1. « Secular stagnation » : origine d’une hypothèse invalidée par l’histoire économique
C’est en 1934 que l’économiste nord-américain Alvin Hansen aurait formulé pour la première fois le concept de « stagnation séculaire ». La courte reprise observée aux Etats-Unis suivant la Grande dépression de 1929 l’interpellait.
Pour Hansen, deux facteurs « séculaires » étaient à l’oeuvre : d’une part, une division par deux du rythme de croissance de la population depuis la fin du 19e siècle et, d’autre part, un déclin du taux de croissance de la productivité. Les moteurs de la croissance potentielle en voie d’extinction, l’économie nord-américaine était promise à une « stagnation séculaire ».
Dans ce scénario, la faible croissance déprimerait les opportunités d’investissement, portant ce dernier à un niveau insuffisant pour absorber l’offre d’épargne, d’où un déséquilibre éloignant l’économie du plein emploi.
S’il convient d’apprécier cette hypothèse dans le contexte macroéconomique de l’époque, l’histoire économique de la deuxième moitié du 20e siècle s’est chargée de l’invalider de façon spectaculaire : en effet, après l’engagement budgétaire de l’Etat au moment de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont connu (tout comme d’autres pays industrialisés) une forte accélération de la croissance économique s’appuyant sur une productivité dynamique et les fruits du « baby-boom » post-Seconde Guerre mondiale. Le PIB par tête des Etats-Unis a ainsi plus que quadruplé entre 1940 et 2007, veille de la Grande récession, soit presque autant que l’évolution constatée entre 1800 et 1939 (quintuplement).
C’est en 1934 que l’économiste nord-américain Alvin Hansen aurait formulé pour la première fois le concept de « stagnation séculaire ». La courte reprise observée aux Etats-Unis suivant la Grande dépression de 1929 l’interpellait.
Pour Hansen, deux facteurs « séculaires » étaient à l’oeuvre : d’une part, une division par deux du rythme de croissance de la population depuis la fin du 19e siècle et, d’autre part, un déclin du taux de croissance de la productivité. Les moteurs de la croissance potentielle en voie d’extinction, l’économie nord-américaine était promise à une « stagnation séculaire ».
Dans ce scénario, la faible croissance déprimerait les opportunités d’investissement, portant ce dernier à un niveau insuffisant pour absorber l’offre d’épargne, d’où un déséquilibre éloignant l’économie du plein emploi.
S’il convient d’apprécier cette hypothèse dans le contexte macroéconomique de l’époque, l’histoire économique de la deuxième moitié du 20e siècle s’est chargée de l’invalider de façon spectaculaire : en effet, après l’engagement budgétaire de l’Etat au moment de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont connu (tout comme d’autres pays industrialisés) une forte accélération de la croissance économique s’appuyant sur une productivité dynamique et les fruits du « baby-boom » post-Seconde Guerre mondiale. Le PIB par tête des Etats-Unis a ainsi plus que quadruplé entre 1940 et 2007, veille de la Grande récession, soit presque autant que l’évolution constatée entre 1800 et 1939 (quintuplement).
2. 80 ans plus tard : et si ce n’était qu’un problème de timing ?
Démentie par les faits, l’hypothèse de « stagnation séculaire » a disparu des grilles d’analyse pendant près de huit décennies avant d’être reprise à son compte en 2013 par Larry Summers, ancien Secrétaire d’Etat au Trésor des Etats-Unis.
Dans un discours remarqué (1), Summers expliquait voir un point commun à la période précédant la Grande récession de 2008 et à celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : un déficit de demande agrégée.
Ainsi, avant la crise financière, la forte croissance du crédit aux Etats-Unis n’a pas produit de tensions macroéconomiques (taux d’utilisation des capacité de production et inflation stables).
Après la crise financière, qu’il compare à une panne électrique générale, la reprise nord-américaine aurait été nettement moins vigoureuse qu’attendu.
Comment l’expliquer ? Pour Summers, des facteurs structurels auraient conduit le taux d’intérêt réel d’équilibre (2) à un niveau négatif (- 2 % à - 3 %) : réduction du taux de croissance de la population et de la productivité, baisse du prix des biens intensifs en capital, hausse des inégalités, politiques des banques centrales (accumulation de réserves et d’actifs sûrs).
On retrouve le déséquilibre entre épargne et investissement de Hansen, la première étant soutenue par plusieurs de ces facteurs tandis que le second serait pénalisé par des perspectives incertaines et les caractéristiques de la « nouvelle économie ».
Il est ainsi rappelé que les activités des « GAFA » requièrent relativement peu d’investissement au sens traditionnel du terme, de nouvelles activités pouvant être lancées avec un capital initial nettement plus faible. Pour Summers, un taux d’intérêt réel d’équilibre négatif est problématique du fait de la « contrainte du plancher » pour la banque centrale dans une situation d’inflation faible. En supposant que la politique monétaire parvienne tout de même à atteindre ce taux, surgiraient alors des préoccupations de stabilité financière, d’où de probables conflits d’objectifs : « it may be impossible for an economy to achieve full employment, satisfactory growth, and financial stability simultaneously simply through the operation of conventional monetary policy » (3).
Dressant un parallèle d’une certaine gravité avec l’invalidation de l’hypothèse de Hansen, Summers admet que la sienne pourrait également subir le même sort en cas « d’évènement exogène majeur » tel qu’une guerre.
3. « Stagnation séculaire » : les économistes face à un test de Rorschach ?
Compte tenu de l’importance des enjeux, une vaste littérature académique débat depuis quelques années du concept pour mieux le définir, en déterminer les causes et les conséquences afin de formuler des préconisations opérationnelles de politique économique. La pluralité des analyses fait dire à Barry Eichengreen, professeur à Berkeley, que la stagnation séculaire s’apparente à un « test de Rorschach » (test des « tâches d’encre ») pour les économistes.
Outre l’hypothèse du déficit de demande de Summers, il détecte trois autres « familles » d’analyses.
La stagnation séculaire résulterait ainsi, selon les cas :
1) de l’épuisement des gains de productivité ;
2) de la faiblesse des investissements en infrastructures et en éducation (notamment aux Etats-Unis) et
3) des effets permanents de la Grande récession sur l’économie (travailleurs découragés, chômage de longue durée).
Pour Eichengreen, qui se prononce en faveur de la seconde hypothèse, la stagnation séculaire n’est pas une fatalité. C’est également le conclusion de Richard Koo (Chef économiste du Nomura Economic Research) et de Kenneth Rogoff (ancien Chef économiste du FMI), deux auteurs qui insistent chacun dans leurs travaux sur le rôle majeur joué par l’endettement.
Créateur du concept de « récession de bilan », Koo estime que l’éclatement d’une bulle d’actifs financée par l’endettement est le point commun à la crise de 1929, à la déflation japonaise des années 90 et à la Grande récession de 2008. Lorsque la bulle éclate, les agents économiques (ménages, entreprises) cherchent non plus à « maximiser le profit » mais à « minimiser la dette » pour « assainir leurs bilans ». L’ajustement se réalisant de façon simultanée, l’Etat doit absolument prendre le relais via un stimulus budgétaire le temps du désendettement privé. S’il ne le fait pas, ou s’il poursuit lui-même une politique de consolidation budgétaire, l’économie subit des pressions déflationnistes.
De son côté, Rogoff voit dans la faible reprise post-crise les conséquences directes de la fin d’un « supercycle d’endettement » (4) qui a déjà eu lieu par le passé. Par opposition à la stagnation séculaire, qui comporte un caractère pérenne, son hypothèse est que l’économie pourrait reprendre un sentier de croissance dans les années à venir grâce au déploiement des technologies, du numérique... Dans le difficile débat sur la productivité (voir flash éco du 18 septembre 2015), Rogoff fait ainsi partie des « optimistes » qui considèrent que la mesure de la croissance du PIB sous-estime à l’heure actuelle l’évolution de l’activité économique.
Portée par un intitulé accrocheur, l’hypothèse d’un monde vivant une « stagnation séculaire » anime le débat sur l’état de l’économie et son avenir. Et si, après plus d’un demi-siècle de croissance quasi ininterrompue et particulièrement élevée en perspective historique, l’économie ne faisait que « revenir à la normale » ? Très à la mode, cette hypothèse rencontre toutefois deux limites dans sa tentative d’explication du monde : d’une part, elle fournit une grille de lecture largement façonnée par une pensée nord-américaine ; d’autre part, elle propose un strict raisonnement macroéconomique. D’un point de vue européen, la première limite apparaît paradoxale tant le « Vieux continent » présente des handicaps supérieurs sur les déterminants de la croissance potentielle, ces facteurs « séculaires » que Hansen mettait en avant il y a huit décennies. La seconde est tout aussi importante : alors que les mécanismes « macro » semblent endommagés, l’analyse gagnerait à mieux intégrer les évolutions « micro » en cours dont nombre d’entre elles sont pour le moins éloignées d’une quelconque forme de « stagnation séculaire ».
(1) IMF Fourteenth Annual Research Conference in Honor of Stanley Fischer, Washington DC, November 8, 2013.
(2) Taux théorique (aussi appelé « Wicksellien ») où épargne = investissement au plein emploi.
(3) Contribution de L. Summers dans l’ouvrage collectif « Secular stagnation : Facts, Causes and Cures », CEPR Press, 2014.
(4) « Debt Supercycle, Not Secular Stagnation », K. Rogoff dans l’ouvrage collectif « Progress and Confusion », IMF, 2016.
« Analyse à caractère économique ne constituant pas une prise de position. Liste complète disponible sur www.afep.com »
Démentie par les faits, l’hypothèse de « stagnation séculaire » a disparu des grilles d’analyse pendant près de huit décennies avant d’être reprise à son compte en 2013 par Larry Summers, ancien Secrétaire d’Etat au Trésor des Etats-Unis.
Dans un discours remarqué (1), Summers expliquait voir un point commun à la période précédant la Grande récession de 2008 et à celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : un déficit de demande agrégée.
Ainsi, avant la crise financière, la forte croissance du crédit aux Etats-Unis n’a pas produit de tensions macroéconomiques (taux d’utilisation des capacité de production et inflation stables).
Après la crise financière, qu’il compare à une panne électrique générale, la reprise nord-américaine aurait été nettement moins vigoureuse qu’attendu.
Comment l’expliquer ? Pour Summers, des facteurs structurels auraient conduit le taux d’intérêt réel d’équilibre (2) à un niveau négatif (- 2 % à - 3 %) : réduction du taux de croissance de la population et de la productivité, baisse du prix des biens intensifs en capital, hausse des inégalités, politiques des banques centrales (accumulation de réserves et d’actifs sûrs).
On retrouve le déséquilibre entre épargne et investissement de Hansen, la première étant soutenue par plusieurs de ces facteurs tandis que le second serait pénalisé par des perspectives incertaines et les caractéristiques de la « nouvelle économie ».
Il est ainsi rappelé que les activités des « GAFA » requièrent relativement peu d’investissement au sens traditionnel du terme, de nouvelles activités pouvant être lancées avec un capital initial nettement plus faible. Pour Summers, un taux d’intérêt réel d’équilibre négatif est problématique du fait de la « contrainte du plancher » pour la banque centrale dans une situation d’inflation faible. En supposant que la politique monétaire parvienne tout de même à atteindre ce taux, surgiraient alors des préoccupations de stabilité financière, d’où de probables conflits d’objectifs : « it may be impossible for an economy to achieve full employment, satisfactory growth, and financial stability simultaneously simply through the operation of conventional monetary policy » (3).
Dressant un parallèle d’une certaine gravité avec l’invalidation de l’hypothèse de Hansen, Summers admet que la sienne pourrait également subir le même sort en cas « d’évènement exogène majeur » tel qu’une guerre.
3. « Stagnation séculaire » : les économistes face à un test de Rorschach ?
Compte tenu de l’importance des enjeux, une vaste littérature académique débat depuis quelques années du concept pour mieux le définir, en déterminer les causes et les conséquences afin de formuler des préconisations opérationnelles de politique économique. La pluralité des analyses fait dire à Barry Eichengreen, professeur à Berkeley, que la stagnation séculaire s’apparente à un « test de Rorschach » (test des « tâches d’encre ») pour les économistes.
Outre l’hypothèse du déficit de demande de Summers, il détecte trois autres « familles » d’analyses.
La stagnation séculaire résulterait ainsi, selon les cas :
1) de l’épuisement des gains de productivité ;
2) de la faiblesse des investissements en infrastructures et en éducation (notamment aux Etats-Unis) et
3) des effets permanents de la Grande récession sur l’économie (travailleurs découragés, chômage de longue durée).
Pour Eichengreen, qui se prononce en faveur de la seconde hypothèse, la stagnation séculaire n’est pas une fatalité. C’est également le conclusion de Richard Koo (Chef économiste du Nomura Economic Research) et de Kenneth Rogoff (ancien Chef économiste du FMI), deux auteurs qui insistent chacun dans leurs travaux sur le rôle majeur joué par l’endettement.
Créateur du concept de « récession de bilan », Koo estime que l’éclatement d’une bulle d’actifs financée par l’endettement est le point commun à la crise de 1929, à la déflation japonaise des années 90 et à la Grande récession de 2008. Lorsque la bulle éclate, les agents économiques (ménages, entreprises) cherchent non plus à « maximiser le profit » mais à « minimiser la dette » pour « assainir leurs bilans ». L’ajustement se réalisant de façon simultanée, l’Etat doit absolument prendre le relais via un stimulus budgétaire le temps du désendettement privé. S’il ne le fait pas, ou s’il poursuit lui-même une politique de consolidation budgétaire, l’économie subit des pressions déflationnistes.
De son côté, Rogoff voit dans la faible reprise post-crise les conséquences directes de la fin d’un « supercycle d’endettement » (4) qui a déjà eu lieu par le passé. Par opposition à la stagnation séculaire, qui comporte un caractère pérenne, son hypothèse est que l’économie pourrait reprendre un sentier de croissance dans les années à venir grâce au déploiement des technologies, du numérique... Dans le difficile débat sur la productivité (voir flash éco du 18 septembre 2015), Rogoff fait ainsi partie des « optimistes » qui considèrent que la mesure de la croissance du PIB sous-estime à l’heure actuelle l’évolution de l’activité économique.
Portée par un intitulé accrocheur, l’hypothèse d’un monde vivant une « stagnation séculaire » anime le débat sur l’état de l’économie et son avenir. Et si, après plus d’un demi-siècle de croissance quasi ininterrompue et particulièrement élevée en perspective historique, l’économie ne faisait que « revenir à la normale » ? Très à la mode, cette hypothèse rencontre toutefois deux limites dans sa tentative d’explication du monde : d’une part, elle fournit une grille de lecture largement façonnée par une pensée nord-américaine ; d’autre part, elle propose un strict raisonnement macroéconomique. D’un point de vue européen, la première limite apparaît paradoxale tant le « Vieux continent » présente des handicaps supérieurs sur les déterminants de la croissance potentielle, ces facteurs « séculaires » que Hansen mettait en avant il y a huit décennies. La seconde est tout aussi importante : alors que les mécanismes « macro » semblent endommagés, l’analyse gagnerait à mieux intégrer les évolutions « micro » en cours dont nombre d’entre elles sont pour le moins éloignées d’une quelconque forme de « stagnation séculaire ».
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