Certains y voient l’innovation disruptive qui annonce « l’entrée dans une ère de l’efficacité et de la confiance partagée », d’autres une technologie réservée aux geeks qui pourrait nourrir la prochaine bulle spéculative. Une chose est sûre, la blockchain est aujourd’hui à l’agenda de tous les décideurs. Car cette technologie numérique qui permet de transmettre des données de manière décentralisée, sécurisée, transparente et sans intermédiaire peut virtuellement bouleverser des pans entiers de la « vieille économie », à commencer par la logistique. Certains pensent même qu’elle pourrait « uberiser Uber » ! Ce rapport issu du groupe de travail présidé par Joëlle Toledano, professeure émérite d’économie à l’université Paris-Dauphine, a le mérite de faire le point : quels sont les vrais enjeux de la blockchain à ce stade et comment l’action publique peut-elle accompagner son passage de l’expérimentation à la maturité, en combinant régulation et soutien à l’innovation ?
La blockchain, c’est quoi ?
Ésotérique. C’est le mot qui revient le plus souvent en réaction à la lecture d’un article sur la blockchain ! Ce rapport a aussi une vocation pédagogique. Commençons donc par le commencement : la définition. « Il s’agit d’une nouvelle façon de stocker de l’information, de la préserver sans modification, d’y accéder et d’intégrer de nouvelles informations qui deviennent infalsifiables. Ces nouvelles données peuvent résulter de l’exécution d’une opération, d’une transaction ou de l’exécution « automatique » d’un programme informatique. Elles sont inscrites sur l’équivalent d’un vaste registre « distribué », c’est-à-dire partagé par tous les membres du réseau, un système qui permet transparence et auditabilité. »
On comprend donc bien que partout où se trouve un intermédiaire – même une plateforme – ou dit autrement un tiers de confiance qui contrôle ou certifie une transaction entre personnes, la blockchain peut modifier la donne. Une révolution virtuelle pour les secteurs de la banque, des assurances, le notariat… et surtout la logistique, considérée comme « premier candidat ». « En tant que registre mémorisant sans possibilité de falsification toutes les opérations effectuées, la blockchain pourrait se révéler un outil révolutionnaire en matière de logistique. C’est tout le cycle de vie d’un produit qui peut être ainsi certifié », souligne le rapport. Plus largement, le rapport voit dans les promesses de la blockchain deux familles d’usages opérationnels à moyen terme : « les applications de type notarial liées à la tenue d’un registre partagé » – du cadastre numérique à la traçabilité des médicaments – et « les smart contracts », des programmes informatiques conçus pour exécuter les termes d’un contrat (d’assurance par exemple) de façon automatique.
On est donc loin d’un phénomène circonscrit aux cryptomonnaies, Bitcoin en tête ! « La blockchain ne doit pas être considérée comme cantonnée au monde de la finance », insiste le rapport. En témoigne, s’il fallait une preuve de plus, la diversification des levées de fonds en actifs numériques (dites ICO pour Initial Coin Offering) observable depuis 2017, notamment vers les secteurs des médias, de la santé, des jeux et de l’internet des objets.
De sérieux freins
Limite : « les cas d’usage réellement opérationnels sont rares » souligne le rapport. Pourquoi ? Il y a d’abord des freins de nature « technique ». Un exemple pour s’en convaincre : le réseau Bitcoin traite une poignée de transactions par seconde, contre plusieurs milliers pour un opérateur de carte bancaire. « Le mécanisme de validation historique de la blockchain, avec ses procédés cryptographiques, est source de lenteur. » Un changement d’échelle semble donc en l’état problématique. Autres limites techniques : la consommation en électricité des opérations de cryptographie (énorme), la question de l’identité électronique des biens ou des personnes dont la blockchain enregistre les transactions ou tout simplement celle du « choix du protocole de consensus », c'est-à-dire des modalités d’accès à la blockchain.
Deuxième type de limites listées par le rapport : celles qui touchent aux enjeux monétaires et financiers. Il existe aujourd'hui 1 500 cryptomonnaies bâties sur des blockchains pour une capitalisation totale supérieure à 300 milliards d’euros, mais toujours pas de règlementation pour endiguer leur dimension spéculative (comme il en existe typiquement pour les marchés financiers). Or, blockchain et cryptomonnaies sont difficilement séparables puisque les opérations de validation qui sécurisent le réseau sont « rémunérées » par émission d’actifs numériques. D’où l’idée dans le débat d’une monnaie digitale de banque centrale qui donnerait aux cryptomonnaies le soutien institutionnel nécessaire, légal et budgétaire. « Les cryptomonnaies se signalent aussi par leur capacité à permettre les paiements frauduleux (drogue, armes, blanchiment) ou l’évasion fiscale », rappelle le rapport. De là des enjeux sécuritaires évidents au-delà même des questions de cybersécurité habituelles (protection contre le piratage).
Reste la question juridique et fiscale. Puisque la blockchain revendique une fiabilité totale sans intervention d’un tiers de confiance, les certifications qu’elle enregistre doivent avoir une portée probatoire avérée. À défaut « d’un droit de la preuve de type blockchain », l’insécurité juridique risque de freiner le développement de la technologie. Même défaut de réglementation côté fiscal : « la nature juridique des actifs numériques reste imprécise » – ce qui explique notamment que les établissements bancaires refusent de gérer les comptes des entreprises ayant des cybermonnaies à leur patrimoine – ; il manque « une politique fiscale claire et adaptée aux cryptomonnaies ».
Sortir la blockchain « du bac à sable »
C’est l’expression utilisée par les startupeurs pour dire qu’il est temps de passer de l’expérimentation au développement à grande échelle. Une révolution qui nécessite de lever tous les freins identifiés par le rapport et ce, sans attendre l’arrivée à maturité de la blockchain : « la plupart des acteurs sont aujourd’hui disposés à entrer dans une nouvelle phase, celle d’une intervention des pouvoirs publics pour fixer un cadre juridique et règlementaire qui permette le plein essor de cette nouvelle technologie », note le rapport.
De là, sept recommandations issues du groupe du travail « qui doivent être considérées comme de premières orientations au niveau national ». D’abord promouvoir des travaux de recherche et développement interdisciplinaires notamment dans les domaines de la formalisation, la sécurité (intégrité, confidentialité, preuves, opposabilité), la qualité de service (bande passante, latence, robustesse, fiabilité) et la gouvernance (évolution, neutralité). Ensuite : développer la formation, sans se cantonner aux spécialistes, c'est-à-dire aller au-delà de la nécessité de former de (bons) développeurs, en investissant aussi dans l’appropriation des systèmes complexes, condition nécessaire au développement des usages. Règles fiscales et comptables, statut juridique des jetons, valeur de preuve d’une inscription sur une blockchain, lutte contre les usages illicites… il faut également instituer « des régulations de base qui soient raisonnablement attractives ». Une nécessité pour soutenir les applications légales. Le rapport recommande enfin de contribuer au financement des projets d’infrastructure logicielle pour construire « les infrastructures blockchain publiques de demain », de soutenir des secteurs d’excellence ou d’intérêt stratégique en France – logistique, lutte contre la contrefaçon, traçabilité, banque et assurance, santé –, et de tester, expertiser, former et équiper au sein des pouvoirs publics, en développant notamment une cellule d’agents publics ayant une expertise dans le domaine des blockchains, capables d’intervenir en appui des services de l’État. Pour finir, le rapport insiste sur l’urgence à répondre aux défis auxquels se heurte l’internet de la valeur, ce qui suppose une monnaie numérique suffisamment stable pour servir de contrepartie aux transactions.
Dix ans après l’apparition du Bitcoin, force est de constater que la technologie blockchain n’a pas atteint sa maturité et que les écueils sur sa route ne manquent pas. Mais attendre qu’une innovation soit éprouvée pour se lancer, c’est prendre le risque de partir trop tard. Ce rapport vient nous le rappeler.
Télécharger le rapport les enjeux des blockchains
La blockchain, c’est quoi ?
Ésotérique. C’est le mot qui revient le plus souvent en réaction à la lecture d’un article sur la blockchain ! Ce rapport a aussi une vocation pédagogique. Commençons donc par le commencement : la définition. « Il s’agit d’une nouvelle façon de stocker de l’information, de la préserver sans modification, d’y accéder et d’intégrer de nouvelles informations qui deviennent infalsifiables. Ces nouvelles données peuvent résulter de l’exécution d’une opération, d’une transaction ou de l’exécution « automatique » d’un programme informatique. Elles sont inscrites sur l’équivalent d’un vaste registre « distribué », c’est-à-dire partagé par tous les membres du réseau, un système qui permet transparence et auditabilité. »
On comprend donc bien que partout où se trouve un intermédiaire – même une plateforme – ou dit autrement un tiers de confiance qui contrôle ou certifie une transaction entre personnes, la blockchain peut modifier la donne. Une révolution virtuelle pour les secteurs de la banque, des assurances, le notariat… et surtout la logistique, considérée comme « premier candidat ». « En tant que registre mémorisant sans possibilité de falsification toutes les opérations effectuées, la blockchain pourrait se révéler un outil révolutionnaire en matière de logistique. C’est tout le cycle de vie d’un produit qui peut être ainsi certifié », souligne le rapport. Plus largement, le rapport voit dans les promesses de la blockchain deux familles d’usages opérationnels à moyen terme : « les applications de type notarial liées à la tenue d’un registre partagé » – du cadastre numérique à la traçabilité des médicaments – et « les smart contracts », des programmes informatiques conçus pour exécuter les termes d’un contrat (d’assurance par exemple) de façon automatique.
On est donc loin d’un phénomène circonscrit aux cryptomonnaies, Bitcoin en tête ! « La blockchain ne doit pas être considérée comme cantonnée au monde de la finance », insiste le rapport. En témoigne, s’il fallait une preuve de plus, la diversification des levées de fonds en actifs numériques (dites ICO pour Initial Coin Offering) observable depuis 2017, notamment vers les secteurs des médias, de la santé, des jeux et de l’internet des objets.
De sérieux freins
Limite : « les cas d’usage réellement opérationnels sont rares » souligne le rapport. Pourquoi ? Il y a d’abord des freins de nature « technique ». Un exemple pour s’en convaincre : le réseau Bitcoin traite une poignée de transactions par seconde, contre plusieurs milliers pour un opérateur de carte bancaire. « Le mécanisme de validation historique de la blockchain, avec ses procédés cryptographiques, est source de lenteur. » Un changement d’échelle semble donc en l’état problématique. Autres limites techniques : la consommation en électricité des opérations de cryptographie (énorme), la question de l’identité électronique des biens ou des personnes dont la blockchain enregistre les transactions ou tout simplement celle du « choix du protocole de consensus », c'est-à-dire des modalités d’accès à la blockchain.
Deuxième type de limites listées par le rapport : celles qui touchent aux enjeux monétaires et financiers. Il existe aujourd'hui 1 500 cryptomonnaies bâties sur des blockchains pour une capitalisation totale supérieure à 300 milliards d’euros, mais toujours pas de règlementation pour endiguer leur dimension spéculative (comme il en existe typiquement pour les marchés financiers). Or, blockchain et cryptomonnaies sont difficilement séparables puisque les opérations de validation qui sécurisent le réseau sont « rémunérées » par émission d’actifs numériques. D’où l’idée dans le débat d’une monnaie digitale de banque centrale qui donnerait aux cryptomonnaies le soutien institutionnel nécessaire, légal et budgétaire. « Les cryptomonnaies se signalent aussi par leur capacité à permettre les paiements frauduleux (drogue, armes, blanchiment) ou l’évasion fiscale », rappelle le rapport. De là des enjeux sécuritaires évidents au-delà même des questions de cybersécurité habituelles (protection contre le piratage).
Reste la question juridique et fiscale. Puisque la blockchain revendique une fiabilité totale sans intervention d’un tiers de confiance, les certifications qu’elle enregistre doivent avoir une portée probatoire avérée. À défaut « d’un droit de la preuve de type blockchain », l’insécurité juridique risque de freiner le développement de la technologie. Même défaut de réglementation côté fiscal : « la nature juridique des actifs numériques reste imprécise » – ce qui explique notamment que les établissements bancaires refusent de gérer les comptes des entreprises ayant des cybermonnaies à leur patrimoine – ; il manque « une politique fiscale claire et adaptée aux cryptomonnaies ».
Sortir la blockchain « du bac à sable »
C’est l’expression utilisée par les startupeurs pour dire qu’il est temps de passer de l’expérimentation au développement à grande échelle. Une révolution qui nécessite de lever tous les freins identifiés par le rapport et ce, sans attendre l’arrivée à maturité de la blockchain : « la plupart des acteurs sont aujourd’hui disposés à entrer dans une nouvelle phase, celle d’une intervention des pouvoirs publics pour fixer un cadre juridique et règlementaire qui permette le plein essor de cette nouvelle technologie », note le rapport.
De là, sept recommandations issues du groupe du travail « qui doivent être considérées comme de premières orientations au niveau national ». D’abord promouvoir des travaux de recherche et développement interdisciplinaires notamment dans les domaines de la formalisation, la sécurité (intégrité, confidentialité, preuves, opposabilité), la qualité de service (bande passante, latence, robustesse, fiabilité) et la gouvernance (évolution, neutralité). Ensuite : développer la formation, sans se cantonner aux spécialistes, c'est-à-dire aller au-delà de la nécessité de former de (bons) développeurs, en investissant aussi dans l’appropriation des systèmes complexes, condition nécessaire au développement des usages. Règles fiscales et comptables, statut juridique des jetons, valeur de preuve d’une inscription sur une blockchain, lutte contre les usages illicites… il faut également instituer « des régulations de base qui soient raisonnablement attractives ». Une nécessité pour soutenir les applications légales. Le rapport recommande enfin de contribuer au financement des projets d’infrastructure logicielle pour construire « les infrastructures blockchain publiques de demain », de soutenir des secteurs d’excellence ou d’intérêt stratégique en France – logistique, lutte contre la contrefaçon, traçabilité, banque et assurance, santé –, et de tester, expertiser, former et équiper au sein des pouvoirs publics, en développant notamment une cellule d’agents publics ayant une expertise dans le domaine des blockchains, capables d’intervenir en appui des services de l’État. Pour finir, le rapport insiste sur l’urgence à répondre aux défis auxquels se heurte l’internet de la valeur, ce qui suppose une monnaie numérique suffisamment stable pour servir de contrepartie aux transactions.
Dix ans après l’apparition du Bitcoin, force est de constater que la technologie blockchain n’a pas atteint sa maturité et que les écueils sur sa route ne manquent pas. Mais attendre qu’une innovation soit éprouvée pour se lancer, c’est prendre le risque de partir trop tard. Ce rapport vient nous le rappeler.
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