Samedi 18 Février 2006
Pere J. Brachfield

ESPANA - Recouvrement des débiteurs ou danse des déguisements ?

Le recouvrement des débiteurs ou la danse des déguisements devient une référence dans le recouvrement des dettes impayées. L'Espagne présente une des méthodes les plus colorées à l'heure de persécuter les débiteurs recalcitrants : envoyer derrière l'endetté un encaisseur déguisé.


Cette méthode est uniquement employée de façon habituelle dans notre pays, elle est devenue une singularité dans la communauté européenne du recouvrement des impayés à l'opposé de n'importe quelle norme légale qui régie l'industrie du recouvrement de créances.

Aux Etats-Unis et dans beaucoup de pays latino-américain l'utilisation d'encaisseurs déguisés qui harcèlent les endettés et nuisent à leur image publique est interdite. Dans les autres pays européens l'utilisation d'encaisseurs déguisés est également interdite puisque le respect au droit de l'image et à l'intimité des citoyens est considéré avant tout autre point.
Si nous prêtions le plus étroitement attention au cas de la France, nous retiendrions que c'est le pays, où les cabinets de recouvrement de créances doivent impérativement remplir une condition légale qui consiste en une déclaration de leur activité par écrit auprès du Procureur de la République. En outre, le client créancier doit signer un mandat de recouvrement dans lequel apparaissent l'ensemble des conditions et des modalités de collaboration avec le cabinet. Ce dernier a également pour obligation de délivrer un reçu au débiteur pour tout paiement effectué et prévenir son client de ce règlement aussi rapidement que possible. En France, et grâce à ces normes légales qui ont été mises en application par un décret de 1996, le recouvrement des impayés est une activité qui bénéficie d'un prestige certain. Dans les pays voisins - comme dans le reste de l'UE - les cabinets de recouvrement font preuve de sérieux, et accomplissent leur tâche et leurs formalités avec efficacité. Ainsi ils misent sur la confiance des clients utilisateurs de leurs services, et sont très utilisés par les sociétés qui ont des créances à recouvrer.

Dans l'état espagnol, et malgré la nécessité que les sociétés ont à devoir contrôler convenablement leurs impayés exigibles du fait du problème endémique de la lenteur, les cabinets de recouvrement ne sont toujours pas utilisés comme dans le reste des pays européens. L'usage des cabinets de recouvrement en Espagne qui n'est pas le même que dans le reste de l'Europe provient de l'image déformée qu'ils projettent suite à des situations décrivant la "persécution et le harcèlement" des débiteurs. Ce phénomène a causé la méfiance de beaucoup d'entreprises, qui devant la possibilité d'employer des méthodes coercitives à l'encontre des leurs débiteurs, préfèrent ne pas utiliser de cabinets de recouvrement. Évidemment, aucune société sérieuse ne tient à ternir son image en utilisant certaines méthodes avec ses clients, si faibles soient-elles. Il est cependant, lamentable et injuste que le comportement illicite de quelques mauvais cabinets ait obscurci l'image de toute la profession, car dans sa grande majorité les cabinets sont sérieux et apportent, au fil des années à travers leurs services, rigueur, éthique et professionnalisme et mérite toute notre confiance.

Adresse web de DSO España : www.dso-es.info


Espagne : pour persécuter le débiteur

La constitution espagnole, dans le chapitre des droits fondamentaux des Espagnols, précise en son article 18: "le droit à l'honneur, à l'intimité personnelle et à l'image est garantie". En conséquence, envoyer un encaisseur, déguisé en panthère rose avec une affiche qui indique "je poursuis un débiteur", persécuter dans les rues un présumé endetté, voire devant sa maison ou sa société, nuit à ses droits constitutionnels fondamentaux. Mais malgré ce qu'indique la Constitution, il n'existe aucune norme en Espagne régissant ces cabinets de recouvrement ni ces procédures qui peuvent être employées pour exiger les dettes.

La pratique qui consiste à envoyer un encaisseur déguisé derrière le débiteur fait que ce dernier finit par payer sa dette afin d'éviter que tout le monde ne découvre qu'il est un mauvais payeur. Si le débiteur règle immédiatement sa dette, il se dit qu'il évitera de passer, aux yeux de la société, comme quelqu'un de peu de fierté et, en conséquence, pourra continuer à faire des affaires. Les premiers à se plaindre de ce type de services de recouvrement sont les entreprises qui, sans doute dans un état d'impuissance et de désespoir, n'ont pas obtenus le paiement de leur débiteur et, ainsi, avant que la situation critique ne soit arrangé, recourent à n'importe quelle méthode afin de pouvoir récupérer leur argent.

Le cabinet "L'encaisseur en queue de pie" fut le premier de la péninsule ibérique à utiliser les encaisseurs déguisés pour persécuter les débiteurs, bien que la paternité en revienne à l'Argentine où un cabinet de recouvrement de Buenos Aires, dans les années '70 engagea des étudiants d'université qu'il habilla de costume queue de pie et coiffa d'un chapeau haut de forme, auxquels il confia des serviettes en cuir de couleur rouge sur lesquelles pouvait être lu "recouvrement de créances" et auxquels il a demanda de circuler dans de vieilles voitures afin de visiter les débiteurs.

Pour ces encaisseurs élégants qui ont été surnommés "les cavaliers des autres", la mission n'était pas de recevoir des fonds mais avant tout de se montrer aux voisins du débiteur et ainsi déclencher le paiement de sa dette. La devise du cabinet de recouvrement était "en queue de pie et haut de forme nous recouvrons n'importe quelle créance". La popularité de cette méthode fait que le public associe immédiatement l'image d'un homme habillé en queue de pie et chapeau haut de forme comme un encaisseur tenace qui se consacre à la persécution d'un débiteur. Pour cette raison, l'image d'un homme coiffant haut de forme est devenue l'icône, de portée populaire, du poursuiveur des débiteurs.

Queue de pie et autres extravagances

Cependant beaucoup de cabinets concurrents ont délaissé cet encaisseur en queue de pie au profit de d'autres déguisements : écossais en tenue, cavalier espagnol, moine franciscain, ou Zorro. Dans d'autres cas la recherche porta sur des costumes voyants : ce fut le cas du cabinet de recouvrement "à l'encaisseur rouge" ou celui qui envoya un encaisseur habillé en canari jaune vert. D'autres cabinets ont utilisé des encaisseurs déguisés en clown ou en ours du peluche. Un cabinet de recouvrement a même utilisé un encaisseur déguisé en panthère rose afin de mieux se faire remarquer auprès des débiteurs. Singulièrement, ce fut ce déguisement de panthère rose qui fascina le plus le public extérieur à l'Espagne, suite à de nombreuses publications provenant du monde du crédit qui parlèrent "des panthères roses espagnoles" suivant les débiteurs dans les rues.
Toutes ces cabinets basent leur gestion sur la supposition que le débiteur ressent la crainte d'une diffusion publique de son état d'endetté, raison pour laquelle il préférera payer avant que sa réputation n'en pâtisse.

Néanmoins, il y a un grand pas de la théorie à la réalité, puisque beaucoup de débiteurs suivis dans la rue par des encaisseurs déguisés ne payent pas pour autant (ces débiteurs ainsi critiqués pour la diffusion publique de leur état restent indifférents). Le cas le plus fameux est celui d'un débiteur récalcitrant suivi dans la rue par un encaisseur déguisé qui précédait un comparse déguisé du débiteur. C'est pourquoi si tous les créanciers avaient la même idée d'employer plusieurs encaisseurs déguisés le débiteur penserait que c'est carnaval ou une danse costumée et ainsi les poursuites dans la rue d'un débiteur deviendrait inaperçu.
Récemment un nouveau cabinet de recouvrement a renouvelé le genre. De nos jours il est possible d'apercevoir dans les rues un encaisseur déguisé en torero et sur son costume lumineux est inscrit : il est "le torero du débiteur". Bien que l'on pourrait penser que ce déguisement de torero soit seulement une nouvelle version des encaisseurs déguisés, il a pourtant un effet un psychologique particulier.

Les débiteurs professionnels sont d'authentiques experts (toreros) en matière de combat contre leurs créanciers, ils sont passés maîtres dans l'art de l'esquive et, après plusieurs tentatives, ils ont laissé épuisé de pauvres hommes méritants qui en échange n'ont encaissé que le centime symbolique.
Par voie de conséquence la revanche du créancier fut d'envoyer au débiteur un encaisseur déguisé en torero, qui accomplit ainsi une vieille maxime "qui combat par le fer, meurt par le fer". Quoiqu'il en soit, il est surprenant que les cabinets de recouvrement aient oublié le meilleur déguisement pour persécuter les débiteurs : celui du "lieutenant Colombo".....qui mieux que ce détective lourd de la TV, vêtu de son éternel imperméable froissé, peut poursuivre le débiteur jusqu'à ce que, par épuisement il se rende et paye ses dettes ?

En Espagne les déguisements ne sont pas l'unique apanage de la poursuite de débiteurs, ils sont également employés par d'importants hommes d'affaires pour défendrent leurs demandes. Citons, par exemple, les déguisements avec lesquels M. Ruiz Mateos avait l'habitude d'attirer l'attention médiatique face à ses demandes dans le cas "Rumasa". Ces déguisements permirent à M. Ruiz Mateos, à partir des mass media aux heures de grande écoute, d'obtenir une grande popularité.

Un article original (Cobro de morosos o baile de disfraces ?) traduit de l'espagnol par DSO-News.

Article publié dans le magazine ATB (AFTER THE BELL) (nº3 en Espagne) sur les agences de recouvrement en Espagne.
Un article de :

Pere J. Brachfield
- Président de Asociación de Gerentes de Crédito de la Catalogne (Association Chefs de Crédit de la Catalogne)
- Ex Président de la FECMA, Federation of Credit Management Associations
- Professeur de "Credit and Collection Management" à l'Ecole Supérieure d'administration de Barcelone (Escuela de Administración de Empresas EAE, adscrita a la Universidad Politécnica de Catalunya)
- Professeur à l'Université Ouverte de la Catalogne, ainsi que professeur invité de plusieurs facultés.
- Journaliste économique et auteur de plusieurs livres sur le sujet du Credit Management et du recouvrement d'impayés.

pere.brachfield@telefonica.net
Site web : http://www.morosologia.com/


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