Jeudi 2 Mai 2024
Anne-Laure Allain

La loi Web3 vue par ... Arnaud Touati & Célia Neveux " La régulation des stablecoins par le règlement MiCA : une avancée nuancée dans l’encadrement des actifs numériques"

L’émergence des stablecoins dans l’environnement des crypto-actifs a interpellé les régulateurs et les autorités financières au regard de leur caractère plus stable et donc moins volatile. Ce nouvel actif pose des défis réglementaires quant à son encadrement. Sur ce point, la politique européenne a tendance à instaurer une surrégulation provoquant un frein à l’innovation et risque de créer un fossé entre l’Europe et les Etats-Unis ou l’Asie. Par Arnaud Touati & Célia Neveux, avocats.


Célia Neveux & Arnaud Touati
Il convient de rappeler à quoi correspond un « stablecoin ». Les stablecoins (ou jetons stables) ont été conçus pour minimiser la volatilité des prix des cryptomonnaies en adossant un jeton à un actif ou des actifs. Ces actifs peuvent être aussi bien des monnaies fiduciaires tel que l’euro ou le dollar ou des métaux comme l’or mais aussi des autres crypto-actifs. L’atout de cette catégorie de crypto-actifs est de conserver les bénéfices liés à la Blockchain comme l’anonymat, la sécurité et la décentralisation, tout en offrant une stabilité de valeurs des actifs traditionnels. Toutefois, la réglementation européenne tend à limiter l’utilisation de cet actif au regard d’un ensemble de règles mises en place pour encadrer son application.

1. La régulation européenne des stablecoins

Le règlement sur les marchés de crypto-actifs (MiCA) vient encadrer cet actif, malgré la complexité de réguler un secteur en constante évolution et avec la contrainte de ne pas freiner l’innovation. Ce texte a pour objectif globale de dresser un cadre juridique précis et harmonisé des crypto-actifs. A noter, ce règlement entrera en vigueur à partir du 30 décembre 2024, mais les dispositions concernant les stablecoins seront applicables dès le 30 juin 2024.

Le règlement MiCA distingue trois types de crypto-actifs, différenciés par la volonté ou non de l’émetteur à stabiliser leur valeur par référence à d’autres actifs. Cette distinction permet de distinguer les « jetons se référant à un ou des actifs » (assets-referenced tokens, ARTs) et les « jetons de monnaie électronique » (e-money tokens, EMT). Ces deux catégories de crypto-actifs ont une finalité financière, contrairement aux « jetons utilitaires » (utility tokens) également mentionnés dans le règlement.

Le règlement MiCA les différencie dans son article 3 en précisant que, d’une part, l’EMT vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une seule monnaie. D’autre part, les ARTs visent, quant à eux à conserver une valeur stable en se référant à une autre valeur ou un autre droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles.

Le règlement MiCA dresse alors des règles différentes applicables à chaque type de stablecoins.

· Concernant les ARTs

Tout d’abord, pour pouvoir proposer ce type de stablecoins, il faudra recevoir une autorisation préalable des autorités compétentes. A noter, cette obligation n’est pas imposée à certains émetteurs comme les établissements de crédit.

Le Titre III du règlement MiCA dresse une liste de règles applicables aux émetteurs d’ARTs. Il encadre notamment, l’obligation d’obtenir un agrément pour toute personne ou entité ayant la personnalité morale qui souhaite émettre ce type de stablecoins ou pour les proposer sur des plateformes d’échanges. Cette obligation est toutefois écartée lorsque l’offre au public de ce crypto-actif est destinée uniquement à des investisseurs qualifiés qui peuvent seuls détenir des ARTs.

Cette demande d’agrément implique de publier un livre blanc et d’établir un programme d’activité. A noter, le livre blanc permet de fournir un certain nombre d’informations au public qui va pouvoir acquérir ces ARTs. A ce titre, l’émetteur doit publier une déclaration claire et univoque.

Le chapitre 2 de ce titre évoque l’obligation d’agir de manière honnête, loyale et professionnelle.

Ces obligations s’inscrivent dans une logique plus large de la protection des consommateurs tel que décrit dans le code de la consommation et le code monétaire et financier. A ce titre, l’article 26 du règlement MiCA encadre la responsabilité de l’émetteur qui n’aurait pas respecté cette obligation.

En parallèle, les émetteurs sont soumis à d’autres obligations comme le fait de disposer d’un solide dispositif de gouvernance ou d’avoir une stabilité financière.

· Concernant les EMT

Le Titre IV du règlement MiCA encadre les EMT. Concernant ce type de stablecoins, une précision est à apporter s’agissant des émetteurs pouvant proposer des EMT.
En effet, ces émetteurs devront nécessairement être des établissements de crédit ou de monnaie électroniques. Ainsi, les règles définies dans les titres 2 et 3 sont applicables à ce type d’émetteurs.

Comme pour les ARTs, ils sont obligés de publier un livre blanc avec les mêmes règles qu’énoncées précédemment.

Les émetteurs auront donc le choix entre l’agrément ART et celui EME. Cependant, le choix de la catégorie s’avère compliqué au regard de la spécificité de cet actif mais surtout quant à la complexité d’obtenir ces agréments.

A noter, cette exigence d’obtention d’agrément pose de nombreuses questions notamment au regard des barrières à l’entrée disproportionnées que cela peut créer pour les nouvelles entreprises. En effet, seules les grandes structures pourront se permettre d’avoir le budget pour assurer une compliance.

Ainsi, ce texte prévoit qu’il sera interdit d’émettre des stablecoins si les émetteurs ne sont pas conformes à MiCA. De ce fait, tous les stablecoins qui ne seront pas conformes, ne pourront être échangés sur les plateformes régulées et seront délistés. Les plateformes ne prendront pas le risque de laisser circuler des stablecoins non régulés.

2. Les points d’achoppement entre les stablecoins et le Règlement MiCA

Au-delà de devoir respecter un certain nombre d’obligations qui viennent pour certaines d’être décrites ci-avant, une contrainte de taille vient s’ajouter à cette liste déjà bien complète.

En effet, les émetteurs, et ce quelques soit leurs structures, devront constituer et maintenir des avoirs de réserve, comme le décrit l’article 36 du règlement, permettant de garantir que les stablecoins respecteront toujours leur gage de stabilité.

Pour autant, cette exigence peut être génératrice de difficultés en pratique. En effet, le législateur européen encourage les acteurs américains à ne plus proposer leurs stablecoins en Europe. Il en va de même avec les dispositions qui imposent d’avoir 60 % des réserves en cash et que ces réserves soient collatéralisées dans au moins six banques différentes.

De fait, cela pourrait bloquer une partie substantielle des réserves de l’émetteur qui l’empêcherait de rembourser les utilisateurs en cas de demande importante et simultanée. De plus, l’obligation de trouver six banques prêtent à suivre le projet semble également utopique au regard de la grande défiance des établissements bancaires européens envers l’écosystème crypto.

Autre point à prendre également en considération : le règlement MiCA met en œuvre un plafond d’échanges journaliers fixé arbitrairement à 200 millions d’euros et à 1 million de transactions, ce qui est très faible. Naturellement, le fait d’établir ce type de quotas pourrait tenter les émetteurs comme les investisseurs à quitter l’Europe pour effectuer ce type de transaction à l’étranger.

En tout état de cause, il n’y aura pas de juste milieu : les émetteurs de stablecoins qui ne seront pas régulés et qui n’auront pas obtenu l’agrément seront délistés des plateformes, et cela dès juillet 2024. La vigilance est donc de mise !

A PROPOS D’ARNAUD TOUATI

Diplômé de droit des affaires des Universités Paris I Sorbonne, Paris II Assas et Chicago, Arnaud Touati a pratiqué le droit des affaires dans des cabinets anglo-américains, des grandes banques d’affaires mais également des structures de taille intermédiaire. Féru de nouvelles technologies, il s’intéresse dès 2013 à l’entreprenariat en France et tout particulièrement aux startups avant de fonder en 2015 le cabinet Hashtag Avocats.
Arnaud Touati est membre de l’incubateur du Barreau de Paris, il enseigne à l’Ecole de Formation du Barreau et dans plusieurs écoles de commerces renommées. Il participe également à de nombreux workshops et événements dans l’écosystème startups.
#Hashtag Avocats

Il est spécialisé dans le droit des cryptoactifs et a crée par ailleurs une superstructure du droit et du chiffre dédiée exclusivement à l’écosystème web3 : LawForCode

A PROPOS DE CÉLIA NEVEUX

Diplômée en droit de la propriété industrielle et droit du numérique au sein de l'Université de Paris Saclay, Célia Neveux a effectué plusieurs stages en cabinet d'avocats exerçant en droit des affaires, droit de la propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies.
Après l'obtention du CRFPA à la suite de son Master 2, Célia Neveux a rejoint la Haute Ecole des avocats conseils (HEDAC) en tant qu'élève-avocat et poursuit son parcours pour devenir avocate.

NOTE DE LA RÉDACTION :

Arnaud Touati s'exprime ici en son nom. Il ne s'agit en aucun cas de conseil en investissement ou de prise de position de Finyear. Mais d'une volonté journalistique d'offrir un éclairage le plus complet possible et de donner la parole à tous les points de vue. Les propos tenus dans cette réaction ne concernent que son auteur. Si Finyear opère un filtre éditorial, les opinions émises ne peuvent pas être considérées comme le reflet de la direction.


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