Marc Touati
Toutefois, au milieu de cet océan d'inquiétudes et de pessimisme, un changement positif a été opéré il y a tout juste cent jours au sein de l'UEM. A savoir, le remplacement à la tête de la BCE du dogmatique Jean-Claude Trichet par le pragmatique (du moins en apparence) Mario Draghi.
En effet, depuis une vingtaine d'années, le premier n'a cessé de sacrifier la croissance sur l'autel de l'inflation. D'abord dans l'Hexagone, lorsqu'il était Gouverneur de la Banque de France, puis à l'échelle de la zone euro, en tant que Président de la BCE. Par charité, nous ne remontrons pas à l'époque où celui-ci était directeur du Trésor, en charge notamment de mener le Crédit Lyonnais à la quasi-faillite. Comme quoi, l'impunité a la vie longue en France et en Europe, du moins pour certaines personnes. Car, comme si toutes ces erreurs ne suffisaient pas, le même Jean-Claude a été nommé administrateur d'EADS, dont les dirigeants n'ont pourtant cessé de se plaindre d'un euro trop fort, notamment lié à une politique monétaire trop restrictive. Hasard ou coïncidence, depuis cette nomination, de nouvelles microfissures ont été découvertes sur la voilure de certains A380, ce qui a incité l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) à recommander l'inspection de tous les Airbus de ce type en circulation. Espérons simplement que les problèmes à répétition des A380 ne finiront pas comme ceux de la Grèce et de la zone euro…
Toujours est-il que, fort heureusement, Monsieur Jean-Claude ne dirige plus la BCE et que son successeur a décidé de faire table rase du passé. Tout d'abord, ce dernier s'est employé à corriger les deux dernières erreurs de son prédécesseur, qui avait augmenté le taux refi de la BCE à deux reprises en 2011, en pleine crise grecque et sur fond de menaces quant à l'existence même de la zone euro. A peine nommé et alors que Monsieur Trichet avait annoncé un mois plus tôt qu'il était hors de question d'assouplir l'étreinte monétaire de la BCE, « Super Mario » a donc décidé d'abaisser le taux refi de 25 points de base par deux fois.
Mieux, alors que les dangers redoublaient d'intensité et faisaient dire à certains que la zone euro ne passerait pas Noël, le « Dragon » Draghi a pris le taureau par les cornes le 23 décembre 2011 et a tout simplement sauvé l'UEM, du moins temporairement. Pour ce faire, il a permis aux banques eurolandaises de se financer à 1 % sur une durée de trois ans et ce sans limite de montant. En d'autres termes, c'est désormais « open bar ».
Le principe de cette démarche est relativement simple : dans la mesure où le marché interbancaire reste très tendu et où les banques continuent de ne pas se faire confiance, la BCE a créé pour ces dernières une facilité de caisse a priori infinie. Le but est double. D'une part, il permet de contourner les tensions et la défiance qui prévalent sur le marché interbancaire. D'autre part, il devrait également permettre aux banques européennes d'acheter plus facilement des bons du Trésor des pays de la zone euro. Effectivement, en se finançant à 1 % sur trois ans, les banques ont a priori toute latitude pour acheter des obligations d'Etat rémunérées à plus de 3 %, voire parfois à plus de 6 %.
Jusqu'à présent, ce sauvetage a d'ailleurs plutôt bien fonctionné. Ainsi, apaisées par leurs facilités de caisse, les banques européennes ont financé sans rechigner les Etats eurolandais, y compris ceux des pays du Sud, permettant par là même une légère détente des taux obligataires. Dans ce cadre, la crise de la dette publique pourrait progressivement s'estomper. Mieux encore, l'investissement des entreprises et plus globalement la croissance et l'emploi reprendraient prochainement des couleurs.
Malheureusement, nous en sommes encore très loin. Certes, la stratégie récente de la BCE est largement plus appréciable que celle qui prévalait au cours des huit années précédentes (il aurait d'ailleurs été difficile de faire pire). Pour autant, elle continue d'oublier l'essentiel : la croissance forte. En effet, en permettant aux banques de se financer à faible coût pour acheter des bons du Trésor, la BCE a favorisé « l'effet d'éviction », c'est-à-dire la favorisation du financement des dettes publiques au détriment de l'investissement des entreprises. Or, l'économie eurolandaise a justement besoin d'investissements, d'emplois et de consommation en provenance du secteur privé.
Il aurait donc été beaucoup plus judicieux d'autoriser la BCE à renflouer directement les Etats, de manière à permettre aux banques de financer les entreprises et les ménages. De même, tant que l'euro restera cher et supérieur à 1,18 dollar pour un euro (qui représente le niveau d'équilibre de l'euro/dollar selon le taux de change naturel dit Natrex), la croissance eurolandaise demeurera brimée et insuffisante pour créer des emplois et rembourser la charge annuelle des intérêt de la dette publique pour la grande majorité des pays de la zone euro.
Pour parvenir à ce taux de change idéal, la BCE devra encore abaisser son taux refi, pour réduire, voire annuler l'écart avec son homologue américain. Et si Mario Draghi a annoncé qu'il fera encore un geste, celui-ci tarde à venir, alimentant la cherté excessive de l'euro et décalant d'autant le redémarrage de la croissance.
La bonne nouvelle réside donc dans le fait que la BCE a évolué positivement. La mauvaise c'est que nous sommes toujours loin du but et que le dogmatisme reste encore dominant tant au sein de l'Institut francfortois qu'au niveau des dirigeants politiques de nombreux pays de l'UEM.
Espérons donc que cette année du Dragon sera aussi celle de Draghi, c'est-à-dire celle de la victoire du pragmatisme sur le dogmatisme qui, depuis plus de vingt ans, a fait tant de mal à notre vielle Europe et à notre douce France.
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
En effet, depuis une vingtaine d'années, le premier n'a cessé de sacrifier la croissance sur l'autel de l'inflation. D'abord dans l'Hexagone, lorsqu'il était Gouverneur de la Banque de France, puis à l'échelle de la zone euro, en tant que Président de la BCE. Par charité, nous ne remontrons pas à l'époque où celui-ci était directeur du Trésor, en charge notamment de mener le Crédit Lyonnais à la quasi-faillite. Comme quoi, l'impunité a la vie longue en France et en Europe, du moins pour certaines personnes. Car, comme si toutes ces erreurs ne suffisaient pas, le même Jean-Claude a été nommé administrateur d'EADS, dont les dirigeants n'ont pourtant cessé de se plaindre d'un euro trop fort, notamment lié à une politique monétaire trop restrictive. Hasard ou coïncidence, depuis cette nomination, de nouvelles microfissures ont été découvertes sur la voilure de certains A380, ce qui a incité l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) à recommander l'inspection de tous les Airbus de ce type en circulation. Espérons simplement que les problèmes à répétition des A380 ne finiront pas comme ceux de la Grèce et de la zone euro…
Toujours est-il que, fort heureusement, Monsieur Jean-Claude ne dirige plus la BCE et que son successeur a décidé de faire table rase du passé. Tout d'abord, ce dernier s'est employé à corriger les deux dernières erreurs de son prédécesseur, qui avait augmenté le taux refi de la BCE à deux reprises en 2011, en pleine crise grecque et sur fond de menaces quant à l'existence même de la zone euro. A peine nommé et alors que Monsieur Trichet avait annoncé un mois plus tôt qu'il était hors de question d'assouplir l'étreinte monétaire de la BCE, « Super Mario » a donc décidé d'abaisser le taux refi de 25 points de base par deux fois.
Mieux, alors que les dangers redoublaient d'intensité et faisaient dire à certains que la zone euro ne passerait pas Noël, le « Dragon » Draghi a pris le taureau par les cornes le 23 décembre 2011 et a tout simplement sauvé l'UEM, du moins temporairement. Pour ce faire, il a permis aux banques eurolandaises de se financer à 1 % sur une durée de trois ans et ce sans limite de montant. En d'autres termes, c'est désormais « open bar ».
Le principe de cette démarche est relativement simple : dans la mesure où le marché interbancaire reste très tendu et où les banques continuent de ne pas se faire confiance, la BCE a créé pour ces dernières une facilité de caisse a priori infinie. Le but est double. D'une part, il permet de contourner les tensions et la défiance qui prévalent sur le marché interbancaire. D'autre part, il devrait également permettre aux banques européennes d'acheter plus facilement des bons du Trésor des pays de la zone euro. Effectivement, en se finançant à 1 % sur trois ans, les banques ont a priori toute latitude pour acheter des obligations d'Etat rémunérées à plus de 3 %, voire parfois à plus de 6 %.
Jusqu'à présent, ce sauvetage a d'ailleurs plutôt bien fonctionné. Ainsi, apaisées par leurs facilités de caisse, les banques européennes ont financé sans rechigner les Etats eurolandais, y compris ceux des pays du Sud, permettant par là même une légère détente des taux obligataires. Dans ce cadre, la crise de la dette publique pourrait progressivement s'estomper. Mieux encore, l'investissement des entreprises et plus globalement la croissance et l'emploi reprendraient prochainement des couleurs.
Malheureusement, nous en sommes encore très loin. Certes, la stratégie récente de la BCE est largement plus appréciable que celle qui prévalait au cours des huit années précédentes (il aurait d'ailleurs été difficile de faire pire). Pour autant, elle continue d'oublier l'essentiel : la croissance forte. En effet, en permettant aux banques de se financer à faible coût pour acheter des bons du Trésor, la BCE a favorisé « l'effet d'éviction », c'est-à-dire la favorisation du financement des dettes publiques au détriment de l'investissement des entreprises. Or, l'économie eurolandaise a justement besoin d'investissements, d'emplois et de consommation en provenance du secteur privé.
Il aurait donc été beaucoup plus judicieux d'autoriser la BCE à renflouer directement les Etats, de manière à permettre aux banques de financer les entreprises et les ménages. De même, tant que l'euro restera cher et supérieur à 1,18 dollar pour un euro (qui représente le niveau d'équilibre de l'euro/dollar selon le taux de change naturel dit Natrex), la croissance eurolandaise demeurera brimée et insuffisante pour créer des emplois et rembourser la charge annuelle des intérêt de la dette publique pour la grande majorité des pays de la zone euro.
Pour parvenir à ce taux de change idéal, la BCE devra encore abaisser son taux refi, pour réduire, voire annuler l'écart avec son homologue américain. Et si Mario Draghi a annoncé qu'il fera encore un geste, celui-ci tarde à venir, alimentant la cherté excessive de l'euro et décalant d'autant le redémarrage de la croissance.
La bonne nouvelle réside donc dans le fait que la BCE a évolué positivement. La mauvaise c'est que nous sommes toujours loin du but et que le dogmatisme reste encore dominant tant au sein de l'Institut francfortois qu'au niveau des dirigeants politiques de nombreux pays de l'UEM.
Espérons donc que cette année du Dragon sera aussi celle de Draghi, c'est-à-dire celle de la victoire du pragmatisme sur le dogmatisme qui, depuis plus de vingt ans, a fait tant de mal à notre vielle Europe et à notre douce France.
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com