Mercredi 20 Novembre 2013
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La France, "l'homme malade de l'Europe" ?

Cette expression datant du XIXème siècle visait alors l'Empire Ottoman, qui, à l'époque, était endetté, incapable de faire des réformes, car paralysé par une administration toute puissante et sclérosée. La stagnation économique qui en résultait avait alors inquiété les autres pays européens et avait abouti à la mise sous tutelle de ce pays.


Bernard Marois
Commençons par examiner les performances présentes et futures des principaux pays européens. En ce qui concerne l'Allemagne, la situation est satisfaisante : solde budgétaire positif (0,2 % cette année) ; chômage en baisse rapide : 5,3 % en 2013 contre 11,1 % en 2006 ; excédents commerciaux gigantesques ; croissance en progression substantielle (0,5 % en 2013 et 1,4 % en 2014). Certes, on pourra souligner 2 faiblesses : la création d'emplois surtout « partiels » (mais c'est mieux que le chômage) et la décroissance démographique (mais elle est compensée par une immigration de personnes « qualifiées).

Considérons maintenant l'Espagne. A la suite de réformes profondes et douloureuses, la situation commence réellement à s'améliorer ; rééquilibrage de la balance courante (elle passe de - 4,8 % du PIB en 2009 à + 2,9 % en 2014) ; le déficit public énorme en 2009 (- 11,2 % du PIB) sera réduit de moitié en 2014 (- 7 %) ; la croissance va redevenir positive (- 4 % en 2009 ; + 0,9 % en 2014). Quant à l'Italie, elle suit un chemin similaire : la croissance devrait redevenir positive l'an prochain, passant de - 1,8 % du PIB (cette année) à 0,7 %. De même, le solde de la balance courante est repassé « dans le vert » et le déficit budgétaire s'est transformé en excédent. Ces progrès sont essentiellement dûs à des réductions de salaires et à des économies réalisées dans les dépenses de ces pays. On peut assimiler ces mesures à des véritables « dévaluations internes », qui améliorent sensiblement la position concurrentielle de ces pays, d'où leurs résultats prometteurs, en terme de compétitivité et de commerce extérieur.

Dans ce contexte, la France est encore plus fragilisée. En effet, l'Italie et l'Espagne nous prennent des parts de marché, grâce à la baisse de leurs coûts de production. Ainsi, pour un salaire brut de 100, le coût du travail, une fois rajoutées les cotisations patronales équivaut à 144 en France, contre 132 en Italie et 129 en Espagne (l'Allemagne est encore meilleure avec 120 et la Grande-Bretagne, championne avec 111). De fait, notre déficit commercial se pérennise, notre déficit budgétaire peine à se réduire et la croissance espérée pour 2014 devrait plafonner à 0,6 %, ce qui ne permettra pas d'enrayer la hausse du chômage, compte-tenu de notre démographie favorable (300 000 personnes en plus, chaque année). En conséquence, la baisse du pouvoir d'achat (- 1,5 % en 2012 ; - 0,8 % en 2013) va encore se poursuivre en 2014 (- 0,9 %). C'est désormais la déflation qui guette notre pays.

Il est inutile de revenir sur l'analyse des causes de cette situation catastrophique : absence de réformes structurelles (hormis, la mini-réforme sur les retraites) ; augmentation continue des dépenses publiques (Etat, Sécurité Sociale, collectivités locales), avec un chiffre significatif : les dépenses de fonctionnement des collectivités locales ont augmentées de 3,1 % de plus que l'inflation, chaque année (en moyenne) depuis 30 ans !(1). Ajoutons à cela, la grande fragilité des entreprises moyennes (faiblesse de l'autofinancement, marge bénéficiaire minimale) dans un contexte de fiscalité incontrôlée (récente surtaxe imposée sur les bénéfices des entreprises, se traduisant par un I.S. supérieur à celui pratiqué par tous nos partenaires). Notons aussi le mouvement de désindustrialisation accélérée de notre pays : 160 000 emplois détruits depuis 2011.

Un exemple parmi d'autres : la France figurait parmi les leaders en matière de développement des jeux vidéo. Mais, faute de compétitivité et donc d'efforts d'innovation, la filière a périclité passant de 15 000 salariés en 2000 à 5 000 aujourd'hui(2) et entraînant la fuite des cerveaux vers d'autres pays fiscalement plus accueillants (Canada, Grande-Bretagne, Etats-Unis).

Tant que nous cumulerons les défauts suivants : durée de travail la plus courte, en termes d'heures annuelles et en termes de nombre d'années ; coût du travail le plus élevé ; dépenses publiques en constante progression et record des pays industrialisés (57 % du PIB) ; fiscalité, prélèvements inclus, proches du niveau de saturation (47 % du PIB) ; stigmatisation de l'entreprise et des entrepreneurs ; il sera difficile d'améliorer notre situation. Lorsqu'on assiste à des formes de « jacquerie » en Bretagne, on a l'impression de se retrouver en 1789, avec, comme à l'époque, un gouvernement mou, versatile et plus préoccupé de défendre ses acquis que de préparer l'avenir !


Bernard MAROIS
Professeur Emérite à HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC



A titre de réflexion, quelques faits énumérés par le récent rapport de la Cour des Comptes sur les collectivités locales :

- Depuis la création de la Communauté d'agglomération de Carcassonne, en 2002, les effectifs de l'établissement intercommunal ont triplé et ceux de la commune ont augmenté
de 11 % ;

- La durée légale du travail n'est pas atteinte dans bon nombre de collectivités locales ;

- La rémunération des agents représente plus de 35 % des dépenses totales (investissement compris) des collectivités ;

- A Béziers, une demi-journée de repos est accordée chaque semaine à tous les agents, y compris les cadres ;

- D'un département à l'autre, les dépenses de personnel des collectivités vont du simple à plus du triple ;

- L'endettement des collectivités continue d'augmenter. Ainsi, à Levallois-Perret, il représente 11 500 euros par habitant !


(1) Voir, en addendum de cet éditorial, quelques statistiques complémentaires sur ce sujet. Cf. un récent rapport d'activité de Xerfi.

(2) Illustration d'activité dans la filière de l'abattage porcin, le coût horaire est de 20 euros en France contre 7 euros en Allemagne. Résultat : le volume de production a baissé de
30 % en France, en 5 ans ; pendant ce temps il augmentait de 40 % en Allemagne, qui est maintenant leader sur ce marché, alors que notre pays a régressé à la troisième
place.

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