Certes, avec un niveau actuel d'environ 1,8 %, le taux d'intérêt de l'OAT dix ans n'a pas retrouvé ses plus bas du 2 mai 2013 à 1,66 %. Pour autant, il demeure largement favorable, notamment au regard des contre-performances budgétaires hexagonales. Dans ce cadre, il pourrait être facile de penser que, quels que soient les soubresauts économiques, financiers et politiques que traverse la France, cette dernière bénéficierait d'une protection « surnaturelle » qui pourrait lui permettre de s'affranchir de l'assainissement des comptes publics.
En réalité, il n'en est rien. En effet, les obligations d'Etat sont simplement entrées dans une phase de bulle durable. Ce paradoxe s'explique principalement par le fait que, disposant d'un excès de liquidités et ne pouvant ou ne souhaitant plus prendre trop de risques, de trop nombreux investisseurs préfèrent se réfugier vers des placements jugés sans risque ou peu risqués.
Parallèlement, certains pays cherchant à limiter l'appréciation de leur devise, voire souhaitant la déprécier, achètent massivement des bons du Trésor en euros, bien sûr de l'État allemand, mais aussi de l'État français. C'est par exemple le cas de la Confédération helvétique, qui ne sait plus quoi faire pour stopper l'appréciation du franc suisse et éviter un trop fort ralentissement de sa croissance.
Tant que la note de la France n'est pas fortement dégradée, la dette française constitue ainsi un placement privilégié. Le jour où la dégradation sera plus marquée et donc plus conforme à la réalité, une nette correction haussière des taux d'intérêt s'opérera, avec une forte baisse des cours obligataires à la clé. D'ici la fin 2014, les taux longs français pourraient ainsi se rapprocher de la barre des 4 %.
Les nombreux détenteurs d'obligations du Trésor français pourront alors se mordre les doigts. C'est le problème avec les bulles, on ne les voit que lorsqu'elles ont éclaté. Mais, cette fois-ci, vous aurez été prévenus. De plus, si déjà avec des taux d'intérêt bas, la croissance est faible et les déficits élevés, on n'ose imaginer ce qu'il adviendra de notre douce France lorsque les taux augmenteront…
En outre, la faiblesse actuelle des taux longs n'est pas forcément une bonne nouvelle. Elle montre également qu'à l'image du Japon il y a vingt ans, la France est désormais menacée par la déflation, voire par une situation de « debt deflation ».
C'est la catégorie de crise de la dette la plus grave, c'est-à-dire celle qui allie une bulle de la dette et une phase de déflation, donc de baisse des prix. Cette dernière génère trois principaux effets pernicieux. Le premier est d'aggraver le coût réel de la dette. Ce dernier se mesure par le taux d'intérêt que l'on paie sur sa dette, duquel on soustrait l'inflation. Plus l'inflation est élevée, plus le taux réel est faible et plus le coût de la dette se réduit.
À la rigueur, lorsque le taux d'inflation est supérieur au taux d'intérêt nominal, le taux réel est négatif et le coût de la dette est supporté par l'inflation. S'endetter revient donc à s'enrichir. À l'inverse, lorsque le taux d'inflation est négatif (nous sommes donc en déflation), le taux réel augmente, rendant de plus en plus difficile le remboursement de la dette.
C'est alors qu'intervient le deuxième effet pernicieux de la déflation. En effet, cette dernière est généralement engendrée par une situation d'excès d'offre par rapport à la demande. Or, si tel est le cas, l'offre, c'est-à-dire la production, s'ajuste à la baisse. Cela se traduit immanquablement par des destructions d'emplois, donc un affaissement des revenus, ce qui réduit encore la faculté des ménages à rembourser leurs emprunts.
D'où le troisième vice de la déflation, car si le coût de la dette augmente et que les revenus baissent, les acteurs économiques sont contraints de vendre leurs biens pour essayer de rembourser leurs emprunts. Ceci se traduit par une augmentation de l'offre, donc une aggravation de la déflation…
C'est exactement cette situation qui a prévalu lors du krach de 1929 et qui prévaut depuis une vingtaine d'années au Japon. Pire, plus la crise de la dette s'installe en Europe, plus les pays européens y répondent par une rigueur bête et méchante, plus les risques de déflation augmentent et plus la « debt deflation » se rapproche dangereusement. Et, comme nous l'ont montré les catastrophes des années 30 ou le marasme japonais des deux dernières décennies, lorsque la « debt deflation » commence, elle peut durer plus de vingt ans.
En conclusion, qu'elle caractérise une bulle obligataire ou qu'elle soit la préfiguration d'une déflation, la faiblesse des taux longs français n'est qu'une bonne nouvelle à court terme et laisse présager des lendemains bien difficiles…
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
En réalité, il n'en est rien. En effet, les obligations d'Etat sont simplement entrées dans une phase de bulle durable. Ce paradoxe s'explique principalement par le fait que, disposant d'un excès de liquidités et ne pouvant ou ne souhaitant plus prendre trop de risques, de trop nombreux investisseurs préfèrent se réfugier vers des placements jugés sans risque ou peu risqués.
Parallèlement, certains pays cherchant à limiter l'appréciation de leur devise, voire souhaitant la déprécier, achètent massivement des bons du Trésor en euros, bien sûr de l'État allemand, mais aussi de l'État français. C'est par exemple le cas de la Confédération helvétique, qui ne sait plus quoi faire pour stopper l'appréciation du franc suisse et éviter un trop fort ralentissement de sa croissance.
Tant que la note de la France n'est pas fortement dégradée, la dette française constitue ainsi un placement privilégié. Le jour où la dégradation sera plus marquée et donc plus conforme à la réalité, une nette correction haussière des taux d'intérêt s'opérera, avec une forte baisse des cours obligataires à la clé. D'ici la fin 2014, les taux longs français pourraient ainsi se rapprocher de la barre des 4 %.
Les nombreux détenteurs d'obligations du Trésor français pourront alors se mordre les doigts. C'est le problème avec les bulles, on ne les voit que lorsqu'elles ont éclaté. Mais, cette fois-ci, vous aurez été prévenus. De plus, si déjà avec des taux d'intérêt bas, la croissance est faible et les déficits élevés, on n'ose imaginer ce qu'il adviendra de notre douce France lorsque les taux augmenteront…
En outre, la faiblesse actuelle des taux longs n'est pas forcément une bonne nouvelle. Elle montre également qu'à l'image du Japon il y a vingt ans, la France est désormais menacée par la déflation, voire par une situation de « debt deflation ».
C'est la catégorie de crise de la dette la plus grave, c'est-à-dire celle qui allie une bulle de la dette et une phase de déflation, donc de baisse des prix. Cette dernière génère trois principaux effets pernicieux. Le premier est d'aggraver le coût réel de la dette. Ce dernier se mesure par le taux d'intérêt que l'on paie sur sa dette, duquel on soustrait l'inflation. Plus l'inflation est élevée, plus le taux réel est faible et plus le coût de la dette se réduit.
À la rigueur, lorsque le taux d'inflation est supérieur au taux d'intérêt nominal, le taux réel est négatif et le coût de la dette est supporté par l'inflation. S'endetter revient donc à s'enrichir. À l'inverse, lorsque le taux d'inflation est négatif (nous sommes donc en déflation), le taux réel augmente, rendant de plus en plus difficile le remboursement de la dette.
C'est alors qu'intervient le deuxième effet pernicieux de la déflation. En effet, cette dernière est généralement engendrée par une situation d'excès d'offre par rapport à la demande. Or, si tel est le cas, l'offre, c'est-à-dire la production, s'ajuste à la baisse. Cela se traduit immanquablement par des destructions d'emplois, donc un affaissement des revenus, ce qui réduit encore la faculté des ménages à rembourser leurs emprunts.
D'où le troisième vice de la déflation, car si le coût de la dette augmente et que les revenus baissent, les acteurs économiques sont contraints de vendre leurs biens pour essayer de rembourser leurs emprunts. Ceci se traduit par une augmentation de l'offre, donc une aggravation de la déflation…
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