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Vendredi 6 Mars 2015
Finyear, quotidien Finance d'entreprise

Déficit budgétaire français : un énième délai pour un énième dérapage ?

C’était un secret de Polichinelle : la France allait prochainement obtenir un énième délai pour faire converger sa trajectoire budgétaire. Le 25 février dernier, la Commission européenne a officialisé la nouvelle. Néanmoins, à la différence des précédents sursis, l’indulgence de Bruxelles semble avoir atteint une limite : l’hexagone va en effet devoir se soumettre à de douloureuses contreparties pour, dans un calendrier très serré, parvenir à un redressement structurel de ses comptes publics. L’étau se resserre…


Anthony Benhamou
Anthony Benhamou
La France obtient un délai budgétaire : un dénouement prévisible

D’abord le contexte. Le 28 novembre dernier, après plusieurs semaines de tensions croissantes quant au dérapage à venir des finances publiques de la France, mais aussi de l’Italie et de la Belgique, la Commission européenne décida de calmer le jeu. Elle accorda en effet un répit de trois mois à ces Etats pour qu’ils puissent entamer des réformes de structure et ainsi donner des gages quant à leur volonté réelle d’aller de l’avant. La carotte : l’obtention d’un délai pour faire converger le déficit budgétaire vers la cible (intermédiaire) des 3,0% du PIB. Le bâton : une sanction pécuniaire pouvant s’élever jusqu’à 0,2% du PIB (soit 4,0 milliards d’euros dans le cas de la France).

Fin du compte à rebours. Le 25 février dernier, la France, l’Italie et la Belgique ont finalement obtenu les faveurs de la Commission européenne. Paris dispose ainsi désormais de deux nouvelles années, soit jusqu’en 2017, pour ramener son déficit public en dessous des 3,0% du PIB. Un dénouement largement prévisible pour deux raisons. Une vraie et une fausse. Pour ce qui concerne la vraie raison, Bruxelles n’avait en fait tout simplement pas d’autre alternative que d’accorder un satisfecit à l’hexagone. Car la France, c’est la France. Deuxième puissance économique européenne et sixième mondiale, le pays a en effet un statut de too big to fail. Dans ces conditions, porter un coup à la France, ne serait-ce que symbolique, reviendrait en réalité à mettre en danger l’ensemble de la zone euro et raviver les tensions sur les taux souverains.

Problème : la Commission ne peut officiellement admettre ce point sous peine de perdre sa crédibilité. Il fallait donc trouver la parade pour justifier d’une nouvelle clémence. D’où la seconde raison, à savoir les réformes structurelles et en particulier la loi pour l’activité portée par Emmanuel Macron. Soyons clair, le texte du ministre de l’économie ne va pas changer en profondeur le fonctionnement de l’économie française, même si, reconnaissons-le, il va dans le bon sens. Pour autant, il a causé de nombreux remous au sein du Parlement (et même dans les rangs socialistes), au point que le gouvernement décide en définitive d’engager sa responsabilité en dégainant le 49-3 pour son adoption. Une véritable démonstration d’autorité pour un signal capital : qu’importent les postures politiques, la France est en mouvement. Et Manuel Valls de rappeler que sa « responsabilité, c’est de faire avancer notre pays, de le réformer ». Du pain bénit pour Bruxelles !

Une victoire à la Pyrrhus

Pourtant, dans l’état actuel des choses, la crédibilité de la Commission européenne était encore sur la sellette. Certes l’épisode du 49-3 constituait dans une certaine mesure la parade idéale pour Bruxelles : rendez-vous compte, cet outil constitutionnel n’avait plus été utilisé depuis février 2006. Mais à bien y regarder, il s’agissait là tout de même d’un deuxième délai budgétaire en seulement moins de deux ans (29 mai 2013). De quoi engendrer une hausse du risque d’aléa moral : pour faire simple, la France n’est tout bonnement pas incitée à mener les efforts nécessaires à la réduction de son déficit public puisqu’en mettant la Commission devant le fait accompli, elle en obtient à chaque fois les largesses. Comme dirait Coluche, « tant que je gagne, je joue ! ».

Il fallait donc durcir le ton. Et puis de toutes les façons, Pierre Moscovici, Commissaire aux affaires économiques et financières n’avait pas vraiment le choix. Véritable loup dans la bergerie de Bruxelles, l’ancien ministre de l’économie français est en effet entouré de bergers disposant de houlettes et de crochets destinés à faire revenir dans le troupeau de la convergence budgétaire les Etats qui s’en écarteraient. On pense bien évidemment aux vice-présidents de la Commission Jyrki Katainen et Valdis Dombrovskis, mais aussi au Commissaire à l’économie numérique Günther Oettinger qui déclarait en novembre dernier que « la France doit être traitée en tant que pays déficitaire récidiviste ». Ambiance !

C’est ainsi que deux jours après avoir accordé un nouveau sursis budgétaire à la France, la Commission européenne a décidé de lui imposer des contreparties considérables. Premièrement, la trajectoire de réduction du déficit public devra être plus rapide que ce que prévoyait initialement Bercy : 4,0% pour 2015 (contre 4,1% prévu) et 3,4% pour 2016 (contre 3,6% prévu), avant un retour sous les 3,0% en 2017. Deuxièmement, et c’est sans doute le point le plus important, Bruxelles a souhaité se couvrir contre les aléas de la conjoncture en fixant également des cibles structurelles à savoir 0,5 point de PIB pour cette année, 0,8 point en 2016 et 0,9 point en 2017.

La Commission a d’ailleurs élevé d’un cran la pression en soulignant d’ores et déjà que pour 2015 le compte n’y était pas. Selon elle en effet, les efforts réalisés par l’hexagone ne permettraient cette année qu’une réduction de 0,3 point de déficit structurel, soit un écart de 0,2 point par rapport à l’objectif. C’est dans ce contexte que Bruxelles a formellement demandé à Paris de présenter d’ici le mois d’avril un programme de mesures additionnelles lui permettant non seulement de dégager un surplus budgétaire de 4,0 milliards d’euros dès 2015, mais aussi de trouver environ 25 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour 2016 et 2017 (la loi pluriannuelle de programmation des finances publiques votée en décembre dernier table en effet sur un effort structurel de 0,2 point l’an prochain et 0,3 point l’année suivante, soit un écart à la cible de 0,6 point pour chaque année). Au total, l’hexagone devra ainsi réaliser un effort supplémentaire de 29 milliards d’euros (en plus des 50 milliards d’économies déjà annoncés par le gouvernement) pour parvenir à être dans les clous budgétaires, sous peine de sanctions.

Vers le mur des réalités

La Commission a donc décidé de passer à la vitesse supérieure en délivrant au gouvernement français un message clair : cette fois-ci on ne joue plus. Il convient en effet de bien comprendre qu’il ne s’agit plus de trouver quelques milliards d’euros ici et là comme l’avait fait Michel Sapin en octobre dernier. Non, ce que réclame à présent l’exécutif européen à l’hexagone, ce sont de véritables réformes structurelles notamment sur le marché du travail, sur les retraites ou encore sur le périmètre de l’Etat. Du dur, du définitif, du durable en définitive. D’ailleurs, si les mesures présentées par la France étaient jugées insuffisantes par les experts de Bruxelles, ces derniers pourraient à partir du mois de juin imposer au pays « un plan de réformes correctif ».

La France bientôt sous tutelle européenne ? Possible. Car en fait, l’on imagine assez mal la mise en place de véritables réformes de structure, en particulier au regard de l’épisode de la loi Macron. En effet, si le recours au 49-3 est venu renforcer l’autorité du gouvernement, il a cependant également montré que le pays est bel et bien irréformable. Lucide, le ministre de l’économie a d’ailleurs indiqué lors de son déplacement à Bruxelles le 02 mars dernier qu’il n’était pas question d’aller jusqu’aux 79 milliards d’euros demandés par la Commission (« nous ferons les 50 milliards prévus de 2015 à 2017, ni plus ni moins »), sous-entendant ainsi qu’il n’y aurait pas de nouvelles réformes économiques d’envergures dans les deux prochaines années.

Dans ces conditions, l’on voit vraiment mal comment Paris pourrait parvenir à respecter ses objectifs de déficits d’ici à 2017. Tout d’abord parce qu’il existe déjà un doute quant à la réalisation des 50 milliards d’euros d’économie dont une bonne partie n’est toujours pas précisément documentée. Ne l’oublions pas en effet, 2017 est une année électorale et la mise en place d’une politique d’austérité pourrait sceller le sort de la majorité actuelle. Par ailleurs, le rythme prévisionnel de croissance dans l’hexagone (au mieux 1,0% cette année) ne devrait pas suffire à contrebalancer l’évolution du déficit, de sorte que la réduction du ratio de déficit sur PIB ne soit pas aussi rapide que ce qu’anticipe le gouvernement. Ce point est d’ailleurs particulièrement vrai dans un contexte d’inflation nulle.

La Commission et la France vont donc prochainement se livrer à un intense bras de fer. Les négociations devraient notamment porter sur l’inclusion ou non de tel ou tel élément dans la définition du déficit structurel ou bien encore sur le niveau de croissance potentielle du pays. Mais qu’importe. Car à bien y regarder, l’essentiel est en fait ailleurs. Par son comportement de passager clandestin en Europe, la France exaspère en effet un certain nombre de ses partenaires dont notamment l’Allemagne. A titre d’illustration, suite au énième délai budgétaire obtenu par la France, Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, a indiqué que « l’assouplissement des règles budgétaires est inquiétant » et que « les règles ne sont presque plus intelligibles et leur application s’assimile aux pratiques du souk politique ».

On peut dès lors légitimement s’interroger sur l’avenir du couple franco-allemand. Combien de temps en effet les tenants de l’orthodoxie budgétaire vont-ils encore pouvoir supporter les incessantes dérives de l’hexagone ? Difficile à dire dans l’immédiat. Certes, Angela Merkel a récemment salué les efforts de la France en matière budgétaire. Pour autant, l’hexagone ne pourra pas surfer indéfiniment sur la loi Macron et devra aller plus loin dans un contexte politique très tendu. Et si d’ici un petit mois, le gouvernement français était dans l’incapacité de présenter un programme sérieux de réformes, la chancelière allemande pourrait rapidement changer de ton.

Or, l’apparition de tensions entre les deux pays pourrait modifier la vision des marchés quant à la capacité de la France à demeurer dans le club fermé des grandes puissances économiques. Les taux français entameraient alors une remontée vers des niveaux plus normaux que ceux qui prévalent actuellement. L’éclatement d’une bulle obligataire qui au final viendrait retarder encore un peu plus l’atteinte de la cible budgétaire intermédiaire des 3,0%...

Achevé de rédiger le 05 mars 2015.


Anthony Benhamou

Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l’université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant 3 années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l’université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.

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