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Jeudi 19 Mars 2015
Finyear, Quotidien Finance d'Entreprise

Fed : la patience vient à bout de tout…

En 2015, les Etats-Unis vont dévier unilatéralement. Alors que la convergence des politiques monétaires vers plus d’assouplissement (conventionnel ou non) était devenue une quasi norme mondiale, la Fed se prépare en effet à procéder à une première remontée des taux. Probablement en septembre. Pourtant, rien ne sert de courir…


Anthony Benhamou
Anthony Benhamou
L’art de la communication avancée.

Une seule et unique formule pour résumer ce qui se joue actuellement aux Etats-Unis : « To take away the punch bowl just as the party gets going ». Selon William McChesney Martin Jr, neuvième président de la Fed entre avril 1951 et janvier 1970, la qualité première d’un banquier central réside dans sa capacité à prendre la bonne décision (en l’occurrence ici, un premier mouvement de remontée des taux) au moment le plus propice. L’on comprend donc qu’être banquier central constitue en fait bien plus qu’une simple fonction passionnante : il s’agit d’un véritable art mêlant à la fois subtilité, habileté et finesse. Tout un programme…

Si l’art de l’éloquence est une condition nécessaire pour parvenir à retirer le bol de punch sans provoquer trop de dégâts, il n’est pour autant pas suffisant. La rhétorique du banquier central doit en effet également être relativement claire (éviter les messages trop codés), cohérente sur une période donnée et, enfin, source de confirmation des anticipations des investisseurs (lesquelles ont précédemment été formulées à partir de la communication de la banque centrale) en particulier dans une économie ultra financiarisée. La forward guidance, puisque c’est bien de cela dont il s’agit, garantit ainsi en théorie le succès d’un changement de cap monétaire.

Il y a un peu plus de vingt ans, le 04 février 1994, Allan Greenspan provoquait un krach obligataire en opérant une petite hausse préventive des taux afin d’annihiler tout risque de résurgence de l’inflation. Le maestro avait pourtant précisé ses intentions quelques mois auparavant. Seulement voilà, la forward guidance sous l’ère Greenspan n’avait en fait pas grand-chose à voir avec une représentation fidèle de la réalité économique à court et moyen termes et s’apparentait plutôt à de « vastes fresques sur le futur ». Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si Alan Greenspan aimait à ponctuer ses allocutions par le désormais célèbre « If I’ve made myself too clear, you must have misunderstood me ».

C’est donc dans ce contexte que s’inscrivait la dernière réunion du FOMC du 17 et 18 mars. Le message délivré par Janet Yellen allait-il en effet être clair, cohérent et source de confirmation des anticipations ? Ne pas reproduire les erreurs du passé pour éviter une surréaction des marchés : tout l’enjeu était là.

Faire sauter les verrous dovish de la Fed.

Jusqu’il y a peu encore, en bonne colombe, la présidente de la Fed ne cessait de signifier aux marchés qu’elle n’était pas pressée d’augmenter les taux. Et dans le cadre de sa forward guidance, deux expressions garantissaient alors leur maintien à des niveaux proches de zéro : « période de temps considérable » et « patience ». Néanmoins, ce verrou de sécurité double ne pouvait rester intact, en particulier au regard de l’amélioration significative et indéniable des conditions économiques de l’Oncle Sam. Progressivement donc, la Fed a été contrainte de modifier sa communication pour préparer les marchés à un resserrement monétaire et assurer une transition en douceur.

Première étape, le retrait de la mention « période de temps considérable » du communiqué officiel de la Fed, intervenu lors du FOMC du 28 janvier dernier. Bilan : les marchés n’ont pas surréagi et cet épisode a même été vécu comme un non-événement. Incroyable. Deux éléments permettent d’expliquer cela. Tout d’abord bien évidemment, le fait qu’il restait encore un verrou de sécurité destiné à rassurer les marchés, à savoir « la patience » dont ferait preuve la Banque centrale américaine avant de remonter ses taux. Mais surtout, une bonne préparation en amont. Le 02 décembre dernier en effet, lors d’une conférence à Washington, le vice-président de la Fed, Stanley Fischer, indiquait de manière inhabituellement hawkish que « nous nous sommes presque habitués à penser que zéro était le taux d’intérêt normal. Cela n’est pas le cas ». Le message était donc on ne peut plus limpide.

Deuxième étape, certainement la plus compliquée à négocier puisqu’elle implique une exposition directe des taux zéros à un mouvement imminent de remontée, le retrait de la mention « patience » intervenu le 18 mars. Il convenait à nouveau de bien préparer les marchés à cette évolution. Ainsi, dès le 24 février dernier lors de son témoignage biannuel au Congrès, Janet Yellen a indiqué que « si les conditions économiques continuaient de s’améliorer, comme le prévoit le Comité, celui-ci commencera à considérer une hausse des taux » mais qu’avant cela, il « changera son message d’orientation monétaire » concernant le terme de « patience ». Sur ce dernier point d’ailleurs, la présidente de la Fed a insisté sur le fait que cela n’impliquerait pas « nécessairement » une hausse des taux au cours des prochaines réunions : une façon de dédramatiser la situation et surtout de ne pas se lier les mains en cas d’aléa conjoncturel. Bref, la porte était entre-ouverte et il ne restait plus qu’à l’enfoncer pour conforter les anticipations des investisseurs : bravo !

Enfin, pour crédibiliser davantage ce changement de ton, la Fed a publié la synthèse des nouvelles prévisions économiques de ses membres. Ainsi, bien que le PIB américain ne progresserait plus que de 2,3% à 2,7% en 2015 (contre de 2,6% à 3,0% lors des estimations de décembre), force est de constater qu’il devrait néanmoins s’établir au-dessus de la croissance potentielle du pays. En parallèle, le taux de chômage devrait continuer de diminuer pour être compris d’ici la fin de l’année dans une fourchette allant de 5,0% à 5,2% de la population active : un niveau équivalent à celui du NAIRU, le taux de chômage qui n’accélère pas le taux d’inflation. C’est donc acté, l’économie américaine est définitivement sortie de crise et les taux vont très prochainement remonter. Une première depuis 2006. Ne reste dorénavant plus qu’à déterminer le timing de la Fed.

Soucieuse de ne faire aucune faute de communication, Janet Yellen s’est montrée relativement claire sur le calendrier. Tout d’abord, il est totalement exclu de procéder à une hausse des taux lors de la réunion d’avril (« la situation rend toujours improbable une hausse des taux en avril »). Vient alors l’échéance de juin ? Peu probable à nouveau si l’on en croit la forward guidance de la présidente de la Fed qui a indiqué d’une part qu’il ne fallait pas « nécessairement s’attendre à ce que les taux changent lors de la réunion de juin » et, d’autre part, que « le simple fait d’avoir supprimé le mot patient du communiqué ne signifie pas que la Fed serait impatiente ». En langage banquier central, on peut donc anticiper une hausse des taux en septembre.

Le marché de l’emploi peut-il vraiment se passer de sa béquille monétaire ?

Et pour cause, dans les faits rien ne presse. Alors oui, bien évidemment le niveau des indicateurs avancés laisse à penser que la croissance américaine devrait rester robuste au premier trimestre pour sans doute osciller autour de 2,0% en rythme annualisé : en février l’indice ISM manufacturier s’est élevé à 52,9 points (après 53,5 en janvier) tandis que l’ISM dans les services a atteint 56,9 points (après 56,7 en janvier). Mais en parallèle, il est impossible de feindre le risque qui pèse actuellement sur la consommation des ménages américains qui, pour mémoire, pèsent pour près des deux tiers du PIB des Etats-Unis.

Ainsi en février, le moral des ménages, mesuré par le Conference Board, a chuté, passant de 103,8 à 96,4 points, tandis que l’indice de confiance mesuré par l’Université du Michigan pour le mois de mars est ressorti à 91,2 points en première estimation, contre 95,4 en février. Dans le même temps, les ventes au détail (qui donnent une idée concrète de l’évolution des dépenses de consommation) ont enregistré en février un troisième mois consécutif de baisse (-0,6% en données corrigées des variations saisonnières) alors même que le consensus tablait sur un léger rebond.

A l’origine de ces mauvaises statistiques, les conditions actuelles du marché du travail américain qui tendent à inquiéter le consommateur moyen représentatif de l’économie de l’Oncle Sam. Attendez. De l’inquiétude ? Sérieusement ? En févier, le taux de chômage du pays n’a-t-il pas atteint 5,5% de la population active, se rapprochant ainsi de son niveau de plein emploi ? Et puis d’ailleurs, l’économie américaine n’a-t-elle pas créé 295 000 emplois non-agricoles en février après 239 000 en janvier et près de 3,0 millions en 2014 (soit un nombre record depuis janvier 1999) ? C’est vrai, c’est indéniable. Mais pris isolément, ces chiffres ne reflètent pas correctement la réalité.

Car plusieurs anomalies ne cessent de graviter autour de la reprise (en trompe l’œil) du marché de l’emploi américain. Tout d’abord, l’énigme des salaires. En théorie (cf. modèle WS-PS), le salaire est une fonction décroissante du taux de chômage. Ainsi quand l’emploi est sur une phase ascendante, il y a en tendance une hausse du nombre d’entreprises qui cherchent à recruter, ce qui a pour effet toutes choses égales par ailleurs de tirer l’évolution salariale vers le haut. Or, au mois de février, bien que de nombreux postes ont été créés et que le taux de chômage a continué de reculé, le salaire horaire moyen n’a progressé que de 0,1% par rapport au mois de janvier. Pour rappel, en décembre dernier son évolution mensuelle avait même été négative (-0,2%). Cette situation pour le moins inhabituelle tend ainsi à refléter la vulnérabilité des conditions réelles du marché de l’emploi américain.

Mais ce n’est pas tout. Parallèlement à la faible progression du salaire horaire moyen, il y a ce deuxième chiffre qui interpelle : le taux de participation au marché de l’emploi. En février en effet, la proportion de la population qui avait un emploi ou qui en cherchait effectivement un, est ressortie à seulement 62,8%. Le faible niveau de cet indicateur tend ainsi à montrer que, découragés par la situation du marché du travail, de nombreux chômeurs de longue durée ont cessé leurs recherches pour progressivement sortir des statistiques officielles : c’est le chômage de l’ombre. Aussi, si l’on compare le niveau du taux de chômage officiel avec celui du taux de chômage U6 (appelé également « the real unemployement ») qui, pour mémoire, tient compte des emplois à temps partiel contraints et du découragement des inactifs, on obtient un verdict sans appel : en février, tandis qu’à 5,5%, le taux de chômage officiel est venu toucher un plus bas de six ans, le taux U6 est ressorti pour sa part à 11,0%, loin, bien loin, de l’objectif de plein emploi visé par la Fed.

Dans ces conditions, si la hausse des taux en 2015 apparaît être une figure imposée, notamment au regard de la nécessité de répondre correctement aux anticipations, il conviendra à défaut d’être « patient », de faire preuve de « prudence ». Slowly slowly en définitive. Car on le sait, un vivier significatif de chômeurs de l’ombre, conjugué à des travailleurs mal rémunérés, constitue une sérieuse menace pour la consommation d’aujourd’hui, la croissance de demain et l’emploi d’après demain. Toujours garder à l’esprit donc l’expérience de Daniel Tarullo, membre du conseil des gouverneurs de la Fed : « Mom was right at least sometimes : Patience really can be a virtue »…

Achevé de rédiger le 19 mars 2015.


Anthony Benhamou

Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.

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