Vendredi 9 Janvier 2009

Jean Tirole Directeur de l’Ecole d’économie de Toulouse (TSE)

«Il va falloir revenir sur notre conception des régulations»


Quelles sont les «leçons» que vous tirez de la crise ?

Jean Tirole
La crise financière ne vient pas seulement des subprimes qui représentent finalement une somme cinq fois plus petite que la perte de la valeur boursière aux Etats-Unis en 2001, mais qui a des conséquences macroéconomiques infiniment supérieures à celles de la crise boursière de 2001.

Cette crise vient aussi de toute une série d’effets systémiques et de faillites de la réglementation prudentielles… Il va donc falloir essayer de réformer tout ça à l’avenir, à commencer par une réglementation macroprudentielle qui évite qu’il y ait un endettement généralisé au niveau des pays de tous les acteurs et qui finalement met les banques centrales devant un choix peu agréable, entre baisser les taux d’intérêts pour sauver tout le secteur financier qui a fait de la transformation, et puis, in fine, valider cette prise de risque et préparer la nouvelle crise.

Il est par ailleurs important que l’on ait une vision plus claire des expositions entre différentes banques, entre différents acteurs financiers, pour éviter que la sphère régulée ne soit contaminée de trop par la non régulée.

On a en effet observé que les banques d’investissement ont été sauvées directement ou indirectement à l’instar de la holding AIG, alors qu’il s’agissait d’entités qui n’étaient pas du tout régulées.

Ces dernières ont donc eu le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas régulées mais elles ont quand même profité de l’argent du contribuable…

Afin d’éviter ce genre de situations, il va donc falloir que la faillite d’un Lehman Brothers, d’un AIG ou d’un Bear Stearns, ne contamine pas trop les banques et les compagnies d’assurance qui sont régulées…

Comment ?

Pour cela, il va falloir employer davantage de produits standardisés et encourager l’utilisation de plateformes organisées avec chambres de compensation, pour que l’on puisse véritablement maîtriser le risque.

Ceci étant, il y a encore beaucoup d’autres choses à faire… Lors de ce colloque, nous avons ainsi évoqué les aspects internationaux et les groupes transnationaux, nous avons parlé de l’augmentation de la liquidité, des agences de notations, etc.

Il y a donc énormément de réformes à faire, or l’objectif de cette journée était aussi, et surtout, de lancer des idées qui pourraient permettre de démarrer un processus de réformes…

Etes-vous satisfait de ce colloque ? A-t-il reçu un écho favorable notamment auprès des décideurs politiques…

Oui, mais il faut replacer cela dans l’objectif assez limité de cette journée qui consistait vraiment à mettre en avant des idées pour en discuter de façon ouverte.

Ce qui m’a beaucoup plu finalement, c’est que les gens ont été relativement ouverts sur leurs positions, il n’y a pas eu de langue de bois, il y a eu des controverses, certes, mais c’est une très bonne chose parce que si les économistes ont quelque chose à dire sur le sujet -et je le pense-, ils ne détiennent pas la vérité totale, et je crois qu’il faut aussi que leurs idées soient débattues, d’autant que les praticiens ont également de bonnes idées…

Il faut donc mettre tout ça en musique, or si nous n’avons pas de débat, ça ne se passera pas.

A quoi peut-on s’attendre dans les mois à venir ?

L’avenir nous ne le connaissons pas trop… Le 15 novembre dernier, il y a eu cette réunion du G20 qui a mis en place un processus -qui va continuer- pour réfléchir à ces différentes réformes…

Il est clair qu’il va falloir plus d’Europe, plus d’international, il va donc être nécessaire que les pays se mettent d’accord. Ceci dit, les intérêts entre différents pays ne sont pas les mêmes, et comme nous l’avons vu dans d’autres domaines que la réglementation financière, il faut toujours être prudent avant d’annoncer des accords, sauf s’il s’agit d’accords dans le long terme qui, de fait, n’engagent plus personne…

Il me semble donc qu’il va falloir employer la phase actuelle pour cela. C’est un bon moment pour cela pour deux ou trois raisons, en particulier le fait qu’il y ait une nouvelle administration américaine plus intéressée à signer des accords internationaux, et puis le fait que la crise est encore dans les esprits de tout le monde…

Il va donc falloir revenir un peu sur notre conception des régulations et je crois que le moment y est propice…

Propos recueillis par N. Sandanassamy
Avec l'aimable autorisation de Easybourse

www.easybourse.com

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