La loi web 3 vue par ... Arnaud Touati : "Jeux vidéo et NFT : la réglementation française JONUM face à l'innovation et à la controverse"

Le 21 mai 2024, la loi SREN (Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique) a été promulguée afin de mettre en place un encadrement pour divers secteurs numériques, dont les jeux NFT, également appelés jeux à objets numériques monétisables (JONUM).

Arnaud Touati, Avocat et Co-Fondateur du cabinet #Hashtag Avocats, présente les enjeux juridiques de cette nouvelle législation.


Les enjeux du modèle play-to-earn dans les jeux blockchain

Arnaud Touati, Avocat et Co-Fondateur du cabinet #Hashtag Avocats
Les jeux de blockchain comme CryptoKitties et Axie Infinity ont ouvert la voie à une nouvelle génération d’entrepreneurs numériques. Le modèle "play-to-earn" permet aux joueurs de détenir de manière effective des objets numériques rares (sous forme de NFT) et de les vendre, faisant du jeu une potentielle source de revenus. Ce principe transforme un simple divertissement en un véritable business.

Mécanisme des jeux play-to-earn

Ces jeux fonctionnent en s’appuyant sur des NFT hébergés sur des blockchains comme Ethereum, permettant aux joueurs de posséder des objets uniques dans le jeu (personnages, armes, terrains). Ces actifs, parfois très recherchés, peuvent être revendus à des prix élevés. Cependant, ces jeux suscitent des critiques, car leur modèle favorise la spéculation et peut encourager des comportements de type jeu d’argent.

L’apparition de la réglementation JONUM en France

Pour encadrer les risques inhérents, la France a instauré une réglementation spécifique pour les Jeux à Objets Numériques Monétisables (JONUM), les soumettant à certaines conditions sous la supervision de l'Autorité nationale des jeux (ANJ). La France devient ainsi un pionnier en matière de législation sur les JONUM.

Les critères d’application de la réglementation JONUM
Pour être classés comme JONUM, ces jeux doivent remplir plusieurs conditions :

1. Accessibilité en ligne : ils doivent être accessibles via une plateforme dématérialisée.
2. Présence d’un élément de hasard : un élément aléatoire influençant le jeu doit être intégré.
3. Participation financière : les joueurs doivent investir financièrement.
4. Possibilité de gains : ils doivent permettre d’obtenir des objets numériques convertibles en valeur monétaire.

Les jeux qui limitent leurs transactions internes au sein du jeu, sans échange d’argent réel, échappent à cette régulation spécifique.

Les questions juridiques autour de cette régulation

Cette législation pose diverses questions :

Pourquoi ces jeux sont-ils différenciés des jeux de hasard traditionnels ?Quelles implications pour les développeurs et les utilisateurs ?
Le Conseil constitutionnel a confirmé cette distinction en raison du fait que les gains dans les JONUM ne sont pas en monnaie légale ni en stablecoins, ce qui les différencie des jeux d’argent classiques, régis par le Code de la sécurité intérieure. Cependant, certains estiment que cette distinction est discutable, car la définition des jeux d’argent ne se limite pas traditionnellement à des gains monétaires.

Différences et obligations pour les développeurs

Bien que les JONUM partagent des caractéristiques avec les jeux de hasard (présence du hasard), la législation empêche tout gain en argent réel. Les récompenses se présentent sous forme de crypto-actifs utilisables dans le jeu, que les joueurs peuvent échanger entre eux sans que l’opérateur y participe directement.

Les entreprises qui souhaitent proposer des JONUM doivent respecter certaines exigences :

Implantation : elles doivent être établies dans l'UE ou l’EEE et désigner un représentant en France.Déclaration à l’ANJ : elles doivent détailler les types de jeux et récompenses (NFT, tokens).Protection des joueurs vulnérables et mineurs : des mesures de protection et des systèmes de vérification sont obligatoires, notamment pour éviter le jeu excessif.Restriction des paiements : les récompenses en monnaie légale sont interdites, mais les crypto-actifs peuvent être utilisés sous supervision.

Conséquences de la réglementation

L'objectif de la réglementation JONUM est d'encourager l'innovation tout en protégeant les utilisateurs. Ces jeux présentent des risques, notamment financiers et en termes de santé, en raison des comportements potentiellement addictifs qu’ils peuvent induire. L’ANJ met donc en place des mesures de prévention et un contrôle strict pour limiter ces risques.

Les mineurs sont exclus des JONUM, et chaque utilisateur est limité à un compte. L’ANJ peut exiger des ajustements, notamment pour supprimer les publicités ciblant les mineurs, et dispose d’un pouvoir de sanction étendu (amendes, suspension, interdiction).

En cas d'offre illégale de JONUM, des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et des amendes de 90 000 euros peuvent être appliquées. Des sanctions financières, équivalentes à 5 % du chiffre d’affaires, sont également possibles, les entreprises devant fournir des données de leurs activités de jeu à l’ANJ.

Qu’en est-il de la fiscalité ?

Contrairement aux jeux d’argent, les JONUM bénéficient d’une fiscalité différente. Cette disparité suscite des critiques, certains y voyant une concurrence déloyale vis-à-vis des casinos, soumis à une taxation lourde. Les JONUM ne génèrent pas de revenus monétaires directs, ce qui explique en partie cette différence de régime fiscal.

La réglementation au niveau international

Peu de pays ont, pour l’instant, adopté des lois spécifiques sur les jeux blockchain. Aux États-Unis, le Wyoming est l'un des rares États à avoir pris des mesures de soutien, en reconnaissant les tokens numériques comme des biens légaux. Aux Philippines, une régulation modérée a permis le développement de jeux "play-to-earn". Malte, pour sa part, a établi un cadre légal favorable aux entreprises blockchain, attirant de nombreux développeurs.

Une régulation nécessaire

Le régime JONUM représente un pas important pour la France en matière de régulation des jeux numériques. Ce cadre législatif vise un équilibre entre innovation et protection des utilisateurs, en tenant compte des spécificités des jeux blockchain. Cependant, les divergences avec les jeux de hasard traditionnels et les différences fiscales alimentent le débat sur l’avenir des JONUM.

A PROPOS D’ARNAUD TOUATI

Diplômé de droit des affaires des Universités Paris I Sorbonne, Paris II Assas et Chicago, Arnaud Touati a pratiqué le droit des affaires dans des cabinets anglo-américains, des grandes banques d’affaires mais également des structures de taille intermédiaire. Féru de nouvelles technologies, il s’intéresse dès 2013 à l’entreprenariat en France et tout particulièrement aux startups avant de fonder en 2015 le cabinet Hashtag Avocats.
Arnaud Touati est membre de l’incubateur du Barreau de Paris, il enseigne à l’Ecole de Formation du Barreau et dans plusieurs écoles de commerces renommées. Il participe également à de nombreux workshops et événements dans l’écosystème startups.
#Hashtag Avocats

Il est spécialisé dans le droit des cryptoactifs et a crée par ailleurs une superstructure du droit et du chiffre dédiée exclusivement à l’écosystème web3 : LawForCode

NOTE DE LA RÉDACTION :

Arnaud Touati s'exprime ici en son nom. Il ne s'agit en aucun cas de conseil en investissement ou de prise de position de Finyear. Mais d'une volonté journalistique d'offrir un éclairage le plus complet possible et de donner la parole à tous les points de vue. Les propos tenus dans cette réaction ne concernent que son auteur. Si Finyear opère un filtre éditorial, les opinions émises ne peuvent pas être considérées comme le reflet de la direction.

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Jeudi 31 Octobre 2024


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