Vendredi 30 Juin 2023
Anne-Laure Allain

Entretien | Romain Mazeries, Mangopay. « Startup ? Scale-up ? J'aime bien me dire qu'une entreprise est un être vivant en perpétuelle mutation »

C’est peut-être l’une des fintechs les plus connues dans le monde du e-commerce. Spin-Off de Leetchi, la cagnotte en ligne fondée par Céline Lazorthes, Mangopay a vu le jour en 2013 pour s’adresser à un marché alors en pleine ébullition mais encore assez incertain : les marketplaces.
Une décennie plus tard, la fintech a traité un volume de plus de 40 milliards d’euros et compte 2500 clients. Aujourd’hui valorisée à un milliard de dollars, elle est passée en avril 2022 du giron de Crédit Mutuel Akea (arrivé en 2015 et toujours actionnaire à hauteur de 6%) à celui d’Advent International.
Le fonds d’investissement américain n’a pas dévoilé le montant de son acquisition, mais a alloué une enveloppe de 75 millions d’euros au développement de Mangopay, en plus du rachat.
Objectif : faire de Mangopay un leader mondial du paiement en ligne pour les plateformes.
Depuis les débuts aux manettes de la Fintech : Romain Mazeries. De Mangopay, il maîtrise tous les rouages, a franchi toutes les étapes. De l’idée de la start-up à la recherche de sa licence ; de ce passage dans « la cour des grands » au prochain déploiement aux Etats-Unis.

A l’occasion du dernier Paris Fintech Forum, et, à une poignée de minutes de son passage en scène, on a pu voler une petite heure au CEO.
Après s’être involontairement adonné à une partie de « cache-cache » dans les couloirs de l’hôtel Potocki, nous avons (enfin ?) trouvé deux fauteuils dans le jardin, pour entamer une partie une partie de ping-pong verbale (histoire de remiser le baby-foot aux oubliettes ?)

Par Anne-Laure Allain


Un an après l’arrivée d’Advent International au capital, vous annoncez le déploiement de Mangopay aux Etat-Unis, avant de nous en dire plus, pouvez-vous nous relater les débuts de votre aventure et votre positionnement actuel ?

J’ai commencé l’aventure en 2010, quand je me suis associé avec Céline Lazorthes au sein de Leetchi.
Mangopay est un spin off de Leetchi créé en 2013 pour satisfaire aux besoins des marketplaces en pleine ébullition, j’étais alors Managing Director et naturellement, en 2018, je suis passé CEO. Depuis ses débuts, Mangopay n’a jamais dérogé à sa mission initiale qui est de développer des services et des produits pour servir les plateformes - marketplaces BtoB, CtoC ou BtoBToC - comme Vinted, Wallapop, Chrono24 ou Malt pour les freelancers, ou encore des retailers comme Rakuten, La Redoute… Aujourd’hui, nous dénombrons plus de 2500 plateformes dans toute l’Europe qui utilisent nos services. Sachant que nos plus importants marchés demeurent la France, l’Allemagne, le UK, la Péninsule Ibérique… Depuis quelques mois, nous sommes aussi beaucoup plus présents en Pologne, un marché que nous allons développer, suite au rachat de la solution anti-fraude, Nethone. D’ailleurs, au cours des derniers mois, nous avons mené deux opérations de croissance externe : Nethone en Pologne et Whenthen qui est un orchestrateur de paiement basé en Irlande.

Au cours des dix dernières années, vous êtes passés d’un marché de niche, les marketplaces, à une position de leader sur ce même marché ?

C’était un vrai pari il y a 10 ans. Il n’y avait pas tous ces moyens, tous les devices et, pourtant, nous avons misé sur l’accélération du digital et du paiement en ligne via les plateformes. Nous étions à contre-courant de nos petits camarades de la tech qui, eux investissaient le e-commerce, le collecting alors que nous développions ces services pour les marketplaces. C’est cette prise de risque qui nous permet aujourd’hui d’avoir cette position unique avec nos propres outils à disposition de nos clients : mais rien n’était gagné !
Aujourd’hui, nous avons accompagné un flux de transaction de plus de 40 milliards d’euros (70% dans les 24 derniers mois). Et, nous serons de nouveau à l’équilibre au premier trimestre 2024 après 18 mois d’investissement soutenu.

En tant que pionnier du secteur et acteur actif de l’écosystème start-up français, quel regard portez-vous sur cette course actuelle au « leader de la fintech » et à ces multiples annonces de partenariats ? Construire le leader de la fintech, vous paraît-il faisable ?

Le monde des fintechs présente tant de différents visages… Il faut d’abord savoir de quoi on parle. Sur notre segment, par exemple, il y a effectivement des acteurs qui proposent des services extrêmement larges, ils sont nombreux et souvent issus du collecting comme Stripe, Worldpay ou Checkout…Mais des acteurs du collecting qui proposent des services spécifiques aux marketplaces, il n’y en a pas tant que cela.
De manière générale, je ne crois pas à l’hégémonie d’un seul acteur. La demande est beaucoup trop fragmentée pour qu’il y ait un unique gagnant. Côté plateformes, nous assistons tous les jours à des innovations qui nous demandent de nous adapter, ces demandes sont de plus en plus spécifiques, nous faisons presque du sur-mesure. Vendre une montre de luxe, ce n’est pas la même chose que de vendre de la seconde main avec un panier moyen très faible, quant à notre client, spécialiste du freelancing, Malt, il n’a absolument pas les mêmes besoins qu’une plateforme Saas…Etc
Autre exemple : aujourd’hui, certaines fintechs misent sur le créneau des cryptos. De notre côté, nous ne sommes absolument pas équipés pour répondre à ce besoin.
Chaque fintech a la maîtrise d’un micro-marché. Et, c’est bien parce que nous sommes dépositaires d’une micro-expertise, que nous arrivons à disrupter les banques. Sinon, les banques feraient notre métier (sourires).

Certes, mais dans chacune de ces micro-expertises, il y a de nombreux acteurs…et ces acteurs sont aussi dans une course à la consolidation via des partenariats ou des levées de fonds ?

Sur ce marché des fintechs en particulier, il y a des niches ou plutôt des services qui sont voués à connaître des mouvements.
Prenons l’exemple du Buy Now, Pay Later (BNPL). Il y a aujourd’hui plein de petits acteurs qui éclosent dans toute l’Europe. Ce tout nouveau marché va forcément connaître une phase de consolidation et certains acteurs ne vont pas passer le cap du early-stage. Par marché ou par verticale, il ne devrait plus rester, à termes, que 2 ou 3 acteurs, là où aujourd’hui, on en compte une dizaine à l’échelle européenne.
Dans une certaine mesure, c’est aussi ce qui s’est passé dans le paiement digital pur il y a une dizaine d’années. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il est très compliqué de monter une fintech dans le collecting from scratch parce qu’on se retrouve immédiatement en frontal avec des mastodontes sur le secteur.
Quant au manque de liquidités disponibles auquel vous faites allusion, je pense que cela va revenir. Nous sortons d’une période où les valorisations s’étaient envolées, voire étaient devenues démentes. Lors de ces années folles, il y a quand même des acteurs qui ont levé sur des promesses difficiles à tenir. Un tout nouveau paradigme s’est mis en place. La croissance à tout prix ne suffit plus et il faut aussi aller générer du profit. Les multiples prennent désormais cela en considération.
Pour être franc, je trouve qu’il est juste aberrant que nous soyons un jour sortis de ce cadre. Créer de la valeur pour les clients, pour les actionnaires, générer du bénéfice : c’est quand même le premier objectif d’une entreprise !

En avril 2022, lors de son arrivée, Advent International a annoncé qu’il voulait faire de Mangopay une licorne et le « prochain leader mondial du paiement » (stipulé dans le CP de l’annonce). Vous êtes donc aussi embarqués dans cette course à la croissance, pourquoi avoir fait le choix d’Advent ?

Advent s’est naturellement imposé comme choix parce que nous avions besoin d’accompagnement sur nos ambitions à l’international et de bénéficier de son expertise dans le monde du paiement.
Donc oui, j’ai un actionnaire principal qui est un acteur international du private equity, donc la croissance est un enjeu (sourires). Mais pas la croissance à tout prix !
Globalement, il faut souligner que dans le monde des fintechs, les marges sont relativement faibles, et certains services, compte tenu de leur rentabilité, sont plus devenus des « commodities » que des sources de revenus : gagner des points de croissance en continu est essentiel.

Et cette croissance, vous comptez aller la chercher notamment à l’international et aux Etats-Unis en particulier ?

Aujourd’hui, nous sommes présents dans toute l’Europe avec un focus conséquent sur quatre régions principales : la France, l’Allemagne, le UK, la Péninsule Ibérique. Cette année, nous allons accélérer sur l’Est de l’Europe (Pologne / République Tchèque) grâce au rachat de Nethone (novembre 2022, spécialisée dans la lutte contre la fraude).
Pour les Etats-Unis, nous cherchons avant tout à offrir un accompagnement à nos clients existants sur le marché américain.
Dans un premier temps, nous allons nous adosser à des partenaires locaux pour supporter notre infrastructure de paiement et offrir ces services de paiements aux Etats-Unis en conformité avec la régulation locale. L’enjeu, à terme, étant d’avoir nos propres licences.
Nous sommes donc en train d’ouvrir un bureau à New York. Nous avons déjà quelques personnes sur place mais nous allons attendre la fin du quatrième trimestre ou le début de l’année prochaine lorsque nous serons en mesure de servir directement des plateformes américaines, pour faire l’inauguration officielle

Vous envisagez d’autres opérations de croissance externe ? Aux Etats-Unis, par exemple ?

On ne s’interdira jamais les build-ups ! Sur ce point, nous avons une vision en totale adéquation avec Advent. La démarche est 100 % identique : avant d’y aller, nous nous posons toujours la question de savoir si cela nous permet d’accélérer notre roadmap. Et concrètement, aujourd’hui, il nous manque surtout de « l’huile de coude » pour consolider tout ce que nous avons amorcé.
Donc, nous regardons le marché mais nous sommes beaucoup moins actifs en la matière que l’été dernier.

Vous parlez « d’huile de coude », il y a eu beaucoup d’annonces d’arrivées ces derniers temps au sein de Mangopay, notamment celle de Xavier Garambois – ancien VP d’Amazon en Europe – en qualité de président exécutif ; il y a aussi eu l’annonce de l’arrivée d’un nouveau chief of staff et d’un nouveau CTO…Mangopay change de visage ?

Quand j’ai signé avec Advent, j’ai signé pour satisfaire mes ambitions et celle de toute ma team. Nous nous sommes d’ailleurs rapidement mis d’accord sur le fait que cela passait forcément par l’embauche de profils expérimentés, chose dont je n’avais pas forcément les moyens avec mon principal actionnaire précédent.
Au cours de l’année passée, l’Executive Committee a effectivement beaucoup changé en respect avec mon rôle de CEO qui est de protéger l’ADN de Mangopay tout en transformant l’entreprise pour qu’elle réponde aux challenges de demain.
Comme tous les présidents, Xavier Garambois n’est pas dans le « day to day », il apporte avec lui son expertise du secteur et une vision dans l’organisation et la culture d’entreprise.
Nous nous devons de passer dans le « un peu moins » startup pour entrer dans le « un peu plus scale-up » avec une culture plus forte en matière de performance.
J’aime bien me dire qu’une entreprise est un être vivant en perpétuelle mutation. Il y a de très belles entreprises matures qui ont une culture startup.
Lorsque Arkea était à nos côtés de manière majoritaire nous avions déjà mis en place des process et un mode de gouvernance assez éloignés d’une structure early-stage.
Et pour tout vous dire : cela fait bien longtemps que je n’ai plus de baby-foot !

À propos de MANGOPAY
Mangopay est un allié incontournable de l'économie des plateformes grâce à son infrastructure modulaire de paiement. Créée en 2013, Mangopay accompagne plus de 2 500 plateformes et marketplaces. Conçue autour de sa solution d’e-wallet programmable, l'infrastructure end-to-end de Mangopay répond aux besoins des plateformes en matière de paiement, du pay-in au pay-out, et intègre les workflows en fonction de leur business
model.
www.mangopay.com

A propos de Romain Mazeries
Romain Mazeries a co-créé MANGOPAY en 2013 en tant que Directeur Général, créant l'entité et obtenant sa licence auprès de la CSSF tout en établissant le siège social au Luxembourg. 5 ans plus tard, en 2018, il est devenu CEO, faisant évoluer MANGOPAY à travers les pays et les équipes pour en faire une Fintech très performante traitant 20 milliards d'euros de volume de paiement pour ses 2 500 clients avec l'objectif de façonner l'avenir des échanges.
Romain Mazeries est titulaire d'un Master en économétrie de l'UT1 et d'un Master en sciences de gestion de l'école de commerce NEOMA. Il a une grande expérience de la finance internationale et du conseil. Avant de rejoindre MANGOPAY, il a notamment travaillé cinq ans chez Deloitte et Mazars aux Etats-Unis et au Mexique. En 2010, il a rejoint Leetchi en tant que Directeur Général pour lequel il a supervisé les opérations commerciales quotidiennes et a développé et mis en oeuvre sa stratégie de croissance.
Romain Mazeries est profondément engagé dans le paysage entrepreneurial et a été impliqué dans le mentorat de start-ups et a également fait partie du conseil consultatif lors de la création de France Digitale. Il est un fervent défenseur de l'égalité sur le lieu de travail et a signé l'accord de genre du projet Galion pour que MANGOPAY adhère à 45 lignes directrices pour la diversité dans la technologie, ainsi que la loi sur la parentalité pour étendre le deuxième congé parental à tous les employés.

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