L’Afrique est repartie. Sans atteindre les rythmes de croissance à deux chiffres constatés pour la Chine dans les années 1990-2000, la croissance africaine est robuste au milieu de la décennie 2010. Ainsi, la Banque africaine de développement table sur une croissance de 5,3% en 2014, après 4,8% en 2013. Il s’agit d’une performance moyenne car des disparités considérables, abyssales parfois, demeurent entre certains pays. De bonnes récoltes, l’annulation de dettes et un prix élevé des matières premières énergétiques expliquent en partie ces résultats.
En 2050, selon l’Institut national des études démographiques (INED, France), l’Afrique abritera environ un quart de la population mondiale avec peu plus de 2,4 milliards d’habitants, deux fois plus qu’en 2013. La croissance est donc une nécessité vitale. Pour accompagner son explosion démographique, l’Afrique a besoin d’une croissance d’au moins 6% pendant vingt ans. Ce n’est nullement garanti. Le rythme actuel est un minimum vital et le continent reste sur le fil du rasoir. La croissance africaine a besoin de nouveaux multiplicateurs. Si elle les trouve, elle pourrait dominer l’économie mondiale en 2050, au côté de deux autres géants, la Chine et l’Inde, pour former ce que les futurologues appellent la « Chindiafrique ».
Des infrastructures numériques pour soutenir la croissance
Tout dépendra largement de l’amélioration des infrastructures, qui restent une grande faiblesse du continent. Cette amélioration est d’autant plus nécessaire que la croissance conduit à l’urbanisation, une concentration humaine qui exige modernisation et rationalisation. L’Afrique est l’une des régions du monde les moins urbanisées, mais la majorité de sa population vivra dans les villes en 2030. Cette urbanisation peut être une formidable opportunité, à condition que les investissements nécessaires soient réalisés. À commencer par les routes, afin que, tout simplement, les denrées agricoles parviennent dans ces villes en bon état.
Dès 2020, prévoit la Banque africaine de développement, 128 millions de ménages urbains disposeront d’un revenu discrétionnaire, c’est-à-dire de la possibilité d’investir dans les produits et services innovants. Cela tombe bien car aujourd’hui, c’est l’investissement dans les infrastructures numériques qui semble le plus prometteur pour l’Afrique, notamment parce qu’il s’accommode mieux que les autres des lacunes en matières de réseaux routiers et de réseaux de télécommunications fixes.
L’Afrique est le continent le plus jeune du monde, avec plus de 200 millions d’individus âgés de 15 à 25 ans, la cohorte qui utilise le plus les nouvelles technologies. À elle seule, la démographie va donc créer des millions de nouveaux internautes avant 2020. Qui seront d’abord des « mobinautes ». L’équipement en téléphones mobiles a déjà connu une progression spectaculaire ces dix dernières années.
En 2050, selon l’Institut national des études démographiques (INED, France), l’Afrique abritera environ un quart de la population mondiale avec peu plus de 2,4 milliards d’habitants, deux fois plus qu’en 2013. La croissance est donc une nécessité vitale. Pour accompagner son explosion démographique, l’Afrique a besoin d’une croissance d’au moins 6% pendant vingt ans. Ce n’est nullement garanti. Le rythme actuel est un minimum vital et le continent reste sur le fil du rasoir. La croissance africaine a besoin de nouveaux multiplicateurs. Si elle les trouve, elle pourrait dominer l’économie mondiale en 2050, au côté de deux autres géants, la Chine et l’Inde, pour former ce que les futurologues appellent la « Chindiafrique ».
Des infrastructures numériques pour soutenir la croissance
Tout dépendra largement de l’amélioration des infrastructures, qui restent une grande faiblesse du continent. Cette amélioration est d’autant plus nécessaire que la croissance conduit à l’urbanisation, une concentration humaine qui exige modernisation et rationalisation. L’Afrique est l’une des régions du monde les moins urbanisées, mais la majorité de sa population vivra dans les villes en 2030. Cette urbanisation peut être une formidable opportunité, à condition que les investissements nécessaires soient réalisés. À commencer par les routes, afin que, tout simplement, les denrées agricoles parviennent dans ces villes en bon état.
Dès 2020, prévoit la Banque africaine de développement, 128 millions de ménages urbains disposeront d’un revenu discrétionnaire, c’est-à-dire de la possibilité d’investir dans les produits et services innovants. Cela tombe bien car aujourd’hui, c’est l’investissement dans les infrastructures numériques qui semble le plus prometteur pour l’Afrique, notamment parce qu’il s’accommode mieux que les autres des lacunes en matières de réseaux routiers et de réseaux de télécommunications fixes.
L’Afrique est le continent le plus jeune du monde, avec plus de 200 millions d’individus âgés de 15 à 25 ans, la cohorte qui utilise le plus les nouvelles technologies. À elle seule, la démographie va donc créer des millions de nouveaux internautes avant 2020. Qui seront d’abord des « mobinautes ». L’équipement en téléphones mobiles a déjà connu une progression spectaculaire ces dix dernières années.
Taux de pénétration des téléphones mobiles et nombre d’usagers (source: RoyceFund)
Ce rattrapage, on le voit, est déjà effectué, et la question aujourd’hui est la généralisation de l’accès à Internet. Elle est en bonne voie. Plus de la moitié des consommateurs urbains africains sont déjà équipés en terminaux connectés. Les prix des smartphones les plus simples est tombé sous la barre des 100 dollars l’unité, ce qui autorise à penser, selon le cabinet Deloitte, que le taux de pénétration des smartphones en Afrique pourrait bondir de 2-5% en 2014 à 30% en 2020. Au moins 300 millions de nouveaux smartphones seront vendus en Afrique dans la décennie à venir.
Le Nigeria, le pays le plus peuplé du continent avec plus de 160 millions d’habitants et environ 113 millions d’abonnés sans fil à la fin de 2012, sera un laboratoire. Le nombre d’utilisateurs de smartphones devrait y passer de 5,6 millions à plus de 35 millions avant la fin 2017, selon une étude du cabinet Informa Telecoms & Media. Le chinois Lenovo, par exemple, lance un smartphone au Nigeria, de manière à pouvoir interagir directement avec les consommateurs, sans passer par les opérateurs télécom, comme ce serait le cas par exemple en Afrique du Sud.
L’explosion numérique africaine a déjà commencé. Selon les données mises à jour par le bureau d’étude américain TeleGeography, entre 2008 et 2012, alors que la demande mondiale de bande passante quintuplait, elle a été multipliée par 20 en Afrique. Cette même demande y connaîtra la plus forte croissance au monde entre 2014 et 2019 : une progression annuelle de 51%, soit un rythme bien supérieur à celui prévu pour l’Amérique latine et le Moyen-Orient (37%). Compte tenu du fait qu’elle a accumulé un fort retard, c’est l’Afrique sub-saharienne qui devrait connaître le rattrapage le plus vigoureux, avec une croissance de 71% en Angola, 68% en Tanzanie et 67% au Gabon. En outre, le continent va bénéficier de la modernisation et de l’augmentation des systèmes de câbles sous-marins connectés à l’Afrique, WACS à l’ouest, EASSy en Afrique de l’Est et SAT-3 pour l’Atlantique sud. Le prix de la bande passante va baisser en conséquence. En 2019, estime le bureau d’étude, le prix d’une longueur d’onde de 10 Gigabits par seconde entre Johannesburg et Londres devrait être inférieur au quart du prix de 2012.
Le multiplicateur numérique
Reste la question de la traduction économique de ce boom technologique. Comment la numérisation de l’Afrique peut-elle faire accélérer la croissance ? La première des raisons, c’est que quand un pays passe « online », la prestation de ses services publics et les opérations de ses entreprises gagnent en efficacité. Les gains de productivité ne sont d’ailleurs pas limités aux entreprises basées sur le web : l’expérience montre que 75% de l’impact économique de la numérisation se ressent au contraire chez les entreprises qui ne sont pas des « pure players » d’Internet.
Dans une enquête mondiale auprès de 4800 PME intitulée « Les lions passent au numérique : le potentiel de transformation d’Internet en Afrique », publié en novembre 2013, McKinsey, l’un des plus influents cabinets de conseil en stratégie au monde, a constaté que, dans tous les secteurs, les entreprises utilisant les technologies du Web ont connu une croissance deux fois plus rapide que les autres, générant plus de revenus d’exportation et créant plus d’emplois. Internet apporte également une valeur considérable aux consommateurs. Les prix en ligne sont en moyenne 10% moins chers en raison de la transparence apportée par les moteurs de recherche. Des dizaines de milliards de dollars ont été conquis en pouvoir d’achat.
McKinsey estime que la contribution d’Internet au PIB annuel de l’Afrique pourrait passer de 18 milliards de dollars « en 2014 à 300 milliards de dollars en 2025. Tous les pays n’abordent pas la vague numérique avec la même attitude. Le McKinsey Global Institute (MGI) classe les forces vives de l’Afrique – 14 pays représentant 90% du PIB du continent – en quatre catégories selon leur capacité à tirer profit de la révolution numérique : les « leaders », les « suiveurs », les « émergents » et les « sous classés ». Le classement s’appuie sur un indice articulé autour de cinq critères : la présence d’une stratégie nationale en faveur des technologies de l’information et de la communication (TIC), le niveau des infrastructures, un environnement sain pour les entreprises, le capital financier du pays et la présence d’une main d’œuvre douée de bonnes compétences technologiques. En moyenne, l’indice des pays africains sélectionnés s’établit à 37%, contre 50% dans les pays émergents et 66% dans les pays développés.
Le hit parade africain de McKinsey ne tombe pas sous le sens. Les excellents scores du Sénégal et du Kenya (respectivement 3,3% et 2,9% pour la contribution d’Internet au PIB, baptisée iPIB, et en anglais iGDP), les deux seuls « leaders », s’expliquent par la stratégie nationale de ces deux pays. Le Sénégal a été l’un des premiers pays du continent à investir dans la fibre optique et à promouvoir le déploiement des cybercafés. Le Kenya s’est signalé par sa capacité à développer des services mobiles, notamment dans le domaine bancaire (voir notre article récent dans ParisTech Review : Banque mobile : le Kenya exportera-t-il sa révolution en Inde ?). Les deux pays ont été également précurseurs dans la numérisation de l’éducation, de l’administration publique et des soins de santé. Le Maroc et l’Afrique du Sud, deux des plus importantes économies du continent, ne sont que « suiveurs » en raison du retard de leur stratégie TIC. Quant à l’Angola, l’Algérie et l’Éthiopie, ils sont très en dessous de leur potentiel. À l’échelle du continent, Internet représente 1,1% du PIB, contre 1,9% dans les pays émergents et 3,7% dans les pays développés.
Dans son impact sur l’économie africaine, McKinsey estime qu’Internet transformera en priorité six secteurs.
L’agriculture : des efforts considérables sont réalisés en Afrique pour accroître la production, la valeur et l’impact social de l’agriculture, qui compte parfois pour plus de 40% du PIB dans certains pays. Internet peut accélérer ces efforts en fournissant aux agriculteurs des informations expertes sur la météo, la sélection des graines, le contrôle antiparasitaire, la gestion et la finance. Internet facilite l’accès au marché et augmente le pouvoir de l’agriculteur de fixer les prix. La bourse d’Afrique de l’est fournit par exemple une plateforme de trading agricole virtuel ainsi que des données d’intelligence économique. Au Nigeria, l’Internet mobile abrite un nouveau système d’attribution des subventions agricoles, moins vulnérable à la corruption. Au total, McKinsey estime qu’Internet pourrait apporter 3 milliards de dollars en gains annuels de productivité agricole.
Les services financiers : malgré les performances de certains pays en matière de paiement mobile, notamment au Kenya, plus de 75% des adultes d’Afrique subsaharienne n’ont toujours pas de compte bancaire formel. Internet peut devenir un formidable accélérateur de l’inclusion financière en réduisant les coûts de transaction et en apportant des services financiers à grande distance. Plus de 60% des Africains pourraient avoir accès à des services bancaires en 2025 et plus de 90% pourraient disposer d’un portefeuille mobile. Les revenus issus des services financiers mobiles pourraient passer de moins de un milliard de dollars en 2013 à 19 milliards en 2025. Avec des gains de productivité de 8 à 10 milliards de dollars sur la période.
L’éducation : Les enfants d’Afrique sont sous-éduqués mais de nouveaux outils numériques peuvent apporter des progrès considérables dans l’accès aux cours, la formation des enseignants et l’apprentissage. Les dépenses publiques d’éducation pourraient être rendues beaucoup plus efficaces grâce à un partenariat avec des ONG facilitant l’accès à des terminaux intelligents. Les gains de productivité pourraient atteindre de 30 à 70 milliards de dollars sur la période 2013-2025. Les MOOCs, qui n’apparaissent pas dans l’étude McKinsey, pourraient contribuer à changer la donne, à la fois en diffusant des connaissances, mais aussi en évitant la fuite des cerveaux, ce mécanisme bien connu qui fait que les étudiants envoyés à l’étranger ont tendance à y rester.
La santé : Internet peut améliorer l’efficacité des dépenses de santé, réduire le coût de traitement des maladies chroniques de 10% à 20%, enrayer la contrefaçon de médicaments de 80%, et faire gagner du temps aux personnels infirmiers. Les gains possibles liés à l’introduction des technologies de soins sont considérables : de 84 à 188 milliards de dollars selon l’étude. L’impact social et économique sera encore plus grand. Télédiagnostic et télémédecine pourraient résoudre 80% des problèmes rencontrés par les cliniques rurales. Internet permettra l’automatisation généralisée et la centralisation de l’admission des patients, des dossiers de santé, et des chaînes d’approvisionnement dans les systèmes de santé publique et les hôpitaux privés.
Le commerce de détail : aujourd’hui, à part en Afrique du Sud, le secteur de la distribution est peu développé. Le e-commerce va accompagner l’essor de la classe moyenne du continent. En 2025, le e-commerce pourrait capter 10% des ventes de détail dans les plus grands pays, soit 75 milliards de dollars par an. Les gains de productivité attendus sont de 16 à 23 milliards de dollars.
L’administration : Internet est un outil puissant pour améliorer la transparence et automatiser la collecte des recettes fiscales. En 2025, la moitié de tous les ministères africains pourraient être automatisés et en ligne. Les gains de productivité escomptés s’échelonnent entre 10 et 25 milliards de dollars.
Ces espoirs sont fondés car d’autres continents ont précédé l’Afrique sur le chemin de la numérisation. Et comme le notait récemment Lionel Zinsou dans un entretien accordé à ParisTech Review, l’Afrique bénéficie en ce moment, dans son commerce extérieur, d’une amélioration des termes de l’échange qui lui permet d’importer de la technologie grâce à ses exportations de matières premières. « On assiste à une baisse du prix des produits manufacturés, qui sont encore largement importés. Par rapport à il y a dix ans, avec une quantité donnée de coton ou de diamant, on peut acheter aujourd’hui davantage de machines-outils, d’équipements agricoles, de matériel pour développer des infrastructures… Le continent dans son ensemble présente ainsi depuis plusieurs années un excédent commercial. Le double mouvement de hausse des cours pour les productions locales et de baisse des prix pour les produits importés se traduit par un effet significatif en termes de pouvoir d’achat ». Smartphones et infrastructures de communication sont relativement meilleur marché aujourd’hui, ce qui permet à l’Afrique et aux Africains de s’équiper plus rapidement et plus facilement et ainsi, comme le dit Lionel Zinsou, d’incorporer de la technologie à leur économie. C’est-à-dire d’importer de la productivité.
Bien sûr, Internet n’est pas une baguette magique. Il intervient à la façon d’un catalyseur de croissance : sans intervenir directement, il permet des interactions nouvelles et de la fertilisation croisée. En Chine, en Inde et au Brésil, il a contribué à plus de 10% de la croissance totale du PIB au cours des années 2008-2013. On sait désormais que la maturité numérique d’un pays est fortement corrélée à une hausse sensible du revenu réel par habitant. La numérisation rapide de l’Afrique a déjà des effets perceptibles.
Mais le continent est divers et chaque pays, chaque territoire présente une problématique propre, en fonction de la densité de population, du niveau de développement, des spécialisations économiques, des infrastructures existantes. Ce qui fera vraiment la différence, pour les décideurs publics et plus largement les parties prenantes qui travaillent avec eux, ce sera la capacité à trouver les bons ingrédients et les bons catalyseurs de façon à permettre le développement d’écosystèmes variés. Sans omettre la capacité des acteurs locaux à trouver leur propre voie. Il ne s’agit en aucun cas de plaquer des solutions de développement déjà expérimentées ailleurs, mais bien plutôt de favoriser, en situation, l’éclosion de capacités. Pour cela la technologie ne suffit pas. Mais elle peut donner des ailes à des innovateurs désireux de changer le monde ou, plus modestement, de saisir des opportunités de marché.
Le Nigeria, le pays le plus peuplé du continent avec plus de 160 millions d’habitants et environ 113 millions d’abonnés sans fil à la fin de 2012, sera un laboratoire. Le nombre d’utilisateurs de smartphones devrait y passer de 5,6 millions à plus de 35 millions avant la fin 2017, selon une étude du cabinet Informa Telecoms & Media. Le chinois Lenovo, par exemple, lance un smartphone au Nigeria, de manière à pouvoir interagir directement avec les consommateurs, sans passer par les opérateurs télécom, comme ce serait le cas par exemple en Afrique du Sud.
L’explosion numérique africaine a déjà commencé. Selon les données mises à jour par le bureau d’étude américain TeleGeography, entre 2008 et 2012, alors que la demande mondiale de bande passante quintuplait, elle a été multipliée par 20 en Afrique. Cette même demande y connaîtra la plus forte croissance au monde entre 2014 et 2019 : une progression annuelle de 51%, soit un rythme bien supérieur à celui prévu pour l’Amérique latine et le Moyen-Orient (37%). Compte tenu du fait qu’elle a accumulé un fort retard, c’est l’Afrique sub-saharienne qui devrait connaître le rattrapage le plus vigoureux, avec une croissance de 71% en Angola, 68% en Tanzanie et 67% au Gabon. En outre, le continent va bénéficier de la modernisation et de l’augmentation des systèmes de câbles sous-marins connectés à l’Afrique, WACS à l’ouest, EASSy en Afrique de l’Est et SAT-3 pour l’Atlantique sud. Le prix de la bande passante va baisser en conséquence. En 2019, estime le bureau d’étude, le prix d’une longueur d’onde de 10 Gigabits par seconde entre Johannesburg et Londres devrait être inférieur au quart du prix de 2012.
Le multiplicateur numérique
Reste la question de la traduction économique de ce boom technologique. Comment la numérisation de l’Afrique peut-elle faire accélérer la croissance ? La première des raisons, c’est que quand un pays passe « online », la prestation de ses services publics et les opérations de ses entreprises gagnent en efficacité. Les gains de productivité ne sont d’ailleurs pas limités aux entreprises basées sur le web : l’expérience montre que 75% de l’impact économique de la numérisation se ressent au contraire chez les entreprises qui ne sont pas des « pure players » d’Internet.
Dans une enquête mondiale auprès de 4800 PME intitulée « Les lions passent au numérique : le potentiel de transformation d’Internet en Afrique », publié en novembre 2013, McKinsey, l’un des plus influents cabinets de conseil en stratégie au monde, a constaté que, dans tous les secteurs, les entreprises utilisant les technologies du Web ont connu une croissance deux fois plus rapide que les autres, générant plus de revenus d’exportation et créant plus d’emplois. Internet apporte également une valeur considérable aux consommateurs. Les prix en ligne sont en moyenne 10% moins chers en raison de la transparence apportée par les moteurs de recherche. Des dizaines de milliards de dollars ont été conquis en pouvoir d’achat.
McKinsey estime que la contribution d’Internet au PIB annuel de l’Afrique pourrait passer de 18 milliards de dollars « en 2014 à 300 milliards de dollars en 2025. Tous les pays n’abordent pas la vague numérique avec la même attitude. Le McKinsey Global Institute (MGI) classe les forces vives de l’Afrique – 14 pays représentant 90% du PIB du continent – en quatre catégories selon leur capacité à tirer profit de la révolution numérique : les « leaders », les « suiveurs », les « émergents » et les « sous classés ». Le classement s’appuie sur un indice articulé autour de cinq critères : la présence d’une stratégie nationale en faveur des technologies de l’information et de la communication (TIC), le niveau des infrastructures, un environnement sain pour les entreprises, le capital financier du pays et la présence d’une main d’œuvre douée de bonnes compétences technologiques. En moyenne, l’indice des pays africains sélectionnés s’établit à 37%, contre 50% dans les pays émergents et 66% dans les pays développés.
Le hit parade africain de McKinsey ne tombe pas sous le sens. Les excellents scores du Sénégal et du Kenya (respectivement 3,3% et 2,9% pour la contribution d’Internet au PIB, baptisée iPIB, et en anglais iGDP), les deux seuls « leaders », s’expliquent par la stratégie nationale de ces deux pays. Le Sénégal a été l’un des premiers pays du continent à investir dans la fibre optique et à promouvoir le déploiement des cybercafés. Le Kenya s’est signalé par sa capacité à développer des services mobiles, notamment dans le domaine bancaire (voir notre article récent dans ParisTech Review : Banque mobile : le Kenya exportera-t-il sa révolution en Inde ?). Les deux pays ont été également précurseurs dans la numérisation de l’éducation, de l’administration publique et des soins de santé. Le Maroc et l’Afrique du Sud, deux des plus importantes économies du continent, ne sont que « suiveurs » en raison du retard de leur stratégie TIC. Quant à l’Angola, l’Algérie et l’Éthiopie, ils sont très en dessous de leur potentiel. À l’échelle du continent, Internet représente 1,1% du PIB, contre 1,9% dans les pays émergents et 3,7% dans les pays développés.
Dans son impact sur l’économie africaine, McKinsey estime qu’Internet transformera en priorité six secteurs.
L’agriculture : des efforts considérables sont réalisés en Afrique pour accroître la production, la valeur et l’impact social de l’agriculture, qui compte parfois pour plus de 40% du PIB dans certains pays. Internet peut accélérer ces efforts en fournissant aux agriculteurs des informations expertes sur la météo, la sélection des graines, le contrôle antiparasitaire, la gestion et la finance. Internet facilite l’accès au marché et augmente le pouvoir de l’agriculteur de fixer les prix. La bourse d’Afrique de l’est fournit par exemple une plateforme de trading agricole virtuel ainsi que des données d’intelligence économique. Au Nigeria, l’Internet mobile abrite un nouveau système d’attribution des subventions agricoles, moins vulnérable à la corruption. Au total, McKinsey estime qu’Internet pourrait apporter 3 milliards de dollars en gains annuels de productivité agricole.
Les services financiers : malgré les performances de certains pays en matière de paiement mobile, notamment au Kenya, plus de 75% des adultes d’Afrique subsaharienne n’ont toujours pas de compte bancaire formel. Internet peut devenir un formidable accélérateur de l’inclusion financière en réduisant les coûts de transaction et en apportant des services financiers à grande distance. Plus de 60% des Africains pourraient avoir accès à des services bancaires en 2025 et plus de 90% pourraient disposer d’un portefeuille mobile. Les revenus issus des services financiers mobiles pourraient passer de moins de un milliard de dollars en 2013 à 19 milliards en 2025. Avec des gains de productivité de 8 à 10 milliards de dollars sur la période.
L’éducation : Les enfants d’Afrique sont sous-éduqués mais de nouveaux outils numériques peuvent apporter des progrès considérables dans l’accès aux cours, la formation des enseignants et l’apprentissage. Les dépenses publiques d’éducation pourraient être rendues beaucoup plus efficaces grâce à un partenariat avec des ONG facilitant l’accès à des terminaux intelligents. Les gains de productivité pourraient atteindre de 30 à 70 milliards de dollars sur la période 2013-2025. Les MOOCs, qui n’apparaissent pas dans l’étude McKinsey, pourraient contribuer à changer la donne, à la fois en diffusant des connaissances, mais aussi en évitant la fuite des cerveaux, ce mécanisme bien connu qui fait que les étudiants envoyés à l’étranger ont tendance à y rester.
La santé : Internet peut améliorer l’efficacité des dépenses de santé, réduire le coût de traitement des maladies chroniques de 10% à 20%, enrayer la contrefaçon de médicaments de 80%, et faire gagner du temps aux personnels infirmiers. Les gains possibles liés à l’introduction des technologies de soins sont considérables : de 84 à 188 milliards de dollars selon l’étude. L’impact social et économique sera encore plus grand. Télédiagnostic et télémédecine pourraient résoudre 80% des problèmes rencontrés par les cliniques rurales. Internet permettra l’automatisation généralisée et la centralisation de l’admission des patients, des dossiers de santé, et des chaînes d’approvisionnement dans les systèmes de santé publique et les hôpitaux privés.
Le commerce de détail : aujourd’hui, à part en Afrique du Sud, le secteur de la distribution est peu développé. Le e-commerce va accompagner l’essor de la classe moyenne du continent. En 2025, le e-commerce pourrait capter 10% des ventes de détail dans les plus grands pays, soit 75 milliards de dollars par an. Les gains de productivité attendus sont de 16 à 23 milliards de dollars.
L’administration : Internet est un outil puissant pour améliorer la transparence et automatiser la collecte des recettes fiscales. En 2025, la moitié de tous les ministères africains pourraient être automatisés et en ligne. Les gains de productivité escomptés s’échelonnent entre 10 et 25 milliards de dollars.
Ces espoirs sont fondés car d’autres continents ont précédé l’Afrique sur le chemin de la numérisation. Et comme le notait récemment Lionel Zinsou dans un entretien accordé à ParisTech Review, l’Afrique bénéficie en ce moment, dans son commerce extérieur, d’une amélioration des termes de l’échange qui lui permet d’importer de la technologie grâce à ses exportations de matières premières. « On assiste à une baisse du prix des produits manufacturés, qui sont encore largement importés. Par rapport à il y a dix ans, avec une quantité donnée de coton ou de diamant, on peut acheter aujourd’hui davantage de machines-outils, d’équipements agricoles, de matériel pour développer des infrastructures… Le continent dans son ensemble présente ainsi depuis plusieurs années un excédent commercial. Le double mouvement de hausse des cours pour les productions locales et de baisse des prix pour les produits importés se traduit par un effet significatif en termes de pouvoir d’achat ». Smartphones et infrastructures de communication sont relativement meilleur marché aujourd’hui, ce qui permet à l’Afrique et aux Africains de s’équiper plus rapidement et plus facilement et ainsi, comme le dit Lionel Zinsou, d’incorporer de la technologie à leur économie. C’est-à-dire d’importer de la productivité.
Bien sûr, Internet n’est pas une baguette magique. Il intervient à la façon d’un catalyseur de croissance : sans intervenir directement, il permet des interactions nouvelles et de la fertilisation croisée. En Chine, en Inde et au Brésil, il a contribué à plus de 10% de la croissance totale du PIB au cours des années 2008-2013. On sait désormais que la maturité numérique d’un pays est fortement corrélée à une hausse sensible du revenu réel par habitant. La numérisation rapide de l’Afrique a déjà des effets perceptibles.
Mais le continent est divers et chaque pays, chaque territoire présente une problématique propre, en fonction de la densité de population, du niveau de développement, des spécialisations économiques, des infrastructures existantes. Ce qui fera vraiment la différence, pour les décideurs publics et plus largement les parties prenantes qui travaillent avec eux, ce sera la capacité à trouver les bons ingrédients et les bons catalyseurs de façon à permettre le développement d’écosystèmes variés. Sans omettre la capacité des acteurs locaux à trouver leur propre voie. Il ne s’agit en aucun cas de plaquer des solutions de développement déjà expérimentées ailleurs, mais bien plutôt de favoriser, en situation, l’éclosion de capacités. Pour cela la technologie ne suffit pas. Mais elle peut donner des ailes à des innovateurs désireux de changer le monde ou, plus modestement, de saisir des opportunités de marché.
Ce contenu est issu de ParisTech Review où il a été publié à l’origine sous le titre " Les logiques contradictoires de l’Europe de l’électricité ".
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