Après avoir dirigé un grand cabinet d’avocats international et accompagné la restructuration de grandes entreprises du secteur de l’énergie notamment dans les pays de l’est, Alexandre Garese a fondé Kouros Investment en 2016, une société d’investissement spécialisée dans les énergies et la mobilité propres. Il analyse le rôle des investisseurs privés dans la transition énergétique et nous explique sa philosophie entrepreneuriale.
Comment en êtes-vous arrivé au métier d’investisseur dans le domaine de l’énergie ?
C’est dans le pressentiment d’une révolution déjà souterrainement à l’œuvre que j’ai commencé à m’intéresser à l’hydrogène dans les années 2000, alors que j’avais investi dans plusieurs secteurs « traditionnels » de l’énergie. À l’époque il était contre-intuitif de quitter un univers de forte rentabilité pour une économie incertaine. Mais l’hydrogène m’a très tôt fasciné par son omniprésence sur terre, puisqu’il est constitutif de l’eau dont nous sommes nous-mêmes constitués. Je me suis dit très vite qu’il était si inhérent à toute forme de vie, qu’il devait nécessairement receler toutes sortes de solutions. Aujourd’hui, je suis persuadé d’avoir fait le bon choix en orientant mes efforts vers des sources d’énergie pérenne. Et je me dis que si la majorité des investisseurs mondiaux faisaient le même pari, la transition énergétique serait effective en moins d’une décennie.
Les investissements réalisés par Kouros sont résolument tournés vers la mobilité durable. Quels sont vos critères d’investissement ?
À mes yeux, les deux principales conditions d’une mobilité durable sont l’énergie renouvelable d’une part, et l’infrastructure à la dimension du bassin de vie d’autre part. Ces deux critères président aux choix stratégiques de Kouros. Nous cherchons à produire une énergie propre, et à la consommer « sur place » sans dégrader dans le transport la qualité acquise lors de l’extraction ou de la fabrication.
La transition énergétique est-elle enfin devenue un principe directeur pour les acteurs du monde économique ?
La transition énergétique, c’est l’oxygène d’une économie en pleine suffocation. Pour un investisseur, c’est aussi le plus sûr moyen de rendre pérenne la création de valeur. Le développement durable s’est imposé de façon décisive dans la rationalité économique. Pour la plupart des dirigeants, toute nuisance environnementale est devenue synonyme de destruction de valeur, ce qui oriente ipso facto les investissements vers les secteurs les plus compatibles avec les principes liés au développement durable.
Pourtant, on constate encore de nombreuses résistances au changement, au nom du réalisme économique…
Certaines rentes sectorielles sont clairement menacées par l’innovation. Un certain nombre d’acteurs, en continuant à cotiser au monde ancien, retardent l’avènement du monde nouveau. C’est le cas de grands groupes au sein desquels ce qui est proclamé entre en conflit avec ce qui est pratiqué, et où le changement est concrètement freiné par des gestionnaires aimantés par le court terme. Mais ceux qui réfutent depuis des années les arguments philosophiques, éthiques et politiques qui plaident pour cette transition sont aujourd’hui confrontés à la réalité scientifique, qui se traduit en impératifs économiques. On peut être sensible ou indifférent à l’écologie, mais le verdict de l’économie est clair. Le risque n’est plus du côté du développement durable. Il est du côté de toute forme de prédation qui détruit les fondements même de la création de valeur.
Et du côté des professionnels de l’investissement ? N’existe-t-il pas des freins au changement justifiés – à tort ou à raison – par des impératifs de rendement ?
Les exigences de rendement ne sont pas incompatibles avec l’investissement responsable. Mais à long terme, il faut protéger les rendements de la spéculation aveugle et court-termiste. Ce que la transition énergétique impose aux investisseurs, c’est de réintroduire la variable du temps long, en intégrant au calcul d’un rendement la variable de sa pérennité. Une partie du monde de la finance est encore sous l’emprise des drogues d’hier, mais finira par s’en sevrer sous la pression du réel. Aujourd’hui, d’ailleurs, nous avons plus que jamais besoin du monde de la finance, pour que les projets énergétiques passent d’une culture de la rente à une culture de la rentabilité.
Votre philosophie d’investissement semble guidée par des principes, autant (sinon plus) que par des considérations financières. Comment cette approche est-elle perçue par vos partenaires en affaires ?
Avoir des principes demande du temps et de la volonté : le temps d’y réfléchir, et la volonté de se les approprier. Il ne s’agit pas d’avoir des « principes » comme on adopte une mode, ou comme on se soumet à un « prêt à penser ». Les principes ont trait à ce qu’on est, bien davantage qu’à ce qu’on a. Tout l’enjeu consiste à faire vivre ses principes à l’épreuve des réalités économiques qui sont « axiologiquement neutres », c’est-à-dire indifférentes aux valeurs morales. Peu de principes, mais chevillés au corps, et tenables au quotidien – c’est à mes yeux la définition de l’honnêteté pour un chef d’entreprise ou un dirigeant de fonds. Ceux qui sont appeler à durer sont ceux qui auront fait preuve sur le temps long d’authenticité et de constance.
Votre double casquette de juriste et d’entrepreneur est-elle un atout dans votre métier ?
Un bon chef d’entreprise, comme un bon avocat, doit être affûté, alerte, et créatif. En droit comme en affaires, il s’agit d’avancer sur le territoire en s’aidant de la carte, mais sans en être prisonnier. Ce que j’ai appris du droit, c’est l’art de réfléchir en temps réel, de ne jamais rester figé, pour ne cesser d’aller et venir entre les contraintes et les possibilités. Encore aujourd’hui, en tant qu’investisseur, il m’arrive de travailler dans des formats très resserrés où le leadership doit s’effacer au profit d’un collectif de type « commando ».
Est-ce le goût du risque qui nourrit votre fibre entrepreneuriale et votre tropisme international ?
Le risque et l’incertitude sont les caractères de ce qui est « possible ». Ils sont donc inhérents au projet entrepreneurial auquel ils confèrent toute sa valeur. Où le risque est nul, où l’incertitude est éliminée, il ne s’agit pas d’une entreprise mais d’une rente. À mes yeux, l’honneur du gagnant est indexé sur son risque, et la vertu de l’entreprise, c’est de permettre à l’homme de réaliser, en l’éprouvant, sa liberté.
Une fois acceptée la part irréductible du risque, trois points me semblent fondamentaux pour réussir à l’international : une bonne vision d’ensemble du contexte (politique, social, économique et culturel) dans lequel on opère ; une bonne capacité à lire ce contexte au prisme du droit (mais sans que la lecture de la carte ne se substitue à l’appréhension du réel) ; et enfin une excellente connaissance de soi-même. Là où beaucoup d’entrepreneurs et d’investisseurs se focalisent sur les menaces et les adversaires potentiels, je crois plus décisif de se concentrer sur soi, en s’attachant à jouer la partie dans la fidélité à ses principes, en poursuivant ses objectifs initiaux, et en se laissant guider par ses intuitions.
Comment en êtes-vous arrivé au métier d’investisseur dans le domaine de l’énergie ?
C’est dans le pressentiment d’une révolution déjà souterrainement à l’œuvre que j’ai commencé à m’intéresser à l’hydrogène dans les années 2000, alors que j’avais investi dans plusieurs secteurs « traditionnels » de l’énergie. À l’époque il était contre-intuitif de quitter un univers de forte rentabilité pour une économie incertaine. Mais l’hydrogène m’a très tôt fasciné par son omniprésence sur terre, puisqu’il est constitutif de l’eau dont nous sommes nous-mêmes constitués. Je me suis dit très vite qu’il était si inhérent à toute forme de vie, qu’il devait nécessairement receler toutes sortes de solutions. Aujourd’hui, je suis persuadé d’avoir fait le bon choix en orientant mes efforts vers des sources d’énergie pérenne. Et je me dis que si la majorité des investisseurs mondiaux faisaient le même pari, la transition énergétique serait effective en moins d’une décennie.
Les investissements réalisés par Kouros sont résolument tournés vers la mobilité durable. Quels sont vos critères d’investissement ?
À mes yeux, les deux principales conditions d’une mobilité durable sont l’énergie renouvelable d’une part, et l’infrastructure à la dimension du bassin de vie d’autre part. Ces deux critères président aux choix stratégiques de Kouros. Nous cherchons à produire une énergie propre, et à la consommer « sur place » sans dégrader dans le transport la qualité acquise lors de l’extraction ou de la fabrication.
La transition énergétique est-elle enfin devenue un principe directeur pour les acteurs du monde économique ?
La transition énergétique, c’est l’oxygène d’une économie en pleine suffocation. Pour un investisseur, c’est aussi le plus sûr moyen de rendre pérenne la création de valeur. Le développement durable s’est imposé de façon décisive dans la rationalité économique. Pour la plupart des dirigeants, toute nuisance environnementale est devenue synonyme de destruction de valeur, ce qui oriente ipso facto les investissements vers les secteurs les plus compatibles avec les principes liés au développement durable.
Pourtant, on constate encore de nombreuses résistances au changement, au nom du réalisme économique…
Certaines rentes sectorielles sont clairement menacées par l’innovation. Un certain nombre d’acteurs, en continuant à cotiser au monde ancien, retardent l’avènement du monde nouveau. C’est le cas de grands groupes au sein desquels ce qui est proclamé entre en conflit avec ce qui est pratiqué, et où le changement est concrètement freiné par des gestionnaires aimantés par le court terme. Mais ceux qui réfutent depuis des années les arguments philosophiques, éthiques et politiques qui plaident pour cette transition sont aujourd’hui confrontés à la réalité scientifique, qui se traduit en impératifs économiques. On peut être sensible ou indifférent à l’écologie, mais le verdict de l’économie est clair. Le risque n’est plus du côté du développement durable. Il est du côté de toute forme de prédation qui détruit les fondements même de la création de valeur.
Et du côté des professionnels de l’investissement ? N’existe-t-il pas des freins au changement justifiés – à tort ou à raison – par des impératifs de rendement ?
Les exigences de rendement ne sont pas incompatibles avec l’investissement responsable. Mais à long terme, il faut protéger les rendements de la spéculation aveugle et court-termiste. Ce que la transition énergétique impose aux investisseurs, c’est de réintroduire la variable du temps long, en intégrant au calcul d’un rendement la variable de sa pérennité. Une partie du monde de la finance est encore sous l’emprise des drogues d’hier, mais finira par s’en sevrer sous la pression du réel. Aujourd’hui, d’ailleurs, nous avons plus que jamais besoin du monde de la finance, pour que les projets énergétiques passent d’une culture de la rente à une culture de la rentabilité.
Votre philosophie d’investissement semble guidée par des principes, autant (sinon plus) que par des considérations financières. Comment cette approche est-elle perçue par vos partenaires en affaires ?
Avoir des principes demande du temps et de la volonté : le temps d’y réfléchir, et la volonté de se les approprier. Il ne s’agit pas d’avoir des « principes » comme on adopte une mode, ou comme on se soumet à un « prêt à penser ». Les principes ont trait à ce qu’on est, bien davantage qu’à ce qu’on a. Tout l’enjeu consiste à faire vivre ses principes à l’épreuve des réalités économiques qui sont « axiologiquement neutres », c’est-à-dire indifférentes aux valeurs morales. Peu de principes, mais chevillés au corps, et tenables au quotidien – c’est à mes yeux la définition de l’honnêteté pour un chef d’entreprise ou un dirigeant de fonds. Ceux qui sont appeler à durer sont ceux qui auront fait preuve sur le temps long d’authenticité et de constance.
Votre double casquette de juriste et d’entrepreneur est-elle un atout dans votre métier ?
Un bon chef d’entreprise, comme un bon avocat, doit être affûté, alerte, et créatif. En droit comme en affaires, il s’agit d’avancer sur le territoire en s’aidant de la carte, mais sans en être prisonnier. Ce que j’ai appris du droit, c’est l’art de réfléchir en temps réel, de ne jamais rester figé, pour ne cesser d’aller et venir entre les contraintes et les possibilités. Encore aujourd’hui, en tant qu’investisseur, il m’arrive de travailler dans des formats très resserrés où le leadership doit s’effacer au profit d’un collectif de type « commando ».
Est-ce le goût du risque qui nourrit votre fibre entrepreneuriale et votre tropisme international ?
Le risque et l’incertitude sont les caractères de ce qui est « possible ». Ils sont donc inhérents au projet entrepreneurial auquel ils confèrent toute sa valeur. Où le risque est nul, où l’incertitude est éliminée, il ne s’agit pas d’une entreprise mais d’une rente. À mes yeux, l’honneur du gagnant est indexé sur son risque, et la vertu de l’entreprise, c’est de permettre à l’homme de réaliser, en l’éprouvant, sa liberté.
Une fois acceptée la part irréductible du risque, trois points me semblent fondamentaux pour réussir à l’international : une bonne vision d’ensemble du contexte (politique, social, économique et culturel) dans lequel on opère ; une bonne capacité à lire ce contexte au prisme du droit (mais sans que la lecture de la carte ne se substitue à l’appréhension du réel) ; et enfin une excellente connaissance de soi-même. Là où beaucoup d’entrepreneurs et d’investisseurs se focalisent sur les menaces et les adversaires potentiels, je crois plus décisif de se concentrer sur soi, en s’attachant à jouer la partie dans la fidélité à ses principes, en poursuivant ses objectifs initiaux, et en se laissant guider par ses intuitions.
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