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Lundi 3 Novembre 2014
Finyear, quotidien Finance d'Affaires

Fin de la « planche à billets » aux Etats-Unis : so what ?

Ca y est, c'est fini : après six ans de fonctionnement et trois phases d'activation (2008, 2010 et 2012), soit un volume total d'environ 3 600 milliards de dollars, le « Quantitative Easing » (QE) de la Réserve fédérale américaine, ou « planche à billets » pour les intimes, s'est arrêté. Il ne s'agit évidemment pas d'une surprise, puisque dès le début 2014, Janet Yellen, alors fraichement nommée à la tête de la Fed, avait averti que cette politique ultra-accommodante se terminerait fin octobre.


Marc Touati
Marc Touati
Il y a donc déjà un point positif : « Mamie Yellen » et la Fed tiennent leurs promesses. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les marchés financières n'ont pas sur-réagi négativement à cette mesure. Mais ce n'est pas tout. Car, au-delà d'être conforme aux annonces de la Fed, l'arrêt du QE apparaît salutaire tant pour l'avenir de l'économie américaine que pour celui des marchés financiers.

Autrement dit, si le changement de ton de la Fed peut déplaire, voire inquiéter, il est avant tout logique, voire indispensable. En effet, s'il était normal d'actionner la « planche à billets » et de maintenir les taux de la Fed à zéro lorsque la croissance était absente, à présent que cette dernière est revenue durablement et que le chômage américain baisse significativement, cette politique ultra-accommodante n'est plus nécessaire.

Ainsi, avec une croissance annualisée de 4,6 % au deuxième trimestre 2014 et de 3,5 % au troisième, un taux de chômage de 5,9 % en septembre (c'est-à-dire proche du niveau de plein-emploi), mais aussi des indicateurs ISM des directeurs d'achat très dynamiques depuis six mois, la Fed se devait d'arrêter la « planche à billets ».

Certes, une question demeure : pourquoi, en dépit des trois phases de QE, l'inflation américaine reste-elle toujours aussi faible et même inférieure à 2 % ? En effet, en temps normal, la conséquence inévitable d'un excès de création monétaire est une inflation galopante. Et pour cause : si la monnaie en circulation ne correspond pas à une création de richesse équivalente, la différence se traduit par davantage d'inflation : si les quantités ne s'ajustent pas, ce sont les prix qui le font.

Or, tel n'a pas été le cas outre-Atlantique depuis six ans. L'explication de cet apparent dilemme est double. D'une part, cela signifie que les forces en présence aux Etats-Unis depuis 2008 n'étaient pas inflationnistes mais déflationnistes. En d'autres termes, si la Fed n'avait pas adopté une stratégie monétaire aussi accommodante, une phase de déflation se serait imposée, comme lors du krach de 1929.

D'autre part, si la Fed a pu user autant de la « planche à billets » sans dérapage inflationniste, c'est aussi parce que les dollars ainsi créés ont inondé le monde. En d'autres termes, tant que le dollar est la monnaie de référence internationale (tant en matière de réserves de changes que de transactions commerciales et financières), il existe une demande presque incompressible de billets verts, qui fait que la « planche à billets » américaine et la dette publique de l'Oncle Sam se retrouvent finalement financées par le reste du monde.

Seulement voilà, toutes les bonnes choses ont une fin et, au-delà de la bonne santé de l'économie américaine, qui justifie la fin du QE, il est également urgent de permettre à la Fed de se reconstituer une marge de manœuvre pour pouvoir mieux réagir lors de la prochaine crise. Cela signifie donc qu'après avoir arrêté la « planche à billets », la Fed doit désormais songer à augmenter son taux objectif des federal funds.

En effet, la durée normale d'un cycle de croissance (récession-reprise-croissance-récession) oscille entre 30 et 40 trimestres outre-Atlantique. Or, le cycle actuel est déjà « âgé » de 27 trimestres. Cela signifie donc que la prochaine récession américaine aura lieu d'ici trois à treize trimestres. Or, si d'ici là, les taux de la Fed n'ont pas été remontés, celle-ci ne disposera d'aucune marge de manœuvre pour relancer la machine.

Il est donc indispensable que la Fed resserre son étreinte monétaire en 2015 pour commencer son travail de « reconstruction ». Il en va également de sa crédibilité et de celle de sa Présidente. Car, même s'il est toujours plus agréable d'être une « colombe » qu'un « faucon », c'est-à-dire de privilégier la rechercher du plein-emploi face à la lutte contre l'inflation, une politique monétaire trop accommodante peut aussi engendrer une « trappe à liquidités », c'est-à-dire accroître excessivement l'épargne au détriment de la consommation et de l'investissement, ce qui finira par susciter une bulle financière.

C'est notamment ce qu'avait créé Alan Greenspan dans les années 2003-2005, avant d'obliger son successeur Ben Bernanke à augmenter trop fortement le taux objectif des federal funds et de faire éclater la bulle des subprimes. Si nous n'en sommes pas encore là, il serait donc opportun d'éviter ce type d'erreur, en resserrant en douceur l'étreinte monétaire de la Fed, plutôt que d'obliger cette dernière à agir dans l'urgence et à engager les Etats-Unis et la planète dans une nouvelle crise économico-financière. Si les annonces de ces mesures ne manqueront évidemment pas d'irriter à court terme les marchés boursiers, elles devraient in fine conforter la remontée de ces derniers. En effet, ce resserrement limité sera à la fois insuffisant pour casser la reprise mais déterminant pour montrer aux investisseurs que la Fed a confiance dans la résistance de l'économie américaine.

Aussi étonnant que cela pourrait paraître à certains, la remontée des taux directeurs de la Fed pourrait donc renforcer l'embellie boursière internationale. Ce qui, selon nos prévisions, permettra notamment au Dow Jones et au Cac 40 d'atteindre respectivement 18 000 et 4 600 d'ici l'été 2015. Autrement dit, même si les marchés s'en offusquent et continueront de sur-réagir, Madame Yellen prend un virage salutaire. Elle devra simplement veiller à ne pas aller trop vite, pour éviter que les marchés cèdent à la panique.


Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).

www.acdefi.com


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