Lundi 10 Décembre 2007
Ludo Vic

Financements de LBO : les raisons d’une dérive

Entretien avec Christophe Tournier, membre du Directoire de la Banque de Vizille et responsable de l’activité LBO.


Vous êtes spécialiste des LBO chez CIC Banque de Vizille : que s’est-il passé en août sur ce marché ?
On sait qu’il existe, depuis quelques années, un surcroît de liquidités généré par une épargne massive dans les économies américaine et européenne. En pareil cas, une partie de ces liquidités vient systématiquement s’investir dans des actifs fortement exposés, en espérant « booster » leur rentabilité au travers de produits plus risqués et de maturité plus longue. Dans ce cadre, l’un des actifs les plus prisés des SICAV dites « dynamiques » ont été les désormais tristement célèbres CDOs (Collateralized Debt Obligations), ces derniers intégrant aussi bien les fameuses créances immobilières américaines à l’origine de la crise que des créances in fine à 8-10 ans contractées à l’occasion du financement de montages LBO. On peut même dire que ces fonds CDOs s’étaient littéralement emparés du compartiment « dette » du financement des gros et moyens LBO depuis un à deux ans, en octroyant des masses significatives de financements in fine à 8-10 ans. Ces financements, synonymes de souplesse pour la société débitrice à court terme, présentent néanmoins un coût très élevé… et un risque très significatif pour le créancier émetteur, s’agissant d’une dette en quelque sorte de « dernier rang », dont le remboursement est évidemment subordonné à celui de toutes les autres tranches.

Cela était valable pour tous les LBO ?
En fait nous avons assisté à l’émergence d’une économie à deux vitesses.

Nous avions, globalement, toute la tranche des LBO réalisés sur des sociétés cibles dont l’EBIT est inférieur à 15-20 M€. Nous sommes restés là dans l’économie réelle, où l’endettement s’appuie sur l’analyse financière, c’est-à-dire où le banquier octroie la dette en fonction de sa vision des perspectives de cash flow.

Nous avions ensuite l’univers des LBO touchant les entreprises dont l’EBIT dépasse les 20 M€. Ici, la pression de la liquidité avait fini par balayer toute forme d’analyse financière pour laisser la place à une sophistication totalement artificielle du marché de la dette. La structure des montages a été ainsi « poussée au crime » par la surliquidité en s’orientant massivement vers les tranches de prêts in fine offertes par les CDOs. De ce fait, la structuration de ces rachats d’entreprises a été progressivement déconnectée de la réalité des cash flow. Songez qu’au premier trimestre 2007, sur le marché européen du LBO, seules 15 % des dettes étaient réellement amortissables (!!), le solde étant souscrit in fine, notamment auprès des CDOs.

Ces « méga » LBO étaient donc devenus des instruments de spéculation financière ?...
Disons que, dans cette situation, les banques arrangeuses avaient parfois cessé de jouer leur rôle d’analystes pour endosser l’habit de broker : elles avaient tendance à « prendre ferme » y compris certains financements de LBO jugés tendus puisqu’elles savaient qu’elles parviendraient à syndiquer rapidement la plus grosse part de ces montants auprès d’acteurs avides de rendements plus élevés, notamment les CDOs.

Or, en août, les CDOs sont arrivés au terme de leur logique spéculative : la crise des subprime les a privés des liquidités nécessaires pour continuer d’alimenter le cercle vicieux. Résultat : les banques se retrouvent « collées » avec certains financements de LBO devenus purement et simplement « non syndicables ». D’où un mouvement de repli généralisé touchant plus ou moins, comme toujours en pareil cas, le financement de toutes les catégories d’actifs… bons ou moins bons !

Pourquoi ne l’a-t-on pas stoppée à temps ?
Pour une raison simple : la vitesse de rotation des actifs est telle qu’aucune dette, encore moins in fine, ne risquait d’arriver à sa maturité de remboursement. En effet, la pression à l’investissement entre les fonds de private equity est si forte qu’en moyenne, une société sous LBO détenue par cette catégorie d’investisseur est revendue au bout d’un délai moyen de 2 à 3 ans sans parfois qu’une réelle « création de valeur industrielle » ait eu lieu..

Chaque opération étant l’occasion d’un refinancement global de la dette, l’ensemble des créanciers se trouvaient remboursés par anticipation, la société n’ayant au demeurant servi, sur un délai si court, que très peu d’annuités de remboursement en capital !

De fait, depuis 2003, les liquidités s’avéraient très abondantes, les taux demeuraient porteurs à l’investissement et la confiance dans les LBO très solide du fait du très faible nombre de cas de défaut (cf. ci-dessus : rotation avant remboursement !). Aujourd’hui, ces trois facteurs se sont, au moins partiellement, retournés.

La Banque de Vizille est-elle touchée par cette crise des LBO ?
En rien. La Banque de Vizille n’a jamais pratiqué cette catégorie de montages. D’une part, elle est toujours restée ancrée dans « l’économie réelle », celle où le banquier qui finance une dette le fait sur la base de son analyse intrinsèque des capacités de remboursement, où l’appréciation de la création de cash flow est finement analysée dans une logique de développement. D’autre part, son horizon d’investisseur sur fonds propres (5 à 8 ans) l’a toujours amenée à considérer qu’une dette contractée à l’occasion d’un rachat serait effectivement remboursée avant toute rotation éventuelle de la propriété du capital des sociétés dans lesquelles elle investit ! La Banque de Vizille n’a donc pas fini de développer cette forme de capital-transmission que sont les LBO primaires, au service de la pérennité des sociétés et de leurs actifs humains et matériels. Les événements ne font que nous conforter dans ce positionnement. Pour cela, il faut disposer de vrais fonds propres mais nous sommes de moins en moins à être capables de les proposer.

Propos recueillis par la Banque de Vizille.

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