Marc Touati
Certes, dans ce double tunnel déficitaire, il y a eu des phases de pause ou de rémission. Ainsi, outre-Atlantique, les comptes publics ont su tirer profit de la croissance forte des années 1993-2001 pour redevenir excédentaires. Et ce, pendant trois ans, en l'occurrence de 1998 à 2000. L'Etat américain commençait même à rembourser une partie de sa dette par anticipation. Quant au déficit de la balance courante, à l'exception des années de récession 1981 et 1991 (qui ont mécaniquement réduit le volume des importations), l'Oncle Sam n'a cessé d'accumuler les déficits, le dernier excédent annuel remontant à 1976. Le nouveau creusement du déficit commercial américain à 44,2 milliards d'euros en août (annoncé jeudi dernier) confirme d'ailleurs que l'heure de l'excédent est encore très lointaine.
Du côté français, la donne apparaît encore plus dramatique. Ainsi, le dernier excédent des comptes publics hexagonaux remonte à 1974. Depuis, avec ou sans croissance, la France a été incapable d'assainir ses finances publiques. Et si l'Administration Clinton a réussi à profiter des années de croissance forte (1998-2000) pour obtenir un excédent, le gouvernement Jospin a préféré parler de « cagnotte », utilisant la dernière période de croissance soutenue pour augmenter les dépenses publiques et creuser le déficit public structurel. Bien loin de cette irresponsabilité, les entreprises exportatrices françaises ont tout de même réussi à transformer le déficit extérieur chronique de la France en excédent de 1994 à 1999. Il faut dire qu'à l'époque, la faiblesse de la demande nationale (du moins jusqu'en 1998) et la sagesse des prix pétroliers limitaient les importations françaises, tandis que nos exportations profitaient des efforts liés à la politique de désinflation compétitive. Malheureusement, cette accalmie n'a été que de courte durée. Ainsi, à partir de 2000, les déficits commerciaux sont revenus en force, pour atteindre dernièrement des niveaux historiquement élevés : plus de 73 milliards d'euros en 2011 et quasiment autant cette année.
Le plus incroyable réside dans le fait que l'annonce régulière de ces twin deficits et de leur aggravation passe presque inaperçue, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Ainsi, la semaine dernière, la publication d'un déficit extérieur français de 5,3 milliards sur le seul mois d'août et de 68,4 milliards sur douze mois n'a ému quasiment personne. Encore mieux, ou plutôt encore pire, le gouvernement soutient que ses prévisions d'une croissance de 0,8 % en 2013 sont principalement justifiées par une forte augmentation de nos exportations. Soyons sérieux : si déjà avec une croissance mondiale de 5 % en 2010 et de 3,5 % tant en 2011 qu'en 2012, le déficit extérieur français a atteint respectivement 52, 73 et 70 milliards d'euros, comment pourrait-il se réduire significativement en 2013 avec une progression du PIB mondial d'au mieux 3 %. Et ce, d'autant que notre premier partenaire commercial, la zone euro, replonge dans la récession et que, par-dessus le marché, l'euro/dollar reste trop fort ?
De même, comment peut-on faire croire aux Français que le déficit public sera réduit à 3 % l'an prochain, avec un poids des dépenses publiques stabilisées à 56,3 % (l'un des niveaux les plus élevés du monde) et une augmentation des impôts qui ne fera finalement qu'aggraver la récession et réduire l'assiette fiscale, donc les recettes publiques à venir ? Et ce n'est pas parce que Barack Obama essaie de faire croire la même chose aux Américains qu'il faut l'imiter. Et pour cause : le Président américain propose d'augmenter encore les dépenses publiques lors son éventuel second mandat. C'est exactement ce qu'il a fait ces quatre dernières années, avec les résultats mitigés que l'on connaît. S'il est réélu et qu'il tient ses promesses, alors il faut se rendre à l'évidence : le plafond de la dette publique américaine sera encore dépassé et le Congrès ne manquera pas de bloquer la situation. La note de l'Oncle Sam sera donc fortement dégradée, suscitant une crise analogue à celle que vit la zone euro depuis trois ans, mais cette fois-ci aux Etats-Unis. Face à un tel clash, une nouvelle récession et une grave tempête financière s'imposeront outre-Atlantique, mais aussi dans la zone euro et en France, qui ne manqueront évidemment pas d'être également dégradées et de subir par là même une désaffection des investisseurs.
Et, malheureusement, ni les Etats-Unis, ni la zone euro, et encore moins la France ne disposeront de marges de manœuvre suffisantes pour inverser la tendance comme ils ont pu le faire en 2009. La Chine, l'Inde et de nombreux autres pays dits émergents pourront alors rafler la mise sans difficulté et racheter de plus en plus d'actifs et de technologies à travers le monde occidental à bon compte. Ne représentant déjà plus que 50 % du PIB mondial, les pays dits développés verront alors leur pouvoir économique et financier fondre comme neige au soleil. Parallèlement, affectés par des twin deficits qu'ils auront de plus en plus de mal à combler, les Etats-Unis perdront leur place de première puissance économique mondiale d'ici une dizaine d'années au profit de la Chine. Quant à la zone euro, elle aura depuis bien longtemps explosé, laissant ses anciens pays membres dans le chaos, et notamment la France qui, à force d'avoir accumulé les twin deficits sans réagir, sera devenu un Disneyland géant, dont les Chinois et les Qatari raffoleront.
Faut-il vraiment en arriver là pour enfin comprendre la gravité de la situation et notamment admettre que nos déficits jumeaux sont devenus intenables et extrêmement dangereux ? Certainement pas. Aussi, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde et même si nous prenons des risques en nous obstinant à dire la vérité, nous continuerons d'enfoncer le clou. Tel devrait normalement être le cas de tous les économistes, observateurs économiques et dirigeants politiques. Malheureusement, par manque de courage et/ou pour des raisons alimentaires ou encore par simple dogmatisme, le mutisme, le politiquement correct et la pensée unique continuent de faire des ravages. Espérons que cela finira vraiment par changer, sinon tant la France que les Etats-Unis s'écrouleront avec leurs twin deficits…
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Du côté français, la donne apparaît encore plus dramatique. Ainsi, le dernier excédent des comptes publics hexagonaux remonte à 1974. Depuis, avec ou sans croissance, la France a été incapable d'assainir ses finances publiques. Et si l'Administration Clinton a réussi à profiter des années de croissance forte (1998-2000) pour obtenir un excédent, le gouvernement Jospin a préféré parler de « cagnotte », utilisant la dernière période de croissance soutenue pour augmenter les dépenses publiques et creuser le déficit public structurel. Bien loin de cette irresponsabilité, les entreprises exportatrices françaises ont tout de même réussi à transformer le déficit extérieur chronique de la France en excédent de 1994 à 1999. Il faut dire qu'à l'époque, la faiblesse de la demande nationale (du moins jusqu'en 1998) et la sagesse des prix pétroliers limitaient les importations françaises, tandis que nos exportations profitaient des efforts liés à la politique de désinflation compétitive. Malheureusement, cette accalmie n'a été que de courte durée. Ainsi, à partir de 2000, les déficits commerciaux sont revenus en force, pour atteindre dernièrement des niveaux historiquement élevés : plus de 73 milliards d'euros en 2011 et quasiment autant cette année.
Le plus incroyable réside dans le fait que l'annonce régulière de ces twin deficits et de leur aggravation passe presque inaperçue, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Ainsi, la semaine dernière, la publication d'un déficit extérieur français de 5,3 milliards sur le seul mois d'août et de 68,4 milliards sur douze mois n'a ému quasiment personne. Encore mieux, ou plutôt encore pire, le gouvernement soutient que ses prévisions d'une croissance de 0,8 % en 2013 sont principalement justifiées par une forte augmentation de nos exportations. Soyons sérieux : si déjà avec une croissance mondiale de 5 % en 2010 et de 3,5 % tant en 2011 qu'en 2012, le déficit extérieur français a atteint respectivement 52, 73 et 70 milliards d'euros, comment pourrait-il se réduire significativement en 2013 avec une progression du PIB mondial d'au mieux 3 %. Et ce, d'autant que notre premier partenaire commercial, la zone euro, replonge dans la récession et que, par-dessus le marché, l'euro/dollar reste trop fort ?
De même, comment peut-on faire croire aux Français que le déficit public sera réduit à 3 % l'an prochain, avec un poids des dépenses publiques stabilisées à 56,3 % (l'un des niveaux les plus élevés du monde) et une augmentation des impôts qui ne fera finalement qu'aggraver la récession et réduire l'assiette fiscale, donc les recettes publiques à venir ? Et ce n'est pas parce que Barack Obama essaie de faire croire la même chose aux Américains qu'il faut l'imiter. Et pour cause : le Président américain propose d'augmenter encore les dépenses publiques lors son éventuel second mandat. C'est exactement ce qu'il a fait ces quatre dernières années, avec les résultats mitigés que l'on connaît. S'il est réélu et qu'il tient ses promesses, alors il faut se rendre à l'évidence : le plafond de la dette publique américaine sera encore dépassé et le Congrès ne manquera pas de bloquer la situation. La note de l'Oncle Sam sera donc fortement dégradée, suscitant une crise analogue à celle que vit la zone euro depuis trois ans, mais cette fois-ci aux Etats-Unis. Face à un tel clash, une nouvelle récession et une grave tempête financière s'imposeront outre-Atlantique, mais aussi dans la zone euro et en France, qui ne manqueront évidemment pas d'être également dégradées et de subir par là même une désaffection des investisseurs.
Et, malheureusement, ni les Etats-Unis, ni la zone euro, et encore moins la France ne disposeront de marges de manœuvre suffisantes pour inverser la tendance comme ils ont pu le faire en 2009. La Chine, l'Inde et de nombreux autres pays dits émergents pourront alors rafler la mise sans difficulté et racheter de plus en plus d'actifs et de technologies à travers le monde occidental à bon compte. Ne représentant déjà plus que 50 % du PIB mondial, les pays dits développés verront alors leur pouvoir économique et financier fondre comme neige au soleil. Parallèlement, affectés par des twin deficits qu'ils auront de plus en plus de mal à combler, les Etats-Unis perdront leur place de première puissance économique mondiale d'ici une dizaine d'années au profit de la Chine. Quant à la zone euro, elle aura depuis bien longtemps explosé, laissant ses anciens pays membres dans le chaos, et notamment la France qui, à force d'avoir accumulé les twin deficits sans réagir, sera devenu un Disneyland géant, dont les Chinois et les Qatari raffoleront.
Faut-il vraiment en arriver là pour enfin comprendre la gravité de la situation et notamment admettre que nos déficits jumeaux sont devenus intenables et extrêmement dangereux ? Certainement pas. Aussi, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde et même si nous prenons des risques en nous obstinant à dire la vérité, nous continuerons d'enfoncer le clou. Tel devrait normalement être le cas de tous les économistes, observateurs économiques et dirigeants politiques. Malheureusement, par manque de courage et/ou pour des raisons alimentaires ou encore par simple dogmatisme, le mutisme, le politiquement correct et la pensée unique continuent de faire des ravages. Espérons que cela finira vraiment par changer, sinon tant la France que les Etats-Unis s'écrouleront avec leurs twin deficits…
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
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