A l’occasion des élections présidentielles en France le bureau français de l’association Transparency International a établi une liste de douze questions à poser aux candidats.
L’association et son président Daniel Lebègue, qui est personnalité de l'administration et du monde des affaires français (1), n’emploient pas de langue de bois pour évoquer les affaires entachant la vie politique et des affaires en France.
Cela tranche singulièrement avec le silence ou le déni au Luxembourg sur les dysfonctionnements (2).
D’ailleurs la corruption officiellement n’existe pas au Luxembourg : « l’administration luxembourgeoise connaît si peu de problèmes de corruption, que le phénomène est considéré comme marginal, au point d'ailleurs de ne donner lieu à l'établissement d'aucune statistique(3) ».
La promiscuité et les enjeux d'affaires annihilent en réalité tout esprit critique et toute réaction y compris face à des situations flagrantes non compatibles avec les discours éthiques, sous peine d'exclusion du « système » (Personne sur la Place luxembourgeoise n’oserait tenir un discours responsable et de vérité comme Mr Lebègue).
Or taire les dysfonctionnements avérés, de surcroît dans les sources publiques et officielles, loin de protéger la réputation, nourrit les dysfonctionnements et le risque de l’affaire de trop. Cette situation de fait entretient les opportunités d’implications internationales du Luxembourg car la négligence tolérée s’est bel et bien substituée au pragmatisme sur une place dont la petite taille (2500 km2) amplifie l’effet négatif des dysfonctionnements car on peut glisser facilement du conflit d’intérêt à la corruption.
D’où l’idée de transposer au Grand Duché du Luxembourg les thématiques posées par Transparence-International (France) et d’interpeller les parlementaires luxembourgeois qui ont été destinataires des questions suivantes en mars 2007.
1. Enseignement civique et social
L’instruction civique est prise en considération par les pouvoirs publics de manière remarquable. Au Grand-Duché de Luxembourg, le programme prévoit un cours consacré à l’instruction civique dans les classes de deuxième de l’enseignement secondaire. Ce cours vise à «expliquer de manière objective les mécanismes du jeu politique et à promouvoir la réflexion des jeunes pour les préparer à assumer leurs responsabilités de futurs citoyens.»
Le manuel que les enseignants utilisent pour ce cours a été édité par le ministère luxembourgeois de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle en 2002. Il présente une première partie consacrée aux institutions luxembourgeoises et une deuxième partie consacrée aux organisations européennes.
Un manuel d’instruction civique en ligne (MENFP, Luxembourg, 2002) permet de découvrir les textes de base du manuel original suivis d’un certain nombre de documents originaux qui permettent de soutenir l’apprentissage de l’instruction civique par les élèves dans l’enseignement luxembourgeois. Grâce à la mise en ligne de ces connaissances, les enseignants bénéficient d’une plus grande liberté méthodologique. Ils peuvent imprimer les textes de base et les documents originaux mais peuvent également les projeter ou demander aux élèves de travailler sur les documents en ligne à la bibliothèque ou à domicile.
Pour autant des pratiques non éthiques sont banalisées, comme en témoigne le baromètre de TI : le nombre de pot de vin est plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays de l’UE (4).
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient ajouter au programme d’instruction civique la notion d’éthique.
2. Financement des partis politiques
Les partis luxembourgeois politiques représentés au parlement ont entamé récemment les discussions concernant le financement des partis politiques (5).
Dans l’exposé des motifs, il est rappelé que si les partis politiques constituent un élément essentiel du fonctionnement des institutions dans un régime démocratique, la Constitution luxembourgeoise ignore cette réalité sociale voire que le droit électoral ne mentionne nulle part les partis politiques et se borne à reconnaître l’existence de candidats regroupés sur des listes. C’est une loi du 7 janvier 1999 qui, pour la première fois, a consacré l’existence de partis et de groupements politiques dans le cadre du remboursement partiel de leurs frais de campagnes électorales pour les élections à la Chambre des Députés et au Parlement européen.
Il est apparu qu’une référence aux programmes, aux structures et au financement des partis dans le texte de la Constitution n’apporterait guère une plus-value à la proposition de révision. A l’heure actuelle elle engendrerait plus de questions que de réponses.
L’absence de contrôle du financement des partis politiques est un risque majeur de dérive. Les comptes des partis doivent faire l’objet d’un contrôle. La question de l’autorité de contrôle se pose. De par sa composition politique, le Conseil d’Etat ne saurait être cette autorité.
Une solution pourrait être un contrôle par la Cour Constitutionnelle ou d’instituer une Autorité Administrative Indépendante à l’instar de ce qui se fait en France.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient promouvoir la transparence sur le financement de la vie politique.
3. Déclaration de patrimoine et de revenus des candidats et élus
Exercer un mandat électif dans le cadre de la démocratie ne doit pas conduire à s’enrichir.
Les élus pourraient s’appliquer les règles demandées aux mandataires sociaux d’entreprises européennes i.e. faire une déclaration annuelle de l’ensemble de leurs revenus directs et indirects y compris les avantages.
De même le patrimoine devrait être transparent déclaré en début et en fin de mandat.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient être transparents sur leur patrimoine et leurs revenus.
4. Limitation du nombre de mandats électifs
Très souvent il apparaît que les mandats électifs sont confisqués par un petit nombre. Si l’on peut comprendre qu’il ne soit pas aisé dans un petit pays tel que le Luxembourg de trouver des volontaires candidats, il n’est pas sain qu’il y ait permanence les mêmes personnes physiques.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient favoriser de nouveaux candidats pour se présenter aux élections et accepter le principe d’une limitation de l’éligibilité pour la même fonction élective à deux mandats successifs.
5. Marchés publics
Il apparaît dans le baromètre de Transparency International qu’au Luxembourg les pots de fin seraient plus élevés que dans les autres pays de l’Union Européenne. Pour les marchés publics, l’Union Européenne a fixé des règles en matière d’appels d’offre. Transparency International a rédigé un pacte d’intégrité pour les marchés publics, qui associe la mise en place d’une charte éthique de l'achat public dans les collectivités publiques à l’attestation du dirigeant de l’entreprise soumissionnaire que l'attribution du marché n'a donné lieu à aucun avantage occulte et que toutes les charges facturées correspondent à des prestations effectives.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient s’approprier ce pacte pour prévenir la corruption et améliorer la déontologie de la commande publique.
6. « Secret écologique »
La notion de « secret défense », dans les thématiques de Transparence-Internationales (France), n’est sans doute pas aussi pertinente pour le Luxembourg que pour la France. En revanche il y aurait un peut-être un « secret écologique » au Luxembourg. C’est en tout cas ce que pourrait laisser penser la bataille juridique de plus d’un an, qui a opposé Greenpeace au Ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké, au sujet de l’application de la loi du 25 novembre 2005 relative à l’accès du public aux informations environnementales. La Cour administrative vient de donner raison (6) à l’organisation de protection de l’environnement.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient favoriser la transparence sur les questions environnementales.
7. Moyens de la justice
Les moyens limités actuels de la justice ont été relevés dans d’une part le rapport récent Petita Pro Nova Justitia (qui a été passé sous silence, bien qu’il émane d’un groupe de réflexion proche des décideurs, le Cercle Joseph Bech) et d’autre part le Médiateur dans ses Recommandation relative à l’institution d’un Conseil Supérieur de la Justice.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient donner à la justice des moyens à la hauteur des ambitions de la place financière.
8. Lutte contre le blanchiment et les paradis fiscaux
Les places financières comme le Luxembourg sont très controversées : les altermondialiste voient des lieux de fraude et de blanchiment ; l’OCDE voit des lieux d’une concurrence inéquitable (7) ; le Sénat américain voit des lieux qui sont l’ouest sauvage du monde financier (8), l’investisseur voit des lieux d’optimisation fiscale et les pays concernés, dont le Luxembourg, voient des lieux « d’ingénierie financière ». Chacun est enfermé dans sa logique prendre la hauteur nécessaire pour comprendre la problématique des places financières.
Non, la finance n’est pas le diable, n’en déplaise aux Arnaud Montebourg et consorts, et on ne saurait reprocher sur le principe au Luxembourg (ou à d’autres places financières) d’avoir eu l’intuition de développer le secteur financier et d’en tirer une croissance du PIB par les normes fiscales et bancaires attractives.
Ce qui est condamnable en revanche c’est le laxisme. Ainsi peut-on définir pragmatiquement le « paradis fiscal » par deux conditions cumulatives. Est un « paradis fiscal », le pays qui fonde sa croissance sur
1) des normes fiscales et bancaires attractives, et
2) ne met pas en œuvre de manière crédible et évidente les moyens nécessaires pour écarter de manière effective des affaires les personnes physiques ou morales ne présentant pas l'assurance raisonnable d'exercer une activité irrépréhensible, suscitant ainsi mécaniquement par le sentiment d'impunité qui en résulte, une hausse du risque de fraudes et blanchiments dans le pays et donc des affaires impliquant le pays au plan international. Ces fraudes peuvent se faire au détriment du pays attractif lui-même (e.g. faillites frauduleuses, montage de sociétés pour facturer dans un autre pays à TVA plus avantageuse ou échapper à la TVA...), au détriment du pays d'origine de l'investisseur ( e.g. fraude fiscale...), au détriment de l'Union européenne (e.g. carousel TVA, montage de sociétés pour facturer hors Union Européenne dans un pays tiers à TVA plus avantageuse ou échapper à la TVA...), au détriment de la collectivité (blanchiment, financement du terrorisme…).
Cette définition n’est pas favorable au Luxembourg (9), dont les professionnels devraient se rappeler qu’Al Capone (10) est tombé sur un simple contrôle fiscal et que Noriega est tombé car il n’était plus soutenu par les USA, qui ont récemment identifié le Luxembourg comme paradis fiscal dans un projet de loi (11). Ce ne sont plus Montebourg et consort, mais les sénateurs américains et plus généralement les administrations fiscales des états américains ou de l’état fédéral et la justice américaine qui sont susceptibles de s’intéresser à la place.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient avoir le courage de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour qu’il n’y ait plus le sentiment d’impunité nuisant à la réputation du pays par le risque d’implication internationale qui en résulte.
9. Renforcement de la coopération judiciaire en Europe
Comme l’a rappelé Transparence-International (France), la mondialisation de la criminalité, et notamment de la corruption, exige une réponse internationale de la part des États. L’Union Européenne n’est pas restée inactive : au-delà de la coopération au sein d’EUROPOL et d’EUROJUST, la Déclaration de Paris (12) propose de nouvelles mesures de collaboration en matière de lutte contre la corruption. Les Parlements européens se sont engagés à améliorer la transparence des mouvements de capitaux, à renforcer les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs, à consolider la coopération judiciaire, policière et administrative et à développer des règles prudentielles contre le blanchiment et la délinquance financière. Le but est de mettre en place une base normative commune pour la définition des législations nationales.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient rendre obligatoire le respect des engagements pris dans la Déclaration de Paris comme faisant partie de l’acquis communautaire ?
10. Aide au développement
Dans une interview au Quotidien (13), Jean-Louis Schiltz, Ministre de la Coopération, a définit la coopération luxembourgeoise comme l'expression de la solidarité luxembourgeoise au plan international, rappelant que le monde n'est qu'un et chacun ne peut pas rester dans son coin à regarder ce qui arrive aux autres sans s'en soucier.
Le Luxembourg fait partie, avec la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, des nations européennes les plus en pointe dans le domaine de la coopération.
Dans sa coopération, le Luxembourg se coordonne avec l'ONG Transparency International, et veille à ce que les fonds luxembourgeois arrivent là où ils doivent arriver
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient intensifier leur exigence de la part des Etats bénéficiaires de l’aide bilatérale luxembourgeoise d’agir de manière effective contre la corruption et d’assurer la transparence sur l’utilisation de l’aide.
11. Industries extractives
Transparence-International (France), l’exploitation de leurs ressources naturelles constitue potentiellement l’un des meilleurs leviers économiques pour le développement des pays pauvres. Or, on constate que les deux tiers de la population la plus défavorisée est localisée dans des États parmi les plus riches en ressources naturelles. C’est ce l’on nomme la « malédiction des ressources ».
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient promouvoir une directive au plan européen rendant obligatoire, pour les entreprises cotées du secteur des industries extractives, la publication dans leurs rapports annuels, des paiements de toutes natures faits à des États dans lesquels elles opèrent.
12. Alerte éthique (whistleblowing)
Transparence-International (France) estime que le déclenchement d’alerte, d’inspiration américaine avec la loi SOX, est un outil utile de prévention de la corruption et soutient le développement de ce type de procédures d’usage courant dans de nombreux pays étrangers, tout en reconnaissance que la démarche doit être encadrée de manière à prévenir les plaintes abusives et protéger le déclencheur d’alerte d’éventuelles représailles : en effet, comme Me Lutgen (14) le soulignait lors d’une intervention dans le cadre de l’Institut des Auditeurs Internes de Luxembourg, il n’y a aucune disposition de protection au-delà de la déclaration de soupçon de blanchiment.
La question du whistleblowing est très délicate, surtout au Luxembourg, où l’on est davantage compréhensif avec les personnes malhonnêtes que l’on soutient le discours et les actions des personnes éthiques considérées comme « manquant de pragmatisme » (Cf. article de l’auteur en mars 2007 dans Agefi pour le démontrer (15).
La Commission Nationale pour la Protection des Données (CNPD) a rédigé un dossier thématique mis en ligne en juin 2006, n’a pas encore eu à statuer formellement sur des questions liées au whistleblowing. En effet, contrairement à la loi française, la loi du 2 août 2002 ne confère pas à la Commission nationale de compétence d’autorisation en la matière : les entreprises sises au Luxembourg souhaitant installer un dispositif d’alerte professionnelle doivent effectuer une notification conformément aux articles 12 (Notification préalable à la Commission nationale) et 13 (Contenu et forme de la notification) de la loi.
Néanmoins il demeure que lorsque l’institution du whistleblowing est obligatoire comme dans le cadre de la loi SOX, l’attitude luxembourgeoise consistant à dénier les dysfonctionnements même dans les sources publiques officielles, voire rejeter ceux qui parlent de ces dysfonctionnements conduit à l’interroger sur la réalité de la conformité à SOX sur ce plan de nombre d’établissements sise au Luxembourg (16)
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient encourager la mise en place de procédures de déclenchement d’alertes au sein des entreprises et des administrations, prévoyant notamment la protection des déclencheurs d’alerte.
Quelle a été la réaction des honorables (17) parlementaires luxembourgeois ?
Aucun parlementaire n’a daigné répondre malgré l’enjeu de réputation et alors que deux questions parlementaires récentes courageuses, non reprises par les média locaux (18), évoquent des faits particulièrement graves venant démentir le discours officiel lénifiant au GRECO, qui d’ailleurs n’a pas été dupe (19):
- dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen lancé par les autorités judiciaires françaises et d'une instruction menée pour corruption, escroquerie fiscale et plusieurs autres infractions pénales à l'encontre d'un ressortissant français qui dirigeait plusieurs société fiduciaires et de conseil fiscal à Luxembourg, trois fonctionnaires de l'Administration des Contributions Directes seraient directement impliqués et risquent d'être inculpés à moins que cela ne soit déjà le cas. Les dits fonctionnaires auraient été des partenaires l'un d'une société de conseil fiscal offshore l'autre d'une société de conseil fiscal luxembourgeoise toujours avec le ressortissant français décrit ci-dessus. Les fonctionnaires en question auraient été autorisés soit explicitement soit tacitement par le gouvernement à participer comme actionnaire voir comme partenaire dans les sociétés incriminées (20).
- un trafic de fausses autorisations de commerce a été découvert : au vu des enquêtes en cours il prend une dimension considérable alors qu'il impliquerait plus d'une centaine de commerces et d'entreprises artisanales. Ce trafic consiste en ce que des ressortissants essentiellement portugais obtiennent au Portugal de fausses autorisations de commerce et de faux diplômes moyennant paiement de sommes importantes - on parle de 30.000 € par autorisation - et que ces autorisations falsifiées sont ensuite enregistrées au Luxembourg (21).
Comme le dit Christian Maréchal, derrière la façade d’honorabilité, s’il y a un autre monde, il est difficile de faire coexister constamment et complètement les deux mondes. A un moment, une erreur se produit, quelque chose n’est plus compatible (22). La façade est aujourd’hui bien craquelée ce qui soulève des questions pour la communauté financière.
Dans quelle mesure les mœurs d’affaires de la place luxembourgeoise peuvent-elles porter atteinte à la crédibilité éthique des enseignes internationales de banques ou de cabinets d’audit et aux évaluations favorables d’organismes comme le GAFI ou le FMI qui ont donné un satisfecit (23) en contradiction avec la réalité visible dans les sources officielles et publiques ?
S’agissant de l’investisseur, ne va-t-il pas finir par être stigmatisé comme « présumé fraudeur » dans son pays d’origine parce qu’il choisit une telle place financière: cela pourrait dissuader aussi bien l’investisseur « en bon père de famille » ne voulant pas être soupçonné à tort de choisir le Luxembourg pour son climat permissif, que d’autres investisseurs ne voulant pas ou plus attirer l’attention sur eux ?
Jérôme Turquey
Auditeur-conseil indépendant en éthique des affaires et risque de réputation
Chargé de cours en Master de Sciences criminelles sur les paradis financiers
En savoir plus :
ethiquedesplaces.blogspirit.com
(1) Diplômé de l'Institut d'études politiques de Lyon et ancien élève de l'École nationale d'administration, il a débuté sa carrière en 1969 au Ministère de l'Economie et des Finances en qualité d'administrateur civil de la Direction du Trésor. De 1974 à 1976, Daniel Lebègue est attaché financier près de l'Ambassade de France au Japon. De retour à la Direction du Trésor, il occupe successivement les postes de chef de bureau de la balance des paiement et des changes, Chef de bureau de la trésorerie, sous-directeur en charge du service épargne et marché financier. En 1981, il est nommé conseiller technique auprès du cabinet du Premier Ministre Pierre Mauroy, chargé des affaires économiques et financières. Il devient directeur adjoint de la Direction du Trésor en 1983 puis directeur du Trésor de 1984 à 1987. En 1987, il rejoint la Banque Nationale de Paris en tant qu'administrateur Directeur Général, puis devient Administrateur Vice Président en 1996. De 1998 à 2002, Daniel Lebègue occupe les fonctions de directeur Général de la Caisse des Dépôts et Consignations. Depuis 2003, il est administrateur d'Alcatel, Crédit Agricole SA, Technip, Scor. Parallèlement, il est président de l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, président de la section française de Transparency International, coprésident d’Eurofi, président d’Epargne sans frontières. Depuis juillet 2003, il préside l'Institut Français des Administrateurs (IFA), association professionnelle des administrateurs de sociétés exerçant leurs fonctions en France. Il préside également le Conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Lyon.
(2) L’opportunité affaire exceptionnelle de l’ex président de la Chambre des Comptes n’a pas été saisie pour faire l’aggiornamento du fonctionnement des institutions publiques et privées et se poser les vraies questions sur la permissivité. Comme le relève un rapport de la Cellule STADE du CRP-Gabriel Lippmann, « il est remarquable qu’aucun mouvement politique n’ait saisi l’opportunité de cette affaire déplorable pour développer un argumentaire sur le thème parfaitement médiatique qu’est la corruption. Chose d’autant plus curieuse que les ‘jeunes’ partis politiques tels les Verts et ADR, emprunts d’éthique et de dénonciation des gabegies budgétaires, auraient pu saisir ce cheval de bataille en ne limitant pas le règlement du scandale à la seule enceinte de la Chambre ». (CRP-Gabriel Lippmann : Cellule STADE, Projet Elections, 21 novembre 2000, p. 37). Les griefs ayant donné lieu à la révocation sont toujours en cours d’instruction selon le ministre de la Justice répondant à une question d’un parlementaire fin 2005 (Question N° 0781 en date du 2 décembre 2005 de M. Robert Mehlen, ADR, concernant la procédure judiciaire entamée contre l'ancien Président de la Chambre des Comptes ; réponse datée du 16 décembre 2005 du ministre de la justice).
(3) Cf. Groupe d'Etats contre la Corruption - GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 13. Voir aussi OCDE, Groupe de Travail sur la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales (CIME), rapport du 28 mai 2004 sur le Luxembourg, pp. 5-6.
(4) Cf. Rapport sur le Baromètre Mondial de la Corruption de 2006, de Transparency International, diffusé le 7 décembre 2006, page 20. A la question « Durant les douze derniers mois avez-vous ou quelqu’un de votre famille payé un pot-de-vin sous quelque forme que ce soit », 6% de luxembourgeois répondent que oui contre 1% de Suisses, de Suédois ou de Finlandais, 2% d’Autrichiens, de Danois, de Français, d’Allemands, d’Islandais, de Hollandais, de Norvégiens, de Portugais, d’Espagnols et d’Anglais, 5% de Polonais. En Europe auraient versés plus de pots de fin que les Luxembourgeois les Tchèques et les Grecs (17%). Selon le baromètre, pour des comparaisons hors Europe occidentale, les Luxembourgeois seraient au niveau de l’Argentine et moins éthiques que des pays comme la Corée du Sud, Taiwan ou la Turquie (2% chacun)
(5) Cf. proposition de révision N°5673 portant création d’un article 32bis nouveau de la Constitution. Dépôt (M. Alex Bodry, Vice-Président de la Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle) et transmission à la Conférence des Présidents (30 janvier 2007). Déclaration de recevabilité et transmission au Conseil d’Etat et au Gouvernement (8 février 2007)
(6) Goetzinger (Greenpeace) c/ Ministre de l'Economie – Jugement Cour Administrative du 1er février 2007 (R. N° 21572C et 21712 C)
(7) Cf. rapport "Harmful Tax Competition," de 1998 et les rapports d’étape de 2001 et 2004
(8) Rapport « Paradis fiscaux : abus, outils, secrets » (août 2006)
(9) Cf. par exemple le Rapport Annuel 2006 de l’AED page 22 : « Le combat de la fraude fiscale sans une suite au niveau pénal pour les responsables ne fait qu’aggraver la situation existante, déjà très inquiétante. L’impunité des organisateurs favorise l’émergence de sociétés frauduleuses au Luxembourg et aussi des dénonciations pour soupçons de blanchiment transmises par les banques et autres opérateurs économiques au Parquet économique. Il va sans dire que nous retrouvons toujours les mêmes personnes créant, gérant et finalement liquidant, sinon abandonnant ces sociétés. »
(10) D’aucuns attribuent à l’affaire Al Capone l’expression « money laundering ».
(11) Stop Tax Haven Abuse Act, présenté le 17 février 2007.
(12) Déclaration de Paris contre le blanchiment (Conférence des Parlements de l’Union européenne contre le blanchiment des 7 et 8 février 2002)
(13) 13 février 2006
(14) Conférence « Evolution des risques juridiques ».
(15) Cf. article de l’auteur en mars 2007 dans Agefi pour le démontrer.
(16) Comme le relève le rapport 2004 de l’OCDE, « La probabilité qu’un salarié d’une entreprise témoin de malversations décide de les révéler aux autorités publiques semble fort réduite au Luxembourg. De l’avis des syndicats auditionnés par l’équipe d’examen, la petitesse du pays en serait la cause principale : tout se sachant très vite, le dénonciateur, étiqueté comme délateur, se retrouverait très vite exclu » (Groupe de travail sur la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales, Rapport sur l’application de la convention sur la lutte contre la corruption, 28 mai 2004, page 9)
(17) C’est l’expression consacrée dans l’art épistolaire
(18) Comme le relevait en 2001 le GRECO, « la presse, qui possède de fortes attaches politiques, ne semble pas exercer son rôle d’observateur avec la même rigueur que dans d’autres pays. Cela peut être dû à la faible importance du marché de la presse (population et intérêt pour les affaires intérieures). Mais cela peut également être dû au traditionnel manque de transparence des autorités publiques, à l’absence de protection pour les sources d’information des journalistes, et à la façon dont les autorités ont parfois réagi à des allégations de corruption formulées dans la presse » (Cf. Premier cycle d’évaluation - Rapport d’évaluation sur le Luxembourg, p. 12. Adopté par le GRECO lors de sa 5ème Réunion plénière. Strasbourg, 11-15 juin 2001). Malgré les évolutions positives récentes avec la Loi du 8 juin 2004 sur la liberté d'expression dans les médias, il semble y avoir toujours une autocensure
(19) « Les petites affaires ne doivent pas être négligées car elles banalisent le système et le rendent quasi-normal et invisible. C’est la raison pour laquelle il doit être observé que les raisons souvent invoquées, tenant à la dimension du pays et au fait que tout le monde se connaît (ce qui favoriserait un autocontrôle permanent), ainsi qu’à un niveau élevé de rémunération, ne sauraient constituer une garantie suffisante et pourraient même avoir un effet pervers, chacun sachant que l’autre pouvant être convaincu d’indélicatesse(s), se réfugierait dans un silence complice » (Cf. Groupe d'Etats contre la Corruption - GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 13)
(20) Question parlementaire du 11 septembre 2007 au Ministre de la Justice Luc Frieden
(21) Question parlementaire du 13 juin 2007 au Ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement Fernand Boden. Il s’agissait d’une question urgente appelant une réponse dans les huit jours. Aucune réponse n’a semble-t-il été apportée.
(22) Ch. Maréchal, Meurtres à l'ombre de la qualité. Paris, INSEP, 2002, page 49.
(23) Voir par exemple pour le FMI : « Luxembourg has in place a solid criminal legal framework and supervisory system to address the significant challenge of money laundering faced by this important international financial center » (Rapport du 1er novembre 2004, page 1). Sur ce point l’évolution récente des autorités américaines mérite d’être soulignée : « Luxembourg's anti-money laundering regime may be relying too heavily on the filing of suspicious transaction reports to generate investigations. Although Luxembourg has steadily enacted anti-money laundering and terrorist finance laws, policies, and procedures, the lack of prosecutions and convictions is telling, particularly for a country that boasts such a large financial sector. » (Cf. International Narcotics Control Strategy Report 2007)
L’association et son président Daniel Lebègue, qui est personnalité de l'administration et du monde des affaires français (1), n’emploient pas de langue de bois pour évoquer les affaires entachant la vie politique et des affaires en France.
Cela tranche singulièrement avec le silence ou le déni au Luxembourg sur les dysfonctionnements (2).
D’ailleurs la corruption officiellement n’existe pas au Luxembourg : « l’administration luxembourgeoise connaît si peu de problèmes de corruption, que le phénomène est considéré comme marginal, au point d'ailleurs de ne donner lieu à l'établissement d'aucune statistique(3) ».
La promiscuité et les enjeux d'affaires annihilent en réalité tout esprit critique et toute réaction y compris face à des situations flagrantes non compatibles avec les discours éthiques, sous peine d'exclusion du « système » (Personne sur la Place luxembourgeoise n’oserait tenir un discours responsable et de vérité comme Mr Lebègue).
Or taire les dysfonctionnements avérés, de surcroît dans les sources publiques et officielles, loin de protéger la réputation, nourrit les dysfonctionnements et le risque de l’affaire de trop. Cette situation de fait entretient les opportunités d’implications internationales du Luxembourg car la négligence tolérée s’est bel et bien substituée au pragmatisme sur une place dont la petite taille (2500 km2) amplifie l’effet négatif des dysfonctionnements car on peut glisser facilement du conflit d’intérêt à la corruption.
D’où l’idée de transposer au Grand Duché du Luxembourg les thématiques posées par Transparence-International (France) et d’interpeller les parlementaires luxembourgeois qui ont été destinataires des questions suivantes en mars 2007.
1. Enseignement civique et social
L’instruction civique est prise en considération par les pouvoirs publics de manière remarquable. Au Grand-Duché de Luxembourg, le programme prévoit un cours consacré à l’instruction civique dans les classes de deuxième de l’enseignement secondaire. Ce cours vise à «expliquer de manière objective les mécanismes du jeu politique et à promouvoir la réflexion des jeunes pour les préparer à assumer leurs responsabilités de futurs citoyens.»
Le manuel que les enseignants utilisent pour ce cours a été édité par le ministère luxembourgeois de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle en 2002. Il présente une première partie consacrée aux institutions luxembourgeoises et une deuxième partie consacrée aux organisations européennes.
Un manuel d’instruction civique en ligne (MENFP, Luxembourg, 2002) permet de découvrir les textes de base du manuel original suivis d’un certain nombre de documents originaux qui permettent de soutenir l’apprentissage de l’instruction civique par les élèves dans l’enseignement luxembourgeois. Grâce à la mise en ligne de ces connaissances, les enseignants bénéficient d’une plus grande liberté méthodologique. Ils peuvent imprimer les textes de base et les documents originaux mais peuvent également les projeter ou demander aux élèves de travailler sur les documents en ligne à la bibliothèque ou à domicile.
Pour autant des pratiques non éthiques sont banalisées, comme en témoigne le baromètre de TI : le nombre de pot de vin est plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays de l’UE (4).
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient ajouter au programme d’instruction civique la notion d’éthique.
2. Financement des partis politiques
Les partis luxembourgeois politiques représentés au parlement ont entamé récemment les discussions concernant le financement des partis politiques (5).
Dans l’exposé des motifs, il est rappelé que si les partis politiques constituent un élément essentiel du fonctionnement des institutions dans un régime démocratique, la Constitution luxembourgeoise ignore cette réalité sociale voire que le droit électoral ne mentionne nulle part les partis politiques et se borne à reconnaître l’existence de candidats regroupés sur des listes. C’est une loi du 7 janvier 1999 qui, pour la première fois, a consacré l’existence de partis et de groupements politiques dans le cadre du remboursement partiel de leurs frais de campagnes électorales pour les élections à la Chambre des Députés et au Parlement européen.
Il est apparu qu’une référence aux programmes, aux structures et au financement des partis dans le texte de la Constitution n’apporterait guère une plus-value à la proposition de révision. A l’heure actuelle elle engendrerait plus de questions que de réponses.
L’absence de contrôle du financement des partis politiques est un risque majeur de dérive. Les comptes des partis doivent faire l’objet d’un contrôle. La question de l’autorité de contrôle se pose. De par sa composition politique, le Conseil d’Etat ne saurait être cette autorité.
Une solution pourrait être un contrôle par la Cour Constitutionnelle ou d’instituer une Autorité Administrative Indépendante à l’instar de ce qui se fait en France.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient promouvoir la transparence sur le financement de la vie politique.
3. Déclaration de patrimoine et de revenus des candidats et élus
Exercer un mandat électif dans le cadre de la démocratie ne doit pas conduire à s’enrichir.
Les élus pourraient s’appliquer les règles demandées aux mandataires sociaux d’entreprises européennes i.e. faire une déclaration annuelle de l’ensemble de leurs revenus directs et indirects y compris les avantages.
De même le patrimoine devrait être transparent déclaré en début et en fin de mandat.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient être transparents sur leur patrimoine et leurs revenus.
4. Limitation du nombre de mandats électifs
Très souvent il apparaît que les mandats électifs sont confisqués par un petit nombre. Si l’on peut comprendre qu’il ne soit pas aisé dans un petit pays tel que le Luxembourg de trouver des volontaires candidats, il n’est pas sain qu’il y ait permanence les mêmes personnes physiques.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient favoriser de nouveaux candidats pour se présenter aux élections et accepter le principe d’une limitation de l’éligibilité pour la même fonction élective à deux mandats successifs.
5. Marchés publics
Il apparaît dans le baromètre de Transparency International qu’au Luxembourg les pots de fin seraient plus élevés que dans les autres pays de l’Union Européenne. Pour les marchés publics, l’Union Européenne a fixé des règles en matière d’appels d’offre. Transparency International a rédigé un pacte d’intégrité pour les marchés publics, qui associe la mise en place d’une charte éthique de l'achat public dans les collectivités publiques à l’attestation du dirigeant de l’entreprise soumissionnaire que l'attribution du marché n'a donné lieu à aucun avantage occulte et que toutes les charges facturées correspondent à des prestations effectives.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient s’approprier ce pacte pour prévenir la corruption et améliorer la déontologie de la commande publique.
6. « Secret écologique »
La notion de « secret défense », dans les thématiques de Transparence-Internationales (France), n’est sans doute pas aussi pertinente pour le Luxembourg que pour la France. En revanche il y aurait un peut-être un « secret écologique » au Luxembourg. C’est en tout cas ce que pourrait laisser penser la bataille juridique de plus d’un an, qui a opposé Greenpeace au Ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké, au sujet de l’application de la loi du 25 novembre 2005 relative à l’accès du public aux informations environnementales. La Cour administrative vient de donner raison (6) à l’organisation de protection de l’environnement.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient favoriser la transparence sur les questions environnementales.
7. Moyens de la justice
Les moyens limités actuels de la justice ont été relevés dans d’une part le rapport récent Petita Pro Nova Justitia (qui a été passé sous silence, bien qu’il émane d’un groupe de réflexion proche des décideurs, le Cercle Joseph Bech) et d’autre part le Médiateur dans ses Recommandation relative à l’institution d’un Conseil Supérieur de la Justice.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient donner à la justice des moyens à la hauteur des ambitions de la place financière.
8. Lutte contre le blanchiment et les paradis fiscaux
Les places financières comme le Luxembourg sont très controversées : les altermondialiste voient des lieux de fraude et de blanchiment ; l’OCDE voit des lieux d’une concurrence inéquitable (7) ; le Sénat américain voit des lieux qui sont l’ouest sauvage du monde financier (8), l’investisseur voit des lieux d’optimisation fiscale et les pays concernés, dont le Luxembourg, voient des lieux « d’ingénierie financière ». Chacun est enfermé dans sa logique prendre la hauteur nécessaire pour comprendre la problématique des places financières.
Non, la finance n’est pas le diable, n’en déplaise aux Arnaud Montebourg et consorts, et on ne saurait reprocher sur le principe au Luxembourg (ou à d’autres places financières) d’avoir eu l’intuition de développer le secteur financier et d’en tirer une croissance du PIB par les normes fiscales et bancaires attractives.
Ce qui est condamnable en revanche c’est le laxisme. Ainsi peut-on définir pragmatiquement le « paradis fiscal » par deux conditions cumulatives. Est un « paradis fiscal », le pays qui fonde sa croissance sur
1) des normes fiscales et bancaires attractives, et
2) ne met pas en œuvre de manière crédible et évidente les moyens nécessaires pour écarter de manière effective des affaires les personnes physiques ou morales ne présentant pas l'assurance raisonnable d'exercer une activité irrépréhensible, suscitant ainsi mécaniquement par le sentiment d'impunité qui en résulte, une hausse du risque de fraudes et blanchiments dans le pays et donc des affaires impliquant le pays au plan international. Ces fraudes peuvent se faire au détriment du pays attractif lui-même (e.g. faillites frauduleuses, montage de sociétés pour facturer dans un autre pays à TVA plus avantageuse ou échapper à la TVA...), au détriment du pays d'origine de l'investisseur ( e.g. fraude fiscale...), au détriment de l'Union européenne (e.g. carousel TVA, montage de sociétés pour facturer hors Union Européenne dans un pays tiers à TVA plus avantageuse ou échapper à la TVA...), au détriment de la collectivité (blanchiment, financement du terrorisme…).
Cette définition n’est pas favorable au Luxembourg (9), dont les professionnels devraient se rappeler qu’Al Capone (10) est tombé sur un simple contrôle fiscal et que Noriega est tombé car il n’était plus soutenu par les USA, qui ont récemment identifié le Luxembourg comme paradis fiscal dans un projet de loi (11). Ce ne sont plus Montebourg et consort, mais les sénateurs américains et plus généralement les administrations fiscales des états américains ou de l’état fédéral et la justice américaine qui sont susceptibles de s’intéresser à la place.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient avoir le courage de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour qu’il n’y ait plus le sentiment d’impunité nuisant à la réputation du pays par le risque d’implication internationale qui en résulte.
9. Renforcement de la coopération judiciaire en Europe
Comme l’a rappelé Transparence-International (France), la mondialisation de la criminalité, et notamment de la corruption, exige une réponse internationale de la part des États. L’Union Européenne n’est pas restée inactive : au-delà de la coopération au sein d’EUROPOL et d’EUROJUST, la Déclaration de Paris (12) propose de nouvelles mesures de collaboration en matière de lutte contre la corruption. Les Parlements européens se sont engagés à améliorer la transparence des mouvements de capitaux, à renforcer les sanctions contre les pays et territoires non coopératifs, à consolider la coopération judiciaire, policière et administrative et à développer des règles prudentielles contre le blanchiment et la délinquance financière. Le but est de mettre en place une base normative commune pour la définition des législations nationales.
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient rendre obligatoire le respect des engagements pris dans la Déclaration de Paris comme faisant partie de l’acquis communautaire ?
10. Aide au développement
Dans une interview au Quotidien (13), Jean-Louis Schiltz, Ministre de la Coopération, a définit la coopération luxembourgeoise comme l'expression de la solidarité luxembourgeoise au plan international, rappelant que le monde n'est qu'un et chacun ne peut pas rester dans son coin à regarder ce qui arrive aux autres sans s'en soucier.
Le Luxembourg fait partie, avec la Suède, le Danemark et les Pays-Bas, des nations européennes les plus en pointe dans le domaine de la coopération.
Dans sa coopération, le Luxembourg se coordonne avec l'ONG Transparency International, et veille à ce que les fonds luxembourgeois arrivent là où ils doivent arriver
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient intensifier leur exigence de la part des Etats bénéficiaires de l’aide bilatérale luxembourgeoise d’agir de manière effective contre la corruption et d’assurer la transparence sur l’utilisation de l’aide.
11. Industries extractives
Transparence-International (France), l’exploitation de leurs ressources naturelles constitue potentiellement l’un des meilleurs leviers économiques pour le développement des pays pauvres. Or, on constate que les deux tiers de la population la plus défavorisée est localisée dans des États parmi les plus riches en ressources naturelles. C’est ce l’on nomme la « malédiction des ressources ».
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient promouvoir une directive au plan européen rendant obligatoire, pour les entreprises cotées du secteur des industries extractives, la publication dans leurs rapports annuels, des paiements de toutes natures faits à des États dans lesquels elles opèrent.
12. Alerte éthique (whistleblowing)
Transparence-International (France) estime que le déclenchement d’alerte, d’inspiration américaine avec la loi SOX, est un outil utile de prévention de la corruption et soutient le développement de ce type de procédures d’usage courant dans de nombreux pays étrangers, tout en reconnaissance que la démarche doit être encadrée de manière à prévenir les plaintes abusives et protéger le déclencheur d’alerte d’éventuelles représailles : en effet, comme Me Lutgen (14) le soulignait lors d’une intervention dans le cadre de l’Institut des Auditeurs Internes de Luxembourg, il n’y a aucune disposition de protection au-delà de la déclaration de soupçon de blanchiment.
La question du whistleblowing est très délicate, surtout au Luxembourg, où l’on est davantage compréhensif avec les personnes malhonnêtes que l’on soutient le discours et les actions des personnes éthiques considérées comme « manquant de pragmatisme » (Cf. article de l’auteur en mars 2007 dans Agefi pour le démontrer (15).
La Commission Nationale pour la Protection des Données (CNPD) a rédigé un dossier thématique mis en ligne en juin 2006, n’a pas encore eu à statuer formellement sur des questions liées au whistleblowing. En effet, contrairement à la loi française, la loi du 2 août 2002 ne confère pas à la Commission nationale de compétence d’autorisation en la matière : les entreprises sises au Luxembourg souhaitant installer un dispositif d’alerte professionnelle doivent effectuer une notification conformément aux articles 12 (Notification préalable à la Commission nationale) et 13 (Contenu et forme de la notification) de la loi.
Néanmoins il demeure que lorsque l’institution du whistleblowing est obligatoire comme dans le cadre de la loi SOX, l’attitude luxembourgeoise consistant à dénier les dysfonctionnements même dans les sources publiques officielles, voire rejeter ceux qui parlent de ces dysfonctionnements conduit à l’interroger sur la réalité de la conformité à SOX sur ce plan de nombre d’établissements sise au Luxembourg (16)
Les partis luxembourgeois et leurs candidats devraient encourager la mise en place de procédures de déclenchement d’alertes au sein des entreprises et des administrations, prévoyant notamment la protection des déclencheurs d’alerte.
Quelle a été la réaction des honorables (17) parlementaires luxembourgeois ?
Aucun parlementaire n’a daigné répondre malgré l’enjeu de réputation et alors que deux questions parlementaires récentes courageuses, non reprises par les média locaux (18), évoquent des faits particulièrement graves venant démentir le discours officiel lénifiant au GRECO, qui d’ailleurs n’a pas été dupe (19):
- dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen lancé par les autorités judiciaires françaises et d'une instruction menée pour corruption, escroquerie fiscale et plusieurs autres infractions pénales à l'encontre d'un ressortissant français qui dirigeait plusieurs société fiduciaires et de conseil fiscal à Luxembourg, trois fonctionnaires de l'Administration des Contributions Directes seraient directement impliqués et risquent d'être inculpés à moins que cela ne soit déjà le cas. Les dits fonctionnaires auraient été des partenaires l'un d'une société de conseil fiscal offshore l'autre d'une société de conseil fiscal luxembourgeoise toujours avec le ressortissant français décrit ci-dessus. Les fonctionnaires en question auraient été autorisés soit explicitement soit tacitement par le gouvernement à participer comme actionnaire voir comme partenaire dans les sociétés incriminées (20).
- un trafic de fausses autorisations de commerce a été découvert : au vu des enquêtes en cours il prend une dimension considérable alors qu'il impliquerait plus d'une centaine de commerces et d'entreprises artisanales. Ce trafic consiste en ce que des ressortissants essentiellement portugais obtiennent au Portugal de fausses autorisations de commerce et de faux diplômes moyennant paiement de sommes importantes - on parle de 30.000 € par autorisation - et que ces autorisations falsifiées sont ensuite enregistrées au Luxembourg (21).
Comme le dit Christian Maréchal, derrière la façade d’honorabilité, s’il y a un autre monde, il est difficile de faire coexister constamment et complètement les deux mondes. A un moment, une erreur se produit, quelque chose n’est plus compatible (22). La façade est aujourd’hui bien craquelée ce qui soulève des questions pour la communauté financière.
Dans quelle mesure les mœurs d’affaires de la place luxembourgeoise peuvent-elles porter atteinte à la crédibilité éthique des enseignes internationales de banques ou de cabinets d’audit et aux évaluations favorables d’organismes comme le GAFI ou le FMI qui ont donné un satisfecit (23) en contradiction avec la réalité visible dans les sources officielles et publiques ?
S’agissant de l’investisseur, ne va-t-il pas finir par être stigmatisé comme « présumé fraudeur » dans son pays d’origine parce qu’il choisit une telle place financière: cela pourrait dissuader aussi bien l’investisseur « en bon père de famille » ne voulant pas être soupçonné à tort de choisir le Luxembourg pour son climat permissif, que d’autres investisseurs ne voulant pas ou plus attirer l’attention sur eux ?
Jérôme Turquey
Auditeur-conseil indépendant en éthique des affaires et risque de réputation
Chargé de cours en Master de Sciences criminelles sur les paradis financiers
En savoir plus :
ethiquedesplaces.blogspirit.com
(1) Diplômé de l'Institut d'études politiques de Lyon et ancien élève de l'École nationale d'administration, il a débuté sa carrière en 1969 au Ministère de l'Economie et des Finances en qualité d'administrateur civil de la Direction du Trésor. De 1974 à 1976, Daniel Lebègue est attaché financier près de l'Ambassade de France au Japon. De retour à la Direction du Trésor, il occupe successivement les postes de chef de bureau de la balance des paiement et des changes, Chef de bureau de la trésorerie, sous-directeur en charge du service épargne et marché financier. En 1981, il est nommé conseiller technique auprès du cabinet du Premier Ministre Pierre Mauroy, chargé des affaires économiques et financières. Il devient directeur adjoint de la Direction du Trésor en 1983 puis directeur du Trésor de 1984 à 1987. En 1987, il rejoint la Banque Nationale de Paris en tant qu'administrateur Directeur Général, puis devient Administrateur Vice Président en 1996. De 1998 à 2002, Daniel Lebègue occupe les fonctions de directeur Général de la Caisse des Dépôts et Consignations. Depuis 2003, il est administrateur d'Alcatel, Crédit Agricole SA, Technip, Scor. Parallèlement, il est président de l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, président de la section française de Transparency International, coprésident d’Eurofi, président d’Epargne sans frontières. Depuis juillet 2003, il préside l'Institut Français des Administrateurs (IFA), association professionnelle des administrateurs de sociétés exerçant leurs fonctions en France. Il préside également le Conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Lyon.
(2) L’opportunité affaire exceptionnelle de l’ex président de la Chambre des Comptes n’a pas été saisie pour faire l’aggiornamento du fonctionnement des institutions publiques et privées et se poser les vraies questions sur la permissivité. Comme le relève un rapport de la Cellule STADE du CRP-Gabriel Lippmann, « il est remarquable qu’aucun mouvement politique n’ait saisi l’opportunité de cette affaire déplorable pour développer un argumentaire sur le thème parfaitement médiatique qu’est la corruption. Chose d’autant plus curieuse que les ‘jeunes’ partis politiques tels les Verts et ADR, emprunts d’éthique et de dénonciation des gabegies budgétaires, auraient pu saisir ce cheval de bataille en ne limitant pas le règlement du scandale à la seule enceinte de la Chambre ». (CRP-Gabriel Lippmann : Cellule STADE, Projet Elections, 21 novembre 2000, p. 37). Les griefs ayant donné lieu à la révocation sont toujours en cours d’instruction selon le ministre de la Justice répondant à une question d’un parlementaire fin 2005 (Question N° 0781 en date du 2 décembre 2005 de M. Robert Mehlen, ADR, concernant la procédure judiciaire entamée contre l'ancien Président de la Chambre des Comptes ; réponse datée du 16 décembre 2005 du ministre de la justice).
(3) Cf. Groupe d'Etats contre la Corruption - GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 13. Voir aussi OCDE, Groupe de Travail sur la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales (CIME), rapport du 28 mai 2004 sur le Luxembourg, pp. 5-6.
(4) Cf. Rapport sur le Baromètre Mondial de la Corruption de 2006, de Transparency International, diffusé le 7 décembre 2006, page 20. A la question « Durant les douze derniers mois avez-vous ou quelqu’un de votre famille payé un pot-de-vin sous quelque forme que ce soit », 6% de luxembourgeois répondent que oui contre 1% de Suisses, de Suédois ou de Finlandais, 2% d’Autrichiens, de Danois, de Français, d’Allemands, d’Islandais, de Hollandais, de Norvégiens, de Portugais, d’Espagnols et d’Anglais, 5% de Polonais. En Europe auraient versés plus de pots de fin que les Luxembourgeois les Tchèques et les Grecs (17%). Selon le baromètre, pour des comparaisons hors Europe occidentale, les Luxembourgeois seraient au niveau de l’Argentine et moins éthiques que des pays comme la Corée du Sud, Taiwan ou la Turquie (2% chacun)
(5) Cf. proposition de révision N°5673 portant création d’un article 32bis nouveau de la Constitution. Dépôt (M. Alex Bodry, Vice-Président de la Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle) et transmission à la Conférence des Présidents (30 janvier 2007). Déclaration de recevabilité et transmission au Conseil d’Etat et au Gouvernement (8 février 2007)
(6) Goetzinger (Greenpeace) c/ Ministre de l'Economie – Jugement Cour Administrative du 1er février 2007 (R. N° 21572C et 21712 C)
(7) Cf. rapport "Harmful Tax Competition," de 1998 et les rapports d’étape de 2001 et 2004
(8) Rapport « Paradis fiscaux : abus, outils, secrets » (août 2006)
(9) Cf. par exemple le Rapport Annuel 2006 de l’AED page 22 : « Le combat de la fraude fiscale sans une suite au niveau pénal pour les responsables ne fait qu’aggraver la situation existante, déjà très inquiétante. L’impunité des organisateurs favorise l’émergence de sociétés frauduleuses au Luxembourg et aussi des dénonciations pour soupçons de blanchiment transmises par les banques et autres opérateurs économiques au Parquet économique. Il va sans dire que nous retrouvons toujours les mêmes personnes créant, gérant et finalement liquidant, sinon abandonnant ces sociétés. »
(10) D’aucuns attribuent à l’affaire Al Capone l’expression « money laundering ».
(11) Stop Tax Haven Abuse Act, présenté le 17 février 2007.
(12) Déclaration de Paris contre le blanchiment (Conférence des Parlements de l’Union européenne contre le blanchiment des 7 et 8 février 2002)
(13) 13 février 2006
(14) Conférence « Evolution des risques juridiques ».
(15) Cf. article de l’auteur en mars 2007 dans Agefi pour le démontrer.
(16) Comme le relève le rapport 2004 de l’OCDE, « La probabilité qu’un salarié d’une entreprise témoin de malversations décide de les révéler aux autorités publiques semble fort réduite au Luxembourg. De l’avis des syndicats auditionnés par l’équipe d’examen, la petitesse du pays en serait la cause principale : tout se sachant très vite, le dénonciateur, étiqueté comme délateur, se retrouverait très vite exclu » (Groupe de travail sur la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales, Rapport sur l’application de la convention sur la lutte contre la corruption, 28 mai 2004, page 9)
(17) C’est l’expression consacrée dans l’art épistolaire
(18) Comme le relevait en 2001 le GRECO, « la presse, qui possède de fortes attaches politiques, ne semble pas exercer son rôle d’observateur avec la même rigueur que dans d’autres pays. Cela peut être dû à la faible importance du marché de la presse (population et intérêt pour les affaires intérieures). Mais cela peut également être dû au traditionnel manque de transparence des autorités publiques, à l’absence de protection pour les sources d’information des journalistes, et à la façon dont les autorités ont parfois réagi à des allégations de corruption formulées dans la presse » (Cf. Premier cycle d’évaluation - Rapport d’évaluation sur le Luxembourg, p. 12. Adopté par le GRECO lors de sa 5ème Réunion plénière. Strasbourg, 11-15 juin 2001). Malgré les évolutions positives récentes avec la Loi du 8 juin 2004 sur la liberté d'expression dans les médias, il semble y avoir toujours une autocensure
(19) « Les petites affaires ne doivent pas être négligées car elles banalisent le système et le rendent quasi-normal et invisible. C’est la raison pour laquelle il doit être observé que les raisons souvent invoquées, tenant à la dimension du pays et au fait que tout le monde se connaît (ce qui favoriserait un autocontrôle permanent), ainsi qu’à un niveau élevé de rémunération, ne sauraient constituer une garantie suffisante et pourraient même avoir un effet pervers, chacun sachant que l’autre pouvant être convaincu d’indélicatesse(s), se réfugierait dans un silence complice » (Cf. Groupe d'Etats contre la Corruption - GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 13)
(20) Question parlementaire du 11 septembre 2007 au Ministre de la Justice Luc Frieden
(21) Question parlementaire du 13 juin 2007 au Ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement Fernand Boden. Il s’agissait d’une question urgente appelant une réponse dans les huit jours. Aucune réponse n’a semble-t-il été apportée.
(22) Ch. Maréchal, Meurtres à l'ombre de la qualité. Paris, INSEP, 2002, page 49.
(23) Voir par exemple pour le FMI : « Luxembourg has in place a solid criminal legal framework and supervisory system to address the significant challenge of money laundering faced by this important international financial center » (Rapport du 1er novembre 2004, page 1). Sur ce point l’évolution récente des autorités américaines mérite d’être soulignée : « Luxembourg's anti-money laundering regime may be relying too heavily on the filing of suspicious transaction reports to generate investigations. Although Luxembourg has steadily enacted anti-money laundering and terrorist finance laws, policies, and procedures, the lack of prosecutions and convictions is telling, particularly for a country that boasts such a large financial sector. » (Cf. International Narcotics Control Strategy Report 2007)
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