Au-delà du marketing et de la tactique politicienne qui la caractérisent, cette déclaration pose deux questions essentielles. D'une part, la France est-elle légitime pour demander un euro plus faible ? D'autre part, le niveau actuel de l'euro est-il vraiment un handicap pour l'économie française et pour celle de l'UEM ? La réponse à la première question est évidemment négative. En effet, pour pouvoir peser sur l'évolution de l'euro, la France doit avant tout réformer son économie, comme ont pu le faire l'Allemagne, la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie. Ces derniers ont effectivement réussi à réduire drastiquement leurs dépenses publiques et à moderniser leur marché du travail, sans demander de délai particulier à Bruxelles, ni exiger un euro moins fort.
Bien loin de ce volontarisme, la France est désormais le dernier pays européen, voire occidental, à refuser d'appliquer ces efforts indispensables, non pour faire plaisir à Bruxelles, mais surtout pour son propre avenir économique et social. C'est en cela que si les mesures annoncées par Manuel Valls vont dans le bon sens, elles demeurent trop floues, trop éloignées dans le temps et finalement hautement insuffisantes. Dès lors, la France ne dispose plus de la crédibilité nécessaire pour imposer sa voix.
Pour autant, la réponse à notre deuxième question reste positive. En d'autres termes, oui, le niveau actuel de l'euro est un frein au retour d'une croissance forte et durable dans l'Hexagone, mais aussi dans l'ensemble de l'UEM. En effet, le niveau d'équilibre (dit Natrex pour taux de change naturel) de l'euro/dollar en fonction des fondamentaux économiques (croissance, inflation, épargne, balance courante) avoisine les 1,18 dollar pour un euro. Nous en sommes donc toujours très loin et les déclarations récentes des dirigeants de la BCE et a fortiori celles de M. Valls n'y ont rien changé.
C'est d'ailleurs là l'un des drames de la crise eurolandaise qui sévit depuis 2008 : à chaque fois que l'UEM semble sortir de la morosité et reprendre des couleurs, l'euro repart à la hausse, ce qui ruine les chances de reprise et donc de sortie définitive de la crise. L'appréciation de l'euro/dollar après le retour de la Grèce sur le marché obligataire en est un exemple cuisant. Car, malheureusement, le maintien de « l'euro killer » aura des conséquences dramatiques pour l'économie et l'emploi en Grèce et dans l'ensemble de l'UEM. C'est d'ailleurs en partie à cause de lui que les pays eurolandais ont connu une récession historique en 2008-2009. C'est aussi « grâce » à lui que la dépression est revenue en 2011-2013. Or, la vraie difficulté n'est pas de subir une récession, mais de devoir en affronter deux en trois ans. Dans ce cadre, un nouvel accès de faiblesse et a fortiori une troisième récession seraient tout simplement catastrophiques.
Et pour ceux qui auraient tendance à oublier les dangers d'une devise surévaluée, rappelons que les vecteurs de transmission d'un euro trop fort sur l'économie sont au nombre de trois.
1. Ce dernier renchérit la valeur des exportations, qui deviennent donc trop chères et finissent par reculer. Les entreprises exportatrices sont alors contraintes de réduire leur production, avec souvent des destructions d'emplois et de revenus à la clé.
2. Un euro trop fort signifie que les prix des produits importés reculent. Si cette évolution peut être perçue comme un avantage, notamment pour les consommateurs nationaux, elle se traduit également par un effet pervers bien plus négatif. En effet, si les produits importés sont moins chers, cela signifie que les producteurs nationaux voient la compétitivité-prix de leurs produits se réduire à vue d'œil. Ils perdent donc des parts de marché, réduisent la voilure et licencient. Les revenus sont abaissés et la consommation avec.
3. Lorsque l'euro est trop cher, investir dans la zone euro depuis l'étranger devient très onéreux, tandis qu'investir à l'étranger devient meilleur marché pour un Eurolandais. Dès lors, les flux d'investissements étrangers vers l'UEM se tarissent et les flux d'investissements eurolandais à l'étranger augmentent, réduisant mécaniquement la croissance et l'emploi dans la zone euro, qui voit alors ses déficits publics et sa dette s'accroître…
Au total, à chaque fois que l'euro s'apprécie de 10 %, la croissance perd environ 0,5 point. Dès que la barre des 1,35 dollar pour un euro est franchie, cette déperdition de croissance pour 10 % d'appréciation est doublée. Plus globalement, en réduisant les prix des produits importés et en pesant négativement sur l'activité nationale, l'euro trop fort alimente les forces déflationnistes, qui sont d'ailleurs d'ores et déjà en mouvement dans l'UEM. Or, comme nous l'avons déjà expliqué dans ces mêmes colonnes, la déflation est le pire des maux économiques. À l'inverse, lorsque l'euro se déprécie de 10 %, la progression de l'activité gagne 0,5 point. Et lorsque celui-ci passe sous 1,15 dollar, ce gain de croissance pour 10 % de dépréciation est également doublé.
Par ailleurs, l'impact d'une baisse de l'euro sur les cours des matières premières, qui deviendraient donc plus chères, serait limité. En effet, lorsque l'euro recule, le dollar s'apprécie et généralement, cette appréciation du billet vert se traduit par une désaffection des investisseurs pour les matières premières et notamment le pétrole, qui voient donc leurs cours baisser.
En conclusion, il faut être clair : oui la France et la zone euro ont besoin d'un euro moins fort. Ne l'oublions jamais : la dernière fois que la croissance a été forte dans l'Hexagone et dans l'UEM, c'était en 1999-2000, lorsque l'euro valait environ 0,90 dollar. À l'inverse, à chaque fois que l'euro a dépassé 1,20 dollar, la croissance s'est effondrée.
En définitive, si l'on ne veut pas retomber dans la récession et plus globalement dans la crise de la dette, l'euro est condamné à repartir à la baisse, soit dans la douceur, via une meilleure gouvernance économique et monétaire, mais aussi via une politique française plus crédible qui permettra notamment aux Allemands d'assouplir leur position ; soit dans la douleur avec un retour de la récession qui deviendra alors dévastatrice. C'est là tout le paradoxe de l'euro : plus il est cher, plus l'économie eurolandaise souffre et plus la probabilité d'une nouvelle crise de l'UEM augmente.
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Bien loin de ce volontarisme, la France est désormais le dernier pays européen, voire occidental, à refuser d'appliquer ces efforts indispensables, non pour faire plaisir à Bruxelles, mais surtout pour son propre avenir économique et social. C'est en cela que si les mesures annoncées par Manuel Valls vont dans le bon sens, elles demeurent trop floues, trop éloignées dans le temps et finalement hautement insuffisantes. Dès lors, la France ne dispose plus de la crédibilité nécessaire pour imposer sa voix.
Pour autant, la réponse à notre deuxième question reste positive. En d'autres termes, oui, le niveau actuel de l'euro est un frein au retour d'une croissance forte et durable dans l'Hexagone, mais aussi dans l'ensemble de l'UEM. En effet, le niveau d'équilibre (dit Natrex pour taux de change naturel) de l'euro/dollar en fonction des fondamentaux économiques (croissance, inflation, épargne, balance courante) avoisine les 1,18 dollar pour un euro. Nous en sommes donc toujours très loin et les déclarations récentes des dirigeants de la BCE et a fortiori celles de M. Valls n'y ont rien changé.
C'est d'ailleurs là l'un des drames de la crise eurolandaise qui sévit depuis 2008 : à chaque fois que l'UEM semble sortir de la morosité et reprendre des couleurs, l'euro repart à la hausse, ce qui ruine les chances de reprise et donc de sortie définitive de la crise. L'appréciation de l'euro/dollar après le retour de la Grèce sur le marché obligataire en est un exemple cuisant. Car, malheureusement, le maintien de « l'euro killer » aura des conséquences dramatiques pour l'économie et l'emploi en Grèce et dans l'ensemble de l'UEM. C'est d'ailleurs en partie à cause de lui que les pays eurolandais ont connu une récession historique en 2008-2009. C'est aussi « grâce » à lui que la dépression est revenue en 2011-2013. Or, la vraie difficulté n'est pas de subir une récession, mais de devoir en affronter deux en trois ans. Dans ce cadre, un nouvel accès de faiblesse et a fortiori une troisième récession seraient tout simplement catastrophiques.
Et pour ceux qui auraient tendance à oublier les dangers d'une devise surévaluée, rappelons que les vecteurs de transmission d'un euro trop fort sur l'économie sont au nombre de trois.
1. Ce dernier renchérit la valeur des exportations, qui deviennent donc trop chères et finissent par reculer. Les entreprises exportatrices sont alors contraintes de réduire leur production, avec souvent des destructions d'emplois et de revenus à la clé.
2. Un euro trop fort signifie que les prix des produits importés reculent. Si cette évolution peut être perçue comme un avantage, notamment pour les consommateurs nationaux, elle se traduit également par un effet pervers bien plus négatif. En effet, si les produits importés sont moins chers, cela signifie que les producteurs nationaux voient la compétitivité-prix de leurs produits se réduire à vue d'œil. Ils perdent donc des parts de marché, réduisent la voilure et licencient. Les revenus sont abaissés et la consommation avec.
3. Lorsque l'euro est trop cher, investir dans la zone euro depuis l'étranger devient très onéreux, tandis qu'investir à l'étranger devient meilleur marché pour un Eurolandais. Dès lors, les flux d'investissements étrangers vers l'UEM se tarissent et les flux d'investissements eurolandais à l'étranger augmentent, réduisant mécaniquement la croissance et l'emploi dans la zone euro, qui voit alors ses déficits publics et sa dette s'accroître…
Au total, à chaque fois que l'euro s'apprécie de 10 %, la croissance perd environ 0,5 point. Dès que la barre des 1,35 dollar pour un euro est franchie, cette déperdition de croissance pour 10 % d'appréciation est doublée. Plus globalement, en réduisant les prix des produits importés et en pesant négativement sur l'activité nationale, l'euro trop fort alimente les forces déflationnistes, qui sont d'ailleurs d'ores et déjà en mouvement dans l'UEM. Or, comme nous l'avons déjà expliqué dans ces mêmes colonnes, la déflation est le pire des maux économiques. À l'inverse, lorsque l'euro se déprécie de 10 %, la progression de l'activité gagne 0,5 point. Et lorsque celui-ci passe sous 1,15 dollar, ce gain de croissance pour 10 % de dépréciation est également doublé.
Par ailleurs, l'impact d'une baisse de l'euro sur les cours des matières premières, qui deviendraient donc plus chères, serait limité. En effet, lorsque l'euro recule, le dollar s'apprécie et généralement, cette appréciation du billet vert se traduit par une désaffection des investisseurs pour les matières premières et notamment le pétrole, qui voient donc leurs cours baisser.
En conclusion, il faut être clair : oui la France et la zone euro ont besoin d'un euro moins fort. Ne l'oublions jamais : la dernière fois que la croissance a été forte dans l'Hexagone et dans l'UEM, c'était en 1999-2000, lorsque l'euro valait environ 0,90 dollar. À l'inverse, à chaque fois que l'euro a dépassé 1,20 dollar, la croissance s'est effondrée.
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