Marc Touati
En effet, comme nous l'annonçons régulièrement dans nos publications, cela fait une dizaine d'années que la France ne mérite plus son triple A. Du moins selon une lecture stricte des critères de notation. Seulement voilà, grâce à son Histoire, à son rôle géostratégique international, à son appartenance à la zone euro et à un lobbying exceptionnel, la France a continué de bénéficier de la meilleure note. Ce traitement de faveur a d'ailleurs certainement constitué un cadeau empoisonné. Car, en se maintenant sur les « cimes de la notation », la France n'a pas engagé les réformes nécessaires et a persisté dans sa stratégie inefficace d'augmentation des dépenses publiques.
Certes, les gouvernements français ont régulièrement fait preuve d'ingéniosité pour montrer « patte blanche ». Ainsi, en 2003, alors que les menaces des Moody's et autres agences de rating commençaient à devenir dangereuses, la France se décida enfin à engager une réforme de son système de retraite. Celle-ci était loin de régler la situation de déficit chronique, mais, grâce à des effets d'annonce conséquents, l'Hexagone a réussi à préserver sa notation. Sept ans plus tard, devant les carences de cette réformette, la même épée de Damoclès revenait menacer la stabilité économique française. Les mêmes recettes produisirent alors les mêmes effets : une réformette, des hypothèses de croissance intenables, mais des efforts marketing exceptionnels qui ont permis à la France de passer encore son test de notation sans trop de difficultés. Il faut dire que, pour y parvenir, et sur les conseils des agences de notation et de certaines grandes banques (américaines notamment), le gouvernement a remballé son grand emprunt de 100 milliards d'euros, se contentant d'une enveloppe d'un peu plus de 20 milliards d'euros.
Malheureusement, au-delà de ces artifices, les structures et les faiblesses de l'économie française ont perduré. Bien plus grave, la dégradation s'est accélérée. Ainsi, le poids des dépenses publiques a continué de flamber, pour avoisiner désormais les 57 % du PIB, un niveau historiquement élevé et l'un des plus importants du monde occidental. Dans le même temps, la dette publique a également explosé pour approcher les 90 % du PIB. Last but not least, en dépit de cette gabegie de dépenses et du dérapage de la dette, la croissance structurelle française n'a cessé de baisser, pour se situer actuellement entre 1,2 % et 1,5 %.
Pis, depuis désormais quatre ans, la croissance française en valeur est inférieure à la charge annuelle des intérêts de la dette publique. Cela signifie que, même si toute cette croissance était mobilisée pour rembourser la charge d'intérêts, l'Etat devrait encore s'endetter. A l'instar de la Grèce et de tous les autres pays de la zone euro (à l'exception de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg), la France est donc entrée dans la bulle de la dette publique. Malheureusement, compte tenu de l'augmentation des taux directeurs de la BCE dès le printemps 2011, de l'appréciation destructrice de l'euro/dollar et de la crise financière de cet été, l'économie française s'est engagée dans une nouvelle phase de ralentissement, qui pourrait même dégénérer en récession. Dans ce cadre, il est clair que la bulle de la dette publique n'est pas près de se dégonfler. Et ce, d'autant qu'avec l'avertissement de Moody's, les taux d'intérêt que paie l'Etat français vont augmenter significativement, accroissant par là même la charge de la dette. Le cercle pernicieux « croissance molle/dette publique en hausse/taux d'intérêt élevés/croissance molle » est donc déjà en marche.
Face à ce triste constat, qui ne fait finalement que refléter dix ans d'erreurs de politiques économiques et monétaires, l'avertissement de Moody's ne fait donc que préparer l'opinion publique française à l'inévitable : la note de la France sera dégradée en 2012. La question est simplement de savoir pourquoi Moody's jette un pavé dans la marre aujourd'hui, à six mois des prochaines élections présidentielles hexagonales. En d'autres termes, les agences de notation s'ingèrent dans la campagne, avec une interrogation : à qui profitera le crime ? La réponse est loin d'être certaine. Car si la France perd son triple A avant les élections, cela sera perçu comme un grave échec des gouvernants actuels. D'un autre côté, si un tel scénario se produit alors que les dirigeants du pays avaient affiché une volonté (certes non suivie d'effets) de réduire les dépenses publiques, que va-t-il nous arriver avec des gouvernants qui annoncent clairement qu'ils souhaitent encore augmenter ces dépenses ?
Face à cette ingérence lourde de conséquences, certains ne manqueront évidemment pas de crier à la manipulation et de demander la mise sous tutelle voire la fermeture pure et simple des agences de notation. Ils sont bien entendu dans le faux. Tout d'abord, parce que même si ces dernières pèchent par manque de transparence, elles demeurent une des rares institutions relativement indépendantes. Ensuite, parce que si ces agences ont autant de poids aujourd'hui c'est surtout parce que les pays eurolandais, et notamment la France, n'ont pas respecté leurs engagements de réduction des dépenses et des déficits publics. Dès lors, les Etats ont eu de plus en plus recours aux marchés et sont donc devenus dangereusement dépendants de ces derniers et par conséquent des agences de notation. Même si cela s'observe régulièrement, il n'est pas correct de vouloir brûler ce que l'on a adoré précédemment… En outre, il faut savoir que, jusqu'à présent, les agences de notation ont plutôt été conciliantes à l'égard des Etats eurolandais et en particulier français. Autrement dit, si l'on devait adopter une lecture très stricte des critères de notation, il est clair que la dégradation de la note française dans les prochains mois sera massive.
Enfin, ne nous trompons pas de cible : ce n'est pas de la faute des agences de rating si les gouvernements français et eurolandais ont constamment dévié de leurs engagements. En d'autres termes, si l'on veut que la France garde son rang, il suffit que ses dirigeants retrouvent une crédibilité à toute épreuve. Il n'est pas possible de mentir indéfiniment, ni de faire des promesses qui ne seront jamais respectées. Au-delà des craintes relatives à la dette publique, c'est certainement là que résidera l'enjeu principal des prochaines élections présidentielles.
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Certes, les gouvernements français ont régulièrement fait preuve d'ingéniosité pour montrer « patte blanche ». Ainsi, en 2003, alors que les menaces des Moody's et autres agences de rating commençaient à devenir dangereuses, la France se décida enfin à engager une réforme de son système de retraite. Celle-ci était loin de régler la situation de déficit chronique, mais, grâce à des effets d'annonce conséquents, l'Hexagone a réussi à préserver sa notation. Sept ans plus tard, devant les carences de cette réformette, la même épée de Damoclès revenait menacer la stabilité économique française. Les mêmes recettes produisirent alors les mêmes effets : une réformette, des hypothèses de croissance intenables, mais des efforts marketing exceptionnels qui ont permis à la France de passer encore son test de notation sans trop de difficultés. Il faut dire que, pour y parvenir, et sur les conseils des agences de notation et de certaines grandes banques (américaines notamment), le gouvernement a remballé son grand emprunt de 100 milliards d'euros, se contentant d'une enveloppe d'un peu plus de 20 milliards d'euros.
Malheureusement, au-delà de ces artifices, les structures et les faiblesses de l'économie française ont perduré. Bien plus grave, la dégradation s'est accélérée. Ainsi, le poids des dépenses publiques a continué de flamber, pour avoisiner désormais les 57 % du PIB, un niveau historiquement élevé et l'un des plus importants du monde occidental. Dans le même temps, la dette publique a également explosé pour approcher les 90 % du PIB. Last but not least, en dépit de cette gabegie de dépenses et du dérapage de la dette, la croissance structurelle française n'a cessé de baisser, pour se situer actuellement entre 1,2 % et 1,5 %.
Pis, depuis désormais quatre ans, la croissance française en valeur est inférieure à la charge annuelle des intérêts de la dette publique. Cela signifie que, même si toute cette croissance était mobilisée pour rembourser la charge d'intérêts, l'Etat devrait encore s'endetter. A l'instar de la Grèce et de tous les autres pays de la zone euro (à l'exception de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg), la France est donc entrée dans la bulle de la dette publique. Malheureusement, compte tenu de l'augmentation des taux directeurs de la BCE dès le printemps 2011, de l'appréciation destructrice de l'euro/dollar et de la crise financière de cet été, l'économie française s'est engagée dans une nouvelle phase de ralentissement, qui pourrait même dégénérer en récession. Dans ce cadre, il est clair que la bulle de la dette publique n'est pas près de se dégonfler. Et ce, d'autant qu'avec l'avertissement de Moody's, les taux d'intérêt que paie l'Etat français vont augmenter significativement, accroissant par là même la charge de la dette. Le cercle pernicieux « croissance molle/dette publique en hausse/taux d'intérêt élevés/croissance molle » est donc déjà en marche.
Face à ce triste constat, qui ne fait finalement que refléter dix ans d'erreurs de politiques économiques et monétaires, l'avertissement de Moody's ne fait donc que préparer l'opinion publique française à l'inévitable : la note de la France sera dégradée en 2012. La question est simplement de savoir pourquoi Moody's jette un pavé dans la marre aujourd'hui, à six mois des prochaines élections présidentielles hexagonales. En d'autres termes, les agences de notation s'ingèrent dans la campagne, avec une interrogation : à qui profitera le crime ? La réponse est loin d'être certaine. Car si la France perd son triple A avant les élections, cela sera perçu comme un grave échec des gouvernants actuels. D'un autre côté, si un tel scénario se produit alors que les dirigeants du pays avaient affiché une volonté (certes non suivie d'effets) de réduire les dépenses publiques, que va-t-il nous arriver avec des gouvernants qui annoncent clairement qu'ils souhaitent encore augmenter ces dépenses ?
Face à cette ingérence lourde de conséquences, certains ne manqueront évidemment pas de crier à la manipulation et de demander la mise sous tutelle voire la fermeture pure et simple des agences de notation. Ils sont bien entendu dans le faux. Tout d'abord, parce que même si ces dernières pèchent par manque de transparence, elles demeurent une des rares institutions relativement indépendantes. Ensuite, parce que si ces agences ont autant de poids aujourd'hui c'est surtout parce que les pays eurolandais, et notamment la France, n'ont pas respecté leurs engagements de réduction des dépenses et des déficits publics. Dès lors, les Etats ont eu de plus en plus recours aux marchés et sont donc devenus dangereusement dépendants de ces derniers et par conséquent des agences de notation. Même si cela s'observe régulièrement, il n'est pas correct de vouloir brûler ce que l'on a adoré précédemment… En outre, il faut savoir que, jusqu'à présent, les agences de notation ont plutôt été conciliantes à l'égard des Etats eurolandais et en particulier français. Autrement dit, si l'on devait adopter une lecture très stricte des critères de notation, il est clair que la dégradation de la note française dans les prochains mois sera massive.
Enfin, ne nous trompons pas de cible : ce n'est pas de la faute des agences de rating si les gouvernements français et eurolandais ont constamment dévié de leurs engagements. En d'autres termes, si l'on veut que la France garde son rang, il suffit que ses dirigeants retrouvent une crédibilité à toute épreuve. Il n'est pas possible de mentir indéfiniment, ni de faire des promesses qui ne seront jamais respectées. Au-delà des craintes relatives à la dette publique, c'est certainement là que résidera l'enjeu principal des prochaines élections présidentielles.
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com