Dimanche 17 Septembre 2006
Laurent Leloup

La dématérialisation des moyens de paiement

La monnaie inventée par les marchands, ancêtres des banquiers, a rapidement intéressé l'Etat. Mais la capture monopolistique de la monnaie par l’appareil d’État (la Banque centrale surplombant hiérarchiquement les banques de second rang) ne date somme toute que du XIXe siècle.


La forte bancarisation de la population Française est consécutive à certaines décisions gouvernementales imposant l'utilisation de règlements scripturaux (carte, chèque, virement, prélèvement, etc.) pour certaines transactions (exemple: le paiement des salaires au dessus d'un certain montant). Les principales réformes ont eu pour but principal la recherche de la dématérialisation complète des moyens de paiements scripturaux (scriptural signifiant quand les échanges de monnaie se font par un jeu d'écritures). Ceci est pratiquement réalisé, sauf pour les chèques.

La dématérialisation des moyens de paiement a commencé à la fin des années soixante avec la création de l'avis de prélèvement - notamment pour le règlement des factures d'électricité et de l'impôt sur le revenu -, puis du virement automatisé et de la lettre de change relevé. Elle s'est ensuite étendue aux effets de commerce, échangés sur le SIT depuis 1994, puis à l'ensemble des virements interbancaires. L'échange physique des virements entre banques a été supprimé en 1998. Les paiements par carte sont ainsi traités dans le SIT depuis la période 1995-1997. En France, depuis le début des années 1980, les établissements de crédits (dont bien sûr les Banques) sont les seuls autorisés à proposer et à gérer les moyens de paiement. La dématérialisation des chèques, quant

à elle, a été réalisée en deux étapes. En 1983, certains établissements bancaires ont dématérialisé, en région, les échanges de chèques de petit montant sous forme d'Images Chèques par la création de neuf Centres Régionaux d'Échange d'Images Chèques – CREIC -. Puis début 2002, la Profession bancaire a généralisé l'échange des chèques en mettant en œuvre l'Échange d'Images Chèques (EIC)*.

La France compte trois systèmes interbancaires de paiement : deux systèmes de montant élevé et un système de paiement de détail. Les deux systèmes de montant élevé sont TBF (Transferts Banque de France), composante du système européen TARGET (Trans-european Automated Real-time Gross settlement Express Transfer), et PNS (Paris Net Settlement). Concernant les paiements de détail, les échanges de moyens de paiement scripturaux entre les banques sont compensés dans le SIT (Système Interbancaire de Télécompensation). La C.R.I. (Centrale des Règlements Interbancaires) sert de plate-forme unique de communication entre les systèmes de paiements T.B.F. et P.N.S., et les participants à l'un ou l'autre de ces systèmes. L'ensemble des systèmes de paiement et de titres français se règlent en monnaie de banque centrale sur les livres de la Banque de France. Remarque : PNS, TBF et Target utilisent les infrastructures du réseau SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), réseau utilisé par plus de 6.600 institutions financières réparties dans 184 pays.*

Aujourd'hui la globalisation et la technologie monétaire bousculent le marché et l'on voit progresser une autre forme de moyen de paiement dématérialisé : la monnaie électronique.

Celle-ci revêt deux formes : la première (porte-monnaie électronique, transactions utilisant la carte à puce des cartes bancaires, Paypal, P2P cash...) s'inscrit dans le système bancaire qui en garde le contrôle. La seconde, que l'on peut nommer e-monnaie (e-cash, e-money), y échappe : elle est émise par des acteurs de l'Internet et devient un moyen de paiement universel pour les transactions en ligne, elle est d'initiative privée et surtout globale alors que les monnaies sont nationales voire supranationales ou continentales (Euro). Ainsi e-gold, devise électronique basée sur le cours de l'or, est un système de paiement monétaire international : chaque gramme d'e-gold que vous avez sur votre compte est garanti par autant de vrai or, gardé dans une banque. D'autre e-monnaies existent, reposant sur d'autres métaux (e-silver pour l'argent, par exemple) ou sur la titrisation.

Le paysage monétaire du futur se dessine, la dématérialisation est en route, les moyens de paiement évoluent vers plus d'instantanéité, plus de globalité et moins de bancarisation. Nul doute que l'irruption de la monnaie électronique ou e-monnaie comme monnaie d'initiative privée ébranle quelque peu la sphère bancaire et les institutions étatiques (perte de pouvoir et de marges). La réalité dépassera-t-elle la fiction ? Les individus suivront-ils Farinet** et abandonneront-ils leur monnaie nationale au profit d'une monnaie d'initiative privée ? La monnaie publique redeviendra-t-elle privée comme au XIXè siècle ? Il est aujourd'hui utopique de vouloir répondre à ces questions mais comme conclut B.J. Cohen : "L'avenir de la monnaie, c'est retour vers le futur !"

La dématérialisation des moyens de paiement…et des documents ne fait que commencer, l'entreprise devra anticiper et faire des choix stratégiques et technologiques. En échange de cette mutation elle obtiendra peut-être plus de garantie et de liquidité (cash) sur ses créances clients ?

© Laurent Leloup / Finyear
* Sources : Banque de France
** Farinet ou la Fausse Monnaie par Charles Ferdinand Ramuz
*** The future of the money par Benjamin J. Cohen


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