigeants du groupe Castel dans l’unique but d’accélérer le processus de cession. La lecture du protocole de cession et du protocole de réalisation de la cession lui a permis de s’apercevoir que les dirigeants étaient conscients de leur obligation de notification mais qu’ils ont choisi de ne pas en tenir compte. En outre l’opération a été portée à la connaissance de l’Autorité par un tiers et non pas dénoncée spontanément par le groupe comme ce fut le cas dans l’affaire Colruyt. L’information est arrivée aux oreilles de l’Autorité par le biais d’une autre procédure de contrôle d’une opération de cession, sans qu’il soit possible de déterminer si cela entrait dans le cadre d’une dénonciation volontaire ou d’un simple échange d’informations. À noter cependant que, malgré l’ensemble de ces circonstances aggravantes, l’Autorité de la concurrence a reconnu l’absence de preuve d’une volonté de fraude face aux effets anticoncurrentiels anticipés. Cette circonstance a joué en faveur du groupe Castel.
Quatrièmement, en ce qui concerne la « coopération apportée par l’entreprise au cours de la procédure », celle-ci a été retenue comme circonstance atténuante pour le groupe Castel. En effet, ce dernier a pleinement coopéré lors de la procédure de contrôle.
Enfin, l’Autorité a choisi de retenir en tant que circonstance aggravante l’expérience très récente en matière de contrôle des concentrations dont disposait le Groupe Castel, ayant effectué une notification auprès de la Commission en février 2011.
Ainsi, dans le cadre de sa décision concernant l’acquisition du groupe Patriarche par le groupe Castel, l’Autorité de la concurrence semble vouloir dissuader fortement les entreprises « d’oublier » de notifier leurs projets d’opération de concentration.
En effet, le chiffre d’affaire mondial du groupe Castel pour l’année 2011 s’élevait à environ 2,6 milliards d’euros. Dès lors, une amende de 4 millions d’euros représente un pourcentage d’environ 0,15% du chiffre d’affaire mondial (les sanctions précédentes n’avoisinaient qu’au plus 0,07% du chiffre d’affaire français des groupes condamnés) !
L’Autorité de la concurrence semble donc désormais s’attacher à sanctionner avec nettement plus de sévérité ce type d’infraction. Au cas particulier, la concordance d’éléments démontrant la parfaite connaissance de l’illégalité de la situation par le groupe Castel semble avoir pesé lourdement dans la balance au moment du choix du montant de la sanction.
[1] CE, 24 juin 2013, n°360949, Société Colruyt France et Établissement Fr. Colruyt
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