Bernard Marois
Quelle est la situation mondiale après l’élection de Trump ? Potentiellement dangereuse, dans la mesure où nous entrons dans une période de turbulences aussi bien économiques que politiques. La planète a connu une crise financière sévère en 2008. Partie des Etats-Unis et, plus particulièrement, du secteur du financement immobilier (les fameux « subprimes »), cette crise s’est étendue à tous les pays développés et a contaminé le secteur bancaire, d’abord, et puis tous les secteurs de l’économie, ensuite, plongeant le monde dans sa crise la plus grave depuis 1929.
Pour résoudre ce défi, plusieurs solutions ont été mises en œuvre : tout d’abord, les banques centrales ont adopté une politique monétaire très libérale : émission de monnaie, à travers l’achat de titres des plus variés (les divers « quantitative Easings ») ; baisse des taux d’intérêt nominaux, qui en a résulté et, à un moindre degré des taux d’intérêt réels, grâce à une inflation restée faible. Dans ce même temps, des politiques « coopératives » et des décisions communes (à travers les réunions du G7 ou du G20) ont permis d’éviter une guerre des changes et d’adopter des mesures « globales » (renforcement des pouvoirs des autorités de contrôle bancaire, par exemple). Au niveau de la zone euro, l’alliance des gouvernements des principaux pays et de la Banque Centrale Européenne a évité l’éclatement de la zone, à la suite de la crise grecque. Dans le même temps, la récession économique qui a accompagné la crise financière de 2008 a entraîné la chute du prix des matières premières et plus particulièrement du pétrole, adoucissant la situation des principaux pays industrialisés, tout en gênant fortement les pays producteurs (Russie, Vénézuela, Arabie Saoudite) dont l’état des finances publiques et de l’économie s’est dégradé.
Grâce à cette conjonction de moyens, la conjoncture mondiale s’est améliorée, sans pour autant retrouver les performances pré-2008.
Cependant, cette convalescence apparaît trompeuse. En effet, plusieurs facteurs sont préoccupants : premièrement, l’endettement mondial a continué d’augmenter : il représente au total (c’est-à-dire : public + privé) environ 3 fois le PIB mondial ! Seul l’Allemagne a vu le taux d’endettement baisser. Dans certains pays (Etats-Unis, par exemple), les vecteurs de la dette se sont déplacés : moins de crédits immobiliers (la leçon des « subprimes » a été retenue), mais plus de prêts étudiants. Dans d’autres pays (la Chine), l’endettement a continué à progresser. Beaucoup de pays (par exemple, la France) ont renoncé à entamer les réformes structurelles nécessaires, ce qui a contribué à maintenir un déficit budgétaire, responsable de la hausse de l’endettement public. Enfin, le laxisme monétaire a entraîné la création de bulles telle que le marché obligataire.
Autre dysfonctionnement majeur : la rupture progressive des approches « coopératives ». Le « Brexit » a été le premier pas vers « l’isolationnisme » : en sortant de l’Union Européenne, le Royaume-Uni considère qu’il est plus payant d’agir seul que dans le cadre d’un ensemble communautaire. La première conséquence du Brexit a été la baisse de la livre sterling, qui équivaut à une dévaluation « compétitive », première étape dans l’amorce d’une « guerre des monnaies ». Enfin, l’élection de Trump et son programme « l’Amérique d’abord », préparent le retour d’un certain niveau de protectionnisme. Un problème important, pour l’économie mondiale, peu abordé dans les analyses proposées par les économistes, c’est la chute de la productivité industrielle(2). Cette constatation est perturbante, dans la mesure où la révolution « digitale » semblait pouvoir relancer la croissance mondiale. Contrairement aux précédentes révolutions industrielles (la machine à vapeur, puis l’avènement de l’électricité), internet et l’arrivée de nouvelles technologies plus ou moins liées à l’informatique, n’ont pas entraîné de bouleversements majeurs dans l’industrie (à part des secteurs, tels que la robotique). Les progrès enregistrés touchent plus les modes d’organisation des entreprises et des métiers (phénomènes « d’ubérisation ») que des innovations purement technologiques. De même, la création de nouvelles professions (« webmaster ») et de plateformes de distribution (centres d’appel, vente par internet, etc.) ne compensent pas la disparition « d’anciens » métiers (conseillers clientèle, par exemple), dans la mesure où le développement du « B to C » élimine les strates intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Au final, il y a destruction nette d’emplois. Au moins pour l’instant.
Janvier 2017
Si maintenant on affine l’approche en termes géographiques, on constate que le contexte démographique va certainement renforcer les tendances en faveur d’une stagnation structurelle. Le Japon, la Russie et l’Europe ont commencé à subir les conséquences d’une baisse de la population qui ne peut que s’accélérer en raison d’un phénomène cumulatif bien connu des démographes. Le recours à l’immigration est une solution, mais comporte des effets secondaires (émergence des « populismes ») relativement dangereux, du point de vue de la stabilité des Etats. Pour le moment, aucune politique appropriée n’a été envisagée, que ce soit en Europe, en Russie ou au Japon, à part la relance de « politiques natalistes », dont les effets ne seront sensibles qu’à long terme. En ce qui concerne la zone euro, le défi est accru par la conjonction de plusieurs contraintes spécifiques : l’existence d’une monnaie unique utilisée par des pays à profils très variés, voire antagonistes : une Europe du Nord plus efficace face à une Europe du Sud plus laxiste ; un Etat thésaurisateur (Allemagne), en face d’Etats dépensiers (France, Espagne, Grèce) ; une concurrence fiscale anarchique entre pays à statut de paradis fiscal (Irlande, Luxembourg) et pays « matraqueurs » (France, par exemple). Si on considère que la Banque Centrale Européenne est allée au bout de ses possibilités pour distribuer de la monnaie « à tout va », sans parvenir à relancer l’investissement privé ou à écarter le spectre de la déflation, nous pouvons croire à l’avènement de la stagnation séculaire tant redoutée.
Pour y échapper, il faudrait réussir à combiner diverses stratégies de sortie de crise : le lancement de politiques natalistes (mais elles ne seront bénéfiques qu’à moyen terme) ; la mise en place d’une véritable politique économique « à l’américaine » avec un budget substantiel à l’échelon de la zone euro, une coordination fiscale, une relance des investissements privés, grâce à des incitations appropriées ; la renégociation des accords internationaux pour favoriser le « Buy European » ; la refondation de la « pratique communautaire » : plus de poids donné aux grandes fonctions (défense, sécurité, éducation, recherche), au détriment de la technocratie bruxelloise, responsable en partie de l’enlisement du projet européen.
Quant à la France, elle connaît une quasi-stagnation depuis 8 ans déjà, en termes de PIB par habitant. Auparavant, la croissance a été de 15 % (25 000 euros en 1998 et 28 800 en 2008), soit environ 1,8 % par an. En 2015, on est passé à 29 500, ce qui correspond à moins de 0,2 % par an, pour les sept dernières années. Pour 2016, année de soi-disant « reprise », la hausse du PIB par habitant ne dépassera pas 0,7 %. En l’absence de réformes profondes, réalisées déjà par nos principaux partenaires(3), la France n’échappera pas à la « stagnation séculaire ». Réponse en mai prochain !
(1) Cette approche, rejoint l’analyse classique dit « des cycles ». En effet, les « cycles de Kondratieff » prévoient des périodes de 20 à 30 ans de progression économique, suivis par 20 ou 30 ans de baisse. Selon cette approche, nous serions depuis 8 ans dans la partie déclinante du dernier cycle Kondratieff.
(2) La productivité industrielle est censée être plus élevée que la productivité des services. Or, la part du secteur industriel tend à diminuer régulièrement ; en France, il ne représente plus que 12 % du PIB, contre plus de 30 %, il y a 25 ans.
(3) A titre de comparaison, l’Allemagne a vu son PIB par habitant passé de 26 600 euros en 1998 à 33 500 en 2015, soit une croissance annuelle de 1,5 % par an, bien au-dessus de notre performance médiocre.
Pour résoudre ce défi, plusieurs solutions ont été mises en œuvre : tout d’abord, les banques centrales ont adopté une politique monétaire très libérale : émission de monnaie, à travers l’achat de titres des plus variés (les divers « quantitative Easings ») ; baisse des taux d’intérêt nominaux, qui en a résulté et, à un moindre degré des taux d’intérêt réels, grâce à une inflation restée faible. Dans ce même temps, des politiques « coopératives » et des décisions communes (à travers les réunions du G7 ou du G20) ont permis d’éviter une guerre des changes et d’adopter des mesures « globales » (renforcement des pouvoirs des autorités de contrôle bancaire, par exemple). Au niveau de la zone euro, l’alliance des gouvernements des principaux pays et de la Banque Centrale Européenne a évité l’éclatement de la zone, à la suite de la crise grecque. Dans le même temps, la récession économique qui a accompagné la crise financière de 2008 a entraîné la chute du prix des matières premières et plus particulièrement du pétrole, adoucissant la situation des principaux pays industrialisés, tout en gênant fortement les pays producteurs (Russie, Vénézuela, Arabie Saoudite) dont l’état des finances publiques et de l’économie s’est dégradé.
Grâce à cette conjonction de moyens, la conjoncture mondiale s’est améliorée, sans pour autant retrouver les performances pré-2008.
Cependant, cette convalescence apparaît trompeuse. En effet, plusieurs facteurs sont préoccupants : premièrement, l’endettement mondial a continué d’augmenter : il représente au total (c’est-à-dire : public + privé) environ 3 fois le PIB mondial ! Seul l’Allemagne a vu le taux d’endettement baisser. Dans certains pays (Etats-Unis, par exemple), les vecteurs de la dette se sont déplacés : moins de crédits immobiliers (la leçon des « subprimes » a été retenue), mais plus de prêts étudiants. Dans d’autres pays (la Chine), l’endettement a continué à progresser. Beaucoup de pays (par exemple, la France) ont renoncé à entamer les réformes structurelles nécessaires, ce qui a contribué à maintenir un déficit budgétaire, responsable de la hausse de l’endettement public. Enfin, le laxisme monétaire a entraîné la création de bulles telle que le marché obligataire.
Autre dysfonctionnement majeur : la rupture progressive des approches « coopératives ». Le « Brexit » a été le premier pas vers « l’isolationnisme » : en sortant de l’Union Européenne, le Royaume-Uni considère qu’il est plus payant d’agir seul que dans le cadre d’un ensemble communautaire. La première conséquence du Brexit a été la baisse de la livre sterling, qui équivaut à une dévaluation « compétitive », première étape dans l’amorce d’une « guerre des monnaies ». Enfin, l’élection de Trump et son programme « l’Amérique d’abord », préparent le retour d’un certain niveau de protectionnisme. Un problème important, pour l’économie mondiale, peu abordé dans les analyses proposées par les économistes, c’est la chute de la productivité industrielle(2). Cette constatation est perturbante, dans la mesure où la révolution « digitale » semblait pouvoir relancer la croissance mondiale. Contrairement aux précédentes révolutions industrielles (la machine à vapeur, puis l’avènement de l’électricité), internet et l’arrivée de nouvelles technologies plus ou moins liées à l’informatique, n’ont pas entraîné de bouleversements majeurs dans l’industrie (à part des secteurs, tels que la robotique). Les progrès enregistrés touchent plus les modes d’organisation des entreprises et des métiers (phénomènes « d’ubérisation ») que des innovations purement technologiques. De même, la création de nouvelles professions (« webmaster ») et de plateformes de distribution (centres d’appel, vente par internet, etc.) ne compensent pas la disparition « d’anciens » métiers (conseillers clientèle, par exemple), dans la mesure où le développement du « B to C » élimine les strates intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Au final, il y a destruction nette d’emplois. Au moins pour l’instant.
Janvier 2017
Si maintenant on affine l’approche en termes géographiques, on constate que le contexte démographique va certainement renforcer les tendances en faveur d’une stagnation structurelle. Le Japon, la Russie et l’Europe ont commencé à subir les conséquences d’une baisse de la population qui ne peut que s’accélérer en raison d’un phénomène cumulatif bien connu des démographes. Le recours à l’immigration est une solution, mais comporte des effets secondaires (émergence des « populismes ») relativement dangereux, du point de vue de la stabilité des Etats. Pour le moment, aucune politique appropriée n’a été envisagée, que ce soit en Europe, en Russie ou au Japon, à part la relance de « politiques natalistes », dont les effets ne seront sensibles qu’à long terme. En ce qui concerne la zone euro, le défi est accru par la conjonction de plusieurs contraintes spécifiques : l’existence d’une monnaie unique utilisée par des pays à profils très variés, voire antagonistes : une Europe du Nord plus efficace face à une Europe du Sud plus laxiste ; un Etat thésaurisateur (Allemagne), en face d’Etats dépensiers (France, Espagne, Grèce) ; une concurrence fiscale anarchique entre pays à statut de paradis fiscal (Irlande, Luxembourg) et pays « matraqueurs » (France, par exemple). Si on considère que la Banque Centrale Européenne est allée au bout de ses possibilités pour distribuer de la monnaie « à tout va », sans parvenir à relancer l’investissement privé ou à écarter le spectre de la déflation, nous pouvons croire à l’avènement de la stagnation séculaire tant redoutée.
Pour y échapper, il faudrait réussir à combiner diverses stratégies de sortie de crise : le lancement de politiques natalistes (mais elles ne seront bénéfiques qu’à moyen terme) ; la mise en place d’une véritable politique économique « à l’américaine » avec un budget substantiel à l’échelon de la zone euro, une coordination fiscale, une relance des investissements privés, grâce à des incitations appropriées ; la renégociation des accords internationaux pour favoriser le « Buy European » ; la refondation de la « pratique communautaire » : plus de poids donné aux grandes fonctions (défense, sécurité, éducation, recherche), au détriment de la technocratie bruxelloise, responsable en partie de l’enlisement du projet européen.
Quant à la France, elle connaît une quasi-stagnation depuis 8 ans déjà, en termes de PIB par habitant. Auparavant, la croissance a été de 15 % (25 000 euros en 1998 et 28 800 en 2008), soit environ 1,8 % par an. En 2015, on est passé à 29 500, ce qui correspond à moins de 0,2 % par an, pour les sept dernières années. Pour 2016, année de soi-disant « reprise », la hausse du PIB par habitant ne dépassera pas 0,7 %. En l’absence de réformes profondes, réalisées déjà par nos principaux partenaires(3), la France n’échappera pas à la « stagnation séculaire ». Réponse en mai prochain !
(1) Cette approche, rejoint l’analyse classique dit « des cycles ». En effet, les « cycles de Kondratieff » prévoient des périodes de 20 à 30 ans de progression économique, suivis par 20 ou 30 ans de baisse. Selon cette approche, nous serions depuis 8 ans dans la partie déclinante du dernier cycle Kondratieff.
(2) La productivité industrielle est censée être plus élevée que la productivité des services. Or, la part du secteur industriel tend à diminuer régulièrement ; en France, il ne représente plus que 12 % du PIB, contre plus de 30 %, il y a 25 ans.
(3) A titre de comparaison, l’Allemagne a vu son PIB par habitant passé de 26 600 euros en 1998 à 33 500 en 2015, soit une croissance annuelle de 1,5 % par an, bien au-dessus de notre performance médiocre.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite à HEC PARIS
Président d’Honneur du Club Finance HEC
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