Mercredi 2 Juin 2021
Laurent Leloup

Interview | Kate Solovieva, IDA Ireland - La blockchain d’entreprise en Europe

Entretien avec Kate Solovieva, Vice President, Financial Services – Europe chez IDA Ireland.


La blockchain d’entreprise en Europe

Alors que s’est tenue la semaine de la blockchain en Irlande, du 24 au 27 mai 2021, Microsoft vient d’annoncer le lancement d’une version preview de son nouveau registre sécurisé basé sur la blockchain, Azure Confidential Ledger. De son côté, the Blockchain Group vient de confirmer sa volonté de contribuer à l'évangélisation de cette technologie, et plus largement d'acter le mariage de la Blockchain avec la transformation numérique, la Business Intelligence et la cybersécurité. Si elle existe depuis 2008, la pandémie est en train de transformer la dynamique autour de l’utilisation de cette technologie et de lui redonner un nouveau souffle et de nouveaux usages.

En 2019 déjà, Accenture avait publié un rapport intitulé "Does Digital leadership in Banking really matter?", qui établissait des liens entre la maturité numérique d’une banque et sa valorisation boursière. Le raisonnement est le suivant : les banques qui réussissent à transformer numériquement leurs données sont plus efficaces, ce qui leur permet de réduire leurs coûts en pourcentage du chiffre d’affaires, et donc d’obtenir une meilleure valorisation boursière.

Selon Kate Solovieva, Vice President, Financial Services – Europe chez IDA Ireland, les banques et autres entreprises de services financiers se tournent ainsi de plus en plus vers la blockchain pour stocker et transférer des données afin d’accroître la transparence, de réduire les coûts et d’accélérer la vitesse de transfert.

Pouvez-vous nous présenter IDA Ireland ?

Kate Solovieva : IDA Ireland est une agence gouvernementale créée en vertu des lois sur le développement industriel de 1986 à 2019. L'agence fonctionne conformément aux dispositions des lois et sous l'égide du ministre des affaires, des entreprises et de l'innovation, qui est habilité à fournir des fonds à s'acquitter de ses obligations et émettre des directives de politique générale, ainsi que rechercher des informations sur les activités de l'Agence. Notre objectif principal est d’encourager les investissements en Irlande par des sociétés à capitaux étrangers.

Quelle importance revêt la blockchain en Irlande, et plus généralement en Europe ?

L’Irlande a entrepris d’être l’un des premiers promoteurs de cette technologie et n’a cessé d’asseoir sa position dans le domaine de la blockchain d’entreprise pour devenir l’un des principaux sites européens consacrés à son développement, aux côtés du Royaume-Uni, de la France et de la Suisse.

Le secteur fintech irlandais est né de la confluence de logiciels, de technologies et d’entreprises de services financiers qui ont établi leur siège européen et leurs activités de R&D dans le pays au cours des dernières décennies. Cela a créé, avec ses établissements d’enseignement et le soutien du gouvernement, un écosystème dynamique et un vivier de talents technologiques bien adaptés au développement de solutions blockchain. En 2017, l’Irlande a en effet connu la croissance la plus rapide de main-d’œuvre technologique en Europe, et près de 10 % de la population active de Dublin travaillait dans le développement de logiciels.

Aujourd’hui, plus de 430 entreprises de services financiers emploient 50 000 personnes, auxquelles s’ajoutent plus de 105 000 personnes dans le secteur des technologies en Irlande.

IDA Ireland est également l’un des membres fondateurs de Blockchain Ireland, l’organisme irlandais du secteur, et a collaboré avec les principaux acteurs de l’industrie pour positionner l’Irlande comme un haut lieu du développement de la blockchain. Cette démarche s’inscrit dans le cadre plus large de la nouvelle stratégie du gouvernement irlandais en matière de services financiers, "Ireland for Finance 2025", qui établit un cadre de haut niveau pour coordonner le développement de l’écosystème fintech et blockchain dans le secteur privé, le monde universitaire et le gouvernement.

La blockchain existe depuis 2008, pourquoi s’y intéresser de nouveau et de manière aussi prononcée aujourd’hui ?

Ces initiatives interviennent à un moment où les entreprises du secteur se sont développées dans des centres technologiques, tels que Londres et la Silicon Valley, où elles sont devenues de plus en plus attentives à la concurrence croissante et au coût de recrutement des meilleurs talents de la blockchain. Ainsi, selon le dernier rapport de LinkedIn sur les emplois émergents, la demande de développeurs blockchain a connu une croissance incroyable, multipliée par 33 par rapport à l’année précédente.

Qu’est-ce-que cela a changé concrètement pour les entreprises ?

Les entreprises abordent ce défi de manière innovante, en permettant par exemple le travail à distance et en exploitant de plus en plus les viviers de talents régionaux. Le personnel dispose ainsi d’un plus grand choix de lieux de travail, ce qui contribue à améliorer sa qualité de vie et à réduire les taux de départs pour les employeurs.

C’est aussi un moyen d’éviter que les opérations mondiales ne soient exposées à des vents contraires, tels que la hausse des loyers et des salaires, souvent insuffisants pour retenir le personnel dans les grands centres comme Londres, Paris, New York ou San Francisco.

Le Brexit a-t-il joué un rôle dans l’évolution du marché ?

Oui, indéniablement, car les risques géopolitiques, tels que le Brexit et l’impact qu’il peut avoir sur la distribution des données et des services dans l’UE, figurent désormais en bonne place dans l’agenda des entreprises lorsqu’elles choisissent un lieu d’implantation pour de nouveaux bureaux.

Pouvez-vous me citer un exemple d’entreprise de ce secteur installée en Irlande ?

R3, qui est le consortium à l’origine de la blockchain d’entreprise Corda, est la toute dernière organisation de blockchain à avoir annoncé son intention de s’implanter en Irlande. Elle prévoit notamment d’ouvrir un bureau à Dublin l’année prochaine pour développer ses activités d’ingénierie logicielle et de relation client, ainsi que ses opérations commerciales. Elle se retrouvera en bonne compagnie aux côtés d’entreprises telles qu’IBM, Mastercard, Fidelity, Deloitte, Accenture ou encore Coinbase, qui travaillent sur des projets tels que le suivi de la chaîne d’approvisionnement agricole, le financement du commerce et les paiements internationaux.

Quelles sont les initiatives des organismes financiers autour de la blockchain, actuellement ?

La Banque centrale d’Irlande a mis en place un pôle d’innovation qui propose un cadre propice à l’engagement en dehors des processus réglementaires officiels pour les innovateurs en matière de technologies financières, et a ainsi pu étudier les cadres réglementaires mondiaux déployés pour régir les cryptomonnaies.

Le plus réjouissant est que la technologie blockchain trouve sa place dans un écosystème qui s’enrichit mutuellement, aux côtés d’autres technologies de pointe telles que l’IA, l’analyse de données et le machine learning, ainsi que d’experts du secteur de l’assurance, du financement du commerce et des infrastructures de marché, ce qui signifie que nous pouvons nous attendre à voir la blockchain se déployer dans un nombre toujours plus important de domaines spécialisés.

Comment voyez-vous l’avenir de cette technologie ?

La blockchain n’en est encore qu’aux premiers stades de son développement et je m’attends à ce que cet écosystème évolue de manière spectaculaire au cours des prochaines années, d’autant plus que les fonds de capital-risque et de R&D continuent d’affluer dans ce secteur.

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