En quelques jours, c'est une véritable boulimie d’initiatives législatives tendant à reconnaitre la technologie de la blockchain en droit français à laquelle on assiste.
Après l’ouverture initiée par le gouvernement lors de la création des « minibons » et la reconnaissance de l'utilisation de la blockchain (définie comme "un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations"[1] ) comme outil permettant d’inscrire les émissions et les cessions de ces « minibons », plusieurs amendements visant la blockchain ont été déposés ces derniers jours dans le cadre de l’examen de la loi Sapin II.
A tout seigneur tout honneur, le premier amendement a été déposé par Mme L. de La Raudière (LR). Il portait sur la reconnaissance de la blockchain dans les systèmes de règlement / livraison en conférant à la chaine de bloc la même force juridique qu’un acte authentique [2].
Cette proposition, non retenue, n'est pas passée inaperçue et donné lieu à une mise au point du ministre de la justice lors du Congrès des notaires de la semaine dernière. Celui-ci a pris la peine d’indiquer que la blockchain ne pourra pas se substituer à un acte authentique notarié [3] ! C'était oublier que l'amendement ne visait pas des actes effectués par les notaires car seules les transactions effectuées dans un marché financier étaient visées par cet amendement. Mais sans doute le ministre a-t-il voulu éviter d'ouvrir un nouveau débat avec les notaires après la loi Macron.
Mais au-delà de la défense des notaires, ce texte a été remarqué par les médias qui se sont emparés du sujet. Il a ainsi donné lieu à des nombreuses discussions et prises de positions de la part d'experts ou non, et ce n'est pas là son moindre mérite. Une chaine de blocs peut-elle avoir des effets juridiques ? Plus précisément, quelle reconnaissance juridique accorder aux smart contracts inscrits dans la blockchain ? Une chaine de blocs confère-t-elle une force probatoire (et laquelle) voire une force exécutoire[4] (sur ce point, la réponse est négative)?
Ces résistances n’ont pas suffi à ébranler les convictions des représentants de la Nation. La députée, dont le premier amendement a été repoussé, revient en seconde lecture du projet de loi Sapin avec deux nouveaux amendements !
Le premier reprend celui qu’elle avait déjà déposé en première lecture et propose de considérer que les opérations effectuées par un système de règlement livraison effectuées dans une chaine de blocs constituent des actes authentiques au sens de l’article 1317 du code civil[5]. Un tel amendement vise à donner à la place de Paris une compétitivité afin d'y attirer les opérations de règlement / livraison. A cet égard, il faut noter la publication le 2 juin dernier d'un document (discussion paper) par l'ESMA sur la blockchain et le droit européen. Le régulateur pan-européen y examine les activités dans lesquelles cette technologie pourrait intervenir au sein des marchés financiers. Il en résulte, selon lui, que selon le type d'activités, cette technologie pourrait, selon le cas, être qualifiée de Dépositaire Central, de Système de Règlement / Livraison ou autres. Autrement dit, la nécessité d'adopter un statut régulé. Le message est clair. Malgré l'affichage de neutralité, l'ESMA pose les limites d'utilisation de la blockchain. Ce qui revient à protéger les acteurs en place et créer une barrière à l'entrée. Ce n'est pas là le moindre paradoxe de ce document. Les papiers et rapports sur l'utilisation de la blockchain dans les activités financières et en particulier dans les marchés financiers, se multiplient. Ainsi, après l'ECSDA, Swift, mais aussi Goldman Sachs, Euroclear et DTCC viennent d'apporter leur contribution à cette réflexion.
Un deuxième amendement, plus limité que le premier, propose pour sa part d’étendre l’expérience des "minibons" à l’ensemble des titres non cotés[6]. Autrement dit, il s’agit de permettre aux émetteurs de titres non côtés de recourir à la technologie de blockchain à la fois comme registre de l’émission, comme registre des ordres de mouvements, voire même comme inscription du titre dans la chaine de bloc. «L’objet de cet amendement est donc double : d’une part, de permettre aux émetteur de titres non cotés (c’est-à-dire non admis aux opérations d’un marché réglementé ou d’un système multilatéral de négociation) de dématérialiser leur registre de mouvements de titres en recourant à la technologie de la blockchain aux lieu et place de ces registres papier, et d’autre part de permettre aux émetteurs qui recourent à cette technologie pour la tenue de leur registre, de faire de celui-ci le lieu du transfert de propriété, sans passer par la rédaction d’un ordre de mouvement. Il s’agit de garder le lien juridique entre le transfert de propriété et l’inscription, étant précisé qu’il n’y pas à proprement parlé de compte titres dans une blockchain » . L'idée est claire: plus de 30 ans après la dématérialisation des titres, la France est à la traine dans le domaine de la technologie post-marché. Il s'agit de tirer les conséquences de cette dématérialisation en faisant de la chaine de blocs non seulement le registre de l'émission et des mouvements, mais aussi le "lieu" de l'inscription des titres (ou des devises). Ainsi, une chaine de blocs remplirait tout à la fois les fonctions d'un registre, d'un marché, et d'un "compte de titres". Fiction ? Rêve ? Pas du tout, certains non seulement y pensent mais le proposent déjà : ainsi, la start up londonnienne SETL.
Le plus intéressant dans ces diffirérents amendements, c'est qu'ils dépassent les clivages politiques. En effet, un amendement similaire a été déposé par le député Ch. Caresche (PS), dans des termes identiques.
Le gouvernement a lui-même déposé un amendement sur le sujet ! Estimant sans doute que la question était trop grave pour être laissée aux seuls députés, il a demandé à ceux-ci de l’habiliter à légiférer par ordonnance pour adapter le droit des titres et des valeurs mobilières à la blockchain[7]. Il est vrai qu'il convient de prendre le temps de s'assurer des conséquences de ces propositions et d'en discuter avec les professionnels concernés, à condition toutefois que les différents lobbies n'en profitent pas pour vider le texte de sa substance.
L’ensemble de ces amendements a été discuté dans la nuit du 09 et 10/06 à l'Assemblée nationale. L'habilitation au gouvernement à légiférer par ordonnance sur la blockchain a été adoptée. C'est donc une nouvelle étape de la reconnaissance de cette technologie par le législateur même s'il reste encore à ce que la loi soit définitivement adoptée.
Tout ceci souligne la prise de conscience des politiques après celle des experts quant aux effets de la blockchain dans les activités économiques. Que l’on commence par des aspects techniques comme ceux de la tenue de compte des titres non cotés peut surprendre, plutôt qu’à des aspects plus quotidiens comme l’internet des objets et la blockchain. L’essentiel est pourtant là : la France, une fois n’est pas coutume, se révèle pionnière en matière d’adaptation de sa législation aux nouvelles technologies. Certes, tout ceci n’ira pas sans difficultés, la blockchain bouleversant les pratiques, les habitudes et plus largement les business model de très nombreuses entreprises. Mais cela oblige ces entreprises à s’interroger sur leur stratégie face à ces bouleversements dont il reste encore difficile d’apprécier les impacts.
Remercions donc nos députés et notre gouvernement pour ces belles initiatives.
Article rédigé par Hubert de Vauplane
Partner
KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP
47 avenue Hoche
75008 Paris
www.kramerlevin.com
[1] Ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032465520&categorieLien=id
[2] http://www.la-raudiere.com/lng_FR_srub_39_iart_1327-je-presente-un-amendement-a-propos-du-blockchain-a-l-assemblee-nationale-pour-que-la-f.html
[3] http://www.presse.justice.gouv.fr/archives-discours-10093/112eme-congres-des-notaires-29054.html
[4] https://blogs.mediapart.fr/hugues-lemaire/blog/060616/blockchain-et-acte-authentique-ca-bloque
[5] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/227.asp
[6] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/229.asp
[7] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/1507.asp
Après l’ouverture initiée par le gouvernement lors de la création des « minibons » et la reconnaissance de l'utilisation de la blockchain (définie comme "un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant l'authentification de ces opérations"[1] ) comme outil permettant d’inscrire les émissions et les cessions de ces « minibons », plusieurs amendements visant la blockchain ont été déposés ces derniers jours dans le cadre de l’examen de la loi Sapin II.
A tout seigneur tout honneur, le premier amendement a été déposé par Mme L. de La Raudière (LR). Il portait sur la reconnaissance de la blockchain dans les systèmes de règlement / livraison en conférant à la chaine de bloc la même force juridique qu’un acte authentique [2].
Cette proposition, non retenue, n'est pas passée inaperçue et donné lieu à une mise au point du ministre de la justice lors du Congrès des notaires de la semaine dernière. Celui-ci a pris la peine d’indiquer que la blockchain ne pourra pas se substituer à un acte authentique notarié [3] ! C'était oublier que l'amendement ne visait pas des actes effectués par les notaires car seules les transactions effectuées dans un marché financier étaient visées par cet amendement. Mais sans doute le ministre a-t-il voulu éviter d'ouvrir un nouveau débat avec les notaires après la loi Macron.
Mais au-delà de la défense des notaires, ce texte a été remarqué par les médias qui se sont emparés du sujet. Il a ainsi donné lieu à des nombreuses discussions et prises de positions de la part d'experts ou non, et ce n'est pas là son moindre mérite. Une chaine de blocs peut-elle avoir des effets juridiques ? Plus précisément, quelle reconnaissance juridique accorder aux smart contracts inscrits dans la blockchain ? Une chaine de blocs confère-t-elle une force probatoire (et laquelle) voire une force exécutoire[4] (sur ce point, la réponse est négative)?
Ces résistances n’ont pas suffi à ébranler les convictions des représentants de la Nation. La députée, dont le premier amendement a été repoussé, revient en seconde lecture du projet de loi Sapin avec deux nouveaux amendements !
Le premier reprend celui qu’elle avait déjà déposé en première lecture et propose de considérer que les opérations effectuées par un système de règlement livraison effectuées dans une chaine de blocs constituent des actes authentiques au sens de l’article 1317 du code civil[5]. Un tel amendement vise à donner à la place de Paris une compétitivité afin d'y attirer les opérations de règlement / livraison. A cet égard, il faut noter la publication le 2 juin dernier d'un document (discussion paper) par l'ESMA sur la blockchain et le droit européen. Le régulateur pan-européen y examine les activités dans lesquelles cette technologie pourrait intervenir au sein des marchés financiers. Il en résulte, selon lui, que selon le type d'activités, cette technologie pourrait, selon le cas, être qualifiée de Dépositaire Central, de Système de Règlement / Livraison ou autres. Autrement dit, la nécessité d'adopter un statut régulé. Le message est clair. Malgré l'affichage de neutralité, l'ESMA pose les limites d'utilisation de la blockchain. Ce qui revient à protéger les acteurs en place et créer une barrière à l'entrée. Ce n'est pas là le moindre paradoxe de ce document. Les papiers et rapports sur l'utilisation de la blockchain dans les activités financières et en particulier dans les marchés financiers, se multiplient. Ainsi, après l'ECSDA, Swift, mais aussi Goldman Sachs, Euroclear et DTCC viennent d'apporter leur contribution à cette réflexion.
Un deuxième amendement, plus limité que le premier, propose pour sa part d’étendre l’expérience des "minibons" à l’ensemble des titres non cotés[6]. Autrement dit, il s’agit de permettre aux émetteurs de titres non côtés de recourir à la technologie de blockchain à la fois comme registre de l’émission, comme registre des ordres de mouvements, voire même comme inscription du titre dans la chaine de bloc. «L’objet de cet amendement est donc double : d’une part, de permettre aux émetteur de titres non cotés (c’est-à-dire non admis aux opérations d’un marché réglementé ou d’un système multilatéral de négociation) de dématérialiser leur registre de mouvements de titres en recourant à la technologie de la blockchain aux lieu et place de ces registres papier, et d’autre part de permettre aux émetteurs qui recourent à cette technologie pour la tenue de leur registre, de faire de celui-ci le lieu du transfert de propriété, sans passer par la rédaction d’un ordre de mouvement. Il s’agit de garder le lien juridique entre le transfert de propriété et l’inscription, étant précisé qu’il n’y pas à proprement parlé de compte titres dans une blockchain » . L'idée est claire: plus de 30 ans après la dématérialisation des titres, la France est à la traine dans le domaine de la technologie post-marché. Il s'agit de tirer les conséquences de cette dématérialisation en faisant de la chaine de blocs non seulement le registre de l'émission et des mouvements, mais aussi le "lieu" de l'inscription des titres (ou des devises). Ainsi, une chaine de blocs remplirait tout à la fois les fonctions d'un registre, d'un marché, et d'un "compte de titres". Fiction ? Rêve ? Pas du tout, certains non seulement y pensent mais le proposent déjà : ainsi, la start up londonnienne SETL.
Le plus intéressant dans ces diffirérents amendements, c'est qu'ils dépassent les clivages politiques. En effet, un amendement similaire a été déposé par le député Ch. Caresche (PS), dans des termes identiques.
Le gouvernement a lui-même déposé un amendement sur le sujet ! Estimant sans doute que la question était trop grave pour être laissée aux seuls députés, il a demandé à ceux-ci de l’habiliter à légiférer par ordonnance pour adapter le droit des titres et des valeurs mobilières à la blockchain[7]. Il est vrai qu'il convient de prendre le temps de s'assurer des conséquences de ces propositions et d'en discuter avec les professionnels concernés, à condition toutefois que les différents lobbies n'en profitent pas pour vider le texte de sa substance.
L’ensemble de ces amendements a été discuté dans la nuit du 09 et 10/06 à l'Assemblée nationale. L'habilitation au gouvernement à légiférer par ordonnance sur la blockchain a été adoptée. C'est donc une nouvelle étape de la reconnaissance de cette technologie par le législateur même s'il reste encore à ce que la loi soit définitivement adoptée.
Tout ceci souligne la prise de conscience des politiques après celle des experts quant aux effets de la blockchain dans les activités économiques. Que l’on commence par des aspects techniques comme ceux de la tenue de compte des titres non cotés peut surprendre, plutôt qu’à des aspects plus quotidiens comme l’internet des objets et la blockchain. L’essentiel est pourtant là : la France, une fois n’est pas coutume, se révèle pionnière en matière d’adaptation de sa législation aux nouvelles technologies. Certes, tout ceci n’ira pas sans difficultés, la blockchain bouleversant les pratiques, les habitudes et plus largement les business model de très nombreuses entreprises. Mais cela oblige ces entreprises à s’interroger sur leur stratégie face à ces bouleversements dont il reste encore difficile d’apprécier les impacts.
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[1] Ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032465520&categorieLien=id
[2] http://www.la-raudiere.com/lng_FR_srub_39_iart_1327-je-presente-un-amendement-a-propos-du-blockchain-a-l-assemblee-nationale-pour-que-la-f.html
[3] http://www.presse.justice.gouv.fr/archives-discours-10093/112eme-congres-des-notaires-29054.html
[4] https://blogs.mediapart.fr/hugues-lemaire/blog/060616/blockchain-et-acte-authentique-ca-bloque
[5] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/227.asp
[6] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/229.asp
[7] http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3785/AN/1507.asp
Hubert de Vauplane
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