Lundi 2 Février 2009

Edouard Carmignac - Président fondateur de Carmignac Gestion


Edouard Carmignac
Quel a été l’état de vos activités en 2008 ?
Si nous considérons nos encours en 2008 par rapport à nos encours à la fin de l'année 2007, nous pouvons remarquer qu'il y a une relative stabilisation qui est assez unique dans notre industrie.
Ceci tient à un certain nombre de facteurs. Nos clients sont essentiellement des clients particuliers, qui sont peut-être un peu plus fidèles que les investisseurs institutionnels.
Nous avons par ailleurs continué à nous développer sous l'impulsion de Carmignac gestion Luxembourg, notre filiale. Notre croissance a été forte dans les grands pays de l'union européenne, en particulier en Italie et en Allemagne.

Vous venez de fêtez votre 20ème anniversaire…
Nous aurions souhaité célébrer notre 20e anniversaire de meilleures circonstances. Mais peut-être que le contexte actuel met davantage en évidence notre spécificité et la réussite de notre modèle.
Nous sommes une société de gestion indépendante. C'est là une caractéristique cruciale dans le succès de notre activité de gestion.
Nous nous sommes donnés les moyens de notre indépendance ces dernières années en nous dotant de fonds propres suffisamment importants pour conférer une sécurité certaine à nos clients.
Nous avons par ailleurs motivé nos équipes en les associant au capital. Ce qui nous a semblé être une chose essentielle.

Vous êtes devenus une société internationale basée à Paris ?
Cette dimension internationale apparaît sous plusieurs aspects.
Même si la France représente encore un tiers de nos encours puisque c’est là que nous avons démarré nos activités, le pays ne représente à ce jour que 10 % de nos souscriptions d'achat.
Nos clients se situent donc un peu partout en Europe.

Ce caractère international peut également être mis en avant à travers la répartition de nos actifs sous gestion. L'Europe ne représente que 20 % de la partie actions. Dans cette période agitée, la part de taux a eu tendance à progresser ce qui amène l'Europe à représenter un peu plus la moitié de nos actifs obligataires.
Mais les pays émergents occupent une place de plus en plus importante de nos encours, un peu plus d'un milliard. L’innovation, l’environnement et la santés’élèvent à un montant équivalent.
La partie matières premières et or est la plus importante actuellement.

Au-delà, nous avons une équipe véritablement internationale. La moitié de celle-ci est composée de non français. Les nationalités sont diverses : coréenne, australienne, anglaise, italienne, américaine…

Quel regard portez-vous sur l'évolution de l’industrie de la gestion en Europe ?
Cette industrie était jusqu'à présent conduite par les banques.
On constate que compte tenu des difficultés rencontrées, ces institutions se mettent en position de devoir pratiquer l'architecture ouverte qui était jusqu'à présent pratiquée avec réticence.
Cela devrait créer pour un acteur comme Carmignac Gestion une ouverture nous permettant de nous développer auprès des établissements bancaires.
Cela nous permettra d’aspirer à devenir un mini Fidelity européen.

Que pensez-vous de l’annonce faite de la fusion entre SGAM et CAAM ? Quelles sont les implications pour une société comme la votre ?
Je comprends mal la logique de la fusion. Je pourrais comprendre que la Société générale vende sa société de gestion pour accroître ses fonds propres.
Le fait que les deux groupes restent tous les deux actionnaires ne me parait pas très sensé.
Cette opération aura pour conséquences des réductions de coûts, ce qui sous-entend une perte de talents.

Cette fusion est surtout dommageable pour la place de Paris qui a perdu beaucoup de sa substance ces dernières années,la plupart des acteurs ayant expatrié leur équipe à l’international.

Vous attendez-vous en Europe à une évolution du marché actions à la japonaise ?
Nous avons des ingrédients déflationnistes forts qui vont être difficiles à enrayer. La faible capacité de réaction en Europe du fait de lourds déficits budgétaires, la faiblesse structurelle de l'euro qui va devenir de plus en plus évidente, nous laisse peu de marge de manoeuvre par rapport à ce dont dispose le gouvernement américain.

Dès lors le risque en Europe est incontestable.

Va-t-on pour autant tomber dans le scénario japonais ? Est-ce que le risque va se concrétiser ?
Je crois qu'il existe un certain nombre de facteurs d'amortissement.
La crise japonaise avait été suscitée par une bulle spéculative significative sur le marché de l'immobilier.

L’inflation immobilière en Europe est réelle, en particulier dans les pays anglo-saxons, et en Espagne.
Cette inflation a été de moindre ampleur en France, et surtout en Allemagne.

Nous avons par ailleurs jusqu'à présent évité les pires erreurs qui avaient été commises par les autorités politiques monétaires japonaises. Ces derniers s'étaient permis de remonter les taux et la fiscalité sans que la reprise n'ait été présente.

Ceci étant, une grande faiblesse de l'Europe réside dans la politique menée par la banque centrale européenne. Elle n'est pas gouvernée comme il le faudrait. Et elle n'est pas expressément habilitée par ses statuts à racheter des papiers privés et signatures publiques.

Quel regard portez vous sur la baisse des profits des entreprises ? Alors que le consensus des analystes table sur une augmentation des profits de 4%, pour certains professionnels de la gestion, la baisse pourraient être de -7 à -10%. Certains vont même jusqu’à pronostiquer une diminution de l’ordre de 25 à 30%. Qu’en pensez vous ?
Nous ne regardons pas le marché de manière complètement agrégée.
La lecture ne peut donc pas être monolithique dans cet environnement
Déterminer le niveau des PE ou de l'Eurostoxx n’a pas de sens dans l'absolu.

Nous avons pour moteurs de performance des thématiques bien identifiées : les valeurs purement défensives avec des PE de 12 ou 13 qui ne nous semblent pas exagérés ; les valeurs aurifères, les mines d’or, des sociétés de moindre taille avec un fort effet de levier, avec des profils de production stables ou en croissance, dans des zones politiquement stables.

Ceci étant, il est certain que le consensus des analystes pour l'ensemble du marché est trop élevé.

Dans le cadre de notre logique de couverture, nous avons une position importante sur les distributeurs spécialisés américains. Nous sommes en cela vendeurs de ces sociétés dont nous pensons que les perspectives établies par les analystes sont trop positives et dont nous pensons que les résultats vont certainement décevoir les marchés.

Au-delà, nous pouvons observer que ces dernières semaines les attentes des marchés sont sur une certaine tendance. Aujourd'hui nous sommes dans une situation où les investisseurs ont l'impression que l'on chute dans le vide. Pourtant, nous avons pratiquement tous les jours des annonces de résultats décevantes mais dans de multiples secteurs, ces nouvelles n’ont pas provoqué de mouvements brusques sur les marchés.

De quelle manière considérez-vous l’augmentation du taux d’épargne des ménages américains ?
L’augmentation du taux d’épargne américain est un facteur qui va limiter l’efficacité du plan Obama.
Des analyses montrent que les chèques envoyés par l’administration Bush au printemps 2008 ont été thésaurisés à hauteur de 70/80%.
Il est à craindre que les réductions d’impôt prévues par le plan Obama dans un contexte économique dégradé seront également en partie stérilisées.

Par ailleurs, les autres mesures du plan qui concernent principalement les dépenses publiques en matière d’infrastructures vont avoir une efficacité différée.

Sur le marché des crédits que privilégiez vous entre les obligations high yield (obligations les moins bien notées) et les obligations Investment Grade (les obligations de meilleure qualité). De quelle manière percevez vous l’excès des spreads sur ces deux segments ? Une normalisation de ces spreads est elle envisageable d'ici la fin de l'année ?
Le marché du crédit devrait être soumis à des vents contraires tout au long de cette année.
Le ralentissement économique a pour résultat la dégradation d’un certain nombre de signatures.

Deux éléments ont vocation à contribuer à l’amélioration de la situation. Tout d’abord, la recapitalisation progressive des banques. En outre la baisse des taux publics qui ont considérablement affaibli le rendement des obligations souveraines amène les investisseurs privés se réorienter vers les obligations du secteur privé.

Nous pensons qu’il y a des opportunités suffisamment intéressantes sur des groupes à bonne signature, ayant une bonne visibilité comme Pernod Ricard qui rapporte près de 8% de rendement.

Que pensez vous de la forte dislocation qui existe dans les spreads inter pays au sein de l’Union européenne ?
Il n’existe pas d’exemple dans l’histoire d’une Union monétaire qui ait tenu dans le temps sans une politique budgétaire commune et un déficit commun.
Nous voyons mal comment l’Euro pourrait résister sur longue période sans un renforcement d’un gouvernement européen.

Aujourd’hui la récession fait apparaître les fragilités d’un certain nombre de ces pays et va créer des forces centrifuges. Nous sommes assez réservés sur certaines signatures.

De quelle manière vous positionnez-vous par rapport aux obligations convertibles ?
Les obligations convertibles sont marginales dans le cadre de nos investissements. Cela ne constitue pas véritablement une option d’investissement sérieuse.

Le marché des convertibles est très réduit.
Ces instruments s’analysent comme des papiers peu liquides avec des rendements comparables à des obligations classiques.

Comment envisagez-vous votre succession à la tête de Carmignac Gestion ?
Je tiens beaucoup à notre caractère indépendant. Nous rattacher à un grand groupe serait la pire chose que nous pourrions faire à nos clients et à nos collaborateurs.

Aucune formule en particulier n’a été envisagée en terme de modalité. Les éléments moteurs sont actionnaires de la société. Que le meilleur gagne.

Propos retranscrits par I. Hazgui suite à la conférence de presse organisée par Carmignac gestion le 26 janvier 2009
www.easybourse.com

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