Jeudi 25 Octobre 2007
Ludo Vic

Les cartes co-brandées : quel potentiel pour les porteurs et les enseignes françaises ?

Effective depuis le 1er octobre 2007, la levée de l’interdiction du co-branding[1] sur les cartes bancaires intéresse de nombreuses enseignes (grande distribution, automobile, voyagistes, télécom…). L’augmentation des ventes, le nouveau potentiel de fidélisation ou encore l’image innovante de l’enseigne sont souvent cités parmi les avantages du dispositif. Pour autant, ce nouveau modèle de carte est-il aussi attractif qu’on l’entend, notamment pour les porteurs, qui bénéficient d’ores et déjà d’une offre très étoffée en matière de « credit card » ?


Le financement des ventes et la fidélisation n’ont pas attendu l’arrivée du co-branding

La mise à disposition de moyens de paiement par l’intermédiaire d’acteurs non bancaires n’est pas une nouveauté. Les cartes de crédit dites « privatives », qui arborent le logo et les couleurs de l’enseigne commerciale qui les proposent, sont déjà largement répandues (un français sur quatre possède au moins une carte privative). Celles-ci permettent au porteur de régler ses achats dans les magasins de la marque, voire dans une communauté d’enseignes partenaires (équipés de terminaux de paiements spécifiques capables de lire la carte). En fin de période, le solde des dépenses est prélevé sur le compte bancaire du client spécifié à la souscription de la carte.

Pour le porteur, le principal atout de ces cartes est l’accès à des facilités de paiement, sous forme de crédit à la consommation. Pour le commerçant, ce dispositif permet d’augmenter les ventes grâce aux financements accordés aux clients. C’est d’ailleurs pourquoi elles sont très souvent offertes gratuitement et proposées directement en magasin.

Ces systèmes de credit cards sont conçus et gérés par les acteurs spécialisés du crédit à la consommation. Largement mis en concurrence sur ce segment de marché, ils proposent des services innovants et personnalisés aux enseignes. Ainsi, ces moyens de paiement proposent généralement plusieurs fonctions complémentaires :

- Choix parmi plusieurs formules de règlement au moment du passage en caisse : paiement au comptant, utilisation de la réserve revolving propre à la carte, crédit amortissable indépendant à taux promotionnels (notamment en période de Nöel ou d’anniversaire de l’enseigne…)
- Avantages d’une carte de fidélité traditionnelle : cumul de points, gestion de bons et réductions spécifiques, accès aux campagnes ciblées (type soldes privés…)
- Assurances et autres prestations complémentaires

Par ailleurs, ce système est transparent pour l’utilisateur, puisque ces cartes sont promues et distribuées par l’enseigne sur le lieu de vente.

Les réelles nouveautés apportées par le co-branding

Les cartes co-brandées permettent, d’un point de vue technique, de combiner :

- Les fonctions d’une carte « privative » (lorsqu’elle est utilisée on mode « on us », c’est-à-dire dans un des magasins partenaires). Elle ouvre alors l’ensemble des services spécifiques : crédit, fidélité…
- Les fonctions d’une carte « bancaire » (lorsqu’elle est utilisée on mode « on them », c'est-à-dire en dehors des magasins partenaires). Elle permet alors de régler ses achats chez tout commerçant équipé d’un terminal électronique de paiement (TPE) ou de retirer des espère dans les distributeurs de billets (DAB).

Ce dispositif doit permettre d’aller plus loin en termes de fidélisation. Outre la diffusion de l’image de l’enseigne à chaque nouvelle dépense réglée par le porteur, le procédé permet d’intensifier les dispositifs de cumul de points et éventuellement de créer un nouveau besoin auprès des clients non encore équipés de cartes privatives.

De manière plus discrète, l’arrivée du co-branding permettra également aux enseignes de renégocier les taux et assiettes de commissionnement pratiqués avec les sociétés de crédit à la consommation qui gèrent l’encours des cartes, voire de changer de partenaire.

Une portée encore incertaine

Plusieurs incertitudes persistent sur le succès de ce dispositif en France :

Tout d’abord, la démarche de remplacement d’une carte privative par une carte Visa ou Mastercard co-brandée (ou l’utilisation systématique de celle-ci si le remplacement est imposé par l’enseigne) n’apportera pas systématiquement de valeur ajoutée significative pour les porteurs. Cette volonté devrait être largement influencée par le potentiel affinitaire avec la marque ou encore par la mise à disposition d’avantages complémentaires.

Cette tendance pourrait donc être favorable à des marques à fort potentiel d’identification, de rêve ou à caractère ostentatoire (luxe, automobile, voyage…), mais moins favorables aux marques de consommation courante (grande distribution, hygiène, restauration rapide…) ; celles-ci risquent de devoir accorder plus d’avantages pour ne finalement convaincre qu’une clientèle « subprime » (impliquant une augmentation du coût du risque et de fait une baisse du commissionnement de l’enseigne par la société de crédit…)

Ensuite, le positionnement des réseaux de banques de détail jouera un rôle clef dans l’organisation du marché autour de ces cartes ; à ce jour, il reste encore à préciser. En s’associant aux offres co-brandées, ils risquent une baisse des ventes des cartes de paiement traditionnelles, impliquant de facto une diminution des revenus liés aux cotisations (les cartes co-brandées étant proposées à un tarif nettement inférieur). A l’inverse, renoncer à proposer ces produits risque d’entrainer une perte de part de marché en cas de forte demande de cartes co-brandées, au profit des sociétés de crédit « captives » (filiales de la distribution, de l’automobile…) voire de nouveaux entrants. La tactique que semblent appliquer les grands groupes bancaires est donc de s’appuyer sur leurs propres filiales de crédit à la consommation pour faire jouer la complémentarité des offres, tout en réduisant les risques de cannibalisation…

Enfin, une contrainte technique – mais significative – vient diminuer le potentiel de ces cartes bancaires de crédit. Le choix du « paiement comptant » ou du « paiement à crédit » en caisse n’est plus possible en dehors du réseau d’enseignes partenaires, notamment en raison du manque d’uniformisation des terminaux EMV[2].

Cette situation d’incertitude est renforcée par le manque de retour d’expérience potentiel. En effet, la place très particulière de la carte bancaire en France par rapport à nos voisins européens (quasi-totalité du parc à la norme EMV, nombre très élevé de transactions, aspects psychologiques…) rend peu probantes les éventuelles analogies avec le co-branding pratiqué par nos voisins européens. Dans ces conditions, les first moover devront se livrer à une écoute renforcée des réactions du marché. De leurs côtés, les acteurs traditionnels du marché de la carte de paiement vont dès à présent devoir penser à optimiser leur organisation dans l’éventualité d’un redéploiement de leur stratégie en cas de succès du co-branding.

D’un point de vue plus global, il s’agit d’un axe supplémentaire à intégrer dans la reconfiguration des stratégies moyens de paiement que doivent mettre en œuvre les banques pour s’adapter aux nouvelles contraintes réglementaires (SEPA, DSP) et à l’évolution du marché (moyens de paiement innovants pour le retail, processus STP pour le cash management des corporate…)

Sia Conseil

[1] co-branding ou co-marquage : Définition proposée par le GIE Cartes bancaires, communiqué du 16 janvier 2007 : Dénommé « co-branding » dans les pays anglo-saxons, c’est l’apposition sur les cartes bancaires, en plus du logo de l’établissement de crédit émetteur, d’une marque non bancaire, dans le cadre d’un partenariat commercial. Le co-marquage se distingue du co-badgeage ou « co-badging », qui est l’apposition sur les cartes bancaires de logos de systèmes de paiement partenaires.

[2] EMV : Europay Mastercard Visa. Standard européen pour l’interopérabilité des cartes bancaires à puces. La quasi-totalité des cartes bancaires françaises répondent déjà aux spécifications EMV, contrairement au parc déployé dans d’autres pays européens. Le passage systématique à EMV sera rendu obligatoire avec l’entrée en vigueur du SEPA (Single European Payment Area).

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