Marc Touati
Ainsi, ce dernier a non seulement prolongé et élargi le programme de rachat de titres de la BCE, ce qui était attendu, mais a, en plus, créé la surprise en abaissant le taux refi à 0,05 %. Même la Réserve fédérale américaine n'avait pas osé aller aussi bas sur son taux objectif des federal funds. A l'évidence, M. Draghi mérite vraiment son surnom de « Super Mario ». Et ce, d'autant que ces mesures n'ont pas été prises à l'unanimité des membres du Comité de politique monétaire de la BCE. Autrement dit, pour y parvenir, le sauveur « Draghi » a dû se battre et certainement forcer la main à une partie de ses collègues, notamment allemands.
D'ailleurs, dans le sillage de l'annonce de ces décisions courageuses et bénéfiques, les marchés boursiers européens ont flambé, saluant la volonté farouche de la BCE et de son Président de sauver une nouvelle fois la zone euro, en essayant de lui éviter la récession et la déflation. D'où une question déterminante : ces mesures seront-elles suffisantes pour permettre à l'UEM de sortir de la stagnation économique et d'empêcher l'avènement de la déflation. Malheureusement, rien n'est moins sûr. Et ce, pour au moins cinq raisons.
Premièrement, si Mario Draghi fait du bon travail, il ne parvient toujours pas à rompre avec le travers structurel des dirigeants de la zone euro : le retard dans l'action. En effet, toute inflexion de politique monétaire prend de six à neuf mois avant d'agir sur l'activité et sur les prix. Autrement dit, pour éviter la stagnation actuelle, il fallait agir fin 2013. Les assouplissements du 5 juin et du 4 septembre ne produiront leurs effets qu'au début 2015. Entre temps, la variation du PIB se stabilisera autour des 0 %, voire redeviendra négative. Quant au glissement annuel des prix à la consommation, il continuera de battre des records de faiblesse, passant même en territoire négatif pendant quelques mois.
Deuxièmement, si la BCE a été au maximum de ses possibilités, elle n'a pas franchi le pas décisif de la « planche à billets », qui consiste à financer en direct les Etats, voire les entreprises, comme ont pu le faire la Réserve fédérale américaine, la Banque du Japon ou la Banque d'Angleterre. Ce n'est que par ce biais que les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni ont pu éviter ou sortir de la déflation et retrouver le chemin de la croissance soutenue.
Ne l'oublions pas, la pratique de taux nuls n'est absolument pas une garantie de sortie de crise. C'est notamment ce qu'a montré l'exemple japonais. En effet, les taux zéro et même temporairement négatifs de la BoJ depuis le début des années 2000 n'ont pas permis de sortir l'Archipel de la déflation. Bien au contraire, puisqu'ils ont engendré ce que l'on appelle « une trappe à liquidités ». Cette dernière signifie que, par manque de confiance, la gratuité des liquidités ne vient qu'alimenter l'épargne de précaution, voire le financement de la dette publique, mais ne parvient aucunement à financer l'investissement privé et encore moins à relancer la croissance. D'ailleurs, si le Japon est dernièrement sorti de la déflation, ce n'est pas grâce à des taux directeurs nuls, mais grâce à la mise en place d'une planche à billets conséquente et à un mouvement de dépréciation du yen.
D'où notre troisièmement, qui est relatif au maintien d'un euro toujours trop fort. Car, si l'euro a bien baissé à la suite des annonces de Mario Draghi, il reste encore proche des 1,30 dollar, alors que son niveau d'équilibre, dit Natrex (taux de change naturel en fonction des fondamentaux économiques) n'est que de 1,15 dollar. Or, pour arriver à un tel niveau, l'action de la BCE ne suffit pas. Elle doit être accompagnée par des déclarations et des actes politiques en faveur d'une telle dépréciation, en particulier en provenance d'Allemagne. Or, comme le montre le débat houleux au sein même de la BCE, ce blanc-seing allemand n'est pas pour demain. Autrement dit, l'euro demeurera durablement trop cher, condamnant l'économie eurolandaise à la croissance molle, ou plutôt à la stagnation.
Quatrièmement, au-delà du symbole, ce n'est pas une baisse de 10 points de base du taux refi, désormais à 0,05 %, qui va changer la face de l'économie eurolandaise. Et pour cause : la faiblesse de l'activité n'est pas due à un problème d'offre de crédits, mais à une insuffisance de la demande de crédits. D'ailleurs, les enquêtes menées auprès des banques commerciales sont formelles : l'atonie des crédits dans la zone euro n'est pas due au niveau des taux d'intérêt, mais à la faiblesse de la demande de crédits de la part des agents privés. En d'autres termes, croire que la baisse du taux refi à 0,05 % va relancer durablement les crédits et la croissance relève de l'angélisme.
Cinquièmement, couronnant l'ensemble de ces carences, il faut souligner qu'à l'exception notable de l'Allemagne, les membres de la zone euro restent économiquement freinés par de graves problèmes structurels. Et même si de nombreux pays, y compris ceux du Sud, ont engagé des réformes majeures, ils restent encore pénalisés par des lourdeurs administratives et réglementaires notables. Que dire alors de la France qui n'a su faire que des réformettes, demeurant engoncée dans le « pouf » d'une dépense publique exorbitante, qui atteint 57,1 % du PIB et qui impose une pression fiscale dévastatrice. En d'autres termes, ce n'est pas le petit coup de pouce de la BCE qui permettra à la France de sortir de sa léthargie et de quitter son « pouf ».
En conclusion, si Mario Draghi et la BCE continuent de faire le maximum pour maintenir la zone euro à flot, cette dernière restera incapable d'éviter la déflation et de retrouver le chemin de la croissance forte. Merci quand même…
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
D'ailleurs, dans le sillage de l'annonce de ces décisions courageuses et bénéfiques, les marchés boursiers européens ont flambé, saluant la volonté farouche de la BCE et de son Président de sauver une nouvelle fois la zone euro, en essayant de lui éviter la récession et la déflation. D'où une question déterminante : ces mesures seront-elles suffisantes pour permettre à l'UEM de sortir de la stagnation économique et d'empêcher l'avènement de la déflation. Malheureusement, rien n'est moins sûr. Et ce, pour au moins cinq raisons.
Premièrement, si Mario Draghi fait du bon travail, il ne parvient toujours pas à rompre avec le travers structurel des dirigeants de la zone euro : le retard dans l'action. En effet, toute inflexion de politique monétaire prend de six à neuf mois avant d'agir sur l'activité et sur les prix. Autrement dit, pour éviter la stagnation actuelle, il fallait agir fin 2013. Les assouplissements du 5 juin et du 4 septembre ne produiront leurs effets qu'au début 2015. Entre temps, la variation du PIB se stabilisera autour des 0 %, voire redeviendra négative. Quant au glissement annuel des prix à la consommation, il continuera de battre des records de faiblesse, passant même en territoire négatif pendant quelques mois.
Deuxièmement, si la BCE a été au maximum de ses possibilités, elle n'a pas franchi le pas décisif de la « planche à billets », qui consiste à financer en direct les Etats, voire les entreprises, comme ont pu le faire la Réserve fédérale américaine, la Banque du Japon ou la Banque d'Angleterre. Ce n'est que par ce biais que les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni ont pu éviter ou sortir de la déflation et retrouver le chemin de la croissance soutenue.
Ne l'oublions pas, la pratique de taux nuls n'est absolument pas une garantie de sortie de crise. C'est notamment ce qu'a montré l'exemple japonais. En effet, les taux zéro et même temporairement négatifs de la BoJ depuis le début des années 2000 n'ont pas permis de sortir l'Archipel de la déflation. Bien au contraire, puisqu'ils ont engendré ce que l'on appelle « une trappe à liquidités ». Cette dernière signifie que, par manque de confiance, la gratuité des liquidités ne vient qu'alimenter l'épargne de précaution, voire le financement de la dette publique, mais ne parvient aucunement à financer l'investissement privé et encore moins à relancer la croissance. D'ailleurs, si le Japon est dernièrement sorti de la déflation, ce n'est pas grâce à des taux directeurs nuls, mais grâce à la mise en place d'une planche à billets conséquente et à un mouvement de dépréciation du yen.
D'où notre troisièmement, qui est relatif au maintien d'un euro toujours trop fort. Car, si l'euro a bien baissé à la suite des annonces de Mario Draghi, il reste encore proche des 1,30 dollar, alors que son niveau d'équilibre, dit Natrex (taux de change naturel en fonction des fondamentaux économiques) n'est que de 1,15 dollar. Or, pour arriver à un tel niveau, l'action de la BCE ne suffit pas. Elle doit être accompagnée par des déclarations et des actes politiques en faveur d'une telle dépréciation, en particulier en provenance d'Allemagne. Or, comme le montre le débat houleux au sein même de la BCE, ce blanc-seing allemand n'est pas pour demain. Autrement dit, l'euro demeurera durablement trop cher, condamnant l'économie eurolandaise à la croissance molle, ou plutôt à la stagnation.
Quatrièmement, au-delà du symbole, ce n'est pas une baisse de 10 points de base du taux refi, désormais à 0,05 %, qui va changer la face de l'économie eurolandaise. Et pour cause : la faiblesse de l'activité n'est pas due à un problème d'offre de crédits, mais à une insuffisance de la demande de crédits. D'ailleurs, les enquêtes menées auprès des banques commerciales sont formelles : l'atonie des crédits dans la zone euro n'est pas due au niveau des taux d'intérêt, mais à la faiblesse de la demande de crédits de la part des agents privés. En d'autres termes, croire que la baisse du taux refi à 0,05 % va relancer durablement les crédits et la croissance relève de l'angélisme.
Cinquièmement, couronnant l'ensemble de ces carences, il faut souligner qu'à l'exception notable de l'Allemagne, les membres de la zone euro restent économiquement freinés par de graves problèmes structurels. Et même si de nombreux pays, y compris ceux du Sud, ont engagé des réformes majeures, ils restent encore pénalisés par des lourdeurs administratives et réglementaires notables. Que dire alors de la France qui n'a su faire que des réformettes, demeurant engoncée dans le « pouf » d'une dépense publique exorbitante, qui atteint 57,1 % du PIB et qui impose une pression fiscale dévastatrice. En d'autres termes, ce n'est pas le petit coup de pouce de la BCE qui permettra à la France de sortir de sa léthargie et de quitter son « pouf ».
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