L'inflation est-elle la solution ? C'est souvent un argument avancé pour en finir avec la dette et retrouver une croissance plus robuste et durable. L'endettement, perçu généralement comme excessif, crée un doute sur la pérennité et l'amplitude de la reprise. En contraignant les comportements, la dette privée ou publique crée de l'inertie, limitant alors les capacités de chacun à réagir.
Une accélération durable des prix pourrait être la solution. Un taux d'inflation plus élevé, en réduisant la valeur réelle de la dette, redonnerait à chaque acteur de l'économie des degrés de liberté supplémentaires.
L'idée sous-jacente est d'imaginer que l'accélération de l'inflation "gommerait", voire ferait disparaître, toutes les racines de la crise, l'économie retrouvant alors spontanément ses vertus perdues.
Cette approche soulève cependant un certain nombre d'interrogations.
Dette et distribution des revenus
La première question est la suivante : si la dette disparaissait rapidement, les économies occidentales retrouveraient-elles les vertus qui avaient permis une croissance forte et durable par le passé ? Cette question peut être reformulée en se demandant si la hausse de la dette n'est pas la conséquence d'une incapacité à renouveler les sources du revenu et de la croissance. La causalité n'est alors plus tout à fait la même.
Sur ce point, l'éclairage des États-Unis est intéressant. On ne peut exclure que l'accroissement de la dette privée des ménages ait été le résultat d'une autre transformation de l'économie. Celle-ci serait la rupture dans la distribution des revenus depuis le milieu des années 80.
À partir de cette période, on note un changement profond dans la répartition des revenus qui favorise désormais les revenus les plus élevés. Pour illustrer ce point, Emmanuel Saez(1) de l'Université de Berkeley indique qu'entre 2002 et 2007, 65 % de la croissance des revenus ont été accaparés par le 1 % des ménages percevant les revenus les plus élevés. Ce n'était pas le cas depuis l'après-guerre où la distribution des revenus avait été stable.
On remarque que la progression de la dette privée des ménages s'accélère à partir du milieu des années 80 et est contemporaine de l'apparition de cette plus grande disparité dans la distribution des revenus. La croissance de la consommation ne s'explique alors que par une augmentation des ressources résultant d'une dette plus importante.
En France, des travaux allant dans le sens d'une déformation de la distribution des revenus ont été récemment produits, soutenant l’idée qu’elle peut aussi être un facteur explicatif de la hausse de la dette privée.
En modifiant les ressources des classes moyennes, le changement dans la distribution des revenus a pu provoquer l'accroissement de la dette privée. L'érosion de celle-ci par l'inflation permettrait-elle alors un retour à une distribution de revenus moins divergente ?
Réduire la dette par l'inflation ?
Généralement, l'inflation opère une redistribution des revenus, touchant particulièrement les personnes au revenu fixe. Le rentier est pénalisé et le salarié favorisé s'il peut bénéficier d'une indexation, même partielle, de son salaire. Cet impact sur la redistribution n'est cependant plus le même que par le passé car les revenus les plus élevés ne sont plus systématiquement des revenus fixes.
Aux États-Unis, les revenus du travail sont désormais très importants pour les revenus les plus élevés. Emmanuel Saez(1) a calculé, qu'en 2004, 60 % des revenus des 1 % des ménages touchant les revenus les plus élevés provenaient du travail. En 1916, cette part n'était plus que de 20 %.
L'inflation n'aurait donc pas les effets redistributifs souhaités. Si elle permettait un effacement progressif de la dette, la répartition des revenus ne reviendrait pas à la situation antérieure, notamment en raison des distorsions apparues depuis le milieu des années 80. Elle n'aurait donc pas les vertus souhaitées pour un retour rapide, sain et durable de la croissance.
De l'inflation certes, mais pour quelle croissance ?
Une troisième interrogation émerge ici : il s’agit de déterminer si l'accélération de l'inflation permettrait le retour d'une croissance forte via l'investissement. L'expérience des années 2000 suscite le doute. Dans un environnement peu inflationniste et avec une incertitude limitée, l'agenda de Lisbonne, signé en 2000, avait en effet été insuffisamment appliqué en Europe. Ce schéma devait pourtant permettre à l'Europe de connaître un taux de croissance fort et durable, mais les comportements n'ont pas été suffisamment volontaristes.
Un résultat fort de l'analyse de l'inflation des années 1970 est d'indiquer qu'un surplus d'inflation est générateur d'incertitude et se traduit, pour les acteurs de l'économie, par un raccourcissement de leur horizon. Un monde plus incertain, tel que celui des années 2000, n'inciterait pas forcément à investir massivement pour alimenter le renouveau de la croissance.
Inflation et matières premières
Quatrième observation enfin : il faut aujourd’hui noter que l'accélération récente de l'inflation résulte d'une hausse du prix des matières premières. Cela traduit un prélèvement, un transfert de richesse et de pouvoir d'achat des pays consommateurs vers les pays producteurs. Dans les années 74-76, craignant une thésaurisation de ce pouvoir d'achat par les pays producteurs de pétrole, la France avait mis en oeuvre une stratégie de compensation visant à soutenir la demande. Cela s'est traduit par une accélération rapide de l'inflation au delà de 10 % jusqu'au début des années 1980, sans pour autant créer les conditions d'un renouveau de la croissance.
Cet effet, dit de "second tour", n'est pas souhaité. Les banquiers centraux, au regard de ces expériences, ne souhaitent donc pas créer les conditions d'une inflation forte et durable.
Conclusion
L'inflation est parfois perçue comme la solution magique qui va spontanément "effacer" les excès du passé et permettre de retrouver une dynamique plus favorable. Les propos développés ci-dessus ne valident pas cette assertion. Une accélération durable de l'inflation reste pénalisante pour le salarié endetté en raison d'une indexation insuffisante des salaires et des contraintes issues du passé sur la distribution des revenus.
L'expérience depuis le début des années 60 suggère deux niveaux d'équilibre pour l'inflation dans les pays occidentaux : l'un, réduit, proche de celui observé depuis une vingtaine d'années et l'autre, supérieur à
10 %. Entre ces deux niveaux identifiés, les niveaux d'inflation ne semblent pas stables. Dès lors, vers quel équilibre converger sachant qu'un taux d'inflation limité n'érode rapidement pas la dette ? Par ailleurs, le niveau des taux d'intérêt de long terme est conditionné par celui de l'inflation. Si celle-ci s'accélérait, les taux d'intérêt seraient plus forts et le coût de la croissance plus élevé.
Dans un environnement global très concurrentiel, le risque associé à une dérive rapide des prix à la consommation est d'engendrer une incertitude nouvelle pour les pays endettés et une croissance durablement modérée dont profiteraient alors les pays émergents.
(1) Source : "Striking it Richer: The evolution of top incomes in the United States" - Emmanuel Saez - 17/07/2010.
Par Philippe Waechter, Directeur de la Recherche Economique de Natixis AM
Natixis Asset Management Perspectives - février 2011
Rédigé le 02/02/2011
Retrouvez toute l'actualité du cash management dans notre magazine en ligne Global Treasury News
www.globaltreasurynews.com
Une accélération durable des prix pourrait être la solution. Un taux d'inflation plus élevé, en réduisant la valeur réelle de la dette, redonnerait à chaque acteur de l'économie des degrés de liberté supplémentaires.
L'idée sous-jacente est d'imaginer que l'accélération de l'inflation "gommerait", voire ferait disparaître, toutes les racines de la crise, l'économie retrouvant alors spontanément ses vertus perdues.
Cette approche soulève cependant un certain nombre d'interrogations.
Dette et distribution des revenus
La première question est la suivante : si la dette disparaissait rapidement, les économies occidentales retrouveraient-elles les vertus qui avaient permis une croissance forte et durable par le passé ? Cette question peut être reformulée en se demandant si la hausse de la dette n'est pas la conséquence d'une incapacité à renouveler les sources du revenu et de la croissance. La causalité n'est alors plus tout à fait la même.
Sur ce point, l'éclairage des États-Unis est intéressant. On ne peut exclure que l'accroissement de la dette privée des ménages ait été le résultat d'une autre transformation de l'économie. Celle-ci serait la rupture dans la distribution des revenus depuis le milieu des années 80.
À partir de cette période, on note un changement profond dans la répartition des revenus qui favorise désormais les revenus les plus élevés. Pour illustrer ce point, Emmanuel Saez(1) de l'Université de Berkeley indique qu'entre 2002 et 2007, 65 % de la croissance des revenus ont été accaparés par le 1 % des ménages percevant les revenus les plus élevés. Ce n'était pas le cas depuis l'après-guerre où la distribution des revenus avait été stable.
On remarque que la progression de la dette privée des ménages s'accélère à partir du milieu des années 80 et est contemporaine de l'apparition de cette plus grande disparité dans la distribution des revenus. La croissance de la consommation ne s'explique alors que par une augmentation des ressources résultant d'une dette plus importante.
En France, des travaux allant dans le sens d'une déformation de la distribution des revenus ont été récemment produits, soutenant l’idée qu’elle peut aussi être un facteur explicatif de la hausse de la dette privée.
En modifiant les ressources des classes moyennes, le changement dans la distribution des revenus a pu provoquer l'accroissement de la dette privée. L'érosion de celle-ci par l'inflation permettrait-elle alors un retour à une distribution de revenus moins divergente ?
Réduire la dette par l'inflation ?
Généralement, l'inflation opère une redistribution des revenus, touchant particulièrement les personnes au revenu fixe. Le rentier est pénalisé et le salarié favorisé s'il peut bénéficier d'une indexation, même partielle, de son salaire. Cet impact sur la redistribution n'est cependant plus le même que par le passé car les revenus les plus élevés ne sont plus systématiquement des revenus fixes.
Aux États-Unis, les revenus du travail sont désormais très importants pour les revenus les plus élevés. Emmanuel Saez(1) a calculé, qu'en 2004, 60 % des revenus des 1 % des ménages touchant les revenus les plus élevés provenaient du travail. En 1916, cette part n'était plus que de 20 %.
L'inflation n'aurait donc pas les effets redistributifs souhaités. Si elle permettait un effacement progressif de la dette, la répartition des revenus ne reviendrait pas à la situation antérieure, notamment en raison des distorsions apparues depuis le milieu des années 80. Elle n'aurait donc pas les vertus souhaitées pour un retour rapide, sain et durable de la croissance.
De l'inflation certes, mais pour quelle croissance ?
Une troisième interrogation émerge ici : il s’agit de déterminer si l'accélération de l'inflation permettrait le retour d'une croissance forte via l'investissement. L'expérience des années 2000 suscite le doute. Dans un environnement peu inflationniste et avec une incertitude limitée, l'agenda de Lisbonne, signé en 2000, avait en effet été insuffisamment appliqué en Europe. Ce schéma devait pourtant permettre à l'Europe de connaître un taux de croissance fort et durable, mais les comportements n'ont pas été suffisamment volontaristes.
Un résultat fort de l'analyse de l'inflation des années 1970 est d'indiquer qu'un surplus d'inflation est générateur d'incertitude et se traduit, pour les acteurs de l'économie, par un raccourcissement de leur horizon. Un monde plus incertain, tel que celui des années 2000, n'inciterait pas forcément à investir massivement pour alimenter le renouveau de la croissance.
Inflation et matières premières
Quatrième observation enfin : il faut aujourd’hui noter que l'accélération récente de l'inflation résulte d'une hausse du prix des matières premières. Cela traduit un prélèvement, un transfert de richesse et de pouvoir d'achat des pays consommateurs vers les pays producteurs. Dans les années 74-76, craignant une thésaurisation de ce pouvoir d'achat par les pays producteurs de pétrole, la France avait mis en oeuvre une stratégie de compensation visant à soutenir la demande. Cela s'est traduit par une accélération rapide de l'inflation au delà de 10 % jusqu'au début des années 1980, sans pour autant créer les conditions d'un renouveau de la croissance.
Cet effet, dit de "second tour", n'est pas souhaité. Les banquiers centraux, au regard de ces expériences, ne souhaitent donc pas créer les conditions d'une inflation forte et durable.
Conclusion
L'inflation est parfois perçue comme la solution magique qui va spontanément "effacer" les excès du passé et permettre de retrouver une dynamique plus favorable. Les propos développés ci-dessus ne valident pas cette assertion. Une accélération durable de l'inflation reste pénalisante pour le salarié endetté en raison d'une indexation insuffisante des salaires et des contraintes issues du passé sur la distribution des revenus.
L'expérience depuis le début des années 60 suggère deux niveaux d'équilibre pour l'inflation dans les pays occidentaux : l'un, réduit, proche de celui observé depuis une vingtaine d'années et l'autre, supérieur à
10 %. Entre ces deux niveaux identifiés, les niveaux d'inflation ne semblent pas stables. Dès lors, vers quel équilibre converger sachant qu'un taux d'inflation limité n'érode rapidement pas la dette ? Par ailleurs, le niveau des taux d'intérêt de long terme est conditionné par celui de l'inflation. Si celle-ci s'accélérait, les taux d'intérêt seraient plus forts et le coût de la croissance plus élevé.
Dans un environnement global très concurrentiel, le risque associé à une dérive rapide des prix à la consommation est d'engendrer une incertitude nouvelle pour les pays endettés et une croissance durablement modérée dont profiteraient alors les pays émergents.
(1) Source : "Striking it Richer: The evolution of top incomes in the United States" - Emmanuel Saez - 17/07/2010.
Par Philippe Waechter, Directeur de la Recherche Economique de Natixis AM
Natixis Asset Management Perspectives - février 2011
Rédigé le 02/02/2011
Retrouvez toute l'actualité du cash management dans notre magazine en ligne Global Treasury News
www.globaltreasurynews.com