Marc Touati
A l'heure où la zone euro fait de nouveau l'objet de toutes les craintes (retour de la récession, déflation, chômage historiquement élevé…), cette annonce apparaît particulièrement censée mais aussi inquiétante pour l'UEM. A la différence de la Lettonie il y a un peu plus d'un an, la Pologne refuse effectivement de monter dans un bateau à la dérive.
Et si l'UEM n'est pas encore le Titanic (quoique…), la Pologne n'a vraisemblablement pas envie de subir le triste sort des derniers pays entrants dans la zone euro. En effet, qu'il s'agisse de Chypre, de Malte, de l'Estonie et de la Slovénie, voire de la Slovaquie, et dans une moindre mesure de la Lettonie, tous les nouveaux membres de la zone euro se portent aujourd'hui plus mal qu'avant leur entrée dans cette dernière. Malédiction, coïncidence ou conséquence logique du mauvais fonctionnement de la zone euro ? Les trois réponses sont possibles, et en particulier la dernière.
Ce qui est vraiment dommage dans le cas de la Pologne est que cette dernière présente des fondamentaux économiques et financiers solides. Et pour cause : elle est l'un des très rares pays européens qui n'a pas connu de récession pendant la dernière crise. Depuis 2000, son PIB réel (c'est-à-dire hors inflation) a augmenté de 3,6 % par an, contre 1 % pour la zone euro. Enfin, après avoir ralenti à 1,6 % en 2013, sa croissance devrait avoisiner les 3,2 % cette année. Parallèlement, en dépit d'une légère augmentation entre 2009 et 2013 (passant de 51 % à 57 % du PIB), la dette publique ne devrait pas dépasser les 50 % en 2014. Il faut dire que, depuis 2010, la Pologne n'a pas ménagé ses efforts pour assainir ses comptes publics. Après avoir enregistré un déficit de 7,9 % du PIB en 2010, celui-ci n'était plus que de 4,3% en 2013 et devrait atteindre 3,2 % cette année.
Pour parvenir à de tels résultats, le poids des dépenses publiques dans la richesse nationale a été réduit de 45,4 % en 2010 à 41 % depuis 2013. Comme quoi, quand on veut, on peut.
Malgré l'ensemble de ces performances très appréciables, la Pologne refuse donc d'adhérer trop rapidement à l'UEM. Elle refuse effectivement de se priver de l'arme du taux de change et d'entrer dans une zone contraignante qui risque de lui coûter plus que ce qu'elle peut lui apporter. Si les Polonais ne sont pas encore des Anglais, ils sont néanmoins tout aussi pragmatiques.
Mais du côté eurolandais également, cette adhésion en pleine crise économique et politique de la zone euro n'est pas souhaitable.
En effet, l'UEM n'a de sens que si elle réunit des pays économiquement très proches. L'idéal aurait donc été de créer une zone euro « en petit comité » avec six ou sept pays convergents. Il aurait alors été plus aisé d'harmoniser les conditions fiscales et réglementaires tout en créant un budget fédéral. Une fois de telles fondations solides établies, un élargissement aurait été possible et surtout efficace. Malheureusement, plutôt que de s'engager sur la voie du bon sens, les Eurolandais, notamment sous l'impulsion des Français, ont préféré mettre la charrue avant les bœufs et élargir sans harmoniser. En d'autres termes, on a voulu construire le troisième étage de l'édifice avant même d'avoir terminé les fondations. Résultat des courses : la zone euro est devenue la tour de Pise…
Dès lors, lorsque la crise de 2008-2009 a commencé, toutes ces erreurs de construction ont produit des effets durablement dévastateurs, si bien qu'à l'heure actuelle, toutes les grandes zones économiques de la planète ont renoué avec la croissance et sont en partie sorties de la crise de la dette, sauf la zone euro.
Il faut donc être clair : l'Union Économique et Monétaire ne pourra sortir de la crise de la dette, et plus globalement de sa crise existentielle tant qu'elle ne sera pas une zone monétaire optimale (ZMO). Cela signifie qu'il existe une parfaite mobilité des capitaux, des entreprises, mais aussi des travailleurs au sein de la zone en question. Pour y parvenir, les pays qui la composent doivent œuvrer à une harmonisation de leurs conditions fiscales, budgétaires et réglementaires, préparer le terrain à un marché du travail unique, sans oublier d'instaurer un budget fédéral conséquent, capable de supprimer les chocs asymétriques au sein de la zone. En d'autres termes, si un des États membres connaît une crise spécifique (que l'on appelle un choc asymétrique), le budget fédéral pourra y remédier directement, annihilant ainsi les risques de contagion à l'ensemble de la zone.
Ne l'oublions pas, la création de l'euro n'était qu'une étape visant à donner naissance à une union politique et fédérale. On peut être favorable ou opposé à cette dernière mais si on la refuse, il faut d'ores et déjà savoir que l'UEM finira par exploser, sortant donc de la crise de la dette par le bas, replongeant l'Europe dans un jeu non-coopératif et forcément destructeur. Or, plus la zone euro s'élargit, plus elle s'éloigne de la ZMO et plus elle se rapproche de ce scénario catastrophe.
En différant sine die son entrée dans l'UEM, la Pologne pense donc avant tout à son bien-être économique, mais permet également à la zone euro de stopper sa fuite en avant dogmatique et inefficace.
Marc Touati
Economiste.
Président du cabinet ACDEFI (premier cabinet de conseil économique et financier indépendant).
www.acdefi.com
Et si l'UEM n'est pas encore le Titanic (quoique…), la Pologne n'a vraisemblablement pas envie de subir le triste sort des derniers pays entrants dans la zone euro. En effet, qu'il s'agisse de Chypre, de Malte, de l'Estonie et de la Slovénie, voire de la Slovaquie, et dans une moindre mesure de la Lettonie, tous les nouveaux membres de la zone euro se portent aujourd'hui plus mal qu'avant leur entrée dans cette dernière. Malédiction, coïncidence ou conséquence logique du mauvais fonctionnement de la zone euro ? Les trois réponses sont possibles, et en particulier la dernière.
Ce qui est vraiment dommage dans le cas de la Pologne est que cette dernière présente des fondamentaux économiques et financiers solides. Et pour cause : elle est l'un des très rares pays européens qui n'a pas connu de récession pendant la dernière crise. Depuis 2000, son PIB réel (c'est-à-dire hors inflation) a augmenté de 3,6 % par an, contre 1 % pour la zone euro. Enfin, après avoir ralenti à 1,6 % en 2013, sa croissance devrait avoisiner les 3,2 % cette année. Parallèlement, en dépit d'une légère augmentation entre 2009 et 2013 (passant de 51 % à 57 % du PIB), la dette publique ne devrait pas dépasser les 50 % en 2014. Il faut dire que, depuis 2010, la Pologne n'a pas ménagé ses efforts pour assainir ses comptes publics. Après avoir enregistré un déficit de 7,9 % du PIB en 2010, celui-ci n'était plus que de 4,3% en 2013 et devrait atteindre 3,2 % cette année.
Pour parvenir à de tels résultats, le poids des dépenses publiques dans la richesse nationale a été réduit de 45,4 % en 2010 à 41 % depuis 2013. Comme quoi, quand on veut, on peut.
Malgré l'ensemble de ces performances très appréciables, la Pologne refuse donc d'adhérer trop rapidement à l'UEM. Elle refuse effectivement de se priver de l'arme du taux de change et d'entrer dans une zone contraignante qui risque de lui coûter plus que ce qu'elle peut lui apporter. Si les Polonais ne sont pas encore des Anglais, ils sont néanmoins tout aussi pragmatiques.
Mais du côté eurolandais également, cette adhésion en pleine crise économique et politique de la zone euro n'est pas souhaitable.
En effet, l'UEM n'a de sens que si elle réunit des pays économiquement très proches. L'idéal aurait donc été de créer une zone euro « en petit comité » avec six ou sept pays convergents. Il aurait alors été plus aisé d'harmoniser les conditions fiscales et réglementaires tout en créant un budget fédéral. Une fois de telles fondations solides établies, un élargissement aurait été possible et surtout efficace. Malheureusement, plutôt que de s'engager sur la voie du bon sens, les Eurolandais, notamment sous l'impulsion des Français, ont préféré mettre la charrue avant les bœufs et élargir sans harmoniser. En d'autres termes, on a voulu construire le troisième étage de l'édifice avant même d'avoir terminé les fondations. Résultat des courses : la zone euro est devenue la tour de Pise…
Dès lors, lorsque la crise de 2008-2009 a commencé, toutes ces erreurs de construction ont produit des effets durablement dévastateurs, si bien qu'à l'heure actuelle, toutes les grandes zones économiques de la planète ont renoué avec la croissance et sont en partie sorties de la crise de la dette, sauf la zone euro.
Il faut donc être clair : l'Union Économique et Monétaire ne pourra sortir de la crise de la dette, et plus globalement de sa crise existentielle tant qu'elle ne sera pas une zone monétaire optimale (ZMO). Cela signifie qu'il existe une parfaite mobilité des capitaux, des entreprises, mais aussi des travailleurs au sein de la zone en question. Pour y parvenir, les pays qui la composent doivent œuvrer à une harmonisation de leurs conditions fiscales, budgétaires et réglementaires, préparer le terrain à un marché du travail unique, sans oublier d'instaurer un budget fédéral conséquent, capable de supprimer les chocs asymétriques au sein de la zone. En d'autres termes, si un des États membres connaît une crise spécifique (que l'on appelle un choc asymétrique), le budget fédéral pourra y remédier directement, annihilant ainsi les risques de contagion à l'ensemble de la zone.
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