Anthony Benhamou
L'ensemble des indicateurs de la nation orange sont dans le rouge
Les Pays-Bas, cinquième économie de la zone Euro, pourraient-ils connaître le même sort que l'Espagne ? Possible. Certes, les données macroéconomiques ne sont en rien comparables, toutefois la tendance observée soulève bien des inquiétudes. Depuis 2008 et la crise mondiale, l'économie orange a en effet vu rouge à trois reprises. Tout d'abord en 2009 où, à l'instar de l'ensemble des économies européennes, le PIB se contractait de 3,7%. Puis, après avoir renoué avec des taux de croissance positifs en 2010 et 2011, l'économie néerlandaise connaissait de nouveau une destruction de richesses et affichait en 2012 un taux de croissance de -1,2%. Plus qu'une récession, une véritable dépression puisqu'en 2013 le PIB devrait subir une nouvelle diminution de 0,8%.
Parallèlement, la situation sur le marché de l'emploi s'avère de plus en plus préoccupante. Quasiment au plein emploi en 2008, le taux de chômage n'a fait qu'augmenter depuis, passant ainsi de 3% à un peu plus de 7% en 2013. Un fléau qui concerne également les jeunes puisque près de 12% d'entre eux sont actuellement sans emploi contre 6% en 2008. Une situation qui a favorisé la montée du risque politique comme en témoigne la percée du parti d'extrême droite PVV (Parti pour la liberté) en 2012 et de son leader, Geert Wilders, eurosceptique déclaré.
Enfin, la situation des finances publiques n'est guère plus reluisante. Si entre 2006 et 2008 les Pays-Bas ont excellé en matière budgétaire (excédents successifs de 0,5%, 0,2% et 0,5%), la situation s'est nettement dégradée depuis. Ces quatre dernières années en effet, le gouvernement néerlandais a présenté un solde public non seulement négatif mais aussi supérieur aux normes dictées par Bruxelles (-5,6% en 2009, -5,1% en 2010, -4,5% en 2011 et -4,1% en 2012). Des dérapages budgétaires qui trouvent leur origine notamment dans la hausse des dépenses d'allocation chômage liée à la dégradation du marché de l'emploi. Conséquence logique d'une trajectoire budgétaire qui s'est égarée, l'endettement public a connu depuis 2008 une hausse significative de plus de 20% passant de 58,5% du PIB à 71,2% du PIB en 2012.
Quelle est donc l'origine des maux actuels des Pays-Bas ? La crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers a clairement paralysé l'activité des entreprises nationales, à l'international. Structurellement, le dynamisme de l'économie néerlandaise s'appuie en effet sur les exportations ; celles-ci constituaient d'ailleurs plus de 85% du PIB en 2012. La dégradation de l'activité nationale est ainsi fortement corrélée au ralentissement de la demande mondiale provoqué par la crise financière de 2008 et à la morosité des échanges internationaux. Mais des causes internes peuvent également être mises en évidence tel que le retournement du marché immobilier et la crise bancaire sous-jacente qui en résulte. La crise que traverse actuellement le pays contraint effectivement de nombreux ménages néerlandais à se désendetter à travers notamment la liquidation de leur bien immobilier. Toutefois, la chute de plus de 20% du prix des logements depuis 2008 participe à rendre le désendettement difficile et fait peser de sérieux risques sur les banques dont la garantie hypothécaire est devenue caduque. Un risque d'autant plus fort que les créances immobilières des banques représentent environ 90% du PIB néerlandais pour un secteur bancaire affreusement concentré (Rabobank, ING Bank et ABN Amro constituent 70% du marché)…
Un effort sans précédent pour une nation crédible
Dans de telles circonstances, la réponse du gouvernement néerlandais se devait d'être forte et sans équivoque. C'est ainsi que face à la nation, lors de la présentation du budget 2014 le 17 septembre dernier, le nouveau roi des Pays-Bas Willem Alexander a annoncé la fin de l'Etat providence, comprenez une coupe historique dans les dépenses sociales. « A tous ceux qui le peuvent, il est demandé de prendre ses responsabilités pour sa propre vie et pour son entourage ». Une rigueur budgétaire qui doit être soumise au parlement et qui a déchaîné la colère de l'opposition, de l'armée, des syndicats et des citoyens néerlandais. Il s'agit néanmoins d'un signal fort envoyé à l'Europe et en particulier à la Commission européenne qui avait accordé un sursis d'un an pour atteindre la cible budgétaire. Et quand on se souvient des propos du président français François Hollande lors du délai également obtenu concernant une « Commission qui n'a pas à nous dicter ce que nous avons à faire », la réponse néerlandaise prend un sens tout particulier.
Le virage adopté par le gouvernement néerlandais constitue également un signal fort vis-à-vis des marchés. En tant que pays fondateur d'une Union de plus en plus décriée de par son laxisme budgétaire, les Pays-Bas se devaient effectivement de donner l'exemple. Et comme, à l'instar de celle de la France, la dette publique néerlandaise est détenue pour plus des deux tiers par les investisseurs internationaux, il était fondamental de renforcer la crédibilité du pays sur les marchés. L'objectif réside ainsi dans le fait de pouvoir continuer à bénéficier du soutien des agences de notation (bien que les perspectives soient pour le moment négatives) pour profiter de taux bas et éviter d'entrer dans une spirale infernale de la dette. Par ailleurs, les tensions observées ces derniers mois sur les marchés obligataires devraient se poursuivre courant 2014. Cependant, l'ajustement des taux à 10 ans des emprunts d'Etat néerlandais devrait plutôt s'expliquer par l'évolution de la politique monétaire américaine que par une réelle crainte sur l'économie néerlandaise.
Probablement de manière non intentionnelle, la courageuse, mais néanmoins douloureuse, décision du gouvernement néerlandais pourrait influencer le comportement de ses voisins. A commencer par la Belgique dont les efforts commencent à payer puisqu'au mois de juillet dernier, l'endettement net de l'Etat fédéral enregistrait une contraction de 2 milliards d'Euro par rapport au mois précédent. Et si cette évolution ne reflète pas forcément l'évolution annuelle, il y a toutefois fort à parier que le ratio dette publique sur PIB belge devrait être stable en 2013 par rapport à 2012. Autre voisin évidemment concerné, la France. Une brève comparaison d'indicateurs macroéconomiques s'impose ; taux de chômage de 7% contre plus de 11% en France, un déficit public prévisionnel 2013 de 3,7% contre (officiellement) 4,1% en France, dette publique équivalente à 71% du PIB contre 93% en France. Si la situation économique néerlandaise semble à tout point de vue plus enviable que celle de la France, il est incroyable d'observer que ce sont bien les Pays-Bas qui entreprennent un virage de politique économique radical et non la France…
Inévitablement, la rigueur budgétaire néerlandaise sera douloureuse et engendrera de nombreux troubles au sein du pays. Il est néanmoins important de souligner le véritable courage politique de la coalition néerlandaise qui a évidemment pris conscience qu'elle s'était tiré une balle dans le pied. L'intérêt de la nation a dominé les passions carriéristes des politiques et malgré la tempête qui les attend, les Pays-Bas pourraient redresser la barre plus rapidement que prévu… Et naviguer vers de paisibles jours pendant que d'autres prennent le risque (systémique) de chavirer.
Achevé de rédiger le 25 septembre 2013,
Anthony Benhamou
Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.
Les Pays-Bas, cinquième économie de la zone Euro, pourraient-ils connaître le même sort que l'Espagne ? Possible. Certes, les données macroéconomiques ne sont en rien comparables, toutefois la tendance observée soulève bien des inquiétudes. Depuis 2008 et la crise mondiale, l'économie orange a en effet vu rouge à trois reprises. Tout d'abord en 2009 où, à l'instar de l'ensemble des économies européennes, le PIB se contractait de 3,7%. Puis, après avoir renoué avec des taux de croissance positifs en 2010 et 2011, l'économie néerlandaise connaissait de nouveau une destruction de richesses et affichait en 2012 un taux de croissance de -1,2%. Plus qu'une récession, une véritable dépression puisqu'en 2013 le PIB devrait subir une nouvelle diminution de 0,8%.
Parallèlement, la situation sur le marché de l'emploi s'avère de plus en plus préoccupante. Quasiment au plein emploi en 2008, le taux de chômage n'a fait qu'augmenter depuis, passant ainsi de 3% à un peu plus de 7% en 2013. Un fléau qui concerne également les jeunes puisque près de 12% d'entre eux sont actuellement sans emploi contre 6% en 2008. Une situation qui a favorisé la montée du risque politique comme en témoigne la percée du parti d'extrême droite PVV (Parti pour la liberté) en 2012 et de son leader, Geert Wilders, eurosceptique déclaré.
Enfin, la situation des finances publiques n'est guère plus reluisante. Si entre 2006 et 2008 les Pays-Bas ont excellé en matière budgétaire (excédents successifs de 0,5%, 0,2% et 0,5%), la situation s'est nettement dégradée depuis. Ces quatre dernières années en effet, le gouvernement néerlandais a présenté un solde public non seulement négatif mais aussi supérieur aux normes dictées par Bruxelles (-5,6% en 2009, -5,1% en 2010, -4,5% en 2011 et -4,1% en 2012). Des dérapages budgétaires qui trouvent leur origine notamment dans la hausse des dépenses d'allocation chômage liée à la dégradation du marché de l'emploi. Conséquence logique d'une trajectoire budgétaire qui s'est égarée, l'endettement public a connu depuis 2008 une hausse significative de plus de 20% passant de 58,5% du PIB à 71,2% du PIB en 2012.
Quelle est donc l'origine des maux actuels des Pays-Bas ? La crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers a clairement paralysé l'activité des entreprises nationales, à l'international. Structurellement, le dynamisme de l'économie néerlandaise s'appuie en effet sur les exportations ; celles-ci constituaient d'ailleurs plus de 85% du PIB en 2012. La dégradation de l'activité nationale est ainsi fortement corrélée au ralentissement de la demande mondiale provoqué par la crise financière de 2008 et à la morosité des échanges internationaux. Mais des causes internes peuvent également être mises en évidence tel que le retournement du marché immobilier et la crise bancaire sous-jacente qui en résulte. La crise que traverse actuellement le pays contraint effectivement de nombreux ménages néerlandais à se désendetter à travers notamment la liquidation de leur bien immobilier. Toutefois, la chute de plus de 20% du prix des logements depuis 2008 participe à rendre le désendettement difficile et fait peser de sérieux risques sur les banques dont la garantie hypothécaire est devenue caduque. Un risque d'autant plus fort que les créances immobilières des banques représentent environ 90% du PIB néerlandais pour un secteur bancaire affreusement concentré (Rabobank, ING Bank et ABN Amro constituent 70% du marché)…
Un effort sans précédent pour une nation crédible
Dans de telles circonstances, la réponse du gouvernement néerlandais se devait d'être forte et sans équivoque. C'est ainsi que face à la nation, lors de la présentation du budget 2014 le 17 septembre dernier, le nouveau roi des Pays-Bas Willem Alexander a annoncé la fin de l'Etat providence, comprenez une coupe historique dans les dépenses sociales. « A tous ceux qui le peuvent, il est demandé de prendre ses responsabilités pour sa propre vie et pour son entourage ». Une rigueur budgétaire qui doit être soumise au parlement et qui a déchaîné la colère de l'opposition, de l'armée, des syndicats et des citoyens néerlandais. Il s'agit néanmoins d'un signal fort envoyé à l'Europe et en particulier à la Commission européenne qui avait accordé un sursis d'un an pour atteindre la cible budgétaire. Et quand on se souvient des propos du président français François Hollande lors du délai également obtenu concernant une « Commission qui n'a pas à nous dicter ce que nous avons à faire », la réponse néerlandaise prend un sens tout particulier.
Le virage adopté par le gouvernement néerlandais constitue également un signal fort vis-à-vis des marchés. En tant que pays fondateur d'une Union de plus en plus décriée de par son laxisme budgétaire, les Pays-Bas se devaient effectivement de donner l'exemple. Et comme, à l'instar de celle de la France, la dette publique néerlandaise est détenue pour plus des deux tiers par les investisseurs internationaux, il était fondamental de renforcer la crédibilité du pays sur les marchés. L'objectif réside ainsi dans le fait de pouvoir continuer à bénéficier du soutien des agences de notation (bien que les perspectives soient pour le moment négatives) pour profiter de taux bas et éviter d'entrer dans une spirale infernale de la dette. Par ailleurs, les tensions observées ces derniers mois sur les marchés obligataires devraient se poursuivre courant 2014. Cependant, l'ajustement des taux à 10 ans des emprunts d'Etat néerlandais devrait plutôt s'expliquer par l'évolution de la politique monétaire américaine que par une réelle crainte sur l'économie néerlandaise.
Probablement de manière non intentionnelle, la courageuse, mais néanmoins douloureuse, décision du gouvernement néerlandais pourrait influencer le comportement de ses voisins. A commencer par la Belgique dont les efforts commencent à payer puisqu'au mois de juillet dernier, l'endettement net de l'Etat fédéral enregistrait une contraction de 2 milliards d'Euro par rapport au mois précédent. Et si cette évolution ne reflète pas forcément l'évolution annuelle, il y a toutefois fort à parier que le ratio dette publique sur PIB belge devrait être stable en 2013 par rapport à 2012. Autre voisin évidemment concerné, la France. Une brève comparaison d'indicateurs macroéconomiques s'impose ; taux de chômage de 7% contre plus de 11% en France, un déficit public prévisionnel 2013 de 3,7% contre (officiellement) 4,1% en France, dette publique équivalente à 71% du PIB contre 93% en France. Si la situation économique néerlandaise semble à tout point de vue plus enviable que celle de la France, il est incroyable d'observer que ce sont bien les Pays-Bas qui entreprennent un virage de politique économique radical et non la France…
Inévitablement, la rigueur budgétaire néerlandaise sera douloureuse et engendrera de nombreux troubles au sein du pays. Il est néanmoins important de souligner le véritable courage politique de la coalition néerlandaise qui a évidemment pris conscience qu'elle s'était tiré une balle dans le pied. L'intérêt de la nation a dominé les passions carriéristes des politiques et malgré la tempête qui les attend, les Pays-Bas pourraient redresser la barre plus rapidement que prévu… Et naviguer vers de paisibles jours pendant que d'autres prennent le risque (systémique) de chavirer.
Achevé de rédiger le 25 septembre 2013,
Anthony Benhamou
Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.
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