Marc Touati
Un jour (toujours le même évidemment), il rencontre un SDF qui, affamé, meurt dans ses bras. Pour éviter que cette triste scène se reproduise, il s'emploie alors à le nourrir, le vêtir, le réchauffer, mais rien n'y fait, celui-ci finit toujours par mourir au même moment. En désespoir de cause, il installe son « nouvel ami » dans un hôpital pour prévenir le trépas. Mais, cette fois-ci encore, ce dernier quitte ce monde. Devant la tristesse et l'irritation du condamné à revivre la même journée, une infirmière lui lance : « c'était inévitable, c'était son heure… »
Toute proportion gardée, c'est également ce sentiment de « déjà vu » et d'éternel recommencement qui semble diriger la vie économico-financière internationale depuis quelques années. A chaque fois, les mêmes erreurs produisent les mêmes catastrophes. Ainsi, en 2007-2008, le fort assouplissement de la politique monétaire américaine juxtaposée à la remontée des taux directeurs de la BCE avait généré une appréciation excessive de l'euro, une baisse du dollar et une flambée des cours des matières premières. Quelques mois plus tard, la récession commençait à s'installer un peu partout dans le monde développé et principalement au sein de la zone euro. Face à cette crise, exacerbée par la faillite sauvage de Lehman Brothers, l'euro/dollar finissait par plonger pour retrouver des niveaux normaux, c'est-à-dire inférieurs à 1,30 dollar.
Pourtant, la même histoire se répéta quelques trimestres plus tard. La Fed abaissa son taux objectif des federal funds dans une fourchette comprise entre 0 % et 0,25 %, tandis que la BCE refusa de réduire son taux refi sous les 1 %. Mécaniquement, l'euro repartit à la hausse vers les 1,50 dollar. La petite reprise qui se dessinait alors dans l'UEM s'essouffla très vite et empêcha certains pays de sortir de la récession. A commencer par la Grèce, qui, pour ne rien arranger, choisit un gouvernement dont le slogan était « les casses ne sont pas vides, il faut augmenter encore les dépenses publiques ». Face à cette hérésie, l'Allemagne hissa alors le drapeau noir de la discorde et la crise grecque commença. L'euro repartit donc très logiquement à la baisse, pour frôler les 1,20 dollar.
Malheureusement, l'accalmie ne fut que de courte durée. Après avoir refusé d'aider leurs amis grecs, les Eurolandais décidèrent effectivement de leur apporter leur soutien. Les marchés crurent alors que la crise de la dette publique était sinon finie, du moins en voie de résorption. Il n'en était rien. Face à cet apaisement, l'euro repartit à la hausse et ce d'autant que la Fed refusait de resserrer son étreinte monétaire, alors que la BCE commençait à bomber le torse en annonçant qu'elle ne tarderait pas à augmenter ses taux directeurs, ce qu'elle fit en avril 2011. Dans ce contexte, l'euro repartit, encore une fois à la hausse, pour se rapprocher des 1,50 dollar.
Quasiment instantanément et toujours très logiquement, les menaces sur la croissance des pays en difficulté réapparurent et les taux des obligations des Etats grec, irlandais et portugais repartirent à la hausse. La palme de la flambée revenant néanmoins à la Grèce avec des taux d'intérêt à dix ans de 17 % et des taux à deux ans de 26 %. De nouveau, les investisseurs se rendirent à l'évidence qu'un euro trop fort n'était pas supportable et celui-ci reprit le chemin de la baisse, mais, une fois encore, dans la douleur, c'est-à-dire exactement comme l'an passé. Et pour aggraver ce sentiment de déjà vu, l'éruption d'un nouveau volcan islandais est venue, comme au printemps dernier, assombrir le ciel européen…
Face à ces mouvements répétitifs et à ces mêmes erreurs sans fin, une question s'impose : cela va-t-il s'arrêter un jour ? Les Européens vont-ils enfin comprendre qu'il y a des réalités inévitables ? Parmi, celles-ci, il serait par exemple bon d'accepter que les risques d'hyperinflation sont moins élevés que les risques de déflation. De même, il serait primordial d'admettre qu'un taux de change doit aussi refléter une réalité économique. Pour l'euro, cette dernière indique ainsi que la devise européenne devrait se situer entre 1,15 dollar (selon la parité des pouvoirs d'achat) et 1,20 dollar (selon le taux de change naturel dit Natrex). En outre, il serait également bienvenu d'arrêter de vouloir éviter ce qui est inéluctable. Ainsi, il est illusoire de refuser un rééchelonnement de la dette grecque et de laisser croire qu'une politique de rigueur réussira, seule, à mettre un terme à la crise hellène (cf. notre Humeur du 13 mai 2011). Pour résoudre cette dernière, il faudra avant tout donner un bol d'air à la Grèce, notamment en restaurant une croissance forte, ce qui ne pourra passer que par un euro moins exubérant.
Arrêtons donc de nous voiler la face : il faut accepter la réalité et réagir en conséquence en se remettant en question régulièrement pour espérer des lendemains meilleurs. Car, à l'image du nuage islandais de 2011, qui a été beaucoup moins « nocif » et perturbateur que celui de 2010, le pire n'est jamais certain. Autrement dit, la persistance de la crise grecque et plus globalement de la zone euro n'est pas une fatalité. Cette crise est avant tout due à l'absence de gouvernance fiable au sein de l'UEM. Pour sauver cette dernière, il est donc urgent de remplacer le dogmatisme de la BCE par un souci permanent de l'efficacité économique. Celle-ci passe bien sûr par une maîtrise de l'inflation, mais sans sacrifier la croissance. Dans le même temps, l'UEM doit enfin devenir une zone monétaire optimale, avec notamment une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires ainsi qu'un budget fédéral eurolandais. A force de le dire, peut-être que cela finira par se réaliser. C'est d'ailleurs comme cela que se termine « un jour sans fin », puisqu'après avoir essuyé une multitude d'échecs, le héros finit par s'améliorer, parvenant à réussir sa journée infernale et, enfin, à passer à la suivante, qui se présente sous de bien meilleurs auspices…
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Toute proportion gardée, c'est également ce sentiment de « déjà vu » et d'éternel recommencement qui semble diriger la vie économico-financière internationale depuis quelques années. A chaque fois, les mêmes erreurs produisent les mêmes catastrophes. Ainsi, en 2007-2008, le fort assouplissement de la politique monétaire américaine juxtaposée à la remontée des taux directeurs de la BCE avait généré une appréciation excessive de l'euro, une baisse du dollar et une flambée des cours des matières premières. Quelques mois plus tard, la récession commençait à s'installer un peu partout dans le monde développé et principalement au sein de la zone euro. Face à cette crise, exacerbée par la faillite sauvage de Lehman Brothers, l'euro/dollar finissait par plonger pour retrouver des niveaux normaux, c'est-à-dire inférieurs à 1,30 dollar.
Pourtant, la même histoire se répéta quelques trimestres plus tard. La Fed abaissa son taux objectif des federal funds dans une fourchette comprise entre 0 % et 0,25 %, tandis que la BCE refusa de réduire son taux refi sous les 1 %. Mécaniquement, l'euro repartit à la hausse vers les 1,50 dollar. La petite reprise qui se dessinait alors dans l'UEM s'essouffla très vite et empêcha certains pays de sortir de la récession. A commencer par la Grèce, qui, pour ne rien arranger, choisit un gouvernement dont le slogan était « les casses ne sont pas vides, il faut augmenter encore les dépenses publiques ». Face à cette hérésie, l'Allemagne hissa alors le drapeau noir de la discorde et la crise grecque commença. L'euro repartit donc très logiquement à la baisse, pour frôler les 1,20 dollar.
Malheureusement, l'accalmie ne fut que de courte durée. Après avoir refusé d'aider leurs amis grecs, les Eurolandais décidèrent effectivement de leur apporter leur soutien. Les marchés crurent alors que la crise de la dette publique était sinon finie, du moins en voie de résorption. Il n'en était rien. Face à cet apaisement, l'euro repartit à la hausse et ce d'autant que la Fed refusait de resserrer son étreinte monétaire, alors que la BCE commençait à bomber le torse en annonçant qu'elle ne tarderait pas à augmenter ses taux directeurs, ce qu'elle fit en avril 2011. Dans ce contexte, l'euro repartit, encore une fois à la hausse, pour se rapprocher des 1,50 dollar.
Quasiment instantanément et toujours très logiquement, les menaces sur la croissance des pays en difficulté réapparurent et les taux des obligations des Etats grec, irlandais et portugais repartirent à la hausse. La palme de la flambée revenant néanmoins à la Grèce avec des taux d'intérêt à dix ans de 17 % et des taux à deux ans de 26 %. De nouveau, les investisseurs se rendirent à l'évidence qu'un euro trop fort n'était pas supportable et celui-ci reprit le chemin de la baisse, mais, une fois encore, dans la douleur, c'est-à-dire exactement comme l'an passé. Et pour aggraver ce sentiment de déjà vu, l'éruption d'un nouveau volcan islandais est venue, comme au printemps dernier, assombrir le ciel européen…
Face à ces mouvements répétitifs et à ces mêmes erreurs sans fin, une question s'impose : cela va-t-il s'arrêter un jour ? Les Européens vont-ils enfin comprendre qu'il y a des réalités inévitables ? Parmi, celles-ci, il serait par exemple bon d'accepter que les risques d'hyperinflation sont moins élevés que les risques de déflation. De même, il serait primordial d'admettre qu'un taux de change doit aussi refléter une réalité économique. Pour l'euro, cette dernière indique ainsi que la devise européenne devrait se situer entre 1,15 dollar (selon la parité des pouvoirs d'achat) et 1,20 dollar (selon le taux de change naturel dit Natrex). En outre, il serait également bienvenu d'arrêter de vouloir éviter ce qui est inéluctable. Ainsi, il est illusoire de refuser un rééchelonnement de la dette grecque et de laisser croire qu'une politique de rigueur réussira, seule, à mettre un terme à la crise hellène (cf. notre Humeur du 13 mai 2011). Pour résoudre cette dernière, il faudra avant tout donner un bol d'air à la Grèce, notamment en restaurant une croissance forte, ce qui ne pourra passer que par un euro moins exubérant.
Arrêtons donc de nous voiler la face : il faut accepter la réalité et réagir en conséquence en se remettant en question régulièrement pour espérer des lendemains meilleurs. Car, à l'image du nuage islandais de 2011, qui a été beaucoup moins « nocif » et perturbateur que celui de 2010, le pire n'est jamais certain. Autrement dit, la persistance de la crise grecque et plus globalement de la zone euro n'est pas une fatalité. Cette crise est avant tout due à l'absence de gouvernance fiable au sein de l'UEM. Pour sauver cette dernière, il est donc urgent de remplacer le dogmatisme de la BCE par un souci permanent de l'efficacité économique. Celle-ci passe bien sûr par une maîtrise de l'inflation, mais sans sacrifier la croissance. Dans le même temps, l'UEM doit enfin devenir une zone monétaire optimale, avec notamment une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires ainsi qu'un budget fédéral eurolandais. A force de le dire, peut-être que cela finira par se réaliser. C'est d'ailleurs comme cela que se termine « un jour sans fin », puisqu'après avoir essuyé une multitude d'échecs, le héros finit par s'améliorer, parvenant à réussir sa journée infernale et, enfin, à passer à la suivante, qui se présente sous de bien meilleurs auspices…
Marc Touati
Economiste.
Directeur Général de Global Equities.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com