Mercredi 6 Novembre 2013
Finyear & Blockchain Daily News

Les entreprises high-tech face à l’accélération des cycles de produit

C'est une histoire bien connue. Des appareils inondent le marché, éblouissent la foule puis parviennent à maturation avant d’entamer leur déclin. Rien de nouveau sous le soleil ? Si : la vitesse, de plus en plus effrénée, de ces cycles de produit. Souvenez-vous du netbook, cet ordinateur portable léger et dépouillé lancé en 2007. Il a atteint un pic de consommation assez bref, avant de chuter lorsque les consommateurs se sont mis à acheter des tablettes. Le cabinet d'études IHS iSuppli prédit que d'ici 2015, les netbooks auront définitivement disparu après avoir atteint un pic de 32,14 millions d'unités vendues en 2010. Les smartphones et les tablettes sont là pour un bon moment, mais le pic a déjà été dépassé. D'où vient cette accélération des cycles de produit, et quelles sont les perspectives pour le marché de la high tech ?


Pour la toute première fois, les ventes de tablettes ont baissé deux fois de suite au deuxième trimestre de cette année. Apple aurait vendu moins d’iPad que prévu au cours du dernier trimestre. Les ventes de Nook, cette tablette de lecture produite par le géant américain de la librairie Barnes & Noble, ont chuté de 20 % au terme du premier trimestre de son exercice qui a pris fin le 20 août dernier, deux mois à peine après que la compagnie a annoncé qu’elle ne produirait plus de version couleur de l’appareil. Les analystes s’inquiètent de savoir si les fabricants de smartphones parviendront à préserver leurs marges, à l’heure où une certaine lassitude semble se dessiner chez les acheteurs potentiels.

Autant d’éléments qui comme un faisceau d’indices annoncent ce qui est en passe de devenir la nouvelle donne pour les gadgets high-tech : un cycle de produit en accélération rapide. « Le smartphone et la tablette se sont développés beaucoup plus vite que n’importe quel autre appareil électronique grand public », souligne Kevin Werbach, professeur d’études juridiques et d’éthique des d’affaires à Wharton. « Un tel taux de croissance signifie que ces appareils atteignent le stade de maturation bien plus rapidement que les ordinateurs ou tout autre appareil antérieur. Trois petites années seulement se sont écoulées depuis l’introduction de l’iPad en 2010, et pourtant, une grande partie du marché de base aux États-Unis et dans d’autres pays développés possède déjà une tablette ».

IDC a déclaré que le volume mondial des tablettes expédiées représentait 45,1 millions d’unités, soit une baisse de 9,7 % au deuxième trimestre par rapport au premier. Au cours de ce second trimestre, les livraisons ont pourtant augmenté de 59,6 % par rapport à l’année passée, toutefois le cabinet d’études a noté dans un communiqué de presse que l’absence d’un nouvel iPad d’Apple avait causé du tort au marché. « En l’absence de nouveaux iPads, le marché a ralenti pour de nombreux fournisseurs, et cela est susceptible de se poursuivre au troisième trimestre », déclare l’analyste IDC Tom Mainelli. « Cependant, pour le quatrième trimestre, nous attendons de nouveaux produits d’Apple, Amazon et d’autres qui devraient donner au marché un coup de fouet impressionnant. » Le 29 août, IDC a légèrement revu à la baisse ses prévisions pour 2013, passant de 229,3 millions de tablettes expédiées à 227,4 millions.

En d’autres termes, le marché de la tablette connaît maintenant une dynamique semblable à celle de l’industrie du PC, où la courbe de la croissance chute au second semestre. Ben Reitzes, analyste chez Barclays, a écrit dans une note de recherche que les ventes de l’iPad « avaient indéniablement la grippe ». Apple a livré 14,6 millions d’iPads au cours du troisième trimestre, bien moins que les 18 millions escomptés. « Le marché a vraiment souffert d’un manque d’appareils novateurs et convaincants ».

Pour l’analyste Glen Yeung de Citi Research, il aura fallu 12 ans au marché des PC de bureau pour mûrir et atteindre la saturation, en 2008, dans les pays développés, et 10 au marché des ordinateurs portables pour arriver à maturité en 2012. Quant aux smartphones et tablettes, prédit-il dans une note de recherche, ils devraient atteindre ce stade simultanément en 2015 – pour un cycle de vie de sept et cinq ans respectivement.

« Le smartphone et la tablette se sont développés beaucoup plus vite que n’importe quel autre appareil électronique grand public »
Si les ventes de smartphones restent fortes, c’est en grande partie parce que ces appareils remplacent les ventes de téléphones portables en général. Le cabinet d’études Gartner a déclaré que les ventes mondiales de téléphones cellulaires avaient augmenté de 3,6 % au cours du deuxième trimestre, et que le nombre de smartphones vendus avait pour la première fois dépassé celui des « feature phones », ces téléphones dotés de fonctions plus ou moins avancées mais pas d’un écosystème d’applications choisies par l’usager.

Néanmoins, les analystes qui suivent Samsung et Apple posent la question : les deux figures de proue du marché mobile vont-elles pouvoir maintenir leurs marges bénéficiaires ? Ils expriment également leurs doutes sur la capacité des deux géants à lancer de nouveaux appareils susceptibles d’être assez alléchants pour pallier à la lassitude des acheteurs. Les ventes du Samsung Galaxy S4 n’ont pas répondu aux attentes initiales. De son côté, Apple a dévoilé le 10 septembre la dernière mouture de l’iPhone, le 5S, aux cotés d’un nouveau modèle plus économique, le 5C.

Avec un prix de 99 $ avec abonnement de deux ans pour un modèle 16 Go, Apple espère que le 5C – qui est en plastique et est disponible en cinq couleurs – va mettre le téléphone à portée des consommateurs dans les marchés émergents à forte croissance. Le 5S, quant à lui, comprend une mise à niveau vers une puce A7 et est le premier smartphone basé sur une architecture 64 bits haute performance. Il est également disponible en trois coloris – argent, or et « gris sidéral ».

Jouer une partition simplifiée
Selon Andrea Matwyshyn, professeur d’études juridiques et d’éthique des affaires à Wharton, l’accélération des cycles de produits s’explique par le fait que les consommateurs, qui sont devenus « accros » à l’électronique, sont de plus en plus exigeants. « Ils sont de plus en plus dans leur élément lorsqu’il s’agit de juger un design novateur, mais si la panoplie de fioritures n’ajoute aucune nouvelle fonctionnalité, ils n’achèteront pas l’appareil », explique-t-elle.

Elle ajoute que la tablette, le smartphone et le PC constituent tous autant de variations sur le même thème informatique. « Que l’on parle de tablette, de smartphone ou de PC, il y a toujours une limite en ce qui concerne la fonctionnalité, et, poursuit–elle, les consommateurs trouvent que sous une forme ou une autre ces appareils présentent tous des lacunes ». Par conséquent, les entreprises high-tech doivent trouver un moyen de combiner ces appareils entre eux faute de quoi elles devront attirer le consommateur avec quelque chose de totalement nouveau.

David Hsu, professeur de gestion à Wharton, est du même avis : « La question sous-jacente est de savoir quelle est la fonctionnalité qui est unique et qui pourra pousser les consommateurs à adopter un nouvel appareil. Se « mettre à niveau » pour une amélioration tout juste incrémentale, ce n’est pas du tout aussi incitatif. »

Kevin Werbach souligne que, même si les smartphones et les tablettes ont été peaufinés au cours de ces dernières années, ils n’ont finalement jamais débouché sur une utilisation révolutionnaire. « Les premières années, en matière de de smartphones et de tablettes, on a vu l’essor de l’innovation logicielle, avant de passer au développement de systèmes basés sur le cloud et directement intégrés aux appareils » remarque-t-il. « On a vu des améliorations considérables depuis, mais en réalité les appareils d’aujourd’hui ont en substance les mêmes fonctionnalités que ce qu’Apple a mis sur la table quand elle a mis en place l’App Store, à l’époque de l’iPhone de deuxième génération ».

imagessamSelon Kendall Whitehouse, responsable média et de veille technologique à Knowledge@Wharton, ce qui pourrait bien être le facteur de différenciation le plus important pour les consommateurs, c’est la taille de l’écran. « Le format intermédiaire, en matière de tailles d’écran, est le point de tension où les défis vont être les plus forts pour le marché ». Le smartphone est très portable et va continuer à bien se porter, prédit-il. Les tablettes vont gagner en fonctionnalité et devenir des ordinateurs légers. Ce sont les tablettes propriétaires, aux fonctions limitées, qui sont les plus vulnérables. « Les extrêmes, de part et d’autre, détiennent leur niche. Chez moi, je veux l’écran le plus gros possible. Quand je suis en déplacement, je veux quelque chose de portable. On va donc avoir un marché constitué de grands écrans et des choses qu’on peut porter dans la poche ».

Les gagnants d’aujourd’hui sont-ils les perdants de demain ?
L’angoisse de savoir si les consommateurs continueront à acheter « le dernier » produit Apple censé être au top du top a conduit le conseil d’administration de la firme à la pomme à pousser pour un cycle d’innovation accéléré, selon Fox Business News , qui a indiqué que la pression était forte sur le PDG, Tim Cook, pour mettre plus rapidement de nouveaux produits sur le marché. Une rumeur persistante évoque ainsi un téléviseur Apple.

« Vague après vague, Apple a créé tant de de produits qu’on doit se demander si elle peut continuer à le faire », s’interroge Kendall Whitehouse. Quant à Ben Reitzes, l’analyste de Barclays, il affirme dans une note de recherche qu’Apple, concernant les ventes de ses iPad, devrait viser en priorité le milieu professionnel afin de préserver sa part de marché face à Samsung et à la myriade de tablettes Android bon marché disponibles. Selon lui, la tablette d’Apple a d’ores et déjà la faveur des entreprises, et si elle pouvait se développer davantage dans un usage professionnel, l’entreprise disposerait d’une base plus stable pour son appareil.

Pendant ce temps, Samsung, le rival d’Apple, a ses propres préoccupations. La concurrence des fabricants chinois de smartphones comme ZTE , Huawei et Lenovo entaille sévèrement les profits de l’entreprise. « Samsung et Apple doivent toutes deux se soucier du « syndrome Dell, » explique David Hsu. Dell a lancé une chaîne d’approvisionnement de PC extrêmement efficace, avec la possibilité de personnaliser les ordinateurs à la carte, rapidement, mais l’entreprise a loupé le coche du mobile et n’a pas su jouer un rôle dans le monde du smartphone ou de la tablette. « Aussi bien Apple que Samsung ont enchaîné les ventes avec de magnifiques séries de trimestres consécutifs, mais, l’une comme l’autre, ces entreprises se consacrent à donner aux gens ce qu’ils attendent maintenant, et non pas ce qu’ils attendront demain. »

Ni Samsung ni Apple ne peuvent invoquer l’histoire récente des fabricants d’ordinateurs grand public pour y trouver des enseignements sur la façon de négocier les virages dans un cycle de produit accéléré. En effet, rares sont les acteurs du PC traditionnel qui ont été en mesure de gérer le rythme rapide du cycle de produit des mobiles. Microsoft est actuellement à la recherche d’un nouveau PDG, étant donné que Steve Ballmer prévoit de prendre sa retraite l’année prochaine, après une tentative plus ou moins heureuse de recentrage de l’entreprise sur les services de cloud computing et sur des appareils comme sa tablette, Surface. Les plateformes mobiles de Microsoft occupent la troisième place, loin derrière Android et l’iOS d’Apple. Les fabricants d’ordinateurs en général luttent dans « l’ère de l’après-PC » – qu’il s’agisse de Hewlett-Packard, de Dell, d’Acer ou d’Asus, aucun n’est parvenu à transformer l’essai avec les appareils mobiles.

Les analystes qui suivent Samsung et Apple ont par ailleurs exprimé des doutes sur la capacité des deux géants à lancer de nouveaux appareils susceptibles d’être assez alléchants pour pallier à la lassitude des acheteurs.

Parmi les fabricants de PC, Lenovo, qui est récemment devenu le numéro des vendeurs d’ordinateurs personnels dans le monde, est le seul à avoir relativement bien réussi la transition vers les mobiles. En Chine, l’entreprise est le deuxième plus grand fabricant de smartphones et a l’intention de lancer mondialement un smartphone national appelé le Vibe X. Lenovo a également créé des ordinateurs portables, dits « convertibles », qui font également fonction de tablettes. En outre, l’entreprise dispose d’un PC tout-en-un qui peut servir de tablette de bureau. Ses dirigeants affirment que leur entreprise est le plus grand acteur dans le marché des convertibles Windows 8 et que son PC convertible, Yoga, va inspirer de nouvelles fonctions à travers ses produits.

Ce qui va mettre tout le monde d’accord
Pour les fabricants de smartphones et de tablettes, la pression va rester forte pour continuer à innover. Toute la question est de savoir comment ! « La prochaine étape de l’innovation va porter sur le matériel et sur l’analyse de données », explique Kevin Werbach. « Nous allons voir de nouveaux facteurs de forme tels que les montres intelligentes et les lunettes intelligentes comme Google Glass, ainsi qu’une prolifération de capteurs. Et plus les gens auront d’appareils mobiles connectés en même temps, qui plus est multiples, plus les services qui les relient entre eux deviendront importants ».

Selon Kevin Werbach, les connexions et les services proposés compteront au final plus pour le consommateur que le hardware. Google dispose de plusieurs services de cloud computing consacrés aux documents, au partage et aux applications, et Apple a son App Store et un mastodonte nommé iTunes. Tôt ou tard, ces services vont être personnalisés à l’extrême. Par ailleurs, on va observer davantage de modèles d’affaires similaires à celui d’Amazon : sur ses ventes de matériel, Amazon atteint tout juste le seuil de rentabilité, mais l’entreprise tire ses bénéfices de l’utilisation quotidienne et des ventes de contenu suivi.

Pour sa part, David Hsu ajoute cependant qu’un fort potentiel demeure en ce qui concerne l’innovation matérielle. « En informatique, il est difficile d’opérer une rupture du design dominant. Notre facteur de forme, c’est généralement un écran rectangulaire. C’est pourquoi l’excitation est grande autour du Google Glass et des bracelets-montres. On va voir des expérimentations intéressantes ».

Récemment, on a vu Samsung mettre en avant le potentiel des écrans souples – qu’on peut plier et enrouler autour du poignet, par exemple – et la firme coréenne a même organisé un concours de modèle d’affaires afin de trouver des utilisations créatives pour une telle technologie. Andrea Matwyshyn fonde de grands espoirs dans cette innovation, en particulier parce qu’elle pourrait donner aux consommateurs la possibilité d’adapter le matériel à leurs besoins personnels.

Quant à Kendall Whitehouse, selon lui de nouveaux designs ou catégories de produits vont devoir combiner les fonctions d’appareils existants afin de considérablement gagner en attrait auprès du consommateur. Le marché ne pourra plus soutenir des catégories distinctes d’appareils effectuant des tâches qui sont déjà en train d’être incorporées par les smartphones et les tablettes. « Les consommateurs vont bientôt graviter vers une tablette améliorée ou un smartphone gonflé », conclut-il. « Il y a déjà des signes de convergence. Et ce n’est pas comme si les gens achetaient séparément un appareil GPS et un appareil photo pour géolocaliser leurs souvenirs de vacances. »


Cet article a été publié en septembre 2013 par Knowledge@Wharton, sous le titre “Still hot – or not? Technology Firms Face Faster Product Cycles”. Copyright Knowledge@Wharton. Tous droits réservés. Traduit et publié sur autorisation.

Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Les entreprises high-tech face à l’accélération des cycles de produit ".
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