Jeudi 18 Janvier 2024
Anne-Laure Allain

Entretien | Sébastien Badault, Ledger. "Notre ADN, c'est la sécurité : proposer le même niveau de service aux entreprises était naturel"

Amazon, Google puis YouTube, et Alibaba. Depuis plus de 20 ans, le parcours professionnel de Sébastien Badault est parsemé des plus grands noms du WEB2.
Sa spécialité ? Arriver en qualité de premier employé, ou presque, de la filiale Europe ou française de ces mastodontes et les déployer sur le « vieux continent ».
Pourtant, depuis deux ans, il s’adonne à un autre exercice. Il a rejoint les équipes de Ledger, passant du WEB2 au WEB3 ; des plateformes centralisées à la décentralisation ; de la culture anglo-saxonne & chinoise à la culture française.
Et si son rôle de « grand déployeur » est peu ou prou le même, son nouveau terrain de jeu affiche un paysage bien différent.
Désormais en charge du développement de la partie « Entreprise » de la licorne française, il nous narre son parcours et sa nouvelle aventure professionnelle qui se conjugue aujourd’hui au rythme de la blockchain.
Rencontre avec Sébastien Badault, VP Enterprise de Ledger. La licorne française valorisée à 1,3 milliard d’euros après quelque 10 années d'existence.

Propos recueillis par Anne-Laure Allain


Pour ceux qui suivent l’actualité business, vous vous êtes notamment distingué, en tant que porte-parole en Europe du géant chinois, Alibaba, pour qui vous avez, entre autres, déployé T-Mall, la market place, comment avez-vous rejoint l’aventure Ledger ?

Je connais Pascal Gauthier, PDG de Ledger, depuis plusieurs années et ce, en dehors de la sphère business. Par ailleurs, lorsque je travaillais pour Alibaba, l’un de mes rôles était de mettre en relation les marques de mode/luxe françaises avec la plateforme pour faciliter leur export en Chine. À ce moment-là, Ian Rogers, (actuel Chief Experience Officer -CXO - de Ledger) était Chief Digital Officer au sein de LVMH, nous nous connaissions donc déjà aussi (sourires).
A mon arrivée, il y a presque deux ans, nous assistions à une explosion d’intérêt des marques pour les NFT et, notamment, celles pour issues du monde de la mode ,et de l’art. Pour suivre cet engouement, il a fallu aller vite en mode « startup » ce qui correspond d’ailleurs au rythme de l’entreprise (rires). J’ai quitté Alibaba un vendredi soir et le lundi, je commençais chez Ledger pour prendre en charge cette partie NFT/ METAVERS.

Via les NFT, nous étions bien loin de Ledger et de sa solution hardware de conservation des mots de passe ?

Effectivement, il y a 8 ans, au moment de sa création, Ledger était une entreprise 100 % hardware permettant aux premiers acheteurs de Bitcoins de sécuriser ceux-ci via une sorte de coffre-fort physique.
Progressivement, nous avons développé des services autour de cela, notamment Ledger Live, l’application software sur votre mobile ou ordinateur qui se lance au moment où vous branchez votre Ledger. Vous pouvez ainsi visualiser ce que vous détenez sur votre wallet et, aussi, via des partenaires, gérer vos transactions (vendre, acheter, transférer, staker, échanger contre un autre actif numérique).
L’ADN de Ledger restant complètement lié à la sécurité, : il était assez naturel de proposer la sécurisation de la création du NFT via le pôle Entreprise de Ledger, puisque c’était aussi un sujet de préoccupation de nos clients.

Diriez-vous que votre capacité à faire évoluer votre modèle 100 % hardware est l’une des raisons de la confiance des fonds d’investissement conférant à Ledger son statut de licorne il y a 2 ans ?

Il y a deux ans, au moment de la levée record, il y avait cet effet d’engouement pour les cryptos-actifs. Mais il est vrai que cela ne se joue pas sur ce seul critère. Les investisseurs n’aiment pas les « one trick poney » : les chevaux qui ne savent faire qu’un seul tour. Avoir plusieurs cordes à notre arc : être en capacité de proposer du hardware et des services ; déployer des solutions BtoC comme BtoB, a forcément eu un impact sur la valorisation.
Côté BtoB, c'est la préparation de Ledger Vault qui a beaucoup influé. Il s'agit d'un Ledger physique spécifiquement conçu pour les entreprises. Cette offre propose le même niveau de sécurité, mais avec l’ajout d’une couche de gouvernance.
Imaginez : vous êtes propriétaire de crypto-actifs, et vous êtes dépositaire de votre suite de mots clés. Dans cette situation, vous seul avez accès à cette clé privée. Ce qui est normal puisqu’il s’agit de votre argent. Or, si vous êtes une entreprise, cette situation n’est pas concevable. La décision d’utiliser 10 000, 100 000 ou 1 million d’euros implique forcément plusieurs personnes lors d’une transaction.
Nous avons donc créé cette couche de gouvernance, 100 % personnalisable. Chaque entreprise décide de son paramétrage : combien de personnes sont à impliquer ? A quel niveau ? Quel type de transaction nécessite une ou deux signatures, etc.
Parallèlement, à l’instar de ce que nous avons fait pour la partie BtoC, nous avons rajouté une partie « services » via un panel de solutions. Ledger Entreprise est ainsi passée de fournisseurs de coffre-fort à la solution Ledger Vault.
Grâce à cette plateforme, les entreprises peuvent désormais s'engager dans des activités telles que le staking, la tokenisation et le trading d'actifs numériques.

Ledger Vault, la solution "Enterprise" de Ledger s’adresse à quelle typologie de clients ?

À ce jour, notre clientèle Ledger Vault compte près d'une centaine de clients. Nous servons aussi bien des marques que des grandes entreprises, des Hedge funds aux gestionnaires d'actifs, des custodians assurant la conservation des crypto-actifs pour des tiers aux plateformes d'échanges. Ces acteurs se regroupent en trois grandes typologies : l'asset manager, apportant les fonds, le custodian, assurant leur protection et conservation, et l'exchange, créant la liquidité et facilitant les transactions entre acheteurs et vendeurs.
Il y a un an, nous avons observé une demande croissante, principalement émanant des marques qui, pour la plupart, s'investissent dans les NFT, les cryptomonnaies, et autres projets similaires. Cette demande a connu une légère baisse au cours de l'année 2023 pour finalement repartir à la hausse. Actuellement, nous constatons un regain d'intérêt marqué pour ce marché.
Cependant, le véritable changement de fond provient du secteur de la finance traditionnelle, qui, jusqu'à récemment, observait le domaine des crypto-actifs avec une certaine réserve.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, ce regain d'intérêt, de la part du monde de la finance traditionnelle ?

Je pense que ces acteurs sont de plus en plus rassurés par tous les aspects réglementaires qui entourent désormais le monde des crypto. Et, à ce titre, une affaire comme celle de Binance, a eu ses conséquences positives. Que les autorités américaines sanctionnent un acteur aussi reconnu dans le monde des cryptos et, à un tel niveau de sanctions, a été un vecteur de confiance pour ceux qui, peut-être, jugeaient le Bitcoin comme le monde du far-west, libertarien. Désormais, ils voient la crypto comme une nouvelle "asset class" pérenne.
Ces acteurs du monde de la finance traditionnelle s’adressent à nous à la recherche de moyens sécurisés afin d’interagir avec les crypto-actifs. C’est pour eux que nous avons créé Ledger Entreprise Tradelink : afin d’avoir le même niveau d’interactions avec la crypto que ce qu’ils ont déjà dans la finance traditionnelle. Nous leur proposons de transférer leurs fonds dans un custodian qu’ils ont choisi. Les fonds sont tenus par le custodian dans un compte collatéral sécurisé par Ledger. Puis, nous activons le trading. Donc, le custodian va mettre les fonds sur l’exchange qui aura été choisi par l’asset manager.

Aujourd’hui, la partie BtoB représente quelle part dans l’activité de Ledger ?

Nous ne séparons pas, à ce jour, les différentes activités. Cependant, nous enregistrons une forte croissance et une centaine de personnes est mobilisée chez nous sur la division entreprise.
Ce qu’il faut percevoir c’est que dans la finance traditionnelle, ce sont les institutions qui sont les leaders, la partie retail est, elle, beaucoup plus petite. Or, dans la crypto c’est l’inverse : les gros porteurs de cryptos sont en majorité des clients individuels.
Cette situation est en train d’évoluer. A ce jour, Ledger est leader sur la partie consumer et, challenger sur la partie institutionnelle. D’où un potentiel de développement colossal sur le marché.
Pour l’anecdote : notre plus gros concurrent aujourd’hui, c’est Ledger ! Il y a une multitude d’Exchanges, d’Asset managers qui font leur business avec des Ledgers Nano. Notre première approche est de leur expliquer qu’ils se mettent un peu en danger en faisant cela : si demain, le propriétaire de la clef disparaît, ils n'ont pas de recours. Or, dans cet univers post FTX en pleine organisation réglementaire, ils ont besoin de plus de gouvernance, plus de transparence, et de plus de capacité à être audités.

Vous voilà donc plongé dans le monde de la finance version Web3, un vrai changement par rapport à l’univers plutôt « consumer » que vous aviez côtoyé jusqu'ici, comment vous êtes-vous acculturé à cet univers ?

Chose peut-être méconnue ici mais : Alibaba est l’entreprise dans le monde qui doit avoir le plus de brevets autour de la blockchain (rires) !
Je suis ultra curieux de nature. Tout ce qui est nouveau, qui a un vrai impact sur la manière de commercialiser, d’entrer en contact avec les clients ou même de créer : me passionne !
Dans ma carrière, j’ai toujours été attiré par les nouvelles frontières, les nouvelles technologies et ceux qui apportent une approche différente dans l’écosystème. Mon rôle a toujours été d’aider les entreprises à tirer parti des ces nouvelles technologies. L’e-commerce avec Amazon en 1999 ; le média digital avec Google en 2004, puis Youtube en 2008. Ensuite, il y a eu l’aventure chinoise avec Alibaba et maintenant, le Web3 avec Ledger.
Quand la crypto a émergé, j’ai trouvé cela intellectuellement intéressant. En 2021, quand les premiers projets de décentralisation ont été lancés, j’ai été réellement interpellé par l’usage et l’intérêt. Cela redonnait la main à l’utilisateur sur la donnée, loin de la logique centralisée des Gafam.

Vous, qui avez cette expérience des géants du WEB2, quelle est votre vision de l’articulation ou de la coexistence Web2 et Web3 ?

Je pense que les deux modèles vont coexister. Je n’ai jamais imaginé qu’un jour il y aurait un Google décentralisé qui tuerait le Google/WEB2. Pour moi, le WEB3 est une strate supplémentaire qui permet, par le biais de la technologie, de générer de la valeur digitale, de l’identité digitale.
C’est d’autant plus vrai dans la finance. L’univers de la crypto ne va pas supplanter la finance traditionnelle. Elle va se positionner comme un asset supplémentaire dans la dimension qui est la sienne. L’économie américaine, c’est 300 trillions de dollars, la crypto : environ 1 trillion. Tout ce qui se passe à propos de l’inflation, de la gestion de certains États va forcément influer sur la crypto.
Quant à la technologie blockchain, tout ce qu’elle apporte d’un point de vue de la transparence, ne peut que se décupler. De mon point de vue, il ne s’agit pas de remplacement mais de la création d’une nouvelle classe d'asset propulsée par une nouvelle technologie et une multitude de "use cases" qui vont se déployer.

En passant dans la dimension WEB3, vous avez aussi changé d’univers au niveau du management, du partage de l’information. Je pense, par exemple, aux déclarations de Pascal Gauthier lors des critiques autour de Ledger Recover ou, dernièrement, autour du hack de Ledger Connect : je suppose que ce type de posture aurait été inenvisageable au sein du géant chinois, Alibaba?

La valeur de la transparence à laquelle vous faites allusion, est très importante pour moi, et j’y adhère. Vous pouvez rajouter à cela l’audace et le pragmatisme.
Dans l’univers blockchain, on ressent cet aspect communautaire de personnes conscientes de construire ensemble un nouvel écosystème. Et, qui ont tout intérêt à se parler, à échanger pour que cet écosystème continue à se développer. C’est hyper appréciable de se retrouver dans cet élan de collaboration.
Pascal Gauthier (CEO de Ledger) est le même en interne. Il a cette force et ce courage pour faire les choses de manière très directe. Cela peut-être parfois déstabilisant (rires) mais on travaille sur des bases saines, et on gagne un temps précieux puisque l’on sait exactement ce qui est attendu.
Ce qui est intéressant aussi dans l’entreprise, c’est cette mixité de profil. Vous avez un management avec une expérience solide : Pascal Gauthier, Ian Rogers et moi. Une solidité cruciale dans les événements plus vifs que nous venons de traverser. A nos côtés, nous pouvons cependant bénéficier de personnes à qui nous donnons beaucoup de responsabilités. Par ailleurs, chez Ledger, au sein de tous les postes de l’entreprise, vous avez beaucoup de passion, beaucoup d’engagement. Et cela nécessite, aussi, une autre façon de manager.

Votre statut de licorne française du WEB3, pionnière dans son domaine, ne vous confère-t-il pas aussi, une nécessité d’exemplarité ?

Nous travaillons dans une entreprise en construction, nous nous mettons la pression pour continuer à exceller et nous veillons à transformer cette pression en énergie positive. La philosophie à la base de la blockchain est la transparence, il est normal que nous l’incarnions aussi à notre façon. Nous nous devons de refléter ces valeurs. Comme nous nous devons de soutenir toutes les initiatives qui soutiennent l’écosystème.

Propos recueillis par Anne-Laure Allain

A propos de Sébastien Badault
Sébastien Badault est vice-président Enterprise de Ledger. C'est un opérateur chevronné avec des années d'expérience internationale aux croisements de la technologie, du commerce et de la publicité.
Il a été Directeur général pour la France, la Belgique et le Luxembourg chez Alibaba, où il a créé le Luxury Pavilion, qui est devenu la plus grande plateforme de luxe en ligne de Chine. Avant de rejoindre Alibaba, il a été l'un des premiers employés de Google France et d'Amazon France, dirigeant les équipes de vente et de marketing pour développer les parts de marché locales et améliorer l'écosystème en ligne des deux organisations.
Il a passé 10 ans chez Google, où il a dirigé les opérations françaises de l'entreprise et a été l'un des membres fondateurs de la Global Client and Agency Solutions Organization. Chez Amazon, M. Badault a occupé le poste de directeur du développement commercial en Europe, où il a dirigé la stratégie d'acquisition de clients et de partenaires du groupe au Royaume-Uni, en Allemagne et en France.

À propos de Ledger :
Fondée à Paris en 2014, LEDGER est une plateforme mondiale pour les actifs numériques et Web3. Ledger est déjà le leader mondial de la sécurité et de l’utilité des actifs numériques critiques. Avec plus de 6 millions d’appareils vendus aux consommateurs dans 200 pays et 10+ langues, 100+ institutions financières et marques en tant que clients, 20% des actifs cryptographiques mondiaux sont sécurisés, ainsi que des services prenant en charge le trading, l’achat, les dépenses, les gains et les NFT. Les produits LEDGER comprennent : Ledger Stax, Nano S Plus, portefeuilles matériels Nano X, application compagnon LEDGER Live et Ledger Enterprise. Grâce à sa facilité d’utilisation, LEDGER permet à un utilisateur de commencer à investir dans des actifs numériques et, en fin de compte, d’atteindre la liberté financière dans un environnement sûr et sans stress.
LEDGER

LIRE AUSSI A PROPOS DE LEDGER
Ledger, Pascal Gauthier, le PDG donne des explications sur le hack de Ledger Connect
Nomination | Ledger nomme Sébastien Badault au poste de Vice-président Revenue de Ledger Enterprise
Opinion | Pascal Gauthier, Ledger, fait son Mea Culpa



Articles similaires