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Lundi 21 Septembre 2009
CFO-news, quotidien finance et gestion

Faut-il sauver les entreprises et leurs emplois à tout « prix » ?

Dans le livre « Pour plus de solidarité entre le travail et le capital ou de nouvelles chances pour l’emploi… » que je publiais en 2004 chez l’Harmattan, Dominique Taddéi qui me faisait l’honneur d’en écrire la préface s’interrogeait sur le rôle prioritaire que pouvait avoir l’entreprise dans un projet de réforme visant plus d’équité dans le partage des richesses…


Rémi Guillet
Rémi Guillet
A peine cinq ans plus tard, une crise majeure devait ébranler l’édifice économique mondial faisant aujourd’hui mieux apparaître que l’entreprise est une sinon la clé de voûte de l’édifice socio-économique né avec l’ère industrielle dans nos sociétés occidentales.

Et pourtant, si on demandait au monde des économistes s’il faut sauver les entreprises à tout prix, ils répondraient en grande majorité « non » tandis qu’à l’opposé les citoyens pensant davantage aux emplois et à ce que ces derniers représentent pour eux, répondraient tout aussi majoritairement « oui »…

Pourquoi cette dichotomie ?

En effet, du point de vue global, mondial et strictement économique où toutes les considérations sociales, sociétales, écologiques et autres gestions des ressources naturelles les plus rares sont écartées, la théorie économique libérale, référence désormais quasi unique, qui fait confiance absolue au libre échange, au marché, au jeu de la Bourse malgré ses dérives spéculatives et inflationnistes, ne peut que répondre « non » à la question posée, considérant la rémunération du travail comme une « charge » du point de vue du résultat économique, considérant une entreprise en tant que telle, plus comme une anecdote qu’un élément vital constitutif d’une matrice génératrice de nouvelles richesses.

Mais du point de vue des Etats, l’analyse économique seule ne suffit plus: les choses se compliquent! En effet, le libre échange, la mondialisation, favorisent le déplacement des capitaux à la vitesse de la lumière (aujourd’hui virtuels et numériques, demandant moins d’un sixième de seconde pour aller d’un point de la planète et ses antipodes, ce n’est pas une métaphore!), la délocalisation de la production vers la main d’œuvre à bas coût, mettent en péril les économies nationales, les balances commerciales extérieures, les cohésions sociales.

Des points de vue régionaux et locaux on retrouve les mêmes préoccupations à l’échelle de populations socialement plus affectivement liées, dépendantes voire solidaires entre-elles.

A propos de « dépendances » et de « commerce extérieur, il n’est pas inutile de rappeler la nomenclature de la comptabilité nationale qui, s’inspirant de ce qu’a vécu chronologiquement l’espèce humaine, introduit implicitement une forme de hiérarchie dans l’activité « économique », distinguant un « noyau dur»: d’abord le secteur primaire (agriculture, pêche, activités minières et forestières….) puis le secteur secondaire (les industries de transformation) enfin les activités d’accompagnement que regroupe le secteur tertiaire (commerce, finances, transport, santé, éducation, administration, sécurité et autres services à la collectivité…). Aujourd’hui, après le secteur primaire qui reste « crucial » au niveau des États, ce sont les activités de transformations qui assurent le plus de création de valeurs ajoutées « réelles », les plus exportables, donc les plus utiles du point de vue du commerce extérieur…

Ainsi, dans le monde moderne, technologique, la réalité veut que les entreprises industrielles soient des structures essentielles ayant un rôle primordial pour la « bonne santé » économique des pays. Ce sont elles qui rassemblent les moyens, le savoir faire, les hommes et femmes capables de valoriser les résultats de la recherche en produisant des biens et services nouveaux, espérés ou apportant un « mieux-être » dont la mise sur le marché génère une « valeur ajoutée » réelle, incontestée.

Mais l’entreprise ne représente pas que cela : elle est un des éléments les plus structurants du point de vue sociétal.

Pour les citoyens l’entreprise a une utilité « sociétale ». Ceci est une évidence pour la population salariée. Cela l’est également pour le reste de la population qui trouve souvent sa propre utilité, ses ressources, dans l’existence d’entreprises locales avec les emplois qu’elles engendrent.

Pour la plupart des citoyens, l’emploi, avec une dose de sécurisation minimale, signifie aussi « confiance en l’avenir », crée un contexte favorable aux projets individuels et familiaux de tous ordres, allant du désir d’enfants à celui de devenir « propriétaire »… Plus généralement c’est faire appel aux crédits bancaires… Si ceux-ci sont devenus indispensables au dynamisme de l’économie moderne, aujourd’hui, non seulement les banques sont frileuses en matière d’allocation de crédits -crise des « subprimes » oblige- mais de leur côté les demandes ont beaucoup chuté !

Dans un précédent article nous écrivions « Si le crédit est une condition nécessaire à la croissance, il n’est disponible que dans un contexte de confiance… ». Nous aurions collé davantage à la réalité d’aujourd’hui avec : « Si le crédit est une condition nécessaire à la croissance, il n’est disponible et sollicité que dans un contexte de confiance… ».
Selon l’association française des sociétés financières : « Les crédits à la consommation connaissent un net recul depuis un an…. les prêts personnels ont chuté de plus de 29 %. En juillet 2009, le nombre de crédits à la consommation délivré par les établissements spécialisés bancaires a reculé de plus de 18 % par rapport à juillet 2008... Ce sont surtout les prêts personnels qui se sont effondrés en enregistrant une baisse de presque 30 %. Les crédits renouvelables et le financement de voitures ont baissé respectivement de plus de 15 et 12 % ». …


Par ailleurs, l’entreprise est le support à de très nombreuses externalités: associations touchant aussi bien la culture, les sports, les services sociaux…, suivi médical (dans le cadre de la médecine du travail), crèches d’entreprises, loisirs de tous depuis les plus jeunes jusqu’aux seniors les plus confirmés qu’elles soutiennent ou même organisent…

Ainsi, compte tenu de ce que représentent les entreprises pour les salariés mais aussi pour les populations environnantes, qu’on se place du point de vue privé, collectif, sociétal, l’utilité d’une entreprise établie est une évidence et son maintien hautement souhaitable.

N’a-t-on jamais étudié le coût sociétal, écologique de toutes ces « structures » de béton et d’acier abandonnées créant de véritables friches industrielles ? Ont-elles été amorties ? Si non: quel gâchis économique et écologique! Si oui: quel gâchis sociétal !

Revenons, stricto sensu, à la question que soulève le titre de cet article, pour retenir de cette réflexion que:

- les entreprises sont indispensables au bon fonctionnement de la société occidentale moderne,
- le nombre de salariés ne doit plus être la première variable d’ajustement des entreprises et la productivité du travail ne doit plus être considérée comme un indicateur essentiel de la « bonne gestion » d’une entreprise.

Bien sûr, nous n’oublions pas ici la nécessité de plus de solidarité entre tous les acteurs de l’entreprise, d’un autre partage des risques et profits… sur lesquels nous avons déjà publié (1) ni l’espoir que l’Etat puisse favoriser une autre lecture de la bonne gestion de l’entreprise.

Quelques pistes …

Dans un contexte de crise majeure, notre propos se doit d’avancer quelques pistes nouvelles pour consolider la structure entrepreneuriale…

Introduction d’une « flexisécurité interne » à l’entreprise

Le terme de « flexisécurité » est le plus souvent associé à des modèles nordiques, notamment danois, qui externalisent vers la collectivité les conséquences de « mises à pied »… par des prises en charge individuelles des cas de licenciements via allocation, formation, assistance en direction d’autres emplois … Une solution qui a priori est très coûteuse pour la collectivité et qui devient incertaine quand la crise touche l’ensemble des secteurs!

Notre proposition de « flexisécurité interne » (à l’entreprise) est autre. Nous en rappellerons ici brièvement le principe que nous avons eu l’occasion de présenter dans de précédents articles (2) et qui passe par de nouvelles modalités de rémunérations des acteurs internes (salariés) et externes (actionnaires)…

Selon notre « modèle », les rémunérations des salariés ainsi que celle des détenteurs du capital (actionnaires) sont faites de deux composantes, s’appuyant sur les deux mêmes éléments constitutifs de la valeur ajoutée nette (taxes et investissements déduits) que sont la masse salariale et les dividendes. Ainsi d’un côté la rémunération des salariés est la somme de la masse salariale - c’est toujours la composante prédéterminée, connue a priori de la rémunération - et d’une participation aux résultats significative indexée sur les dividendes qui en est la part variable, flexible. De l’autre côté, la rémunération des actionnaires ou autres détenteurs de capitaux est la somme des dividendes, fonction des résultats de l’entreprise et d’une prime dite « prime de fidélité » à l’entreprise indexée sur la masse salariale donc stable prédéterminée comme l’est la masse salariale.

La « hauteur » des parts indexées est l’objet de négociations entre des partenaires internes et externes devenus avec ces nouvelles modalités de rémunérations beaucoup plus enclins à coopérer, car partageant désormais des vues positives de la hauteur de la masse salariale et de celle des profits.

Toutes choses égales par ailleurs, plus l’indexation est élevée plus la part flexible de la rémunération des salariés est élevée… et plus la prime de fidélité est élevée dans la rémunération des actionnaires. (Nous reviendrons dans un prochain article sur les avantages de la fidélisation des actionnaires).

Toutes choses égales par ailleurs, plus l’indexation est élevée plus la part flexible de la rémunération des salariés est élevée… et plus la prime de fidélité est élevée dans la rémunération des actionnaires. (Nous reviendrons dans un prochain article sur les avantages de la fidélisation des actionnaires).

Des tontines d’entreprises ou autres réseaux de solidarité inter - entreprises

Les « tontines » sont des systèmes d’investissements inventés par le banquier italien Tonti et appliqués une première fois en France au XVIIème siècle… Les tontines ont pris diverses formes selon les régions du monde et les périodes mais elles ont en commun de rassembler des individus souscripteurs qui partagent les « bénéfices » du système jusqu'au dernier survivant.

Les tontines revivent aujourd'hui comme un système d’entraide là où les banques refusent d'intervenir. Des groupes d'amis, voisins ou collègues peuvent se constituer afin de proposer, sur la base de la confiance, des aides à chacun des membres. Les cotisations des membres et les remboursements permettent de financer les projets à venir. Ce système repose sur, et entretient de vraies relations sociales.

Ce concept, créateur de liens, porteur de solidarité « à la vie à la mort » entre individus, nous semble potentiellement porteur de solidarité inter - entreprises, du moins dans le cas de TPE-PME-PMI…

On peut même penser que des réseaux de solidarité (nationale ?) ainsi constitués sur la base de liens de confiance préalablement établis via les tontines peuvent constituer un terreau favorable à des rapprochements débouchant sur des regroupements donnant naissance à des PME / PMI de plus grandes tailles et donc plus aptes à opérer sur le marché international, moins vulnérables si elles regroupent des activités plus diversifiées que dans chacune d’elles prise séparément…

l’Etat au timon re-distributeur via les entreprises

Plutôt qu’indemniser les chômeurs, l’Etat peut envisager d’aider les entreprises à maintenir l’emploi par une allocation destinée aux salariés de l’entreprise en difficulté et prenant la forme d’une ressource exceptionnelle et temporaire compensatrice d’une baisse d’activité…

Nous avons conscience que de telles dispositions seraient d’abord à négocier avec les instances responsables du bon respect des règles de la concurrence et du libre échange voulues par l’économie de marché. Mais rien n’est inscrit dans le marbre et le contexte économique et social mondial se prête à l’acceptation d’importantes « retouches » des règles du jeu capitaliste…

Ainsi l’allocation transitant par l’entreprise couvrirait deux objectifs : d’une pierre deux coups ! l’Etat venant simultanément au secours de l’entreprise et de ses salariés !

Le chemin en serait-il pris? Ouvrant la voie, voici une actualité du 19 janvier 2009 où on pouvait lire :

« La Commission européenne vient tout juste d'autoriser la France à mettre en oeuvre les mesures d'aides aux entreprises, prévues dans son plan de relance, destinées à les aider à surmonter la crise économique…. ». Soulignant que cette mesure qui permet aux pouvoirs publics, aux collectivités territoriales et à certains organismes publics d'accorder, sur les deux années 2009 et 2010, des aides allant jusqu'à 500.000 euros aux entreprises mises en difficulté par la crise économique actuelle ou qui rencontrent des problèmes de financement en raison du resserrement du crédit, constituera inévitablement une bouffée d'oxygène pour ces entreprises affectées par la conjoncture, la Commissaire se félicite que la France, comme l'Allemagne et le Portugal fassent usage du nouvel encadrement proposé par la Commission, ajoutant que les mesures prises ne donneront pas lieu à des distorsions de concurrence disproportionnées… »


Mais l’Etat re-distributeur via les entreprises peut aussi, et en cohérence avec l’allocation compensatrice de la baisse d’activité, être incitateur pour que le temps libéré soit consacré à la formation continue en interne, cette formation pouvant avantageusement diversifier les aptitudes et qualification de chacun des salariés: une vraie nouvelle culture d’entreprise à promouvoir avec le soutien de tous les acteurs internes et externes …

Une taxation assouplie ou « flottante »

Nous avons déjà eu l’occasion de plaider pour des taxes indexées sur la valeur ajoutée(1), une modalité de taxation qui nous semble être la plus équitable car mieux répartie entre la rémunération du travail et celle du capital.

Mais la crise qui touche l’économie constitue un contexte ou il y a uniformité dans les défis à relever et donc est une aubaine pour certains changements allant plus loin via les taxes pour soutenir les entreprises et l’emploi salarié. Ainsi ce n’est pas rêver d’imaginer que les taxes deviennent un vrai levier extra muros d’aide aux entreprises et à la gestion de l’emploi. Plus particulièrement, on évoquera l’idée que toutes taxes et bien sûr celles sur les salaires soient « flottantes », allégées temporairement en cas de grandes difficultés des entreprises.

En cas ultime d’entreprise sans repreneur, l’Etat pourrait aussi envisager d’intervenir pour favoriser l’émergence de Sociétés Coopératives de production (SCOP) via des détaxations de circonstances...

Des mesures dissuasives au licenciement abusif et d’encouragement à l’emploi

Reste le cas des entreprises en bonne santé économique et qui malgré cela licencient…

Alors éviter les abus pourrait passer par des pénalités dissuasives, à la hauteur de la diminution de masse salariale résultant des licenciements envisagés et au moins égale à ce que coûterait à la collectivité les indemnités de chômage dues aux licenciements prévus, cela sur une période à négocier mais en rapport avec la durée moyenne du chômage individuel.

A l’opposé et pour encourager l’emploi (en contrat à durée indéterminée), des aides à hauteur des indemnités de chômage et pour une période également fonction de la durée moyenne de recherche d’emploi seraient des pistes à explorer.

On observera que si la première proposition semble favorable aux délocalisations et peu attirante à l’implantation de sociétés étrangères, elle est compensée par l’effet inverse de la deuxième mesure.

Au bout du compte, si globalement les dispositions prises par la loi de modernisation de l’économie (Journal Officiel du 5 août 2008) ne nous éloignent pas des objectifs de maintien voire de renforcement du tissu entrepreneurial, d’autres mesures sont nécessaires pour aller plus loin, particulièrement quand il s’agit d’entreprises des secteurs primaires et secondaires.


Cependant il reviendra toujours aux entreprises de « remplir le carnet de commandes » et notamment au management de définir les meilleures stratégies permettant de maintenir ou de se redresser au plus vite l’entreprise en difficultés, ou mieux, de savoir anticiper une diversification d’activités voire une réorientation devenue indispensable. A titre d’exemple: faut-il toujours autant attendre de l’industrie automobile? Alors, la formation continue interne dont nous avons parlé peut devenir un atout majeur pour la pérennité d‘une entreprise.




Nous conclurons en évoquant le rapport de la commission « Stieglitz » concernant la révision du PIB, pour relever que le « mieux-être », voire le « bien-être » a pour préalable une bonne insertion des populations actives…. Pour tout ce qu’il représente du point de vue aussi bien privé que collectif cette insertion passe d’abord par l’emploi, donc le plus souvent par les entreprises…

A nous de prendre en compte l’activité humaine mesurée en terme d’emploi comme indicateur de progrès social, de bon équilibre sociétal et de croissance harmonieuse…en vue d’un tout « nouveau PIB ».

Pour donner une note humoristique au propos, on dira qu’il est temps de ré - interpréter les paroles que chantait H. Salvador : « Le travail, c’est la santé….»!

*
(1) Voir aux éditions l’Harmattan les publications de R. Guillet
(2) Voir plus particulièrement l’article « Flexisécurité: une autre voie » par R. Guillet
(3) Voir plus particulièrement l’article « Un modèle de rémunération solidaire et équitable comme alternative à la faillite de l’entreprise » par R. Guillet

Annexe: L’évolution du taux de chômage en France depuis 1968*

Faut-il sauver les entreprises et leurs emplois à tout « prix » ?

*Il s'agit de données Insee qui comptabilise le chômage au sens BIT (Bureau International du Travail. Ce taux exprime le nombre les « chômeurs par rapport à la « population active ». (Graphe vu sur le site « france-inflation com »). Après une baisse continue depuis 2006, le chômage est reparti à la hausse depuis fin 2008 et atteignait à la fin du deuxième trimestre 2009 le niveau qui avait été atteint début 2006.(Source : Insee). On observe que le chômage des jeunes est à un niveau particulièrement élevé…avec des prévisions globalement peu rassurantes pour 2010.

Rémi Guillet, expert-partenaire CFO-news
guilletremi@yahoo.fr

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