Ne nous berçons pas d'illusions : sujet polémique par excellence depuis leur création et remis dernièrement au goût du jour par MM. Macron, Valls et Badinter, les « 35 heures » ont et vont encore faire couler beaucoup d'encre. En effet, au-delà de ses aspects idéologiques et dogmatiques, cette loi théorisée par Dominique Strauss-Khan et mise en pratique par Martine Aubry pose une question essentielle : quel est son coût réel et, par là même, son impact historique sur notre compétitivité au niveau mondial ? La réponse est tout simplement mathématique : plus le volume d'heures travaillées (c'est-à-dire le nombre de personnes qui travaillent multiplié par le nombre d'heures travaillées) augmente, plus la richesse s'accroît. Et réciproquement. Au cours des trente dernières années, ce volume d'heures travaillées a augmenté d'environ 50 % aux États-Unis. Il a stagné dans la zone euro et baissé de 10 % en France. Cocorico : la France est l'un des seuls pays au monde où le volume d'heures travaillées a baissé durant cette période.
Ce résultat peu flatteur s'explique évidemment par un effet 35 heures, mais aussi par le taux d'emploi en France, c'est-à-dire le nombre de personnes qui travaillent par rapport au nombre de personnes en âge de travailler. Si ce taux atteint 73 % aux États-Unis, il n'est que de 63,9 % en France. Et ce pour deux raisons principales. D'une part, on finit ses études de plus en plus tard et, d'autre part, on quitte le marché du travail de plus en plus tôt, en raison notamment du système des préretraites, puis des départs volontaires anticipés. Pour autant, le système malthusien de réduction du chômage ne porte pas ses fruits : moins il y a de travail, moins il y a de revenus, moins il y a de croissance et donc moins il y a d'emplois. D'ailleurs, sur ces trente dernières années, de la même façon que l'écart entre le volume d'heures travaillées aux États-Unis et en France s'élève à 60 points, l'écart de croissance entre les deux pays atteint 50 points. L'écart de croissance s'explique donc presque intégralement par l'écart de volumes d'heures travaillées. Imaginer que travailler moins permettrait de faire progresser la croissance est bel et bien une erreur historique.
En instaurant et en maintenant coûte que coûte les 35 heures, peut-on continuer de l'ignorer ? Certes, il faut reconnaître que, dans certaines entreprises, les 35 heures fonctionnent relativement bien, surtout dans les grandes, notamment grâce à l'annualisation du temps de travail. Cela permet notamment d'ajuster le nombre d'heures travaillées par semaine à l'activité de l'entreprise, l'essentiel étant de se conformer au cadre légal des 35 heures par semaine sur l'ensemble de l'année. Dans ce cadre, on gagne en flexibilité et en productivité. D'ailleurs, la productivité dans le secteur privé est identique aux États-Unis et en France. En revanche, c'est très différent au niveau de la productivité totale.
En effet, la productivité correspond à un ratio entre la valeur ajoutée créée (c'est-à-dire le PIB) et l'emploi. Or, la part des dépenses publiques dans le PIB dépasse les 57 % en France, contre 49 % dans la zone euro et 37 % aux États-Unis. Autrement dit, comme plus de la moitié de notre PIB (c'est-à-dire la sphère publique) n'est pas soumis aux règles de la productivité, contre un gros tiers aux États-Unis, il est logique que la productivité totale soit moins flatteuse. En France, le secteur privé doit compenser la faible productivité du secteur public.
À ce sujet, à côté de la suppression du caractère obligatoire des 35 heures, une autre réforme devrait être menée sur la réduction des différences entre salariés du public et du privé. Car si la sécurité absolue de l'emploi des fonctionnaires était en théorie compensée par une moindre rémunération de ces derniers comparativement aux salariés du privé, que le chômage menace tout au long de leur carrière, ce calcul ne vaut plus aujourd'hui. En effet, les différences de salaires sont désormais très réduites, alors que les risques de licenciement des salariés du privé ont fortement augmenté. Dans ce cadre, il semble opportun de laisser les salariés choisir entre la garantie d'un emploi à vie et un meilleur salaire. Cela permettra non seulement de réduire les inégalités sur le marché du travail français, mais également d'améliorer la productivité globale. En outre, il existe deux moyens de faire progresser la productivité, c'est-à-dire le PIB rapporté à l'emploi. Le premier consiste à augmenter la richesse encore plus que l'emploi. C'est le cas idéal. Le second consiste à maintenir le PIB et à baisser l'emploi. La productivité augmentera aussi, mais elle ne sera pas une « bonne » productivité. C'est malheureusement ce qui s'observe souvent dans l'Hexagone.
Autrement dit, si les 35 heures avaient été accompagnées d'une forte baisse du chômage et d'importantes créations d'emplois, leurs effets négatifs auraient pu être dilués. Or tel n'a pas été le cas, pour la simple raison que les 35 heures ont augmenté le coût du travail et réduit par là même l'appétence pour la création d'emplois. Le vrai problème des 35 heures réside dans son caractère rigide et autoritaire. À la rigueur, si une entreprise réussit à utiliser les 35 heures pour annualiser le temps de travail et augmenter les gains de productivité, pourquoi pas ? En revanche, pour de très nombreuses entreprises et en particulier les PME, elles ne sont pas applicables sans dommages collatéraux sur la rentabilité et in fine sur l'emploi.
Enfin, les 35 heures ont des effets négatifs sur de nombreux salariés, qui doivent augmenter leur productivité, sans accroissement de leurs salaires nets. Pour être plus juste, il faudrait leur donner le choix à tous, en accord avec leur direction : travailler plus de 35 heures et gagner davantage, ou garder les 35 heures mais être payé en conséquence. Il ne s'agit pas là d'ultra-libéralisme, mais simplement de bon sens économique.
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Ce résultat peu flatteur s'explique évidemment par un effet 35 heures, mais aussi par le taux d'emploi en France, c'est-à-dire le nombre de personnes qui travaillent par rapport au nombre de personnes en âge de travailler. Si ce taux atteint 73 % aux États-Unis, il n'est que de 63,9 % en France. Et ce pour deux raisons principales. D'une part, on finit ses études de plus en plus tard et, d'autre part, on quitte le marché du travail de plus en plus tôt, en raison notamment du système des préretraites, puis des départs volontaires anticipés. Pour autant, le système malthusien de réduction du chômage ne porte pas ses fruits : moins il y a de travail, moins il y a de revenus, moins il y a de croissance et donc moins il y a d'emplois. D'ailleurs, sur ces trente dernières années, de la même façon que l'écart entre le volume d'heures travaillées aux États-Unis et en France s'élève à 60 points, l'écart de croissance entre les deux pays atteint 50 points. L'écart de croissance s'explique donc presque intégralement par l'écart de volumes d'heures travaillées. Imaginer que travailler moins permettrait de faire progresser la croissance est bel et bien une erreur historique.
En instaurant et en maintenant coûte que coûte les 35 heures, peut-on continuer de l'ignorer ? Certes, il faut reconnaître que, dans certaines entreprises, les 35 heures fonctionnent relativement bien, surtout dans les grandes, notamment grâce à l'annualisation du temps de travail. Cela permet notamment d'ajuster le nombre d'heures travaillées par semaine à l'activité de l'entreprise, l'essentiel étant de se conformer au cadre légal des 35 heures par semaine sur l'ensemble de l'année. Dans ce cadre, on gagne en flexibilité et en productivité. D'ailleurs, la productivité dans le secteur privé est identique aux États-Unis et en France. En revanche, c'est très différent au niveau de la productivité totale.
En effet, la productivité correspond à un ratio entre la valeur ajoutée créée (c'est-à-dire le PIB) et l'emploi. Or, la part des dépenses publiques dans le PIB dépasse les 57 % en France, contre 49 % dans la zone euro et 37 % aux États-Unis. Autrement dit, comme plus de la moitié de notre PIB (c'est-à-dire la sphère publique) n'est pas soumis aux règles de la productivité, contre un gros tiers aux États-Unis, il est logique que la productivité totale soit moins flatteuse. En France, le secteur privé doit compenser la faible productivité du secteur public.
À ce sujet, à côté de la suppression du caractère obligatoire des 35 heures, une autre réforme devrait être menée sur la réduction des différences entre salariés du public et du privé. Car si la sécurité absolue de l'emploi des fonctionnaires était en théorie compensée par une moindre rémunération de ces derniers comparativement aux salariés du privé, que le chômage menace tout au long de leur carrière, ce calcul ne vaut plus aujourd'hui. En effet, les différences de salaires sont désormais très réduites, alors que les risques de licenciement des salariés du privé ont fortement augmenté. Dans ce cadre, il semble opportun de laisser les salariés choisir entre la garantie d'un emploi à vie et un meilleur salaire. Cela permettra non seulement de réduire les inégalités sur le marché du travail français, mais également d'améliorer la productivité globale. En outre, il existe deux moyens de faire progresser la productivité, c'est-à-dire le PIB rapporté à l'emploi. Le premier consiste à augmenter la richesse encore plus que l'emploi. C'est le cas idéal. Le second consiste à maintenir le PIB et à baisser l'emploi. La productivité augmentera aussi, mais elle ne sera pas une « bonne » productivité. C'est malheureusement ce qui s'observe souvent dans l'Hexagone.
Autrement dit, si les 35 heures avaient été accompagnées d'une forte baisse du chômage et d'importantes créations d'emplois, leurs effets négatifs auraient pu être dilués. Or tel n'a pas été le cas, pour la simple raison que les 35 heures ont augmenté le coût du travail et réduit par là même l'appétence pour la création d'emplois. Le vrai problème des 35 heures réside dans son caractère rigide et autoritaire. À la rigueur, si une entreprise réussit à utiliser les 35 heures pour annualiser le temps de travail et augmenter les gains de productivité, pourquoi pas ? En revanche, pour de très nombreuses entreprises et en particulier les PME, elles ne sont pas applicables sans dommages collatéraux sur la rentabilité et in fine sur l'emploi.
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