Anthony Benhamou
Le QE : top départ !
Il n’y avait à priori aucune raison pour que la réunion de politique monétaire du 05 mars dernier qui se tenait à Nicosie, ne s’avère aussi passionnante que celle du 22 janvier. Car de fait, aucune surprise n’était véritablement attendue et la BCE ne devait se livrer qu’à des figures imposées. Deux en particulier. Tout d’abord, la communication autour d’un certain nombre de détails techniques portant sur le lancement à venir de son plan de rachats d’actifs, le désormais célèbre quantitative easing. Le mode d’emploi en somme.
« Nous commencerons le 09 mars 2015 à acheter des titres du secteur public libellés en euros sur le marché secondaire. Nous continuerons aussi d’acheter des titres adossés à des actifs et des obligations sécurisées » a ainsi indiqué Mario Draghi. Le ton était donné. Mais hélas, le président de la BCE n’est pas allé plus loin et a fait savoir qu’environ une heure après son allocution, un communiqué de presse détaillant l’ensemble des modalités du QE allait être publié. Pour les questions, il faudra donc patienter jusqu’au 15 avril, date de la prochaine réunion.
Rédigé d’une façon assez formelle, ce communiqué nous renseigne sur plusieurs points, même si la BCE s’autorise à ajuster certaines pratiques au fur et à mesure que les rachats progresseront. L’on se voit ainsi confirmer que les rachats de titres du secteur public dans le cadre du PSPP (Public Sector Purchase Programme) s’effectueront de manière centralisée et décentralisée (l’essentiel étant assuré par les BNC) pour un montant de 60 milliards d’euros par mois et dureront au moins jusqu’en septembre 2016. Au moins ? Oui, en cas de non atteinte de l’objectif d’inflation et/ou de décrochage des anticipations, ils pourront être prolongés.
Au final, ce sont au minimum 1 140 milliards d’euros de liquidités qui seront déversés sur les marchés, un montant considérable pour une période relativement courte qui renforce la crédibilité du banquier central : n’oublions pas en effet que le 02 octobre 2014 dans le cadre de sa forward guidance, Mario Draghi avait fait part aux investisseurs de son intention ferme d’accroître la taille du bilan de la BCE pour qu’il renoue avec son niveau de mars 2012 (soit implicitement une variation cible de 1 000 milliards d’euros).
Par ailleurs, pour ne pas entraver la libre fixation des prix sur les marchés (qui repose en théorie sur la loi de l’offre et de la demande), l’Institution monétaire de Francfort s’est engagée à ne pas racheter plus d’un tiers du total des titres émis par un Etat et ne devra pas détenir plus de 25% des titres pour chacune des émissions. Le programme portera sur des maturités allant de deux à trente ans, ce qui implique que les rachats pourront englober des emprunts d’Etats à rendement négatif. Toutefois, pour limiter le risque de pertes éventuelles, ce rendement devra être « supérieur au taux de la facilité de dépôt » qui s’établit actuellement à -0,20%.
Enfin, si certaines BCN ne parvenaient pas à atteindre leur objectif de rachats (calculé en fonction de la clé de répartition au capital de la BCE) en raison d’une faiblesse de titres disponibles sur le marché, des « achats de substitutions ont été prévus », notamment des titres d’agences nationales et supranationales. Mis à part ce dernier point, peu de surprises donc. Mais qu’importe puisque pour une fois, les attentes des investisseurs s’avéraient faibles relativement aux précédentes réunions.
Des bonnes nouvelles en cascade
Deuxième figure imposée lors de l’allocution du banquier central, l’actualisation des prévisions du staff de la BCE. Là aussi, sur le papier l’exercice promettait d’être assez consensuel. Et pourtant l’on a été agréablement surpris. En effet, en dépit d’un contexte assez tendu, maqué notamment par la forte présence de journalistes chypriotes et grecs relativement critiques vis-à-vis de l’Institution monétaire, Mario Draghi s’est montré d’un enthousiasme inhabituel. Et pour cause, les perspectives économiques de moyen terme ont été considérablement révisées à la hausse, non seulement pour la croissance, mais surtout pour l’inflation.
Pour ce qui est de l’activité, les économistes de la BCE tablent ainsi désormais sur un taux de croissance de 1,5% en zone euro pour l’exercice 2015 contre une prévision initiale de 1,0% en décembre dernier. Par ailleurs, en 2016 la croissance devrait accélérer pour atteindre 1,9% (contre 1,5% lors de la précédente estimation), un plus haut depuis 2010. Enfin, pour la première fois, la BCE a communiqué ses prévisions pour 2017 : une fois encore, l’optimisme est au rendez-vous puisque le taux de croissance annuel de la zone euro devrait passer au dessus de 2,0% (à 2,1%), un rythme tout bonnement inédit depuis 2007.
Sur le front de l’inflation, alors que la prévision de 2015 est logiquement revue à la baisse (0,0% contre 0,7% en première estimation), les données pour 2016 et 2017 ont en revanche de quoi surprendre. Tablant sur des anticipations de marché d’un cours moyen annuel du baril de pétrole à 59 dollars en 2015, à 67 dollars en 2016 et à 71 dollars en 2017, la BCE prévoit en effet un rebond de l’inflation annuelle moyenne en zone euro pour 2016 à 1,5% (contre 1,3% lors de la précédente estimation) et surtout à 1,8% en 2017, soit le chiffre parfait puisque « proche mais en dessous des 2,0% ». Ce scénario très (trop ?) optimiste à moyen terme s’explique principalement par l’anticipation d’une prolongation des bonnes nouvelles économiques, monétaires et financières actuelles, grâce à la mise en œuvre « intégrale » du QE.
Car il est impossible d’ignorer qu’à court terme, de nombreuses choses s’améliorent. A titre d’illustration, en février, bien que le taux d’inflation annuel de la zone euro demeure négatif pour le troisième mois consécutif (-0,3%), il s’est inscrit en légère baisse par rapport au mois de janvier (-0,6%). Mieux, il devrait d’ici le début du deuxième semestre repasser en territoire positif via des effets de base sur les prix du pétrole.
Même son de cloche pour l’activité. Après avoir enregistré une croissance trimestrielle de 0,3% au dernier trimestre 2014, la zone euro devrait monter en régime au premier trimestre si l’on en croit les indicateurs avancés. Ainsi, le PMI composite de la zone euro publié par la société Markit, est ressorti à 53,3 points en février (après déjà 52,6 en janvier), tandis que l’indice Sentix, qui mesure la confiance des investisseurs, a atteint en mars 18,6 points soit un pic depuis août 2007.
Enfin, Mario Draghi s’est félicité des effets positifs que le QE a produit avant même son entrée en vigueur. En ce qui concerne le canal du taux de change, la monnaie unique n’a cessé en effet de se déprécier au cours des derniers mois : en moyenne, l’euro s’échangeait contre 1,23 dollars en décembre, contre 1,16 dollars en janvier, contre 1,13 dollars en février. Récemment en outre, la devise européenne est passée sous la barre symbolique des 1,10 dollars et oscille désormais autour de 1,06 dollars
Le canal des taux souverains n’a en outre pas été en reste. Sur les maturités cinq ans par exemple, l’Allemagne emprunte actuellement à des taux négatifs tandis qu’en France les taux s’établissent autour de 0,0%. Sur les maturités à dix ans, à l’exception de la Grèce, les rendements des obligations de nombreux Etats sont à des niveaux historiquement bas : l’Espagne, l’Italie et même le Portugal parviennent par exemple à se financer aujourd’hui à un coût moindre que celui qui prévaut aux Etats-Unis. Incroyable !
L’on a ainsi logiquement assisté à une modification de la composition des portefeuilles des investisseurs. Face à la baisse des rendements des obligations souveraines, ces derniers se livrent depuis le début de l’année à de véritables rallyes sur les marchés actions et les indices atteignent actuellement des niveaux records.
L’efficacité du QE n’est pourtant pas encore acquise
Un mouvement de « buy the rumours and sell the facts » s’est donc progressivement mis en place depuis le mois de janvier, permettant en définitive de modifier en profondeur les anticipations et les comportements des agents économiques. Un véritable modèle d’effet d’annonce. Ne reste désormais plus qu’à transformer l’essai : c’est là que le bât pourrait blesser. Car la surréaction des investisseurs à l’annonce du QE a non seulement fait oublier l’ensemble des risques qui continuent de graviter autour de la zone euro (le cas grec n’est toujours pas réglé et l’inflation des sanctions occidentales vis-à-vis de la Russie pourrait encore peser sur l’activité), puis, surtout, a plongé le monde dans une nouvelle ère déconcertante où toutes les règles de base du fonctionnement de l’économie semblent inversées.
Tout d’abord sur la devise européenne. Celle-ci ne cesse de se déprécier et semble même se diriger vers la parité avec le dollar. Bien évidemment l’effet est recherché. Mais tout de même, il convient de rester prudent face au syndrome du thermomètre : si passer d’un état de fièvre à une température de 37,5 degré Celsius est une bonne chose, passer d’un état de fièvre à une température de 35,0 degré Celsius en est une autre. Ainsi, une dépréciation trop rapide et trop forte du niveau de l’euro ne semble plus correspondre à une normalisation du taux de change et pourrait dès lors s’accompagner de l’apparition de certains dangers.
Les entreprises européennes risqueraient par exemple de devenir des proies faciles pour les firmes internationales, tandis que les consommateurs de la zone euro pourraient subir une hausse des prix des biens et services importés (notamment le pétrole, annulant de fait les effets positifs de la baisse des cours du baril). En outre, cela pourrait changer la donne monétaire mondiale et déclencher une concurrence quasi malsaine entre banques centrales. Pour défendre la stabilité de leur devise nationale, ces dernières seraient en effet incitées à mener des politiques ultra expansionnistes pouvant alors déboucher sur des situations économiquement aberrantes, à l’instar de taux directeurs négatifs, susceptibles de brouiller l’information initiale contenue dans le système de prix.
Puis sur les taux souverains. Ceux-ci ne cessent également de diminuer au point d’ailleurs que la corrélation entre risque et rendement est de moins en moins évidente et tend même à disparaître. C’est par exemple clairement le cas pour les obligations espagnoles et italiennes dont les taux à dix ans s’établissent actuellement à 1,20%. Idem pour les obligations portugaises avec un taux à dix ans à 1,70%. Une anomalie qui touche aussi d’une certaine manière les taux obligataires français dont les niveaux sont historiquement bas en dépit du manque criant de réformes structurelles.
Là aussi, l’effet est bel et bien désiré. Mais jusqu’où les rendements diminueront-ils ? Car qu’on se le dise, en favorisant une pénurie de rendements sur les obligations souveraines, certes la BCE favorise une réallocation des portefeuilles, mais elle alimente dans le même temps une bulle spéculative qui par définition ne pourra gonfler ad vitam aeternam. Aussi, lorsque la Fed procédera à une remontée de ses taux en septembre, il est probable qu’un mouvement de correction des taux plus ou moins brutal intervienne, menaçant de fait la stabilité économique et financière de nombreux Etats de la zone euro. Et si ce n’est pas en septembre, alors ce sera au premier trimestre 2016 avec le relèvement des taux par la BoE. Qu’importe en réalité la date précise, la correction finira par se produire.
Le QE vient donc à peine d’être lancé et pourtant déjà, l’on se pose un certain nombre de questions. A croire d’ailleurs que sa seule annonce aurait en fait peut-être suffi. Inutile néanmoins de noircir totalement le tableau : le volontarisme monétaire de Mario Draghi aura sans doute des effets bénéfiques. Mais en parallèle, il créera des situations d’aléa moral (déresponsabilisation des politiques économiques nationales dans le cadre de la mise en œuvre de réformes) et participera à modifier en profondeur le système des justes prix. Or, il faudra bien un jour que la fête se termine. Il faudra bien un jour retirer the punch bowl. Attention donc aux lendemains de gueule de bois…
Achevé de rédiger le 11 mars 2015.
Anthony Benhamou
Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.
Il n’y avait à priori aucune raison pour que la réunion de politique monétaire du 05 mars dernier qui se tenait à Nicosie, ne s’avère aussi passionnante que celle du 22 janvier. Car de fait, aucune surprise n’était véritablement attendue et la BCE ne devait se livrer qu’à des figures imposées. Deux en particulier. Tout d’abord, la communication autour d’un certain nombre de détails techniques portant sur le lancement à venir de son plan de rachats d’actifs, le désormais célèbre quantitative easing. Le mode d’emploi en somme.
« Nous commencerons le 09 mars 2015 à acheter des titres du secteur public libellés en euros sur le marché secondaire. Nous continuerons aussi d’acheter des titres adossés à des actifs et des obligations sécurisées » a ainsi indiqué Mario Draghi. Le ton était donné. Mais hélas, le président de la BCE n’est pas allé plus loin et a fait savoir qu’environ une heure après son allocution, un communiqué de presse détaillant l’ensemble des modalités du QE allait être publié. Pour les questions, il faudra donc patienter jusqu’au 15 avril, date de la prochaine réunion.
Rédigé d’une façon assez formelle, ce communiqué nous renseigne sur plusieurs points, même si la BCE s’autorise à ajuster certaines pratiques au fur et à mesure que les rachats progresseront. L’on se voit ainsi confirmer que les rachats de titres du secteur public dans le cadre du PSPP (Public Sector Purchase Programme) s’effectueront de manière centralisée et décentralisée (l’essentiel étant assuré par les BNC) pour un montant de 60 milliards d’euros par mois et dureront au moins jusqu’en septembre 2016. Au moins ? Oui, en cas de non atteinte de l’objectif d’inflation et/ou de décrochage des anticipations, ils pourront être prolongés.
Au final, ce sont au minimum 1 140 milliards d’euros de liquidités qui seront déversés sur les marchés, un montant considérable pour une période relativement courte qui renforce la crédibilité du banquier central : n’oublions pas en effet que le 02 octobre 2014 dans le cadre de sa forward guidance, Mario Draghi avait fait part aux investisseurs de son intention ferme d’accroître la taille du bilan de la BCE pour qu’il renoue avec son niveau de mars 2012 (soit implicitement une variation cible de 1 000 milliards d’euros).
Par ailleurs, pour ne pas entraver la libre fixation des prix sur les marchés (qui repose en théorie sur la loi de l’offre et de la demande), l’Institution monétaire de Francfort s’est engagée à ne pas racheter plus d’un tiers du total des titres émis par un Etat et ne devra pas détenir plus de 25% des titres pour chacune des émissions. Le programme portera sur des maturités allant de deux à trente ans, ce qui implique que les rachats pourront englober des emprunts d’Etats à rendement négatif. Toutefois, pour limiter le risque de pertes éventuelles, ce rendement devra être « supérieur au taux de la facilité de dépôt » qui s’établit actuellement à -0,20%.
Enfin, si certaines BCN ne parvenaient pas à atteindre leur objectif de rachats (calculé en fonction de la clé de répartition au capital de la BCE) en raison d’une faiblesse de titres disponibles sur le marché, des « achats de substitutions ont été prévus », notamment des titres d’agences nationales et supranationales. Mis à part ce dernier point, peu de surprises donc. Mais qu’importe puisque pour une fois, les attentes des investisseurs s’avéraient faibles relativement aux précédentes réunions.
Des bonnes nouvelles en cascade
Deuxième figure imposée lors de l’allocution du banquier central, l’actualisation des prévisions du staff de la BCE. Là aussi, sur le papier l’exercice promettait d’être assez consensuel. Et pourtant l’on a été agréablement surpris. En effet, en dépit d’un contexte assez tendu, maqué notamment par la forte présence de journalistes chypriotes et grecs relativement critiques vis-à-vis de l’Institution monétaire, Mario Draghi s’est montré d’un enthousiasme inhabituel. Et pour cause, les perspectives économiques de moyen terme ont été considérablement révisées à la hausse, non seulement pour la croissance, mais surtout pour l’inflation.
Pour ce qui est de l’activité, les économistes de la BCE tablent ainsi désormais sur un taux de croissance de 1,5% en zone euro pour l’exercice 2015 contre une prévision initiale de 1,0% en décembre dernier. Par ailleurs, en 2016 la croissance devrait accélérer pour atteindre 1,9% (contre 1,5% lors de la précédente estimation), un plus haut depuis 2010. Enfin, pour la première fois, la BCE a communiqué ses prévisions pour 2017 : une fois encore, l’optimisme est au rendez-vous puisque le taux de croissance annuel de la zone euro devrait passer au dessus de 2,0% (à 2,1%), un rythme tout bonnement inédit depuis 2007.
Sur le front de l’inflation, alors que la prévision de 2015 est logiquement revue à la baisse (0,0% contre 0,7% en première estimation), les données pour 2016 et 2017 ont en revanche de quoi surprendre. Tablant sur des anticipations de marché d’un cours moyen annuel du baril de pétrole à 59 dollars en 2015, à 67 dollars en 2016 et à 71 dollars en 2017, la BCE prévoit en effet un rebond de l’inflation annuelle moyenne en zone euro pour 2016 à 1,5% (contre 1,3% lors de la précédente estimation) et surtout à 1,8% en 2017, soit le chiffre parfait puisque « proche mais en dessous des 2,0% ». Ce scénario très (trop ?) optimiste à moyen terme s’explique principalement par l’anticipation d’une prolongation des bonnes nouvelles économiques, monétaires et financières actuelles, grâce à la mise en œuvre « intégrale » du QE.
Car il est impossible d’ignorer qu’à court terme, de nombreuses choses s’améliorent. A titre d’illustration, en février, bien que le taux d’inflation annuel de la zone euro demeure négatif pour le troisième mois consécutif (-0,3%), il s’est inscrit en légère baisse par rapport au mois de janvier (-0,6%). Mieux, il devrait d’ici le début du deuxième semestre repasser en territoire positif via des effets de base sur les prix du pétrole.
Même son de cloche pour l’activité. Après avoir enregistré une croissance trimestrielle de 0,3% au dernier trimestre 2014, la zone euro devrait monter en régime au premier trimestre si l’on en croit les indicateurs avancés. Ainsi, le PMI composite de la zone euro publié par la société Markit, est ressorti à 53,3 points en février (après déjà 52,6 en janvier), tandis que l’indice Sentix, qui mesure la confiance des investisseurs, a atteint en mars 18,6 points soit un pic depuis août 2007.
Enfin, Mario Draghi s’est félicité des effets positifs que le QE a produit avant même son entrée en vigueur. En ce qui concerne le canal du taux de change, la monnaie unique n’a cessé en effet de se déprécier au cours des derniers mois : en moyenne, l’euro s’échangeait contre 1,23 dollars en décembre, contre 1,16 dollars en janvier, contre 1,13 dollars en février. Récemment en outre, la devise européenne est passée sous la barre symbolique des 1,10 dollars et oscille désormais autour de 1,06 dollars
Le canal des taux souverains n’a en outre pas été en reste. Sur les maturités cinq ans par exemple, l’Allemagne emprunte actuellement à des taux négatifs tandis qu’en France les taux s’établissent autour de 0,0%. Sur les maturités à dix ans, à l’exception de la Grèce, les rendements des obligations de nombreux Etats sont à des niveaux historiquement bas : l’Espagne, l’Italie et même le Portugal parviennent par exemple à se financer aujourd’hui à un coût moindre que celui qui prévaut aux Etats-Unis. Incroyable !
L’on a ainsi logiquement assisté à une modification de la composition des portefeuilles des investisseurs. Face à la baisse des rendements des obligations souveraines, ces derniers se livrent depuis le début de l’année à de véritables rallyes sur les marchés actions et les indices atteignent actuellement des niveaux records.
L’efficacité du QE n’est pourtant pas encore acquise
Un mouvement de « buy the rumours and sell the facts » s’est donc progressivement mis en place depuis le mois de janvier, permettant en définitive de modifier en profondeur les anticipations et les comportements des agents économiques. Un véritable modèle d’effet d’annonce. Ne reste désormais plus qu’à transformer l’essai : c’est là que le bât pourrait blesser. Car la surréaction des investisseurs à l’annonce du QE a non seulement fait oublier l’ensemble des risques qui continuent de graviter autour de la zone euro (le cas grec n’est toujours pas réglé et l’inflation des sanctions occidentales vis-à-vis de la Russie pourrait encore peser sur l’activité), puis, surtout, a plongé le monde dans une nouvelle ère déconcertante où toutes les règles de base du fonctionnement de l’économie semblent inversées.
Tout d’abord sur la devise européenne. Celle-ci ne cesse de se déprécier et semble même se diriger vers la parité avec le dollar. Bien évidemment l’effet est recherché. Mais tout de même, il convient de rester prudent face au syndrome du thermomètre : si passer d’un état de fièvre à une température de 37,5 degré Celsius est une bonne chose, passer d’un état de fièvre à une température de 35,0 degré Celsius en est une autre. Ainsi, une dépréciation trop rapide et trop forte du niveau de l’euro ne semble plus correspondre à une normalisation du taux de change et pourrait dès lors s’accompagner de l’apparition de certains dangers.
Les entreprises européennes risqueraient par exemple de devenir des proies faciles pour les firmes internationales, tandis que les consommateurs de la zone euro pourraient subir une hausse des prix des biens et services importés (notamment le pétrole, annulant de fait les effets positifs de la baisse des cours du baril). En outre, cela pourrait changer la donne monétaire mondiale et déclencher une concurrence quasi malsaine entre banques centrales. Pour défendre la stabilité de leur devise nationale, ces dernières seraient en effet incitées à mener des politiques ultra expansionnistes pouvant alors déboucher sur des situations économiquement aberrantes, à l’instar de taux directeurs négatifs, susceptibles de brouiller l’information initiale contenue dans le système de prix.
Puis sur les taux souverains. Ceux-ci ne cessent également de diminuer au point d’ailleurs que la corrélation entre risque et rendement est de moins en moins évidente et tend même à disparaître. C’est par exemple clairement le cas pour les obligations espagnoles et italiennes dont les taux à dix ans s’établissent actuellement à 1,20%. Idem pour les obligations portugaises avec un taux à dix ans à 1,70%. Une anomalie qui touche aussi d’une certaine manière les taux obligataires français dont les niveaux sont historiquement bas en dépit du manque criant de réformes structurelles.
Là aussi, l’effet est bel et bien désiré. Mais jusqu’où les rendements diminueront-ils ? Car qu’on se le dise, en favorisant une pénurie de rendements sur les obligations souveraines, certes la BCE favorise une réallocation des portefeuilles, mais elle alimente dans le même temps une bulle spéculative qui par définition ne pourra gonfler ad vitam aeternam. Aussi, lorsque la Fed procédera à une remontée de ses taux en septembre, il est probable qu’un mouvement de correction des taux plus ou moins brutal intervienne, menaçant de fait la stabilité économique et financière de nombreux Etats de la zone euro. Et si ce n’est pas en septembre, alors ce sera au premier trimestre 2016 avec le relèvement des taux par la BoE. Qu’importe en réalité la date précise, la correction finira par se produire.
Le QE vient donc à peine d’être lancé et pourtant déjà, l’on se pose un certain nombre de questions. A croire d’ailleurs que sa seule annonce aurait en fait peut-être suffi. Inutile néanmoins de noircir totalement le tableau : le volontarisme monétaire de Mario Draghi aura sans doute des effets bénéfiques. Mais en parallèle, il créera des situations d’aléa moral (déresponsabilisation des politiques économiques nationales dans le cadre de la mise en œuvre de réformes) et participera à modifier en profondeur le système des justes prix. Or, il faudra bien un jour que la fête se termine. Il faudra bien un jour retirer the punch bowl. Attention donc aux lendemains de gueule de bois…
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