Thierry Charles
Au titre de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975, le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance. Toute renonciation à l'action directe est réputée non écrite. Cette action directe subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites (…).
Dans un contexte économique de crise (du fait notamment des positions des assureurs crédit concernant les grands équipementiers américains sous la protection du «chapter 11» de la loi américaine sur les faillites), les fournisseurs français exigent de plus en plus des donneurs d’ordre qu’ils reconnaissent leur position de sous-traitant pour les produits qu’ils fabriquent et qui sont livrés à leurs propres clients.
Néanmoins si l'exposé de la loi de 1975 est relativement simple, son application, du fait de l'obstruction de certains intervenants, est compliquée, notamment au moment de demander l'agrément du maître de l'ouvrage (sans parler d’une éventuelle caution voire même d’une délégation de paiement).
Face aux difficultés pour financer l’encours client que les fournisseurs de rang 2 ont sur certains équipementiers, ceux-ci demandent en effet aux constructeurs de reconnaître officiellement leur position de sous-traitant afin de rassurer les organismes financiers, compte tenu des craintes de défaillance en cascade dans le secteur.
Or, malgré les engagements pris de la part des grands constructeurs de soutenir la filière à l’occasion des « Etats Généraux de l’Automobile », le 20 janvier 2009, en contrepartie d’une aide financière conséquente de l’Etat, ces derniers leur opposent une fin de non recevoir en ces termes :
« Nous ne souhaitons pas donner suite favorablement à votre demande car il n'est pas possible de garder la confidentialité et cela reviendrait à faire passer un message général peu opportun sur un de nos principaux fournisseurs. De façon générale, il vous appartient de rechercher un accord avec X sur les termes de paiement pour rassurer vos assureurs crédit sur le risque d'une exposition trop forte à ce client. »
Autrement dit : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! » Mais le ciel peut attendre…
Que dire encore de ce fournisseur qui fait état d’une relation commerciale continue depuis plusieurs décennies (des amis de 30 ans !) avec un grand équipementier automobile dans le cadre d’une chaîne de sous-traitance selon la loi du 31 décembre 1975.
Néanmoins, il y a quelques semaines la direction des achats de ce grand équipementier convoquait son fournisseur pour lui « signifier » brutalement le retrait de l’ensemble des produits (moules & pièces), en évoquant la pression des constructeurs pour diminuer les prix (du fait de la diminution globale des volumes), la rationalisation des fournisseurs, sa trop faible implantation à l’international, notamment en Chine, pays « Low cost » (Si ! Si !), que sais-je encore… (“give a dog a bad name and hang him”).
A défaut d’une baisse de moins 15% à moins 20% octroyée par ledit fournisseur immédiatement, le grand équipementier retirera ses moules et ses produits, créant ainsi chez son partenaire une baisse d’activité de plus de 30% du chiffre d’affaires dans un contexte déjà particulièrement difficile, le tout avec un préavis d’à peine quelques mois, et ce malgré l’article L.442-6 -5° du Code de commerce qui interdit : « (…) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (…) ».
Comble de l’ironie alors que la filière automobile a mis en place le « Centre de Médiation de la Filière Automobile », le client refuse toute tentative de conciliation dans la gestion de cette affaire… (Faites ce que je dis, pas ce que je fais !).
Autre exemple : un fournisseur doit réaliser un outillage conformément aux termes d’un contrat d’étude et de réalisation d’outillage établi par son client. En parallèle un contrat de prêt à usage de cet outillage est signé. Si les clauses sont celles que l’on rencontre généralement dans un contrat de prêt à usage, celle relative au dépôt de garantie ne manque pas de surprendre dans la mesure où le dépôt de garantie stipule qu’ « en garantie de l’exécution des clauses, charges et conditions du contrat et de la restitution de l’outillage à l’expiration du contrat, en bon état d’usage et d’entretien, la société A devra verser à X une somme de (-) € ».
Il s’agit en l’espèce d’un montant du dépôt de garantie pour le moins disproportionné puisqu’il correspond tout simplement à la valeur de l’outillage, à son état neuf ! La société va ainsi être amenée à verser le dépôt de garantie, alors que le prix de l’outillage ne lui aura peut-être pas été intégralement payé.
Ainsi, c’est encore la PME sous-traitante qui va devoir faire des avances de trésorerie pour pouvoir fabriquer, alors que l’outillage est indispensable à la fabrication des pièces qui vont être commandées par le client. Par ailleurs, le contrat de prêt à usage prévoit la résiliation par le client pour « convenance » à tout moment sur simple notification, sans même le respect d’un préavis, ainsi que la renonciation du fournisseur à exercer son droit de rétention sur les outillages au regard des sommes que le client pourrait lui devoir… !
Il n’est pas inutile de rappeler que dans le cadre des « Etats Généraux de l’Automobile », du 20 janvier 2009, les entreprises de la filière et de la construction automobile ont pris des engagements au plus haut niveau de l’Etat (en contrepartie d’une aide financière conséquente de l’ordre de 6 milliards d’euros) sur la base d’un nouvel accord : le « Code de performance et de bonnes pratiques relatif à la relation client-fournisseur », qui constitue désormais le socle des relations tout au long de la filière.
Cet outil devait permettre aux différents acteurs de partager une vision commune, tant commerciale que technologique, sur l’avenir de l’automobile et de fonder une « véritable relation client-fournisseur partenariale ».
L’accord a été signé le 9 février 2009 par le CCFA et le CLIFA, en présence du ministre de l’économie Christine Lagarde et du secrétaire d’Etat chargé de l’industrie Luc Chatel.
Dans un communiqué du 13 février 2009, parmi les engagements définis par ce code, les équipementiers et les sous-traitants de l’automobile avaient retenu notamment : la réhabilitation des critères économiques objectifs dans les décisions d’approvisionnement, le meilleur équilibrage des risques respectifs des différents acteurs de la filière face aux aléas du marché, la promotion de toutes les actions visant à améliorer la compétitivité du site industriel France, par exemple en déployant les systèmes de «lean manufacturing» (production au plus juste) tout au long de la filière, et la création d’une plateforme permanente de concertation et d’échanges entre donneurs d’ordre et fournisseurs de la filière, pour préparer et réussir la mutation de la filière automobile et de ses métiers.
En conclusion, les sous-traitants de la filière automobile attendent toujours de leurs donneurs d’ordre le partage de la valeur, des risques et des investissements, que prônait le Code de performance, d’autant que dans le même temps, outre ces pratiques abusives, les sous traitants subissent une dégradation de leur cotation par les assureurs crédits (les obligeant à payer leurs propres fournisseurs sans délais), que n’endurent pas leurs donneurs d’ordre, pourtant confrontés aux mêmes difficultés.
Aussi, il est à craindre que l’action des syndicats de l’usineur en liquidation judiciaire « New Fabris » à Châtellerault (Vienne) qui réclament aux deux principaux donneurs d’ordre de l’entreprise, PSA Peugeot Citroën et Renault, 30 000 euros de prime extra-légale pour chacun des salariés concernés par des mesures de licenciement fassent rejaillir chez d’autres fournisseurs un sentiment de «sous-traitance sociale» , tant la « gestion de fait » de certains donneurs d’ordre (abondement de la trésorerie de leur sous-traitant, puis busque retrait de commande sans préavis, etc) est patent. Sur ce point (la gestion de fait), le débat risque d’être bientôt relancé.[1]
[1] Le même débat avait eu lieu avec les banques en cas de rupture de crédit.
Thierry CHARLES
Docteur en droit
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie
t.charles@allize-plasturgie.com
NDLR :
N'oubliez-pas de vous procurer le dernier ouvrage de Thierry Charles sur la réforme des délais de paiement (remise CFO-news)...
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Dans un contexte économique de crise (du fait notamment des positions des assureurs crédit concernant les grands équipementiers américains sous la protection du «chapter 11» de la loi américaine sur les faillites), les fournisseurs français exigent de plus en plus des donneurs d’ordre qu’ils reconnaissent leur position de sous-traitant pour les produits qu’ils fabriquent et qui sont livrés à leurs propres clients.
Néanmoins si l'exposé de la loi de 1975 est relativement simple, son application, du fait de l'obstruction de certains intervenants, est compliquée, notamment au moment de demander l'agrément du maître de l'ouvrage (sans parler d’une éventuelle caution voire même d’une délégation de paiement).
Face aux difficultés pour financer l’encours client que les fournisseurs de rang 2 ont sur certains équipementiers, ceux-ci demandent en effet aux constructeurs de reconnaître officiellement leur position de sous-traitant afin de rassurer les organismes financiers, compte tenu des craintes de défaillance en cascade dans le secteur.
Or, malgré les engagements pris de la part des grands constructeurs de soutenir la filière à l’occasion des « Etats Généraux de l’Automobile », le 20 janvier 2009, en contrepartie d’une aide financière conséquente de l’Etat, ces derniers leur opposent une fin de non recevoir en ces termes :
« Nous ne souhaitons pas donner suite favorablement à votre demande car il n'est pas possible de garder la confidentialité et cela reviendrait à faire passer un message général peu opportun sur un de nos principaux fournisseurs. De façon générale, il vous appartient de rechercher un accord avec X sur les termes de paiement pour rassurer vos assureurs crédit sur le risque d'une exposition trop forte à ce client. »
Autrement dit : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! » Mais le ciel peut attendre…
Que dire encore de ce fournisseur qui fait état d’une relation commerciale continue depuis plusieurs décennies (des amis de 30 ans !) avec un grand équipementier automobile dans le cadre d’une chaîne de sous-traitance selon la loi du 31 décembre 1975.
Néanmoins, il y a quelques semaines la direction des achats de ce grand équipementier convoquait son fournisseur pour lui « signifier » brutalement le retrait de l’ensemble des produits (moules & pièces), en évoquant la pression des constructeurs pour diminuer les prix (du fait de la diminution globale des volumes), la rationalisation des fournisseurs, sa trop faible implantation à l’international, notamment en Chine, pays « Low cost » (Si ! Si !), que sais-je encore… (“give a dog a bad name and hang him”).
A défaut d’une baisse de moins 15% à moins 20% octroyée par ledit fournisseur immédiatement, le grand équipementier retirera ses moules et ses produits, créant ainsi chez son partenaire une baisse d’activité de plus de 30% du chiffre d’affaires dans un contexte déjà particulièrement difficile, le tout avec un préavis d’à peine quelques mois, et ce malgré l’article L.442-6 -5° du Code de commerce qui interdit : « (…) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (…) ».
Comble de l’ironie alors que la filière automobile a mis en place le « Centre de Médiation de la Filière Automobile », le client refuse toute tentative de conciliation dans la gestion de cette affaire… (Faites ce que je dis, pas ce que je fais !).
Autre exemple : un fournisseur doit réaliser un outillage conformément aux termes d’un contrat d’étude et de réalisation d’outillage établi par son client. En parallèle un contrat de prêt à usage de cet outillage est signé. Si les clauses sont celles que l’on rencontre généralement dans un contrat de prêt à usage, celle relative au dépôt de garantie ne manque pas de surprendre dans la mesure où le dépôt de garantie stipule qu’ « en garantie de l’exécution des clauses, charges et conditions du contrat et de la restitution de l’outillage à l’expiration du contrat, en bon état d’usage et d’entretien, la société A devra verser à X une somme de (-) € ».
Il s’agit en l’espèce d’un montant du dépôt de garantie pour le moins disproportionné puisqu’il correspond tout simplement à la valeur de l’outillage, à son état neuf ! La société va ainsi être amenée à verser le dépôt de garantie, alors que le prix de l’outillage ne lui aura peut-être pas été intégralement payé.
Ainsi, c’est encore la PME sous-traitante qui va devoir faire des avances de trésorerie pour pouvoir fabriquer, alors que l’outillage est indispensable à la fabrication des pièces qui vont être commandées par le client. Par ailleurs, le contrat de prêt à usage prévoit la résiliation par le client pour « convenance » à tout moment sur simple notification, sans même le respect d’un préavis, ainsi que la renonciation du fournisseur à exercer son droit de rétention sur les outillages au regard des sommes que le client pourrait lui devoir… !
Il n’est pas inutile de rappeler que dans le cadre des « Etats Généraux de l’Automobile », du 20 janvier 2009, les entreprises de la filière et de la construction automobile ont pris des engagements au plus haut niveau de l’Etat (en contrepartie d’une aide financière conséquente de l’ordre de 6 milliards d’euros) sur la base d’un nouvel accord : le « Code de performance et de bonnes pratiques relatif à la relation client-fournisseur », qui constitue désormais le socle des relations tout au long de la filière.
Cet outil devait permettre aux différents acteurs de partager une vision commune, tant commerciale que technologique, sur l’avenir de l’automobile et de fonder une « véritable relation client-fournisseur partenariale ».
L’accord a été signé le 9 février 2009 par le CCFA et le CLIFA, en présence du ministre de l’économie Christine Lagarde et du secrétaire d’Etat chargé de l’industrie Luc Chatel.
Dans un communiqué du 13 février 2009, parmi les engagements définis par ce code, les équipementiers et les sous-traitants de l’automobile avaient retenu notamment : la réhabilitation des critères économiques objectifs dans les décisions d’approvisionnement, le meilleur équilibrage des risques respectifs des différents acteurs de la filière face aux aléas du marché, la promotion de toutes les actions visant à améliorer la compétitivité du site industriel France, par exemple en déployant les systèmes de «lean manufacturing» (production au plus juste) tout au long de la filière, et la création d’une plateforme permanente de concertation et d’échanges entre donneurs d’ordre et fournisseurs de la filière, pour préparer et réussir la mutation de la filière automobile et de ses métiers.
En conclusion, les sous-traitants de la filière automobile attendent toujours de leurs donneurs d’ordre le partage de la valeur, des risques et des investissements, que prônait le Code de performance, d’autant que dans le même temps, outre ces pratiques abusives, les sous traitants subissent une dégradation de leur cotation par les assureurs crédits (les obligeant à payer leurs propres fournisseurs sans délais), que n’endurent pas leurs donneurs d’ordre, pourtant confrontés aux mêmes difficultés.
Aussi, il est à craindre que l’action des syndicats de l’usineur en liquidation judiciaire « New Fabris » à Châtellerault (Vienne) qui réclament aux deux principaux donneurs d’ordre de l’entreprise, PSA Peugeot Citroën et Renault, 30 000 euros de prime extra-légale pour chacun des salariés concernés par des mesures de licenciement fassent rejaillir chez d’autres fournisseurs un sentiment de «sous-traitance sociale» , tant la « gestion de fait » de certains donneurs d’ordre (abondement de la trésorerie de leur sous-traitant, puis busque retrait de commande sans préavis, etc) est patent. Sur ce point (la gestion de fait), le débat risque d’être bientôt relancé.[1]
[1] Le même débat avait eu lieu avec les banques en cas de rupture de crédit.
Thierry CHARLES
Docteur en droit
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie
t.charles@allize-plasturgie.com
NDLR :
N'oubliez-pas de vous procurer le dernier ouvrage de Thierry Charles sur la réforme des délais de paiement (remise CFO-news)...
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